La fascination de la guerre transparaît dans les souvenirs des anciens combattants comme dans la rutilance des uniformes. La guerre serait-elle donc une fatalité inscrite dans nos gènes ?...
Si les premiers hommes semblaient déjà capables de violence comme l'attestent les archéologues, c’est avec la sédentarisation et l'avènement des sociétés organisées qu'ont surgi les guerres de grande ampleur. Plus près de nous, la Révolution française a inventé la levée en masse et conduit aux guerres totales du XXe siècle. Le survol de l'Histoire laisse toutefois deviner qu'il existe des sociétés et des cultures exemptes de ce fléau...
La fascination pour la guerre transparaît à toutes les époques historiques dans les mémoires des anciens combattants, parmi lesquels de remarquables écrivains comme Ernst Jünger (Orages d'acier) et Maurice Genevoix (Ceux de 14). Joseph de Maistre la traduit en une formule appelée à faire date : « La guerre est divine » (Soirées de Saint-Petersbourg, 1821).
Dans Le tourment de la guerre, un essai pétri d'humanité et adossé à une solide érudition, Jean-Claude Guillebaud y voit une réponse à la question que chacun se pose aujourd'hui : « Comment se peut-il que des jeunes gens nés dans nos sociétés d'opulence aillent tuer ou se faire tuer en Syrie ou au Bataclan ? ». Il nous remet en mémoire les travaux trop vite oubliés d'un penseur de l'après-guerre, Gaston Bouthoul (1896-1980), fondateur de la polémologie (« étude scientifique de la guerre »). Il « eut l'audace d'écrire que les guerres comportaient toujours, de tout temps et en tous lieux, une dimension de fête suprême, d'orgie sacrée » (page 33). À preuve les uniformes : « Les plus beaux atours qu'aient créés les hommes dans toutes les civilisations, écrit Bouthoul, l'ont été pour la parure du combattant » (La Guerre, 1953).
La « guerre du feu » n'a pas eu lieu
Au commencement des temps, les hommes vivaient en paix (ou à peu près). C'est ce que du moins nous assuraient la plupart des anthropologues et préhistoriens jusqu'à une époque récente...
Les plus anciennes traces de violence apparaissent dans un contexte particulier, celui du cannibalisme, note la préhistorienne Marylène Patou-Mathis. Un premier cas est attesté chez des Néandertaliens d’il y a 78 000 ans, en Espagne, à travers des marques caractéristiques sur des ossements humains. On ne sait s’il s’agit d’hommes tués pour être mangés ou de parents dont on aurait consommé certains organes après leur mort.
Hormis ces rituels cannibaliques, on ne recense qu’une douzaine de blessures consécutives à un choc ou un impact violent parmi les centaines d’ossements humains du Paléolitique qu’ont pu étudier les préhistoriens. Encore la plupart de ces blessures ont-elles cicatrisé, ce qui indique qu’elles ont pu être la conséquence d’un accident. « Chez les peuples de chasseurs-cueilleurs, les conflits étaient brefs et peu sanglants ; ils cessaient souvent lorsqu’un homme était tué, voire seulement blessé, » écrit encore Marylène Patou-Mathis (Préhistoire de laviolence et de la guerre, Odile Jacob, 2013 ).
Après tout, on peut penser qu'au Paléolithique moyen, quand les premiers Sapiens étaient au nombre d'un à deux millions, dispersés sur quelques dizaines de millions de kilomètres carrés, il était difficilement concevable qu'ils se livrent à des batailles rangées !
Les choses semblent changer dans la période intermédiaire (Mésolithique) qui précède le Néolithique et la naissance des premières cités. Ainsi, à Nataruk, sur les rives du lac Turkana, dans le Grand Rift africain, on a identifié en 2012 un site dans lequel 27 individus auraient été brutalement massacrés il y a dix mille ans.
En 2021, la préhistorienne Isabelle Crèvecoeur a aussi étudié la nécropole de Djebel Sahaba, au Soudan, vieille d'au moins 13400 ans et découverte en 1965. Elle montre que les deux tiers environ des soixante dépouilles de chasseurs-cueilleurs étaient affectées de lésions par des pointes ou des outils contondants, mais provoquées à des dates différentes, autrement dit dans une succession d'épisodes violents sans que l'on sache trop s'ils étaient le produit de batailles rangées, de duels, d'embuscades ou autres (source).
