La nation algérienne s'est forgée à la faveur de l'occupation française et de la guerre d'indépendance. Soixante ans après, les autorités officielles en ressassent le souvenir, au point d'oublier leur Histoire bimillénaire et d'occulter les défis du temps présent.
Tous les conquérants, des Romains aux Français en passant par les Byzantins, les Arabes et les Turcs, ayant régulièrement échoué à coloniser durablement la région, les Algériens actuels descendent en majorité des anciens Numides. Ils continuent pour la plupart de parler leur langue ancestrale, le tamazigh (aussi appelée berbère), sous ses différentes variantes, mâtinées d'arabe et de français. L'arabe, langue de l'envahisseur arabe mais aussi du Prophète de l'islam, n'en est pas moins aujourd'hui la langue officielle.
L'Algérie est ainsi dénommée depuis une ordonnance de 1842. Son nom dérive de la capitale, Alger (en arabe al-Jazā'ir, « Les Îles » en français). Avant la conquête française, elle était connue sous le nom de Régence d'Alger. Le médecin Jean-André Peyssonnel, qui l'a parcourue en 1724-1725, qualifie déjà ses habitants d'Algériens dans son récit de voyage.
Le pays a une surface de 2,4 millions de km2 qui en fait le plus vaste d'Afrique. Mais l'essentiel est constitué par le désert du Sahara. La partie habitable est réduite à la façade méditerranéenne. C'est une bande de 1000 kilomètres sur 200 environ, entre la côte et l'Atlas saharien, limitée à l'ouest et à l'est par le Maroc et la Tunisie, avec 11 millions d'hectares de terres cultivables. Elle est occupée par la plus grande partie des 43 millions d'habitants (2019).
Le territoire comptait environ 3 millions d'habitants à la veille de la conquête française (1830) et 11 millions à la veille de l'indépendance (1962), dont 10 millions de musulmans et un million d'Européens et de juifs. En 2050, sa population dépassera les 60 millions et rattrapera celle de la France, ce qui influera sans aucun doute sur les rapports entre les deux États.
Préhistoire d'un État
L'Algérie utile, entre la côte et l'Atlas, recèle des traces d'occupation humaine vieilles de deux millions d'années et très antérieures à l'Homo sapiens.
Mais le pays tire aussi fierté des chefs d'oeuvre néolithiques du Tassili des Ajjer, à la pointe sud-est de son territoire saharien. Ces peintures pariétales, dont les plus anciennes remontent à 4500 av. J.-C., nous rappellent que le Sahara était encore à cette époque-là une savane propice à la vie pastorale.
L'Algérie entre dans l'Histoire avec Massinissa, chef des tribus numides tiraillé entre Carthage et Rome. La cavalerie numide permet au Romain Scipion de remporter une victoire définitive sur le Carthaginois Hannibal à Zama, en 202 av. J.-C.. Massinissa peut dès lors établir un royaume de Numidie autour de Cirta (aujourd'hui Constantine), sous la tutelle bienveillante de Rome.
Mais un siècle plus tard, son petit-fils Jugurtha se montre beaucoup moins inspiré. Il défie les Romains. Le consul Marius finit par le capturer au terme d'une longue guerre d'usure, avec le concours du roi de Maurétanie Bocchus, qui n'est autre que le beau-père du Numide.
La Numidie est annexée à Rome par Jules César en 46 av. J.-C.. La Maurétanie, qui occupe à la fois l'Algérie occidentale et le Maroc actuels, est à son tour annexée et transformée en deux provinces romaines en 43 après J.-C. par l'empereur Claude : la Maurétanie tingitane et la Maurétanie césarienne (à l'Est).
Malgré d'incessantes révoltes berbères, ces provinces bénéficient d'une grande prospérité et il s'ensuit la fondation de plusieurs colonies dont il reste, en Algérie, de belles ruines : Tipasa et Cherchell, sur la côte, et surtout Timgad, au pied des Aurès.
