30 juin 1520

« Noche triste » et conquête du Mexique

La nuit du 30 juin au 1er juillet 1520 reste connue sous le nom de « Noche Triste » (Triste Nuit) dans l'Histoire de l'Espagne. En ces heures tragiques s'est joué en effet le destin du Mexique et de l'Amérique espagnole.

Une poignée de soldats espagnols aux ordres d'un jeune audacieux du nom d'Hernan Cortés échappent cette nuit-là à la furie aztèque. Incapables de repousser les Espagnols, les habitants du Mexique vont devoir se soumettre aux nouveaux-venus.

Fabienne Manière

Des intrus bien accueillis

Après la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, les Espagnols s'étaient établis aux Antilles et consacrés à la colonisation de ces îles. C'est seulement en 1518 que le gouverneur de Cuba se soucia du continent proprement dit. Il confia une flotte de onze vaisseaux et 600 hommes à son secrétaire, Hernan Cortés (en français Fernand Cortez), un noble castillan de 33 ans, fortuné et cultivé, avide d'aventures. Avec lui, les Conquistadores (conquérants) succèdent aux Descubridores (découvreurs) : Colomb, Balboa, Cabral, Magellan...

Le 19 février 1519, Cortés aborde près de l'actuel port de Tabasco. Il fait démonter ses navires et brûler leurs coques pour enlever à ses hommes toute perspective de retraite et dès lors entreprend la conquête du Mexique, un empire au faîte de sa puissance et fort de plusieurs millions d'âmes.

Dans cette entreprise folle, le conquérant va d'abord être servi par l'étonnement que suscitent chez les Indiens le physique barbu des Espagnols, leurs armures métalliques, leurs armes à feu et leurs chevaux caparaçonnés. Les Indiens font très vite le rapprochement entre ces arrivants et leur mythologie, qui évoque un dieu, Quetzalcoatl, parti un jour à la conquête de nouvelles terres et qui doit revenir avec ses descendants revêtus d'armures dorées. Par ailleurs, Cortés va tirer parti des divisions au sein de l'empire, entre le peuple dominant, les Aztèques, et les peuples assujettis, lesquels sont soumis à une féroce dominations.

Il va entrer en contact avec ces derniers grâce à une jeune captive. C'est une Indienne d'origine maya, Malintzin, surnommée la Malinche, qui sera plus tard connue sous son nom de baptême, Doña Marina. Vendue par sa mère à des Indiens de la côte, elle parle leur langue. De son côté, Cortès compte parmi ses hommes un Espagnol qui a été autrefois capturé par les Mayas et a pu apprendre leur langue. C'est ainsi que par le truchement de cet homme et de Malintzin, Cortès va se rallier habilement les peuples soumis aux Aztèques des hauts plateaux. Unissant l'utile à l'agréable, il va aussi faire de la Malinche sa maîtresse et lui donner un fils (ultérieurement, la mère et l'enfant disparaîtront dans des conditions obscures).

Le Mexique avant Cortès

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Peu avant l'arrivée de Cortés, au XVe siècle, les Aztèques ont établi leur domination sur le plateau central du Mexique, soit un vaste territoire qui s'étend jusqu'au Guatemala actuel... Bien plus tôt, dans la zone tropicale humide, s'est épanouie la civilisation maya.

Des maîtres détestés

La capitale aztèque est une cité prestigieuse située sur les hauts plateaux centraux et environnée d'un lac qui la protège des agresseurs éventuels. Elle porte le nom de Tenochtitlan.

Les Aztèques sont avant tout un peuple guerrier. Et les guerres qu'ils poursuivent sans relâche contre leurs voisins n'ont d'autre but que d'alimenter les temples en sacrifices humains.

Les Aztèques croient en effet que quatre mondes ou soleils ont déjà péri et tentent d'éviter une nouvelle mort du soleil en nourrissant celui-ci en abondance. 80 000 prisonniers de guerre auraient été ainsi sacrifiés au dieu soleil lors de l'intronisation du roi Ahuitzotl en 1486 ! Lors des sacrifices, les malheureux encore vivants se voient arracher leur coeur par un prêtre, au sommet du temple en forme de pyramide qui domine Tenochtitlan.

Au vu de ces pratiques, il va de soi que les peuples voisins ne portent pas les Aztèques dans leur coeur et beaucoup voient dans l'arrivée des Espagnols l'occasion de s'en défaire. Parmi eux figurent les Tlaxcala, principaux ennemis des Aztèques, qui vont devenir aussi le principal allié de Cortès et lui fournir des milliers de combattants.

