Au tournant de l'An Mil, dans une Europe féodale divisée en seigneuries et principautés rivales, rien ne semble destiner la papauté à un grand avenir. Le souverain pontife n'est guère plus que l'évêque de Rome, placé sous la dépendance de l’empereur germanique.
La mort prématurée de l'empereur Otton III et de son ami le pape Sylvestre II ont enterré le rêve d'un empire chrétien universel. Mais par un retournement dont l'Histoire a le secret, une nouvelle génération de papes, profondément inspirés par l'ordre monastique de Cluny, va réformer l'Église et la société médiévales et plus ou moins réussir à placer la chrétienté occidentale sous l'autorité des pontifes romains, vicaires du Christ sur terre, en parallèle avec le renouveau du monde monastique...
La réforme grégorienne
Les prémices de la réforme apparaissent avec Léon IX. Le nouveau pape est imposé à Rome en 1049 par son cousin Henri III, le plus énergique de tous les empereurs germaniques.
Pendant les cinq années de son pontificat, il ne va avoir de cesse de parcourir l'Occident et de réunir évêques et abbés en synodes pour les convaincre de l'urgence de réformer l'Église.
Il se lance immédiatement dans la lutte contre la « simonie », c'est-à-dire l’achat des charges ecclésiastiques qui place le clergé séculier sous la dépendance des seigneurs laïcs, et le « nicolaïsme », c'est-à-dire le mariage des prêtres qui conduit ceux-ci à détourner les ressources de leur cure au profit de leur famille.
Soucieux d'affirmer la prééminence du trône de saint Pierre, Léon IX entame aussi une querelle avec le patriarcat de Constantinople. Il envoie en 1054 à Byzance une délégation dirigée par Humbert de Moyen-Moutier et le futur pape Étienne IX (1056-1058).
Ceux-ci veulent rappeler l’Église byzantine à ses obligations. Ils lui reprochent d’avoir « enlevé » le filioque de l’article de foi, de ne pas utiliser pour la communion le pain azyme comme en Occident, de pratiquer le mariage des prêtres.
Bien que le pape Léon IX soit mort entre temps, les deux légats décident le 16 juillet 1054 de déposer sur l’autel de Sainte-Sophie une bulle d’excommunication contre le patriarche Michel Cérulaire.
Cette péripétie passe sur le moment inaperçue. On y verra plus tard le début du schisme entre l’Église catholique (Occident latin) et l’Église orthodoxe (Orient byzantin), avec deux manières de pratiquer la liturgie et les rites.
À Léon IX succèdent Victor II puis Étienne IX. Ils poursuivent ses efforts avec le concours efficace du moine Hildebrand, cardinal le plus influent de la Curie.
À la mort d’Étienne IX en 1058, la noblesse romaine s’agite et la faction de Tusculum impose l’un des siens comme pape. C'en est trop pour Hildebrand qui craint le retour aux errements du siècle précédent. À Sienne, le 6 décembre 1058, il impose l'élection de Nicolas II.
Celui-ci, sans attendre, convoque un concile au Latran afin de réformer le mode d'élection des papes : dorénavant, ceux-ci seront élus par les cardinaux et non plus par le peuple de la ville.
Grégoire VII et la querelle des Investitures
Après les très brefs pontificats précédents, c'est à nouveau un moine de Cluny, ami d'Hildebrand, qui monte sur le trône de saint Pierre en 1061 sous le nom d'Alexandre II. À sa mort, en 1073, c'est enfin Hildebrand lui-même qui est porté sur le trône de saint Pierre sous le nom de Grégoire VII, d'où le nom de « réforme grégorienne » donné au mouvement de réforme qu'il a impulsé. Il a alors une cinquantaine d'années.
Grégoire VII poursuit ses efforts pour moraliser les moeurs du clergé et consolider l'autorité de l'Église. Mais il ne s'en tient pas là et franchit un cap décisif en tentant d'imposer la primauté du pouvoir spirituel sur le pouvoir séculier de l'empereur, des rois et des féodaux. Il veut pour le moins une Église autonome.