Cette violence primitive semble valider le pessimisme de Thomas Hobbes, selon lequel « l’homme est un loup pour l’homme », du moins à partir du Mésolithique. Elle est illustrée par le récit de l'anthropologue Karl Heider : étudiant les Dani de Nouvelle-Guinée, il avait cru que leurs affrontements étaient seulement démonstratifs avant que découvrir que l'un d'eux, le 4 juin 1966, s'était soldé par 125 morts, un bilan astronomique eu égard à leurs effectifs.
Gardons-nous de conclure. Anthropologues et préhistoriens demeurent très divisés sur la nature des sociétés de chasseurs-cueilleurs et collecteurs. Étaient-elles violentes, voire guerrières ? Il est encore difficile d'en juger en l'état actuel des connaissances même si l'on peut s'accorder sur une bascule vers la violence au Mésolithique et plus sûrement au Ve millénaire av. J.-C.
Quoi qu'il en soit, « c'est avec le Néolithique, la sédentarité dans les territoires fixes et l'augmentation constante de la population que la violence collective devient systématique et que l'on peut vraiment parler de guerre, » écrit l'archéologue Jean-Paul Demoule (La Préhistoire en cent questions, Tallandier, 2021).
En 1983, une tombe collective est découverte à Talheim (Allemagne, Bade-Wurtemberg). Elle atteste d'un massacre de masse : 34 individus, dont sept femmes et 16 enfants, tués à coups de hache !
Cette découverte et plusieurs autres du même type témoignent de la violence qui sévissait à la fin de la culture archéologique dite du rubané (ou céramique linéaire), la plus ancienne culture néolithique d’Europe centrale, de 5 500 à 4 700 avant notre ère, marquée par l'arrivée d'agriculteurs anatoliens. Les villages, précédemment ouverts, s'entourent de palissades et de fossés.
Beaucoup plus tard, à l'Âge du bronze, se manifestent les Indo-Européens. Ils amènent avec eux les premiers chars et sans doute sont-ils aussi à l'origine de nouvelles violences. C'est à l'Âge du bronze, vers 1700 av. J.-C., que sont identifiées les premières armes de guerre, des épées, des flèches et des massues en métal aussi bien qu'en silex ou en bois.
La guerre, composante quasi-obligatoire de l'ordre social
En Mésopotamie, dans le delta fertile du Tigre et de l'Euphrate, apparaissent au IIIe millénaire av. J.-C. les premières cités-États. Elles sont à l'origine d'immenses progrès dans l'agriculture et l'irrigation, l'urbanisation, les sciences (astronomie, mathématiques), les techniques (roue à rayons, etc.). Elles induisent aussi la formation de sociétés inégalitaires et de chefferies rivales à l’origine de guerres récurrentes.
Depuis lors, la guerre accompagne les humains pour l’appropriation des femmes, des troupeaux ou des réserves de céréales, également pour l'acquisition d'esclaves, voire de victimes destinées à être sacrifiées à la divinité, le cas le plus connu étant celui de l'empire aztèque, au Mexique. Elle est l'expression paroxystique d'une violence essentiellement masculine qui s'exprime aussi dans les tournois, la chasse ou encore certains sports (note).
Au Moyen-Orient, les cités-États des débuts en viennent à être absorbées au IIe millénaire par des empires militaires dont le plus redoutable est l'Assyrie, née sur les pentes du mont Zagros, autour de Ninive, sa capitale, voisine de l'actuelle Mossoul (Irak). On doit aux Assyriens l'invention de la « guerre totale » : attaques par surprise, supplices et massacres des prisonniers, déportations des populations vaincues, etc.
Les armées de l'Assyrie et de sa rivale Babylone tardent à atteindre les rivages méditerranéens. Là perdurent les guerres entre cités-États. La Bible nous a légués le souvenir des Hébreux qui n'étaient en rien des enfants de choeur. Partis d'Égypte sous la direction de Moïse aux environs de 1200 av. J.-C., ils n'eurent de cesse de combattre les Philistins du Levant avant d'être à leur tour soumis par Babylone.