La variole, arme de destruction massive !

Parti de Cuba le 5 mars 1520, Hernan Cortès emmena avec lui sans le savoir un passager clandestin qui allait se révéler un « allié » effroyablement meurtrier : la variole. Cette maladie infectieuse contre laquelle les Eurasiens étaient partiellement immunisés allait frapper les Amérindiens avec une brutalité sans pareille. Il semble que la maladie ait été introduite au Mexique par l'un des esclaves africains de l'expédition, un certain Francisco de Eguia. Fiévreux, il fut mis au lit dans une maison indigène de Zempoala et, en quelques jours, la ville se transforma en cimetière ! Les survivants, en tentant de fuir l'épidémie, ne firent que la propager plus loin. Dès le mois de septembre 1520, la capitale aztèque Tenochtitlan fut atteinte et en quelques semaines, sa population chuta d'un bon tiers... ce qui, entre autres effets, facilita la conquête espagnole.
Ce « choc microbien » fut la cause principale de l'effondrement démographique des Amérindiens après la conquête européenne, de 80 millions d'êtres humains en 1492 à une dizaine de millions au milieu du XVIe siècle, pour l'ensemble des Amériques, selon les chiffres de l'historien Pierre Chaunu ! 

Une guerre impitoyable

Quand Cortés, escorté de ses alliés tlaxcalans, fait part de son arrivée à l'empereur aztèque, Moctezuma II, celui-ci n'ose pas lui refuser l'accès au coeur de sa capitale. Troublé, il le reçoit avec les honneurs dûs à un descendant du dieu Quetzalcoatl. Cortès, impressionné par la magnificence de la capitale aztèque, la décrit en ces termes dans une lettre à l'empereur Charles Quint : « Tenochtitlan, ou Mexico, est située au milieu d'un immense lac. Si on veut y aller sur la terre ferme, il y a au moins deux lieues d'eau à traverser sur quatre chaussées d'environ vingt pieds de large. Mexico contient plusieurs grandes places qui servent de marché. Il y en a une, entre autres, plus grande que la ville de Salamanque, entourée de portiques où plus de 60 000 personnes achètent et vendent continuellement toutes espèces de marchandises, des comestibles, des vêtements, des bijoux d'or et d'argent, de plomb, de laiton, de cuivre, d'étain, de pierres, de coquillages, de plumes. On y vend des pierres brutes taillées...  »

Cortés profite de sa situation pour séquestrer l'empereur et gouverner en son nom. Il prend possession sans trop de mal de la ville. Mais voilà qu'il doit revenir sur la côte pour faire face au débarquement d'un rival, Panfilo de Narvaez. Il confie la garde de la ville et la surveillance de l'empereur à l'un de ses lieutenants, Pedro de Alvarado. Celui-ci est rapidement dépassé par la situation. Se croyant victime d'un complot, il pénètre dans le temple aztèque et fait un massacre des prêtres et des assistants.

Informé de la situation, Hernan Cortés fait immédiatement demi-tour pour porter secours à ses compatriotes avec les quelques centaines d'hommes de Narvaez qui se sont ralliés à lui. Comme il pouvait s'y attendre, la population de la métropole prend les Espagnols à partie. Moctezuma trouve la mort à cette occasion, blessé mortellement par une pierre en tentant de s'interposer.

Cortés comprend que la situation à Tenochtitlan est devenue intenable. Il ordonne la retraite.

Avec les 500 hommes qui lui restent, il quitte précipitamment la capitale de l'empire aztèque dans la nuit du 30 juin au 1er juillet 1520.

Mais la population a coupé les ponts qui permettaient de franchir les marais environnants et la moitié des Espagnols succombent en tentant de sortir de la ville.

L'historien Gérard Chaliand évoque dans Miroirs d'un désastre, récits de la conquête espagnole (Pocket) le « saut d'Alvarado » : à l'imitation d'Alvarado, le lieutenant de Cortès, des Espagnols auraient utilisé leur lance comme une perche pour franchir les brèches ouvertes par les Aztèques dans la chaussée (Indiana Jones n'aurait pas fait mieux !)

Dans un registre plus tragique, Cuitlahuac, le successeur (et meurtrier) de Moctezuma ne tarde pas à mourir de la variole. Un nouvel empereur, Cuauhtémoc, neveu de Moctezuma, prend la tête de la révolte.