En 1075, dans un document de travail qui n'a pas valeur officielle (Dictatus papae, « Édit du pape »), il énonce vingt-sept propositions décisives qui tendent à faire de la papauté une cour d’appel universelle, au-dessus des rois. Ainsi, il confirme l'élection des papes par le collège des cardinaux et surtout condamne les investitures laïques, c'est-à-dire le droit qu'avaient les souverains de nommer les évêques.
C'est une révolution dans un monde où, selon la tradition antique, on est encore porté à penser que l'empereur est le représentant de Dieu sur la Terre et que le clergé a vocation à le servir !
L'empereur allemand Henri IV dépose le pape mais celui-ci réplique en l'excommuniant. La réforme grégorienne a déjà si bien assuré l'autorité morale du Saint Siège que l'empereur est obligé de se soumettre. Il se rend à Canossa où s'est réfugié le pape, auprès de la comtesse Mathilde de Toscane. Après avoir attendu trois jours dans la neige, il obtient la levée de son excommunication le 25 janvier 1077.
Mais quand les Électeurs allemands prononcent sa déchéance et son remplacement à la tête de l'Empire par Rodolphe de Souabe, Henri IV reprend les armes. Grégoire VII l'excommunie à nouveau en mars 1080 mais cette fois, l'empereur ne se soumet pas. Débarrassé de son rival Rodolphe, mort au combat, il marche sur Rome et intronise un nouveau pape, Clément III en mars 1084.
Grégoire VII n'a bientôt plus d'autre ressource que de s'enfuir de Rome. Il meurt en exil à Salerne, sous la protection des Normands de Sicile, en 1085, abandonné de tous, laissant en suspens la querelle des investitures. La papauté imposera finalement l'essentiel de ses vues par le Concordat de Worms, en 1122.
Urbain II et l'Église offensive
En attendant, après le bref pontificat de Victor III, c'est encore à un moine de Cluny que revient le trône de saint Pierre. Eudes de Châtillon, d'origine champenoise, devient pape sous le nom d'Urbain II. Il reprend l'oeuvre réformatrice de Grégoire VII en y mettant plus de souplesse.
Il part en 1095 pour une grande tournée européenne qui l’amène à Cluny puis à Clermont (aujourd'hui Clermont-Ferrand, en Auvergne) où il convoque un concile en vue de régler les problèmes matrimoniaux du roi capétien Philippe Ier... Soulignons cette démonstration d'autorité qui permet au pape et au clergé de juger les souverains sur leur conduite.
Le concile de Clermont restera dans les annales en raison de son discours de clôture : un appel à la chevalerie franque pour secourir les chrétiens byzantins, menacés par l'avancée turque, et protéger le tombeau du Christ. Une indulgence plénière et la remise des péchés sont accordées à tous ceux qui mouront dans cette pieuse entreprise, plus tard appelée croisade.
L’idée n’est pas nouvelle. Le pape Alexandre II avait concédé en 1063 une indulgence pour leurs péchés aux combattants de la Reconquête espagnole et Grégoire VII avait envisagé une campagne pour aider Byzance contre les Turcs, avec le secret espoir de ramener le patriarcat dans le giron romain.
En appelant les guerriers à prendre la croix, Urbain II s'inscrit dans la tradition des grandes assemblées de « Paix de Dieu » par lesquelles le clergé, tout au long du XIe siècle, appelle les chevaliers à interrompre leurs guerres privées, se mettre au service de la foi et respecter les non-combattants. Ce mouvement a contribué à christianiser l’éthique des chevaliers et pacifier la société.
Au tournant du XIe siècle, la vitalité de la vie monastique et la réforme grégorienne suscitent une renaissance de la pensée. Forts de leur maîtrise de l’écrit et de l’administration, les moines sortent des monastères et conseillent les puissants, tel l'abbé Suger, à Saint-Denis.