Les âges troubles
Dans les premiers siècles du christianisme, et tandis qu'agonise l'empire romain d'Occident, les provinces maurétaniennes s'honorent de quelques grands esprits dont le plus célèbre est saint Augustin. Celui-ci a la douleur d'apprendre en 410 le sac de Rome par les Wisigoths puis de mourir lui-même dans sa ville de Bône (aujourd'hui Annaba), alors qu'elle est assiégée par les Vandales.
Les Vandales - des Germains venus d'outre-Rhin - et les Byzantins ne font que passer.
Les Arabes musulmans s'emparent enfin de l'Afrique du Nord au début du VIIIe siècles, non sans difficultés. Mais ils vont réussir à introduire progressivement la religion islamique.
La région est alors communément connue par les Occidentaux sous le nom de « Berbérie », déformation de Barbares, nom attribué à ses habitants à la fin de l'empire romain. Les conquérants arabes, quant à eux, l'appellent « Maghreb » (Couchant en arabe).
Très vite, les Berbères manifestent leur esprit frondeur à l'égard du califat ommeyyade de Damas. Dans l'Atlas occidental, ils fondent un royaume appelé à devenir le Maroc. Dans l'Algérie actuelle, autour de Tahert, ils accueillent avec faveur une hérésie musumane, le kharidjisme, dont l'un des représentants a assassiné le calife Ali en 661. Cette hérésie est aujourd'hui très marginale.
Le territoire algérien est secoué par une grande instabilité durant tout le Moyen Âge, avec différents petits royaumes farouchement attachés à leur indépendance. Le plus important est le royaume de Tahert, gouverné par la dynastie des Rostémides de 767 à 909. La partie orientale de l'Algérie est dominée par les Aghlabides de Kairouan (Tunisie actuelle). Ã Ghardaïa, au sud d'Alger, aux portes du désert, une communauté berbère dissidente tire sa prospérité du commerce caravanier avec le Sahel et l'Afrique subsaharienne, riche en or et en esclaves.
En 909, le mahdi Oubayd Allah, un prédicateur chiite venu de Syrie, s'implante dans la région en profitant de l'anarchie provoquée par les attaques kabyles. Il est à l'origine de la dynastie chiite des Fatimides (d'après Fatima, la fille du prophète Mahomet). Cette prestigieuse dynastie va unifier toute la région autour de Kairouan en 960 et réprimer le kharidjisme, avant de conquérir Le Caire et de s'implanter en Égypte en 973.
S'étant proclamés califes, en concurrence avec le calife de Bagdad et celui de Cordoue, les Fatimides du Caire laissent la Berbérie aux bons soins d'un chef militaire berbère. Mais celui-ci et ses héritiers vont très vite s'émanciper des Fatimides et fonder leur propre dynastie, la dynastie ziride. Ils établissent leur première capitale à Achir (près de Médéa). Une autre branche de la dynastie, les Hammadides, s'établit à Bougie (aujourd'hui, Béjaïa), sur la côte. Par la même occasion, sous l'influence des prédicateurs venus de Cordoue, ils abandonnent le chiisme et reviennent au sunnisme orthodoxe.
Les Fatimides du Caire prenant mal la chose, ils envoient vers l'Afrique du Nord une tribu de nomades indisciplinés venus d'Arabie, les Banou Hilal. Au milieu du XIe siècle, ces redoutables guerriers et leurs familles, au nombre de plusieurs dizaines de milliers, vont ravager la Berbérie et ramener de vastes régions agricoles au nomadisme pastoral. Mais en marge de cette catastrophe humaine et économique, ils vont aussi développer dans la région l'usage de la langue arabe.
Dans le même temps font irruption des Almoravides venus du Maroc, eux-même chassés au siècle suivant par les Almohades. Également parti du Maroc, l'Almohade Abd el-Moumin s'empare de Bougie en 1151 et bat les Hilaliens près de Sétif en 1152. Ce faisant, il réalise pour la première fois l'unité du Maghreb.
Mais en 1248, un siècle plus tard, l'empire almohade se fractionne à nouveau en plusieurs États berbères, les Mérinides à Fès (Maroc), les Hafsides à Tunis et les Abdelwadides à Tlemcen (à l'ouest de l'Algérie actuelle). Le royaume de Tlemcen va connaître une belle prospérité avant de tomber dans l'orbite des Mérinides.