Non moins belliqueux se révèlent les Grecs, héritiers des envahisseurs doriens du XIIIe siècle av. J.-C. Leurs cités n'en finissent pas de se combattre pour un oui pour un non comme en témoigne le plus célèbre récit épique de tous les temps, l'Iliade : un godelureau du nom de Pâris se prend de passion pour Hélène, épouse du roi Ménélas, et l'enlève contre son gré ; il en résulte une guerre de dix ans et la destruction de l'une des plus grandes cités du monde grec, ainsi que l'extermination de ses habitants !
De fait, les Grecs vont placer la guerre et la violence au coeur de leur pensée et de leur culture.
Le paradoxe est que les mêmes Grecs vont porter la philosophie, le théâtre et les arts plastiques à des sommets toujours inégalés ! Ils vont aussi jeter les bases de la démocratie, autrement dit d'un système de gouvernement fondé sur l'égalité de droits entre tous les... hommes libres (à l'exclusion des esclaves, des étrangers et des femmes !). Les Grecs vont aussi être parmi les premiers à codifier la guerre et la violence. Ainsi, ils s'interdisent de frapper un hôte, fut-ce un ennemi. Ils instaurent aussi une trêve entre toutes les cités pendants les Jeux olympiques...
Rome suit la même voie mais avec plus de succès. Cette cité-État révèle une ardeur sans pareille à la guerre qui lui vaut de bientôt soumettre toute la péninsule italienne puis tout le monde méditerranéen. La guerre appelle la guerre.
Les légions romaines, par leurs victoires, se mettent en situation de prélever des tributs sur les vaincus et l'afflux de richesses n'en finit pas de nourrir les guerres... jusqu'au moment où les légions atteignent les limites du monde connu, au IIe siècle de notre ère. Dès lors, Rome va devoir pressurer ses propres sujets et il s'ensuivra un lent et irrésistible déclin : appauvrissement général, révoltes populaires (Bagaudes en Gaule), intrusions barbares, etc.
Sur l'autre versant de l'Eurasie, le bassin du Fleuve Jaune, berceau de la Chine, n'échappe pas à cette violence. À l'Âge du bronze, au début du IIe millénaire, le pays se partage entre plusieurs États féodaux, en guerre permanente les uns avec les autres. C'est l'époque dite des « Royaumes combattants » qui est aussi une époque de grande fécondité intellectuelle, artistique, matérielle et technique dont les Chinois sont restés longtemps nostalgiques.
Ainsi a-t-elle vu la naissance du sage Confucius (555 à 479 av. J.-C.). À la même époque, sur les contreforts indiens de l'Himalaya naissait un autre sage appelé à un immense destin, Bouddha (550 à -480 av. J.-C.). L'un et l'autre déroulèrent leurs enseignements à des disciples avides de surmonter la violence de leur environnement et d'en saisir le sens, si sens il y a.
Faut-il donc croire que la nature humaine et nos gènes nous condamnent à la guerre perpétuelle... comme nos cousins chimpanzés, toujours à se battre selon les éthologues ?
Cette malédiction paraît d'autant plus vraisemblable que la guerre va souvent de pair avec de grandes avancées dans les techniques comme dans la spiritualité. Cela s'est vu avec les anciens Grecs comme avec les Chinois des « Royaumes combattants »... Plus près de nous, cela s'est aussi vu avec les deux guerres mondiales qui ont coïncidé avec les plus spectaculaires avancées techniques qu'ait connues l'humanité : automobiles, avions et fusées, atome, antibiotiques, télécoms, engrais azotés, etc.
La paix, un rêve (presque) inaccessible
Nous discernons heureusement des sociétés humaines très évoluées qui échappent à la guerre.
La plus notable remonte à l'aube de l'Histoire. C'est l'Ancien Empire égyptien, au IIIe millénaire avant notre ère. Très vite unifiée, la vallée du Nil est apparue comme un État centralisé, prospère et bien administré, qui bénéficie d'une terre fertile et surtout ne souffre de la présence d'aucun voisin importun. L'armée effectue le service minimum et les paysans acceptent de sacrifier les loisirs forcés de la période des crues à l'érection des pyramides qui feront pour l'éternité la gloire de leur souverain.