À Bologne, en Romagne, se regroupent des théologiens, grammairiens et mathématiciens formés aux arts libéraux. Sous l'égide de l'Église, ils constituent une école, prémice des universités du siècle suivant. Cette « école de Bologne », la première de son espèce, redécouvre le droit romain. On y publie vers 1140 une somme de droit canonique, le Décret de Gratien, d'après le nom de son mystérieux coordinateur.
À Paris, à l'imitation de Bologne, se forme aussi une école prestigieuse qui sert à soutenir les prétentions ecclésiales. L'un de ses plus illustres représentants est Pierre Abélard, surtout connu aujourd'hui comme l'amant d'Héloïse.
Le Sacerdoce et l'Empire
À la mort d'Urbain II, en 1099, son successeur Pascal II va relancer pendant près de vingt ans la lutte contre l'empereur Henri IV puis contre son fils Henri V. Sur les investitures, il obtient un premier compromis avec le roi d'Angleterre Henri Ier Beauclerc, en 1105, ouvrant la voie au concordat de Worms, conclu entre l'empereur Henri V et son successeur Calixte II en 1122. Il établit dans le Saint Empire, en Allemagne et en Italie, une double investiture des évêques, laïque et spirituelle.
L’anarchie féodale dans le Saint Empire calme le jeu. Mais à Rome, les rivalités claniques n’en reprennent que mieux. Le 14 février 1130, un conclave désigne à quelques heures d’intervalle deux papes. Innocent II, choisi par les cardinaux proches de la famille Frangipani, et Anaclet II, choisi par le clan adverse, proche des Pierleoni, une grande famille d’origine juive convertie au temps de Léon IX.
Soutenu par les Normands de Sicile, Anaclet II oblige son rival à la fuite. En France, Innocent II reçoit le soutien de la grande figure cistercienne, Bernard de Clairvaux qui lui gagne l’appui des rois de France et d’Angleterre. Le schisme prend fin avec la mort d’Anaclet II en 1138.
Mais c’est pour laisser place à un conflit entre le Saint-Siège et une éphémère république romaine. Les progrès du commerce et de l’industrie ont contribué au XIIe siècle au développement des villes. En Italie, profitant de l’anarchie politique, beaucoup obtiennent des franchises communales et se transforment en républiques patriciennes. Même Rome prétend s’émanciper du pape et se dote en 1143 d’un sénat plagié du modèle antique ! La commune appelle à sa tête Arnaud de Brescia, un chanoine augustin, disciple d’Abélard, qui dénonce les prétentions temporelles du pape.
Bernard de Clairvaux, ennemi juré d’Abélard, fustige Arnaud de Brescia avec d’autant plus de vigueur qu’à Rome est élu en 1145 un moine de Claivaux sous le nom d’Eugène III.
En attendant de régler la question, le saint abbé et le pape lancent un nouvel appel à la croisade, pour secourir les États francs du Levant, menacés par une contre-offensive turque. Échec piteux. À peine revenus de Terre Sainte, le roi de France Louis VII et sa femme Aliénor divorcent sous prétexte de consanguinité. La duchesse d’Aquitaine se remarie avec Henri Plantagenet, héritier de la couronne anglaise. La même année, l’empereur Conrad III décède à son retour de croisade. Lui succède son neveu Frédéric Ier Barberousse.
Ce jeune empereur d’une trentaine d’année entend remettre au pas les villes italiennes. Il descend dans la péninsule avec son armée, soumet sans ménagement quelques républiques urbaines et arrive à Rome en 1155, où il se fait couronner par le nouveau pape, Adrien IV, seul pape anglais de l’Histoire. Au passage, il met fin à la république romaine en s’emparant d’Arnaud de Brescia. Le prédicateur est étranglé, brûlé et ses cendres jetées dans le Tibre.
Mais Adrien IV a des raisons de se méfier de Barberousse, qui ne reconnaît aucune limite à son autorité et revendique le gouvernement du monde. Pour assurer sa protection, il se réconcilie avec les Normands de Sicile et se place sous leur protection. Barberousse traverse à nouveau les Alpes pour soumettre les cités lombardes et ramener le pape à la raison. C’est alors que ce dernier meurt le 1er septembre 1159 à Anagni, au sud de Rome.