Comme en Espagne, les Rois Catholiques ont achevé la Reconquista, voilà qu'ils tournent leurs ambitions vers la Berbérie, en profitant de l'anarchie ambiante. Entre 1505 et 1512, ils s'installent dans différents ports de la côte algérienne, Mers el-Kébir, Oran, Bougie, ainsi que l'îlot du Penon, en face d'Alger.
Menacés, les Algérois appellent à l'aide en 1516 les corsaires turcs Aroudj et Khaïr Barberousse. Khaïr el-Din Barberousse se place sous la suzeraineté de la Sublime Porte (le gouvernement de Constantinople), alors représenté par le sultan Soliman le Magnifique. Celui-ci lui envoie des janissaires (dico) grâce auxquels il va pouvoir s'emparer du Penon d'Alger en 1529.
Dès lors, le territoire algérien passe sous la tutelle des Ottomans, lesquels sont représentés sur place par le dey d'Alger. Ce gouverneur est élu par la milice turque et bénéficie d'une très large autonomie par rapport au sultan de Constantinople. Il jouit d'un pouvoir quasi-absolu mais dédaigne ses sujets et ne se soucie que de pressurer les paysans de l'arrière-pays.
Lui-même et ses subordonnés turcs ne s'intéressent qu'à la guerre de course (dico), ce qui irrite les grandes puissances riveraines de la Méditerranée, en premier lieu la France. Celle-ci organise un débarquement à Jijel, en petite Kabylie, en octobre 1664, sous le règne de Louis XIV. C'est un fiasco et la Régence d'Alger va poursuivre ses activités de piraterie en dépit d'un rendement en diminution.
Queques années plus tard, dans Les Fourberies de Scapin (1671), Molière témoigne avec drôlerie de la terreur qu'inspirent les pirates turcs d'Alger :
« Pendant que nous mangions, il a fait mettre la galère en mer, et, se voyant éloigné du port, il m'a fait mettre dans un esquif , et m'envoie vous dire que si vous ne lui envoyez par moi tout à l'heure cinq cents écus, il va vous emmener votre fils en Alger.
GÉRONTE : Comment, diantre ! cinq cents écus ?
SCAPIN : Oui, Monsieur ; et de plus, il ne m'a donné pour cela que deux heures.
GÉRONTE : Ah le pendard de Turc, m'assassiner de la façon !
SCAPIN : C'est à vous, Monsieur, d'aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse.
GÉRONTE : Que diable allait-il faire dans cette galère ? (...) »
Conquête à reculons
Beaucoup plus tard, en juin 1830, le roi Charles X s'en prend à son tour à la Régence d'Alger pour des raisons de politique intérieure et peut-être aussi dans l'espoir de s'emparer du trésor du dey d'Alger. Cette fois, un corps expéditionnaire français arrive à investir Alger. C'est la fin de la Régence.
Les Français s'en tiennent d'abord à l'occupation du littoral. Mais en 1839, une révolte suscitée par Abd el-Kader se solde par le massacre des colons européens de la plaine de la Mitidja. Le gouvernement confisque les terres des tribus impliquées dans le massacre et entreprend la conquête de l'arrière-pays, seul moyen selon lui d'assurer la sécurité des ports. S'ensuit une longue, brutale et meurtrière guerre, comparable par ses excès à la guerre livrée aux Vendéens par la Convention.
Le territoire est pacifié non sans difficultés avec la prise de la smala d'Abd el-Kader. La reddition de ce dernier, en 1847, accélère la colonisation agricole. L'État français s'approprie les terres des tribus soumises, les indigènes n'en étant plus que les usufruitiers à titre précaire.
Sur les conseils d'Ismaïl Urbain, un journaliste saint-simonien converti à l'islam, Napoléon III envisage de constituer en Algérie un « royaume arabe » associé à la France (comme plus tard le Maroc et la Tunisie). Il gèle l'annexion des terres tribales par le sénatus-consulte du 22 avril 1863 qui déclare « les tribus d'Algérie propriétaires des territoires dont elles avaient la jouissance personnelle et traditionnelle ».
