La Russie des Romanov

De Michel Ier à Catherine II

Après des débuts prometteurs, les peuples slaves établis entre la Baltique et la Caspienne ont subi pendant près de trois siècles une « nuit mongole » doublée de brutales invasions en provenance de Pologne ou d'Allemagne. Mais les populations russes dispersées dans les plaines d'Europe orientale ont reconquis lentement leur autonomie et se sont fédérées autour du grand-duché de Moscovie (capitale : Moscou) et de ses souverains.

Au début du XVIIe siècle, tandis que l'Europe de l'Ouest entre dans les temps modernes, l’immense empire russe peine à sortir du « Temps des troubles » et découvre le servage et l'autocratie. Il va finalement se redresser et se consolider suite à l'avènement d'un enfant de seize ans, Michel Ier Romanov. Lui-même et ses descendants vont diriger l'empire avec fermeté et brutalité jusqu'à en faire le plus vaste du monde, à cheval sur deux continents...

Julien Colliat (carte animée : Vincent Boqueho)

Le Temps des troubles, vu par Sergueï Vassilievitch Ivanov, 1886.

1613-1645 : Michel Ier

En 1613, la Russie est menacée de disparition. Depuis la mort du tsar Boris, huit ans auparavant, elle n’est plus vraiment gouvernée et subit une série d’insurrections. L’héritier de Boris a été assassiné, un usurpateur a accédé au trône et ses successeurs sont déposés les uns après les autres.

Michel Ier, 1613. La Russie devient une proie pour ses voisins et une partie de son territoire, à commencer par Moscou, est occupée par la Pologne et la Suède. Cette période de quasi-anarchie, au cours de laquelle la population de l’empire passe de 15 à 8 millions d’habitants, est désignée en Russie sous le nom de « Smouta » (« Troubles »). À noter que le terme sera réemployé pour évoquer la décennie qui a suivi l'effondrement de l'URSS.

Pour mettre fin à la vacance du pouvoir et ramener l’ordre, le Zemski Sobor, sorte d’équivalent russe des états généraux, se réunit en février 1613 afin d’élire un nouveau souverain. Des candidats prestigieux sont sur les rangs mais l’assemblée choisit un inconnu, âgé de 16 ans : Michel Romanov. Il est issu d’une famille de boyards très populaire qui s’est tenue à l’écart des conflits. Michel est couronné tsar le 13 juillet 1613. C’est le début d’une dynastie qui va régner trois siècles sur la Russie.

Philarète par Vladimir Hau, vers 1854, siège épiscopal de Moscou. Agrandissement : Représentation de Philarète dans sa cellule.Le jeune tsar est inexpérimenté et s'appuie donc sur le Zemski Sobor et la Douma des boyards. Il peut surtout compter sur l’aide de son père, le patriarche Philarète de Moscou, un homme estimé pour sa sagesse. C’est lui qui dirigera de facto la Russie, jusqu'à sa mort en 1633, et contribuera à renforcer l’autorité de l’État.

Bien que très jeune et inexpérimenté, le fondateur de la dynastie va accomplir une oeuvre immense en consolidant les fondation de l'empire hérité des riourikides. Sa première tâche  est de pacifier le pays en proie aux pillards et mettre fin à la guerre avec ses voisins. Une paix est signée avec la Suède en 1617 puis avec la Pologne un an plus tard. La Russie perd ses débouchés sur la mer Baltique ainsi que Smolensk, la « mère des villes russes ».

Alors que Polonais, Suédois et Allemands font courir sur la Russie la menace de nouvelles agressions, le jeune Michel Romanov veut avant toute chose prémunir le pays contre le retour des envahisseurs. Il fait ainsi détruire trois églises luthériennes à Moscou et interdit les vêtements de coupe occidentale… ainsi que l’usage du tabac ! Il interdit aussi les mariages de la famille régnante avec des non-orthodoxes, donc des Occidentaux.

Michel interdit aux étrangers le commerce de détail. Mais il fait malgré tout appel à eux pour encadrer et former l’armée russe ! Dès 1624, l’armée compte 5000 officiers européens. Il fait aussi appel aux étrangers pour reconstruire le pays : des Hollandais sont conviés en Russie et créent des usines près de Moscou ainsi que dans l’Oural, où naîtra la première industrie métallurgique. 

La colonisation de la Sibérie, entamée au siècle précédent, se poursuit et des villes nouvelles sont fondées. En 1640, les Russes atteignent le fleuve Amour, aux limites de la Chine, et fondent la ville d'Irkoutsk, près du lac Baïkal. Des pionniers atteignent l'océan Pacifique. Quelques années plus tard, le navigateur Simon Dejnev traverse à son tour le détroit séparant l’Asie de l’Amérique. Son exploit restera oublié pendant près d’un siècle et c'est Béring qui laissera son nom au détroit ! Lorsque Michel Ier meurt en 1645, la Russie est pacifiée mais demeure un État pauvre, plus proche de la féodalité que des monarchies européennes.

Alexis Ier de Russie joue aux échecs, Vyacheslav Schwarz, 1865, musée russe de Saint-Pétersbourg.

1645-1676 : Alexis Ier

Alexis Ier succède à son père le 22 juillet 1645. Comme son père, Alexis n’a que seize ans, lorsqu’il monte sur le trône. Lettré et très pieux, il se passionne pour les arts et jouit d’une grande popularité.