L’élection de son successeur est très disputée. Elle se conclut par l’élection d’un ancien élève de Gratien à Bologne, Rolando Bandinelli, sous le nom d’Alexandre III. Il se voit opposer un antipape dont l’empereur ne tarde pas à reconnaître la légitimité. Retranché à Anagni, Alexandre III prononce l’excommunication de l’empereur. Celui-ci doit faire face qui plus est à une nouvelle rébellion des cités lombardes. Il traverse les Alpes et obtient le 1er mars 1162 la capitulation de Milan. La ville est rasée.
Alexandre III contre Frédéric Barberousse
Dans cette première phase de la lutte du Sacerdoce et de l’Empire, le pape obtient le soutien des rois de France, d’Angleterre et d’Espagne ainsi que de l’essentiel du haut clergé. Il doit néanmoins s’enfuir et débarque le 11 avril 1162 à l’abbaye de Maguelonne, près de Montpellier (France).
Dans son exil, Alexandre III apporte son soutien au nouvel archevêque de Cantorbéry Thomas Becket, qui veut faire valoir les droits de l’Église face à son ami, le roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt.
Il ose enfin rentrer à Rome et fait une entrée triomphale au palais du Latran le 21 novembre 1165. Là-dessus, comme son protecteur le roi normand de Sicile vient de mourir, Frédéric Barberousse décide de lui donner une leçon et reprend le chemin de Rome. Ses troupes pénètrent dans la ville, mettent au pillage la Cité léonine et prennent de force la basilique Saint-Pierre. Mais à l’été 1167, elles sont victimes d’une épidémie de peste.
Frédéric Barberousse rebrousse chemin à la hâte. Il trouve sur son chemin les Lombards qui ont constitué une Ligue avec les encouragements du pape, reconstruit Milan et même fondé une ville nouvelle en lui donnant le nom du pape, Alessandria.
La lutte prend fin dix ans plus tard avec la défaite de Frédéric à Legnano. Laissé pour mort sur le champ de bataille, l’empereur réapparaît quelques jours plus tard auprès des siens. Défait et humilié, il signe la paix de Venise avec le pape et ses alliés, reconnaissant l’indépendance des cités lombardes.
Le 25 juillet 1177, devant la basilique Saint-Marc, au cours d’une cérémonie fastueuse, l’empereur s’agenouille humblement devant le pape, qui lui consent enfin le baiser de paix. Sans armée et sans vassaux, le Sacerdoce a vaincu l’Empire.
Avant de quitter la scène terrestre, Alexandre III veut éviter le retour de nouveaux schismes. Il réunit le troisième concile de Latran le 5 mars 1179. Au bout de deux semaines, le concile précise la règle pour l’élection des papes : celle-ci n’est valable que si tous les cardinaux sont réunis et que le candidat obtient les deux tiers des voix.
Innocent III et la « République chrétienne et universelle »
Après Alexandre III se succèdent plusieurs papes âgés au pontificat très bref.
La papauté n'en souffre pas outre-mesure. Avec la réforme grégorienne qui a conduit l'Église a imposé son magistère moral et spirtiuel sur l'Europe occidentale, avec la lutte du Sacerdoce et de l'Empire qui permet au pape de prendre l'ascendant sur l'empereur et les autres souverains, l'autorité du Saint-Siège est reconnue par toutes les institutions sociales.
Il n'empêche qu'en Italie du nord comme en France du sud, l'arrogance de certains ecclésiastiques et leur penchant pour le luxe conduit des croyants à s'écarter du dogme. Depuis le milieu du XIIe siècle se développe en particulier une hérésie que l'on appelle cathare. Elle n'est pas sans inquiéter le Saint-Siège.
Le 8 janvier 1198, les cardinaux élisent Lotario di Seni (37 ans) sous le nom d'Innocent III. C'est un jeune théologien énergique formé à l'Université de Paris. Il va hisser la papauté médiévale à son apogée.