Par le sénatus-consulte du 14 juillet 1865, il permet aussi aux indigènes qui le souhaitent de « jouir des droits de citoyen français » et accorde la même facilité aux étrangers ayant trois années de résidence dans le pays. Cette disposition généreuse concerne trois millions de musulmans, trente mille israélites et 250 000 étrangers.
La IIIe République, très engagée dans la colonisation, qui lui succède transforme l'Algérie en colonie de peuplement. Elle veut en faire le joyau du deuxième empire colonial de la France (le premier a été perdu avec le traité de Paris de 1763 et l'indépendance de Saint-Domingue en 1801).
Parmi ses premières mesures, le décret Crémieux abroge le senatus-consulte de 1865 et accorde la citoyenneté française aux seuls habitants israélites. Les musulmans conservent le droit de demander la citoyenneté française mais ils doivent pour cela renoncer à titre individuel au statut coranique, jugé incompatible avec la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (inégalité juridique de l'homme et de la femme). En acceptant la citoyenneté, ils se privent de faire appel aux arbitrages du juge coutumier, le « cadi », ainsi que de pratiquer la polygamie, le droit de répudiation...
Malgré ces contraintes, il semble que de nombreux musulmans auraient été prêts à se faire « naturaliser ». Dès 1871, des groupes de villageois se rendent à cette fin auprès du juge de paix. Mais ils sont découragés par les obstacles de l'administration locale (note). La citoyenneté est même refusée aux quelques milliers de Kabyles qui ont fait le choix de se convertir à la religion chrétienne ! Dans le même temps, le chef Mokrani s'insurge contre le sort privilégié fait aux israélites ; il s'ensuit une violente révolte des Kabyles de la région de Constantine.
La gauche républicaine organise en Algérie un régime franchement discriminatoire tout en s'efforçant d'assimiler la colonie et la « franciser ». 100 000 hectares sont mis à la disposition des Alsaciens-Lorrains qui ont opté pour la France en 1871. La propriété collective des douar, ou groupes de familles, est abolie et une partie des communaux revendue aux colons.
Les musulmans sont ainsi soumis à partir de 1881 au régime de l'indigénat, avec l'obligation d'un permis de circulation. Bien que non-citoyens, ils n'en sont pas moins astreints au paiement de l'impôt et au service militaire. La IIIe République constitue la même année, en 1881, l'Algérie sous la forme de trois départements : Oran, Alger et Constantine. Elle francise par la même occasion les noms de localités.
Mais les excès de cette politique républicaine d'assimilation suscitent la critique de Jules Ferry lui-même. Il déclare en 1892 : « C'est que les lois françaises... n'ont point la vertu magique de franciser tous les rivages sur lesquels on les importe, que les milieux sociaux résistent et se défendent, et qu'il faut en tout pays que le présent compte grandement avec le passé... Il n'est peut-être pas une seule de nos institutions, une seule de nos lois du continent qui puisse, sans des modifications profondes, s'accommoder aux 272 000 Français, aux 219 000 étrangers, 3 267 000 indigènes qui peuplent notre empire algérien ».
C'est ainsi que l'on s'oriente à partir de 1896 vers un régime colonial plus ou moins autonome. En 1898, un statut spécial place les trois départements algériens sous l'autorité d'un gouverneur général dépendant du ministère de l'Intérieur, avec une Assemblée algérienne élue de 69 membres dont 48 Européens et assimilés.
L'égoïsme des colons et leurs craintes d'être submergés par la majorité indigène privent celle-ci de l'espoir d'améliorer son sort.
Relance de la colonisation
La IIIe République relance par ailleurs la colonisation européenne. Les premiers bénéficiaires sont 10 000 ressortissants de l'Alsace-Moselle qui ont quitté leur terre natale suite à son annexion en 1871 par l'empire allemand.
Suivent de nombreux immigrants pauvres issus essentiellement d'Espagne, d'Italie et de l'île voisine de Malte. . En 1900, pas moins d'un million d'hectares de terres sont cultivées par des Européens, essentiellement en vigne et en blé.