D'autres sociétés, dans la haute Antiquité, ont semblé témoigner d'une semblable allergie à la guerre : la Crète de Minos, dans la première moitié du IIe millénaire avant notre ère, ou encore l'Étrurie (Toscane actuelle), aux IXe-IIIe siècles av. J.-C.
Si l'on en juge par les témoignages archéologiques, ces trois sociétés, égyptienne, minoenne et étrusque, semblent avoir aussi ignoré l'esclavage et tenu les femmes pour les égales des hommes ! De là à penser que ces trois caractères vont de pair (ainsi que leurs contraires : les anciens Grecs aimaient la guerre, pratiquaient l'esclavage intensément et tenaient les femmes pour des sous-hommes), il y a un pas que nous ne sommes pas loin de franchir...
Plus près de nous, en Europe occidentale, la guerre tombe en défaveur au tournant de l'An Mil, après plusieurs siècles de désordres consécutifs à la disparition de l'empire romain d'Occident et aux invasions germaniques.
Les États et les administrations ayant quasiment disparu, il ne subsiste plus que des seigneuries rurales et des monastères. À la faveur d'un redoux climatique, l'optimum climatique médiéval, les récoltes deviennent plus régulières et les famines reculent. En l'absence d'invasions ou de migrations, les communautés paysannes se stabilisent et se consolident.
L'aristocratie guerrière se constitue en un groupe social prestigieux, la chevalerie. Sur les instances de l'Église, elle accepte un code de l'honneur et des « trêves de Dieu » qui limitent peu à peu les dégâts causés par les guerres privées, d'autant que les stratégies défensives (châteaux forts) prennent le pas sur les stratégies offensives (batailles rangées).
À son apogée, au milieu du XIIIe siècle, la chrétienté occidentale en vient à connaître une prospérité et une paix relatives. Les interventions armées du principal souverain de l'époque, le roi Louis IX (Saint Louis), ne mobilisent jamais que quelques milliers d'hommes. C'est ainsi le cas à Taillebourg face aux Anglais, en 1242.
Apaisée, cette chrétienté occidentale se caractérise aussi, faut-il s'en étonner ? par un statut élevé des femmes, l'absence d'esclavage et la quasi-disparition du servage.
Ce « beau Moyen Âge », selon l'expression du grand historien Georges Duby, prend fin au siècle suivant avec l'arrivée d'un « Petit Âge glaciaire », l'irruption de la peste et le retour de l'insécurité avec la guerre de Cent Ans.
Ces défis conduiront au renforcement de l'État monarchique, avec la création de l'impôt permanent et d'une armée régulière. De génération en génération, la société se raidira. Écartées de la sphère publique, les femmes verront à nouveau leur statut décliner. Sur les rives méditerranéennes en contact avec le monde musulman, l'esclavage pointera à nouveau le nez...
Pire que tout, à la Renaissance, les guerres retrouvent et dépassent l'ampleur qu'elles avaient sous l'Antiquité. Cela tient aux rivalités entre grands États impériaux, aux conflits religieux et bien sûr à la révolution apparue dans les techniques militaires avec l'artillerie.
Avec seize mille morts selon l'historien Didier Le Fur, la bataille de Marignan, en 1515, sera la bataille la plus meurtrière en Occident depuis plus de mille ans... Ce record ne tardera pas à être battu à Pavie en 1525, Vienne en 1529, Lépante en 1571, etc. Le XVIIe siècle conservera un niveau élevé de violence, notamment du fait de la France de Louis XIV, principal État européen, aux ambitions acérées. Le siècle suivant, le XVIIIe, connaîtra encore une demi-douzaine de conflits importants qui verront s'opposer les grandes familles régnantes d'Europe.
De la « guerre des princes » à la « guerre des peuples »
Faut-il l'avouer ? À la lecture du Tourment de la guerre (Jean-Claude Guillebaud), nous en arrivons à nourrir une nostalgie pour ces guerres d'Ancien Régime, qui voyaient les souverains européens se disputer quelques arpents de terres avec des armées de mercenaires en uniformes fringants comme ci-dessous dans le film Barry Lyndon (Stanley Kubrick, 1975).