Grâce à l'élaboration du dogme nouveau du Purgatoire, il tient entre ses mains le sort des croyants en ce monde et le suivant.
En effet, ce qui était autrefois laissé à l’incertitude du Jugement dernier est dorénavant organisé entre enfer, paradis et, pour la majorité des croyants, purgatoire, un lieu de transit où les défunts qui ont péché - mais pas trop - attendent le moment d'accéder au paradis. Le pape délivre en conséquence des « indulgences » pour racheter les peines et abréger cette attente.
Innocent III se réserve le titre de Vicaire du Christ et se présente comme un propagandiste acharné de la « République chrétienne et universelle ». Il établit la théorie de l’usage pontifical de la tiare, une coiffe haute de forme conique et dotée d’un diadème. L’union de la tiare et de ce diadème, symbole du pouvoir temporel, est l’illustration de la « plénitude du pouvoir » des papes.
Usant de son autorité spirituelle, le pape ne craint pas le conflit et par exemple contribue à la ruine du roi d'Angleterre Jean sans Terre.
Certains conflits tournent au tragique. C'est en particulier le cas de la IVe croisade, en 1204. Détournée de son but par la cupidité des croisés, elle conduit au sac de Constinople et à la rupture définitive entre le patriarcat orthodoxe et la papauté.
Le pape est aussi dépassé par les croisés qu'il a envoyés en 1208 combattre les hérétiques albigeois du Languedoc. Massacres, violences et rapines font office de prédication.
Cependant c’est aussi dans ce contexte qu’apparaissent de nouveaux ordres religieux, les « ordres mendiants ». À la différence des précédents, confinés dans la prière, ceux-là vont de ville en ville, à la rencontre des citadins, prêcher la Bonne Parole. Ce sont les dominicains de saint Dominique et surtout les franciscains de saint François d'Assise, dont le mode de vie a été reconnu par Innocent III en 1210.
Le quatrième concile du Latran, en 1215, affirme la toute-puissance de l'Église et de ses préceptes moraux.
Papes en majesté
À partir d’Innocent III, le Saint-Siège se constitue en chancellerie et cour d'appel en dernier ressort des conflits entre souverains. On archive avec soin les registres, bulles et lettres des souverains pontifes. Leur correspondance sert de base au développement d’un droit qui se complète avec les grandes sommes théologiques. À partir de 1265, les papes utilisent « l’anneau du pêcheur » pour authentifier leurs lettres personnelles.
Le XIIIe siècle est aussi le siècle de la redécouverte d’Aristote, incarnée par la figure de Thomas d’Aquin. Les Universités en pleine expansion (Bologne, Paris, Oxford) créent aussi une vision de plus en plus intégrée, voire totalisante, de la société. La science, la philosophie se soumettent à la théologie, d’où découlent le droit, la morale, l’ordre social dans son ensemble.
L’Inquisition, officiellement établie en 1233, est aussi le produit de cette évolution avec ses procédures juridiques écrites très différentes de celles de la justice seigneuriale coutumière. Toute contestation de l’ordre social ou du savoir est une hérésie ; toute hérésie est un crime de lèse-majesté.
La lutte du Sacerdoce et de l'Empire rebondit pendant quelques années avec l'avènement de Frédéric II. Il est finalement destitué par un grand concile réuni en 1245 à Lyon par le pape Innocent IV (1243-1254). Défait, il meurt en 1250.
Innocent IV envoie aussi des émissaires auprès d’un nouveau peuple qui vient d’attaquer l’Europe : les Mongols. Le franciscain Jean de Plancarpin arrive au cœur de la steppe auprès du khan Güyük. Il lui remet les lettres du pape, qui appellent le khan à se justifier au regard du droit naturel. La papauté montre ainsi qu’elle est bien la tête de la chrétienté.
Innocent IV, juriste de renom, affirme que si les pouvoirs païens ont leur légitimité propre, ils doivent néanmoins respecter les droits universels fondamentaux, dont le pape est juge.