Triomphe espagnol

Cortés, tenace, regroupe les survivants et ses alliés indiens avant de reprendre l'offensive. Le 7 juillet 1520, près de la localité d'Otumba, il fait face avec 500 hommes plus ou moins éclopés et des alliés indiens incertains à une armée aztèque de plusieurs dizaines de milliers d'hommes. Par un trait de génie, il vainc l'ennemi en chargeant à cheval à travers les rangs jusqu'à atteindre et tuer d'un coup de lance le général aztèque posté sur une colline au milieu de ses troupes !

Cortés assiège dès lors posément la capitale aztèque. Celle-ci devait compter 250 000 habitants avant l'arrivée des Espagnols mais déjà se font sentir les effets de la variole introduite par les Européens et beaucoup de jeunes défenseurs, s'ils ne sont déjà morts, ressentent déjà la fièvre et les symptômes de la maladie. Avec les matériaux récupérés de ses anciens navires, le conquistador fait construire des brigantins pour traquer sur le lac les embarcations qui ravitaillent la ville. Tenochtitlan est prise le 13 août 1521, après un siège de 75 jours et une famine épouvantable, malgré la résistance opiniâtre de Cuauhtémoc.

L'orgueilleuse métropole est détruite pierre à pierre et avec elle s'effondre l'empire aztèque. L'empereur est maintenu en prison pendant plusieurs années par Cortés, soucieux de s'assurer ainsi la soumission des Aztèques. Il sera exécuté finalement en 1525 au cours d'une expédition en Amérique centrale, sur la foi d'une injuste accusation de complot.

Sur l'emplacement de Tenochtitlan, le nouveau maître du pays fondera la ville de Mexico, d'après le nom donné aux habitants de la région, les Mexican.

L'empereur Charles Quint va transformer l'ancien empire en une colonie du nom de Nouvelle-Espagne. Cortés en devient le gouverneur et le capitaine général. Il finira sa vie en Espagne, près de Séville, se consacrant à la rédaction de ses souvenirs.

Les Espagnols débarquent en nombre en Nouvelle-Espagne. Ils reçoivent autorité sur de vastes territoires avec les Indiens qui y vivent, à charge pour eux de les protéger et de les évangéliser, ce dont ils s'acquitteront fort mal. C'est le principe de l'« encomienda » sur lequel s'est bâtie la colonisation de l'Amérique espagnole.

Mort d'une civilisation, naissance d'une civilisation

L'épopée de Cortés va inspirer de médiocres épigones, au premier rang desquels Pizarre, qui détruira l'empire inca et conquerra le Pérou. En attendant, le conquérant se retire en Espagne pour rédiger ses souvenirs. Après sa mort, ses restes seront transférés à Mexico, à l'Hôpital de Jesus. Non loin de là, une grande cathédrale a été érigée sur les fondations du grand temple de Montezuma, le Templo Major. Du fait de l'assèchement du lac qui entourait Tenochtitlan, elle s'enfonce peu à peu dans le sol mouvant, comme une partie de la ville ancienne.
La cathédrale donne sur la place des Trois Cultures où, sur les ruines du temple de Tlatelolco, une inscription rappelle la nuit où un monde mourut et un autre naquit :
El 13 de Agosto 1521, heroicamente defendido por Cuauhtemoc cayo Tlatelolco en poder de Hernan Cortès. Non fue trionfo ni derrota. Fue el doloroso nacimiento del pueblo mestizo que es el Mexico de hoy
« Le 13 août 1521, héroïquement défendu par Cuauhtémoc, Tlatelolco tomba aux mains d'Hernan Cortès. Ce ne fut ni un triomphe, ni une défaite. Ce fut la douloureuse naissance du peuple métis du Mexique d'aujourd'hui  »

Publié ou mis à jour le : 2022-04-21 11:52:00

Voir les 6 commentaires sur cet article

Sofiane (30-06-2021 10:14:50)

Excellente article !

Ps : il y'a eu une faute d'orthographe sur le dernier mot siegne au lieu de siège.

Yass (10-11-2019 16:31:49)

Très bon article comme toujours, certes vous avez évoquez le rôle de Panfilo de Narvaez, ennemi juré de Cortez, et qui est un des plus important acteur de cette révolte aztèque. Cela a été dit... Lire la suite

Alain Martial (30-06-2008 21:14:31)

Je fais amende honorable et suis heureux de constater que les ressentiments historiques contre la brutale conquête espagnole sont compartis par d´autres pays. Ce qu´il reste encore à expliquer c´... Lire la suite

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