Au milieu du XXe siècle, les habitants d'origine européenne représentent un peu plus de 10% de la population totale, en incluant les citoyens assimilés de culture israélite. Surnommés pieds-noirs, ils forment une communauté soudée, repliée sur elle-même, méfiante à l'égard des musulmans autant que des Français de la métropole.
La plupart vivent modestement, au regard du niveau de vie dans les villes de la métropole. Ils votent en majorité à gauche et se reconnaissent volontiers dans les écrits d'Albert Camus, leur plus illustre représentant.
Une minorité de grands propriétaires terriens dominent la vie publique et leur influence est d'un grand secours aux petits colons quand il s'agit d'enterrer des projets de réforme.
Naissance d'une identité musulmane
Chez les musulmans, des revendications politiques contradictoires se font jour dans les années 1930. Le Parti Populaire Algérien de Messali Hadj demande l'indépendance tandis que la Fédération des élus indigènes réclame une complète assimilation.
Cependant, l'idée d'une nation algérienne est encore étrangère à la plupart des habitants. Le militant Ferhat Abbas dira avoir cherché l'Algérie dans les livres et les cimetières et ne pas l'y avoir trouvée.
En 1936, le président du Conseil Léon Blum et le gouverneur Viollette proposent de conférer à tout juste 21 000 musulmans le droit de vote aux élections législatives. Mais les élus d'Algérie s'y opposent violemment et le projet Blum-Viollette, malgré sa timidité, n'est même pas voté.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, les Français d'Algérie se rallient massivement au gouvernement de Vichy conduit par le maréchal Pétain. Mais en 1942, l'Algérie est occupée par les Anglo-Saxons et Robert Murphy, représentant du président Roosevelt, ne se fait pas faute de dénoncer alors le colonialisme.
Les Algériens musulmans découvrent alors l'inanité de leur statut d'indigène et demandent que des droits politiques leur soient enfin reconnus. C'est ainsi que Ferhat Abbas publie le Manifeste du peuple algérien avec 28 élus musulmans le 10 février 1943. Il fonde par ailleurs l'Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) tandis que Messali Hadj fonde le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD).
Prémices de la révolte
En signe d'ouverture, le 7 mars 1944, le gouvernement provisoire d'Alger octroie la citoyenneté française à 70 000 musulmans (l'Algérie compte à cette date près de 8 millions de musulmans pour moins d'un million de citoyens, ceux-ci étant d'origine européenne ou descendant des juifs d'Algérie naturalisés par le décret Crémieux !).
Jugeant ce geste très insuffisant, Messali Hadj et Ferhat Abbas projettent un congrès clandestin qui proclamerait l'indépendance. L'année suivante, ils se proposent de profiter de la liesse de la victoire pour brandir le drapeau de l'Algérie indépendante. Mais Messali Hadj est arrêté en avril 1945 et les manifestations débouchent sur les dramatiques massacres de Sétif, le 8 mai 1945 (plusieurs milliers de victimes).
Les revendications des indépendantistes algériens sont à peu près unanimement condamnées par la classe politique française, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche. Les uns y voient la main de Moscou, les autres (les communistes) celle des nazis ! Tous demeurent déterminés à maintenir la colonie au sein de la République.
La IVe République consent tout de même en 1947 à accorder un statut plus décent à l'Algérie qui devient « un groupe de départements dotés de la personnalité civile, de l'autonomie financière et d'une organisation particulière ».
Mais, cédant aux injonctions des grands propriétaires pieds-noirs, le gouvernement français institue une Assemblée algérienne avec un double collège qui reproduit la division de la société : le premier collège représente les 950 000 Français du pays et quelques 45 000 musulmans ; le second, de même poids politique, représente les 8,5 millions d'autres musulmans, dont le taux de natalité très élevé conduit à penser qu'ils occuperont une place de plus en plus grande dans leur pays.
Comme si ces distorsions ne suffisaient pas, le travail de l'Assemblée algérienne est compromis dès le départ par le trucage du scrutin. Autant d'injustices flagrantes qui portent en germe le conflit futur.