Toutefois, une autre puissance tire parti de ce développement : la France, où l’administration du roi constituent un autre débouché naturel pour les étudiants d’Orléans ou de Paris. Urbain IV (1261-1264) puis Clément IV (1265-1268), deux papes français, ont offert le royaume de Naples au frère de saint Louis, Charles d’Anjou, pour se débarrasser des héritiers de Frédéric II.
À la mort de Clément IV, les cardinaux sont incapables pendant trois ans de s’entendre sur un candidat, en partie à cause de la question de l’influence du parti français. En 1271, après avoir été enfermés par les autorités de Viterbe, où se déroulait l’élection, ils choisissent un candidat de compromis, Teddaldo Visconti.
Celui-ci est rappelé de Terre Sainte, où il vient de rencontrer Marco Polo en route vers la Chine.
Visconti prend le nom de Grégoire X (1271-1276). Il réunit un nouveau concile à Lyon en 1274, où il proclame une union mort-née avec l’Église byzantine.
Pour en finir avec le Grand Interrègne dont pâtit le Saint Empire depuis la mort de Frédéric II, il met sur le trône impérial un personnage issu d’une lignée dont la fortune est faite : Rodolphe de Habsbourg.
Grégoire X fait aussi adopter par le concile la constitution Ubi periculum sur l’élection des papes, encore en vigueur aujourd’hui, qui établit les règles du conclave. Dorénavant les cardinaux seront enfermés (et privés de leurs revenus) le temps de l’élection.
Mais c’est à la fin du siècle qu’intervient l’affrontement de la papauté et de la couronne de France, jusque là son alliée.
En 1294, dans un climat de tension exacerbé, un saint homme, Pierre de Morrone, qui n’a aucune expérience de gouvernement dans l’Église, est désigné pape sous le nom de Célestin V. Complètement dépassé par la machine administrative pontificale, il est obligé de démissionner au bout de quelques mois : c’est le dernier pape à abdiquer avant le renoncement de Benoît XVI en 2013.
Son successeur Boniface VIII est un pape très politique, et qui pratique le népotisme à outrance. Mais il veut aussi restaurer la papauté dans toute sa grandeur. En 1300, il proclame pour la première fois une année de jubilé et de pardon pour les innombrables pèlerins affluant à Rome.
Le pontificat de Boniface VIII voit l’arrivée à maturité de tout un ensemble de symboles. Le XIIIe siècle adopte ainsi définitivement le costume pontifical, blanc, mais avec un manteau rouge utilisé pour la première fois par Grégoire VII, qui évoque le manteau impérial de couleur pourpre (le tout complété par les chaussures rouges).
Les clés croisées de saint Pierre apparaissent sur les étendards pontificaux. Peut-être à partir de Grégoire IX (1227-1241), une couronne s’ajoute au diadème de la tiare pontificale : on parle de tiare à deux couronnes. Boniface VIII rajoute encore une couronne et se fait représenter avec une tiare « à trois couronnes », symbole de triple souveraineté : sacerdotale, royale et impériale.
Au siècle suivant, la papauté d’Avignon fixera la forme définitive de la tiare à trois couronnes. Boniface VIII fait réaliser pour son tombeau un gisant particulièrement réaliste par le grand sculpteur de l’époque, Arnolfo di Cambio (et que l’on peut voir encore aujourd’hui à l’entrée des Grottes Vaticanes).
Un autre buste du même sculpteur, placé à l’origine à côté du gisant de Boniface VIII, représente le pape les clés à la main comme saint Pierre, ce qui est une nouveauté. Elle répond en écho à la célèbre statue de bronze archaïsante de l’Apôtre assis vénérée par les fidèles dans la basilique Saint-Pierre, probablement elle aussi réalisée par Arnolfo di Cambio.
Boniface VIII s’en prend au roi de France, Philippe le Bel, en rappelant qu’il est impossible, même dans le royaume de France, de taxer l’Église sans l’accord du pape, ou de juger les membres du clergé.
