Guerre en Ukraine

Trois scénarios de sortie du conflit

3 mars-21 août 2024. Entamée en 2014 dans le Donbass (l’Est russophone de l’Ukraine), la guerre a connu une brutale accélération le 24 février 2022 avec l’ouverture de plusieurs fronts par l’armée russe sur toute la frontière russo-ukrainienne.
Trois scénarios de sortie du conflit sont aujourd'hui envisageables : l'improbable, le probable et le souhaitable (sans compter l'horrifique)...

Dans  Les causes politiques de la guerre (9 mars 2022), j’ai analysé le processus qui a conduit à l’invasion de l’Ukraine et j’émettais l’espoir que les négociations russo-ukrainiennes engagées à Istanbul aboutissent rapidement. Le président Zelensky avait déjà fait savoir qu’il renonçait à une entrée formelle dans l’OTAN et l’on s’orientait à petits pas vers un compromis honorable avec l’autonomie du Donbass et le retour de la Crimée à la Russie en cas de référendum favorable.

Là-dessus a été révélé le massacre de Boutcha, au nord de Kiev. Le samedi 26 mars 2022, à Varsovie, le président Biden a qualifié de « boucher » le président Poutine et promis au président Zelensky toutes les armes qu’il pourrait souhaiter pour reconquérir le Donbass et la Crimée. Le 26 avril 2022, à Kiev, le Secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin a exprimé ses buts de guerre : « Nous voulons voir la Russie affaiblie, incapable de mener le type d’actions qu’elle a lancé sur l’Ukraine. » Les négociations d’Istanbul ont été suspendues et la guerre s'est poursuivie avec ses horreurs et ses crimes...

Une guerre sans vainqueur

Préparons-nous aujourd’hui à une guerre de longue haleine entre la Russie et l'Ukraine. Le champ des possibles est ouvert :

- Une défaite rapide de la Russie et un changement de gouvernement :

Si l’armée russe doit complètement se retirer d’Ukraine, il s’ensuivra le retour de la Crimée et du Donbass à Kiev. Mais pas seulement...

Avec une armée humiliée, un État brisé et soumis aux puissances étrangères, sans doute plus corrompu qu’il ne l’aura jamais été, la Russie a tout à craindre, comme dans les années 1990, du pillage de ses ressources naturelles par les consortiums américains.

Les Russes ne verront plus d’avenir dans leur patrie. Il s’ensuivra un nouveau plongeon de la fécondité et un sauve-qui-peut par l’émigration, alors que jusqu’ici, la Russie attirait des immigrants, y compris d’Ukraine. Il s’ensuivra aussi le réveil de toutes les revendications nationalistes en Russie même : Tchétchènes, Ingouches, Bouriates, Cosaques, Caréliens, etc. La perte d'autorité du Kremlin fera de la Russie une immense Libye post-Kadhafi et un terrain de jeu pour les islamistes et autres groupes terroristes. Ses trois mille kilomètres de frontières communes avec l'Union européenne deviendront une nouvelle voie d'accès pour l'immigration en Europe, autrement plus difficile à protéger que la Méditerranée.

Parmi les dommages collatéraux prévisibles, la petite Arménie disparaîtra en tout ou partie car la Russie, sa protectrice traditionnelle, ne sera plus en état d'empêcher ses voisins, la Turquie et l'Azerbaïdjan, de réaliser leur jonction via la région du Nakhitchivan. Il est évidemment exclu que les Européens et les Américains viennent à son secours.

Qui sait si la Chine et même le Japon n’en profiteront pas aussi pour relancer leurs revendications sur les territoires russes d’Extrême-Orient et l’île de Sakhaline, enlevés à la faveur des traités inégaux ?...

Étrange situation pour la Russie, qui conservera malgré tout la faculté d’entraver toutes les décisions de l’ONU grâce à son siège permanent au Conseil de sécurité, sachant que sa réattribution à un autre pays conduirait à des conflits sans fin au sein de l’organisation.

Dans cette hypothèse d’une victoire rapide et totale, qui reste la moins probable, qu’en sera-t-il du vainqueur, l’Ukraine ?