Ces « guerres des princes » ou « guerres en dentelles » (note) étaient relativement économes en vies humaines car elles mobilisaient des soldats professionnels dont la formation coûtait cher. Les officiers faisaient donc en sorte de les épargner. Ces officiers, issus de la noblesse, se battaient pour la gloire. Ils recrutaient leurs hommes parmi les vagabonds et les marginaux et accomplissaient œuvre utile en en débarrassant la société civile. Malgré leurs effets collatéraux, pillages et viols, ces guerres affectaient assez peu les non-combattants.
De temps en temps toutefois, une guerre civile parfois teintée de religion amenait une violence extrême et généralisée pendant une durée relativement brève, de quelques années à trois décennies (guerres de religion, guerre de Trente Ans, Fronde...).
Tout change à la fin du XVIIIe siècle avec l'arrivée de la « guerre des peuples ». Comme beaucoup d'inventions de ce temps-là, c'est à la France qu'on la doit et plus précisément à nos révolutionnaires de l'An II. Jean-Claude Guillebaud a identifié le théoricien de cette nouvelle forme de guerre, qui va se traduire par des massacres à grande échelle de combattants et aussi de non-combattants. Il a nom Hippolyte de Guibert.
En 1772, à 29 ans, ce surdoué encensé par Voltaire publie à Londres Essai général de tactique. Il entrevoit très clairement et avec inquiétude le moment où la noblesse perdra le monopole de la guerre au profit de la nation toute entière : « Quand les nations elles-mêmes prendront part à la guerre, tout changera de face ; les habitants d'un pays devenant soldats, on les traitera comme ennemis, la crainte de les avoir contre soi, l'inquiétude de les laisser derrière soi, les fera détruire... » (Hippolyte de Guibert, 1790).
De fait, avec la levée en masse en 1793 puis la conscription obligatoire en 1798, la République française peut compter sur des ressources humaines mal formées mais motivées et renouvelables à volonté.
Le basculement s'opère selon Jean-Claude Guillebaud à l'occasion de la campagne de Russie, en 1812. Elle commence en « guerre des princes », à la loyale, et finit en « guerre des peuples » avec tueries en veux-tu en voilà, à Borodino, sur la Moskova, le 7 septembre 1812, où 300 000 hommes s'affrontent sans règles ni limites pendant une dizaine d'heures.
Comme toujours en matière d'innovation et de modernité, ce sont les Américains qui vont parfaire la transformation à la faveur de leur guerre civile ou guerre de Sécession (1861-1865). Tout sera prêt pour les grandes tueries de 14-18 et 39-45. Il faut revenir à l'époque antique, deux millénaires en arrière, pour observer des guerres aussi féroces. Ainsi de la guerre du Péloponnèse (431-401 av. J.-C.).
Nous avons ébauché ci-dessus une distinction entre les guerres conventionnelles d'État à État et les guerres civiles, y compris confessionnelles. Faisons une place à part aux invasions nomades, aujourd'hui disparues, et en particulier à l'expansion mongole (XIIIe siècle). Celle-ci mérite la palme de la violence avec, dit-on, quelques dizaines de millions de victimes en quatre ou cinq décennies.
Mais l'on peut rappeler aussi une constante historique : les guerres civiles sont plus meurtrières et impitoyables que les guerres d'État à État. La France, par exemple, a pleuré plus de victimes à l'issue des guerres de religion (1562-1598) et même de la Fronde (1648-1652) que pendant la Première Guerre mondiale. Les États-Unis ont perdu plus d'hommes pendant la guerre de Sécession (Civil War) que pendant les deux guerres mondiales réunies. L'Union soviétique a sans doute sacrifié plus de vies dans la répression de ses opposants que dans la lutte contre l'envahisseur allemand. L'Allemagne elle-même en a perdu au moins autant pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648) que pendant la Seconde Guerre mondiale.
