Le 14 mai 1796, un médecin de campagne vaccine un jeune garçon afin de le protéger contre la variole. Il utilise pour cela du pus provenant d'une maladie apparentée mais bénigne, la vaccine des vaches. En cela, il se distingue de ses prédécesseurs qui, non sans risque, immunisaient leurs patients en leur inoculant la variole elle-même.
Par une action déterminée auprès de ses collègues, Édouard Jenner (47 ans), va donner à la vaccination une caution scientifique et la généraliser à l'ensemble de la population.
La variole est une maladie infectieuse qui se manifeste par l'apparition de pustules (d'où son nom, dérivé du latin varus, pustule). Elle est surnommée abusivement « petite vérole » par référence à la syphilis ou « grande vérole », avec laquelle elle n'a rien à voir. Elle a été responsable jusqu'au XVIIIe siècle de dizaines de milliers de morts par an rien qu'en Europe (la descendance du roi Louis XIV a ainsi été décimée par la variole en 1712). Elle a surtout provoqué la quasi-extermination des Amérindiens sitôt après l'arrivée de Christophe Colomb dans le Nouveau Monde. Ne bénéficiant d'aucune immunité contre le virus, ils ont vu leur nombre réduit d'environ 80 millions à quelques millions en moins d'un siècle.
Aujourd'hui, grâce à la vaccination systématique, cette maladie a disparu de la surface de la Terre (un cas unique à ce jour). Le dernier malade aurait été repéré en 1977 en Somalie.
Une pratique ancestrale mais mal maîtrisée
Très tôt, dès le Moyen Âge, on s'est aperçu que les personnes ayant survécu à la variole étaient définitivement immunisées contre le fléau. Le savant andalou Averroès y fait allusion et des praticiens ont l'idée d'inoculer la maladie à leurs patients, avec un maximum de précautions, afin de les protéger contre les fréquentes épidémies.
Dans la onzième de ses Lettres philosophiques (ou Lettres anglaises, écrites entre 1714 et 1738), Voltaire se fait l'écho de cette pratique et, tout au long du XVIIIe siècle, des médecins inoculent la variole à titre expérimental à leurs riches patients, tel Johann Struensee sur le prince héritier du Danemark en 1769.
Mais cette protection préventive n'est pas sans danger et elle nécessite que le patient soit très soigneusement isolé afin qu'il ne provoque pas lui-même une épidémie. Elle est limitée pour cela aux milieux aristocratiques et bourgeois.
Jenner invente la vaccination
Édouard Jenner, médecin de campagne et vétérinaire passionné par la recherche, n'a pas craint de lancer une campagne préventive auprès de sa clientèle. Il s'est aperçu comme cela que plusieurs de ses patients étaient insensibles à l'inoculation. Après enquête, il a découvert qu'il s'agissait de valets de ferme en contact avec les vaches.
Il a pu faire le rapprochement avec la vaccine ou variole des vaches (en anglais, « cow-pox »). Cette maladie bénigne est courante chez les valets qui traient les vaches et entrent en contact avec les pustules des pis. Elle a pour effet de les immuniser contre la véritable variole, le plus souvent mortelle.
Édouard Jenner a l'idée d'inoculer par scarification non plus du pus de la variole mais du pus de la vaccine, beaucoup plus bénin et tout aussi efficace. Il prélève donc du pus sur la main d'une femme, Sarah Nelmes, qui a été infectée par sa vache, Blossom, atteinte de la vaccine, et l'inocule à un enfant de 8 ans, James Phipps.
James Phipps contracte ladite maladie sous la forme d'une unique pustule et en guérit très vite.
Trois mois plus tard, indifférent au « principe de précaution », le médecin lui inocule la véritable variole. À son grand soulagement, la maladie n'a aucun effet sur l'enfant. C'est la preuve que la vaccine l'a immunisé contre la variole en entraînant la formation d'anticorps propres à lutter contre l'infection.
Rapide diffusion de la vaccination
Édouard Jenner diffuse avec courage le principe de la vaccination dans le public, en encourageant la vaccination de masse. Ses opposants contestent l'innocuité de sa méthode ou même parfois dénoncent la prétention de vouloir contrarier les desseins de la providence.
Il publie à ses frais An inquiry into the causes and effects of the variolae vaccina (Enquête sur les causes et les effets de la vaccine de la variole) et jette les bases de l'immunologie appliquée à la variole. Il se satisfait d'une approche empirique et ne se soucie pas d'aller plus avant dans la compréhension du phénomène. Il appelle « virus » le facteur mystérieux de la vaccine (d'après un mot latin qui signifie poison).
Quittant son village natal de Berkeley, dans le Gloucestershire, le médecin se rend ensuite à Londres où il vaccine gratuitement des centaines de sujets. Bientôt ruiné, il revient exercer la médecine à Berkeley où il finit honorablement sa vie.
Entre temps, la pratique de la vaccination se répand très vite en Europe et en Amérique, contribuant au recul des épidémies.
À Boston, aux États-Unis, un disciple enthousiaste, le médecin Benjamin Waterhouse, vaccine sa propre famille dès juillet 1800. L'année suivante, il convainc le président Thomas Jefferson d'en faire autant. Quatre-vingts ans plus tard, Louis Pasteur découvre les fondements théoriques de la vaccination et en améliore la pratique en vaccinant contre la rage le petit Joseph Meister en 1885.
À ce jour, les grandes campagnes de vaccination contre la variole ont pratiquement éliminé ce virus de la surface de la terre.
Contrairement à des idées reçues, l'Europe doit son essor démographique exceptionnel des XVIIIe et XIXe siècles à l'amélioration de l'hygiène et de l'alimentation, plus encore qu'à la vaccination et aux progrès de la médecine.
L'hygiénisme s'est développé dès le siècle des « Lumières », incitant chacun à prendre davantage soin de son corps, de son environnement et de sa nourriture.
Ainsi les jeunes femmes sont-elles peu à peu revenues à l'allaitement maternel... Et les autorités ont déménagé les cimetières, sources de nombreuses infections, des centres-villes vers la périphérie. Ces actions ont notablement amélioré l'espérance de vie des Européens en réduisant en premier lieu la mortalité infantile, sans qu'interviennent les techniques médicales.
Louis Pasteur, en démontrant l'importance de l'asepsie, a apporté à ces principes d'hygiène les fondements théoriques qui leur manquaient. La vaccination et les antibiotiques ont encore accru l'espérance de vie mais en intervenant sur la mortalité des adultes bien plus que sur celle des nourrissons.
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Gérard (08-07-2020 14:59:30)
Bonjour , Surpris que dans votre article vous n'évoquiez pas JF Xavier Girod, médecin de Mignovillard(39) qui dès 1764 avait inoculé la population de Franche Comté en formant des médecins itiné... Lire la suite