Depuis son indépendance en 1991 et jusqu’en 2021, l’Ukraine figurait parmi les grands perdants de la décomposition de l’URSS, avec un PIB en baisse rapide et une population tombée de 52 millions à 45 millions d’habitants avant l’invasion (30 à 35 millions aujourd’hui). Cela ne s’est évidemment pas arrangé avec la guerre, ses destructions, ses victimes, ses déplacés et ses millions de réfugiés, parmi lesquels beaucoup ne reviendront pas au pays.

Le gouvernement de Kiev devra en premier lieu rétablir son autorité sur les provinces reconquises dont les populations, depuis 2014, ont été complètement russifiées et lui sont devenues hostiles. Sans doute faudra-t-il envisager de nouveaux échanges de populations avant de songer à la reconstruction de ces provinces.

Avec la récession économique qui se profile en Occident, l’Ukraine ne pourra compter que très modérément sur l’Union européenne et les États-Unis pour se reconstruire, d’autant qu’elle n’a pas grand-chose à offrir en échange, à part des céréales, des poulets et du colza. Ses oligarques n’ont pas disparu par enchantement. Ils seront toujours là pour intercepter les capitaux qui pourraient malgré tout entrer dans le pays.

Que gagnera l’Ukraine à son entrée dans l’Union européenne ? Au mieux une accélération de l’émigration vers la Pologne où de nombreux Ukrainiens servent déjà depuis plusieurs années de main-d’œuvre à bas coût dans les usines (la Pologne comptait déjà 1,3 million d’Ukrainiens en 2019, avant l’invasion russe).

- Une guerre de longue durée :

Les Russes, nourris depuis plusieurs siècles par le souvenir des invasions et des oppressions en tous genres (Mongols, Polonais, Français, Allemands), ont une claire conscience des conséquences d’une défaite.  On peut penser que, le dos au mur, ils feront front comme en 1812 ou en 1941… ou comme les Ukrainiens aujourd’hui (note) !

Selon cette hypothèse, qui est la plus probable, nous sommes en passe de nous installer pour plusieurs décennies dans une nouvelle guerre non plus « froide » mais « tiède » avec, dans le Donbass, une ligne de cessez-le-feu par-dessus laquelle on continuera de se canonner de temps à autre.

L'hypothèse n'a rien d'extravagant. Elle a des précédents qui perdurent encore aujourd'hui dans l'indifférence générale :
• Depuis 70 ans sur le 38e parallèle qui sépare la Corée du nord de la Corée du sud.
• Tout comme depuis 50 ans à Chypre ! En totale violation du droit international, l'île de Chyppre a été brutalement envahie par la Turquie qui n'admettait pas qu'elle rejoigne la Grèce. Depuis lors, elle est coupée en deux par une ligne de cessez-le-feu qui ne gêne personne : la partie grecque de l'île appartient à l'Union européenne cependant que l'agresseur turc conserve sa place au sein de l'OTAN et frappe à la porte de l'Union européenne.

De fait, les Russes se sont préparés à cette hypothèse d'une guerre de longue durée depuis 2008 en cultivant l’autarcie et en nouant de nouvelles alliances.

Ils n’ont rien à craindre des sanctions économiques qui, pour l’heure, affectent davantage les économies européennes que la leur. Eux-mêmes continuent à vendre leur gaz par l’intermédiaire de l’Inde et s’approvisionnent en munitions autant qu’ils le souhaitent auprès de l’Iran et la Corée du nord. Faut-il s'en étonner ? L’Histoire nous enseigne que tous les blocus et embargos se sont révélés inefficaces et même contre-productifs, depuis le Blocus continental jusqu’à Cuba, la Corée du nord et l’Iran en passant par Berlin.

Dans la guerre d'usure qui se profile, les Ukrainiens pourraient perdre ce qui leur reste de sève vitale. Sans égaler leur malheur, les Européens ont aussi du souci à se faire. Ils n’échapperont pas à une crise économique et sociale majeure, du fait des pénuries et des hausses de prix sur les hydrocarbures, les matières premières, les céréales, etc. Qui plus est, la France perdra ses derniers fleurons industriels : Renault, secoué par la perte de son principal marché à l’étranger (la Russie) ; le secteur de l’armement, très affecté par le forcing de ses concurrents américains auprès des Européens, etc. Les « jours heureux » ne sont pas pour demain.