On peut encore citer l'empire chinois : ne s'étant pas fractionné en principautés rivales comme l'empire romain, il n'a pas eu à connaître de guerres conventionnelles, sinon de manière très limitée, mais il a bien plus souffert que l'Europe du fait de guerres internes, de la rébellion An Lushan (VIIIe siècle) à la guerre civile (XXe siècle) en passant par la rébellion des Taiping (XIXe siècle) et quelques autres.
La leçon à en tirer ? Nous avons bien mieux à attendre d'une bonne diplomatie et de l'équilibre des puissances que de la disparition des États. Mieux vaut assumer le risque de conflits conventionnels avec des États voisins que celui d'une guerre civile dans un organisme fracturé par ses divisions politiques, économiques, sociales, religieuses ou ethniques (je pense bien sûr à l'Union européenne dans sa version maastrichienne).
Guerre de masse et massacres en masse
La Grande Guerre ou Première Guerre mondiale (1914-1918) marque une transition brutale dans notre civilisation. Elle perd la « beauté épique » des guerre antérieures. Dans leur uniforme bleu horizon, kaki ou vert de gris, les soldats et les officiers ont l'air de prolétaires sortis des usines ou de la mine. Ils ressemblent aussi aux sous-hommes du film Metropolis. C'est l'ère des masses et du nivellement démocratique entrevu par Alexis de Tocqueville.
Avons-nous l'espoir de sortir de cette logique de guerre ? Après les horreurs sans nom de la Seconde Guerre mondiale, le monde, du moins l'Occident, s'est installé dans une longue période de paix, mais une paix très particulière, assurée par la dissuasion nucléaire. Les deux superpuissances de l'après-guerre, fortes l'une et l'autre d'une capacité de destruction quasi-infinie, se sont regardées en chiens de faïence et parfois combattues par adversaires interposés (Coée, Vietnam, Afghanistan,...).
Marquée par une compulsive course aux armements, cette période a été qualifiée de guerre froide, en application du précepte latin : Si vis pacem, para bellum (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »). Le président Ronald Reagan l'a transcrit à sa manière en anglais : Peace through strength (« La paix à travers la force »).
L'effondrement de l'URSS a fait croire à l'avènement de la paix universelle ! Les pays occidentaux ont mis fin à la conscription et réduit leurs budgets militaires. Les militaires sont devenus des professionnels sans rien à voir avec les conscrits et les baroudeurs d'antan. Le soldat n'est plus un « chat maigre » comme on le voit dans le film La 317e Section (Pierre Schoendoerffer,1965) mais un champion de culturisme bardé de 40 kilos de matériel électronique. C'est le retour à la chevalerie du Moyen Âge sans le prestige et le pouvoir.
En ce XXIe siècle, aux guerres d'État à État telle la guerre en Ukraine, se superposent les guerres asymétriques qui opposent des armées régulières à des troupes de partisans ou de « terroristes ». Ici aussi, la France fait figure de pionnière avec les guerres de Vendée (1793-1795) et mieux encore la guerre d'Espagne (1808-1814) qui a vu les paysans espagnols faire plus de mal aux armées d'occupation napoléoniennes que les armées régulières anglo-espagnoles.
Depuis la Seconde Guerre mondiale, ces « guerres de partisans » sans règles prennent le pas sur les autres formes de violence, en Amérique latine et aujourd'hui au Moyen-Orient. Jean-Claude Guillebaud en a été le témoin au Bangladesh. Elles conduisent de part et d'autre à la diabolisation de l'adversaire pour légitimer son extermination par tous les moyens possibles. Le comble de l'inhumanité ayant sans doute été atteint par le pogrom du 7 octobre 2023.
Les nations dites civilisées, qui se distinguent par le souci d'épargner la vie de leurs soldats et de leurs citoyens, tentent de répondre à ces nouvelles menaces par des biais technologiques : le renseignement et les drones (avions bombardiers sans pilote). Avec un risque majeur : les bombardements à distance, du fait de leurs effets collatéraux très meurtriers, fabriquent plus de nouveaux terroristes que l'on n'en tuera jamais.
Batailles navales
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Pat (12-12-2023 20:53:14)
"Ces « guerres des princes » ou « guerres en dentelles » (note) étaient relativement économes en vies humaines car elles mobilisaient des soldats professionnels dont la formation coûtait cher. ... Lire la suite