La bulle Unam Sanctam de 1302 exprime de la manière la plus extrême le pouvoir du pape : « toute créature est en tout soumise au pontife romain ». L’attaque contre la souveraineté du Capétien, défendue par les légistes du roi, se termine mal pour le pape. Soutenu par son clergé, Philippe le Bel fait proclamer Boniface hérétique.
Il envoie en septembre 1303 Guillaume Nogaret arrêter le pape dans la ville d’Anagni. Une émeute éclate. Le coup de main échoue mais Boniface, choqué, meurt peu de jours après. Le roi capétien a pu défier le pape ; l’attentat d’Anagni marque l’échec de la théocratie pontificale.
La papauté et les Nations
À partir du XIVe siècle, la papauté doit composer avec les États naissants. Clément V (1305-1314) devient pape. Il laisse Philippe le Bel liquider l’ordre des Templiers, obtenant en échange l’abandon du procès en hérésie contre Boniface VIII. Pour éviter les difficultés, il évite d’aller en Italie et réside dans les villes de Provence, notamment, à partir de 1309, à Avignon.
Son successeur, Jean XXII (1316-1334), est un candidat de compromis, désigné après deux années d’hésitation alors qu’il est déjà âgé de soixante-douze ans.
Il régnera finalement dix-huit ans et sera un des papes les plus importants de l’histoire.
C’est lui qui inaugure véritablement la période avignonnaise de la papauté, qui est loin d’être la période de captivité souvent décrite.
Bien sûr, la pression du roi de France se fait sentir, vite entravée d’ailleurs par la guerre de Cent Ans. Mais les papes sont le plus souvent des Français méridionaux, qui ne sont pas directement sujets du Capétien.
Avignon, dont Clément VI fait l’acquisition officielle en 1348, est du côté provençal du Rhône qui, alors, n’appartient pas au roi de France.
La papauté n’a pas perdu ses ambitions. En 1307 Clément V entend parler d’un franciscain, Jean Montecorvino, qui avait réussi à s’installer en Chine juste après le passage de Marco Polo : il en fait un archevêque de Pékin, avec juridiction sur toute l’Asie.
En 1318, Jean XXII divise l’ensemble des terres encore à convertir entre franciscains et dominicains, préfigurant ainsi le futur partage du monde entre monarchies espagnole et portugaise.
Profitant d’une ouverture des routes de l’Asie qui sera bientôt annulée par les désordres et l’émergence du pouvoir ottoman, les papes avignonnais s’habituent à regarder vers la Perse, l’Inde, la Chine. En 1333, Jean XXII écrit à un « roi des Coréens ».
En fait, à l’abri des imbroglios romains et italiens, les pontifes peuvent prendre une autorité qu’ils n’ont jamais eue, comme en témoigne le gonflement démesuré des registres d’archives.
À force d’intervenir depuis des siècles dans toutes les désignations à des charges ecclésiastiques majeures, la papauté finit à l’époque avignonnaise par transformer l’Église en un système monarchique, dans lequel le pape nomme tous les évêques.
Le palais construit par Benoît XII (1334-1342) est encore là pour témoigner de la mise en place d’une véritable capitale permanente, qui devient un grand centre artistique, notamment grâce à Simone Martini.
Revers de la médaille, la période avignonnaise est aussi celle des procès d’Inquisition, face à la montée de contestations envers ce gouvernement trop royal de l’Église. C’est l’époque de la « querelle de la pauvreté » : pour affirmer son autorité et délégitimer ses adversaires dans les rangs franciscains, Jean XXII fait condamner comme hérétique la proposition selon laquelle le Christ n’aurait pas eu de propriété.
Pourtant, même si la papauté s’est dotée à Avignon d’une capitale pour gouverner, sa légitimité vient toujours de Rome. Deux femmes d’exception en particulier le lui rappellent, les saintes Brigitte de Suède et Catherine de Sienne.
En 1367, le pape Urbain V (1362-1370) revient à Rome, mais les conflits reprennent et il ne tarde pas à repartir. Son successeur Grégoire XI (1370-1378) hésite et revient en 1377. Il meurt au début de l’année suivante.