- Un compromis diplomatique :

Les Causes politiques de la guerre en Ukraine (André Larané)En marge de ces perspectives sombres, il existerait une troisième voie plus rassurante. C’est celle de la diplomatie, qui a été tentée à Istanbul.

Les points de discussion, sur la base des accords de Minsk de 2015, vont sans dire :
• Neutralité de l’Ukraine.
• Évacuation du Donbass par les troupes russes et ukrainiennes,
• Référendums sous contrôle international dans le Donbass et la Crimée avec éventualité d'une large autonomie du Donbass au sein de l'Ukraine et d'une rétrocession de la Crimée à la Russie, etc.

Soit dit en passant, cette solution laisserait à la Russie (et non à l’Europe) la charge de la reconstruction du Donbass, ravagé par la guerre…

Avec de la bonne volonté des deux côtés, un accord pourrait très vite être conclu de façon que chacun sorte du conflit la tête haute et que l’on reparte de l’avant en oubliant les crimes passés. C’est le sens du mot amnistie (dico).

Cette attitude est celle qu’auraient adoptée des diplomates européens tels Talleyrand ou Metternich. Malheureusement, elle est contraire aux principes qui guident les conseillers de la Maison Blanche et du Pentagone. À la différence des Européens forts de mille ans d’expérience, les dirigeants de Washington conçoivent la guerre comme devant conduire à l’extermination de l’ennemi ou à sa défaite inconditionnelle (Indiens, Mexicains, Espagnols, Japonais, etc.). C’est leur côté obscur.

- Une victoire de la Russie (hypothèse horrifique) :

Aux trois scénarios précédents, on n'ose en ajouter un quatrième : un effondrement de l'armée ukrainienne. Il pourrait advenir,  fin 2024 ou 2025, du désengagement américain, suite à l'éventuelle élection de Donald Trump et surtout suite à l'incapacité des industries américaine et bien sûr européenne d'approvisionner l'armée ukrainienne en munitions. Signe des temps, ce 18 août 2024, le gouvernement allemand a déjà gelé toute nouvelle aide militaire à l'Ukraine par souci d'économie ! 

L'éventualité d'un effondrement de l'Ukraine a fait le succès du livre d'Emmanuel Todd, La Défaite de l'Occident (2024). Elle paraît toutefois peu probable car ce serait, après la chute de Kaboul (2021), une nouvelle humiliation difficile à encaisser par Washington.

D'autre part, elle ne serait pas dans l'intérêt de la Russie, qui devrait assumer le poids de l'occupation et la reconstruction de toute l'Ukraine. Le président Poutine, s'il raisonne sur le long terme, aurait plutôt intérêt à négocier un armistice même et surtout dans l'hypothèse où ses troupes seraient en situation d'atteindre Kiev et d'en chasser l'actuel gouvernement ! Il serait alors en position de force pour obtenir tout ce qui lui importe : la récupération de la Crimée, l'autonomie ou l'annexion du Donbass, la neutralisation du reste de l'Ukraine... Ce serait un retour à la sagesse d'Ancien Régime, quand les belligérants cherchaient un compromis honorable plutôt qu'une victoire totale mais illusoire. 

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2024-10-11 18:20:16

Voir les 42 commentaires sur cet article

Christian (30-08-2024 18:03:14)

Quand on affirme que les Américains seraient les principaux responsables du conflit actuel en Ukraine, on oublie souvent de mentionner l’ultimatum adressé par la Russie le 17 décembre 2021 aux Et... Lire la suite

Louchard (28-08-2024 12:45:19)

Merci Mr. Laramé de nous éclairer une fois de plus. Ce qui est terrible dans ces conflits, c'est qu'on aurait pu les éviter . Les Américains, une fois de plus, ont mal joué, ou plutôt bien jou... Lire la suite

Maurice (27-08-2024 14:52:11)

L'auteur de cet article est à classer parmi les éminents historiens contemporains proches des historiens néo communo-trotskystes-Lfistes. Plein de délires anti-américains dans cet article. Les pr... Lire la suite

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