Guerre d'indépendance
Déclenchée par une poignée d'hommes le 1er novembre 1954 (la « Toussaint rouge »), l'insurrection indépendantiste ne reçoit le soutien d'une fraction notable des musulmans qu'après les massacres de Philippeville, l'année suivante.
Elle s'enfonce alors dans l'horreur, avec une « guerre sans nom » tissée d'attentats, de coups de main, de répression aveugle et de torture, doublée d'une autre guerre au moins aussi violente entre factions indépendantistes (FLN contre MNA).
Il faudra en définitive toute la lucidité résignée de De Gaulle pour faire admettre à chacun le caractère inéluctable de l'indépendance, effective le 3 juillet 1962. Mais celle-ci sera engagée de la pire des façons, les clés du pays étant confiées le 19 mars 1962 au FLN, soit la faction la plus dure du mouvement indépendantiste.
Dans le même temps, les protectorats voisins du Maroc et de la Tunisie auront recouvré leur indépendance aussi aisément qu'ils l'avaient perdue, par un accord d'État à État.
Enfance douloureuse
L'indépendance ravive les tensions au sein du FLN.
La guerre intestine fait des milliers de victimes dans les semaines qui suivent l'indépendance. Elle se solde finalement par la victoire du président de la République Ahmed Ben Bella et de son allié provisoire, le colonel Houari Boumedienne, qui commande « l'armée des frontières » (35 000 hommes).
Ce dernier prend le pas sur ses rivaux qui commandent l'armée des partisans (10 000 hommes) avant d'évincer Ben Bella lui-même le 20 juin 1965.
La lente descente aux enfers de l'Algérie « socialiste » des années 1970 et la guerre civile des années 1990 témoignent de la difficulté de la nation algérienne à trouver son identité, entre la modernité occidentale et le repli islamiste. L'assassinat de Mohamed Boudiaf (1992) a ruiné pour longtemps l'espoir d'une moralisation de l'État.
L'État est devenu tout entier dépendant des exportations de pétrole (gisement d'Hassi Messaoud) et de gaz (gisement d'Hassi R'Mel) ainsi que des transferts financiers des travailleurs émigrés dans l'ancienne métropole. Tandis qu'en 1961, l’Algérie exportait 600 000 quintaux de grain et 700000 quintaux de semoule, la moyenne annuelle des importations de ces produits se situe aujourd'hui entre 5 et 30 millions de quintaux par an. Le pays est devenu le premier importateur africain de produits alimentaires pour un total de 12 à 14 milliards de dollars par an.
Les dirigeants du FLN, toujours au pouvoir un demi-siècle après, n'ont de cesse de reporter la responsabilité de leurs échecs sur l'ancien colonisateur. Leurs accusations sont relayées en France par la gauche socialiste, soucieuse de faire oublier son engagement en faveur de la colonisation jusqu'à la fin des années 1950. On voit mal quels dirigeants, en Algérie et en France, auront le courage de sortir de ce double mensonge. En sont principalement victimes les Algériens eux-mêmes et les enfants de l'immigration, entretenus dans la haine à l'égard de leur patrie d'adoption.
La tragique histoire du peuple «pieds-noirs»
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Voir les 7 commentaires sur cet article
JM KAËS (30-08-2024 12:09:36)
Merci M. Larané pour cette (trop) brève histoire de l’Algérie depuis les Romains jusqu’à nos jours. Je mets entre parenthèses la guerre d’indépendance de 1954 à 1962 car elle mérite un a... Lire la suite
Vincent (01-03-2022 03:14:59)
À ma connaissance, les idées de Camus sur l'Algérie n'ont pas été acceptées par ses concitoyens "Pieds-Noirs". Il a même été considéré comme un traître par beaucoup d'entre eux, parce qu'i... Lire la suite
choberna (18-06-2013 09:31:40)
Avoir fait de l'Algérie une colonie de peuplement a été la grande erreur des gouvernants français et pas des colons s'acharnant à vivre et travailler dans l'environnement hostile de ce pays où i... Lire la suite