Sous la pression populaire, les cardinaux désignent un candidat italien, Urbain VI (1378-1389), garant du maintien à Rome. Mais celui-ci se montre vite particulièrement autoritaire. Une partie des cardinaux se ravise et désigne un autre pape, Clément VII, qui revient à Avignon.
C’est le début du « Grand Schisme », une période de presque quarante ans qui verra s’affronter deux Curies pontificales, celle de Rome et celle d’Avignon, et l’Europe se diviser en deux obédiences.
Par lassitude et sous la pression de l’empereur Sigismond, un concile est réuni à Constance pour mettre fin au schisme et désigner en 1417 le pape Martin V.
Mais le scandale du schisme, en même temps qu’il a renforcé l’idée d’Églises nationales, a fait naître l’idée d’une convocation périodique des conciles pour légiférer, ce qui signifierait la fin du gouvernement monarchique pontifical.
La faiblesse de l’idée conciliariste, c’est qu’elle ne dispose pas d’appareil d’État, ni même de continuité institutionnelle.
Avec le retour des papes, l’Europe prend de nouveau l’habitude de se tourner vers Rome. Les ordres religieux se font les défenseurs du centralisme pontifical. Les bureaux du pape sont un débouché tout trouvé pour les nombreux lettrés humanistes, malgré toutes leurs critiques.
Le siennois Enea Silvio Piccolomini, acquis dans sa jeunesse aux idées conciliaristes, finira par devenir le pape Pie II (1458-1464), lequel achèvera l’idée conciliariste.
Lorenzo Valla, qui démontre que la Donation de Constantin est un faux, sera lui aussi un employé des papes. C’est ainsi que Martin V (1417-1431) peut gouverner comme il l’entend tout en convoquant comme prévu un concile à Pise qui n’aboutit à rien.
Son successeur, Eugène IV (1431-1447) dissout le concile qui s’était réuni à Bâle. Il organise son propre concile à Florence, où il se rend après avoir été chassé par une nouvelle émeute romaine.
Le spectacle est magnifique : une délégation byzantine vient même proclamer en 1439 l’union avec l’Église catholique, en espérant obtenir un secours pour sauver l’empire des Turcs.
Une nouvelle fois, l’union ne donne rien, et Constantinople tombe en 1453. Mais Eugène IV a fait la démonstration que la papauté est une puissance incontournable. Le pape peut se réinstaller définitivement dans Rome et en faire la capitale d’une chrétienté qui ne va pas tarder à découvrir de nouveaux horizons.
Bibliographie
Ph. Levillain (dir.), Dictionnaire historique de la papauté, Paris, 2003,
Y.-M. Hilaire (dir.), Histoire de la papauté. 2000 ans de tribulations, Paris, 2003,
J. Chélini, Histoire religieuse de l’Occident médiéval, Paris, 1991,
A. Paravicini Bagliani, La cour des papes au XIIIe siècle, Paris, 1995,
A. Paravicini Bagliani, Boniface VIII, Paris, 2003.
Georges Suffert, Le pape et l'empereur, Paris, 2003.
La papauté moderne entre tradition et ouverture
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Mistigri (20-04-2020 13:33:38)
A consulter en complément de cet exposé : Olivier Hanne et Sylvain Gouguenheim, invités par KTO à répondre à la question du pouvoir pontifical médiéval:https://www.revueconflits.com/video-les-... Lire la suite
Raymond Ferraro (26-01-2017 05:32:10)
En voulant soumettre "le pouvoir séculier de l'empereur, des rois et des féodaux, au pouvoir spirituel de l'Eglise", Grégoire VII déclenche en réaction la volonté des Etats de s'affranchir de la... Lire la suite
Lustucru (22-01-2017 23:13:34)
Le pape "n'est guère plus que l'évêque de Rome"... Le pape de Rome, n'est jamais autre chose que l'évêque de Rome dans l'Eglise des premiers siècles. Ce sont les carolingiens qui le porte au-de... Lire la suite