Bohdan Khmelnitski, Moscou, musée d'Histoire. Agrandissement : Alexis Ier de Russie, anonyme, entre 1790 et 1810, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage. Le tsar tente d’occidentaliser son pays par petites touches. Il supprime certains privilèges de la noblesse mais interdit aux serfs (dico) de changer de propriétaires. S’ensuivent une série de révoltes comme celle menée par le cosaque et pirate Stenka Razine qui met le sud du pays à feu à sang. Vaincu par les troupes du tsar, Razine sera exécuté. Des chansons populaires entretiendront le souvenir de sa révolte jusqu’à l’époque soviétique.

En 1654, le chef cosaque Bohdan Khmelnitski signe avec le tsar le traité de Pereïaslav qui fait de l’Ukraine orientale une partie intégrante de la Russie. Ce traité enclenche une guerre avec la Pologne qui se conclut en 1667 par la trêve d'Androussovo. La Russie d'Alexis Ier cède les provinces baltes aux Suédois mais obtient Kiev, la « mère des villes russes », Smolensk et la rive gauche du Dniepr, autrement dit toute l’Ukraine. Ses frontières s’étendent désormais du Dniepr au Pacifique.

Le patriarche Nikon ordonnant la révision des livres liturgiques, Aleksey Kivshenko, XIXe siècle. Agrandissement : le prêtre Nikita Poustosviat débattant avec le patriarche Joachim sur la question de la Foi en présence de la régente Sophie, Vassili Perov, 1880, Galerie Tretiakov, Moscou.

Le règne d’Alexis est aussi marqué par un schisme au sein de l’Église orthodoxe russe quand le patriarche Nikon veut aligner le rite traditionnel russe sur le rite grec en 1666. Opposés à ces réformes, les « Vieux Croyants » ou raskolniki (du russe raskol, qui signifie schisme) tenteront de renverser les Romanov. Pourchassés pendant presque toute l’histoire russe, ils sont encore près d’un million aujourd’hui.

Fédor III, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage. Agrandissement : la Grande-Duchesse Sophie, portrait anonyme, entre 1801 et 1850, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage.Le tsar Alexis meurt en 1676. Quatre de ses enfants vont successivement s’arroger le pouvoir. C’est d’abord son fils ainé, Fédor III (ou Théodore III, 15 ans) qui monte sur le trône mais sa mauvaise santé ne lui permet de régner que six ans. Il meurt le 7 mai 1682 et c’est son frère Ivan (16 ans) qui est proclamé tsar de Moscovie sous le nom d’Ivan V. Mais comme il est simple d’esprit, aveugle et muet, il partage le trône avec son demi-frère Pierre (10 ans), né le 9 juin 1672 de Natalia Narychkina. On fabrique pour cela un double trône !

Mais Ivan est trop malade pour régner et Pierre est trop jeune. Résultat : c’est leur sœur ainée, Sophie qui exerce la régence avec son favori, le prince Galitzine. En 1684, elle se rallie à une Alliance sainte initiée par le pape Innocent XI contre la Turquie.

En août 1689, Sophie se voit forcée de lâcher le pouvoir et celui-ci est repris par Nathalie, mère de Pierre. À la mort de cette dernière en 1694, Pierre Ier, prenant son mal en patience, continue de partager le pouvoir avec Ivan V jusqu’à la mort de celui-ci le 8 février 1696..

La Russie rencontre la Chine

Après avoir atteint l'océan Pacifique, les Russes poursuivent leur progression en Extrême-Orient et finissent par se heurter à l'empire chinois dans la région du fleuve Amour. Le 6 septembre 1689, un traité est signé entre les deux empires à Nertchinsk, au nom de la régente Sophie et de l'empereur Kangxi. Il fixe la frontière entre la Chine et la Russie au fleuve Argoun, affluent de l'Amour. La Russie renonce à l'accès à la mer du Japon mais établit des relations commerciales avec Pékin. C'est le premier traité signé entre la Chine et une puissance européenne.

Livre du couronnement d'Ivan V et Pierre Ier (photo : Shakko). Agrandissement : Arrivée des tsars Pierre Ier et Ivan V, Ilia repine, 1900, musée russe de Saint-Pétersbourg.

1694-1725 : Pierre le Grand, un géant visionnaire

Le futur Pierre le Grand, qui a été initié aux sciences modernes par un précepteur allemand, va consacrer toute son énergie à occidentaliser son pays sans s'embarrasser de précautions. Pour commencer, il fait appel à des techniciens européens afin d'enlever aux Turcs la citadelle d’Azov en juillet 1696. Sa prise donne à la Russie un accès à la mer du même nom et à la mer Noire. Pour sécuriser la forteresse, il lance la construction d’une vaste flotte. C’est la naissance de la marine russe.

Comme Boris Godounov, Pierre envoie des jeunes gens se former en Occident. Lui-même part incognito en Europe accompagné d’une « Grande Ambassade » de 300 personnes. Sous le pseudonyme de « Pierre Mikhaïlov » (sobriquet qui ne dupe personne !), il parcourt le Vieux Continent pendant 18 mois. Il se rend aux Provinces-Unies, à Venise et en Angleterre. Il apprend le métier de charpentier naval à Amsterdam et recrute 500 marins hollandais ainsi que des milliers de techniciens.

Pendant son absence, ses adversaires fomentent un complot pour remettre Sophie sur le trône en s’appuyant sur les streltsy, sorte de garde prétorienne du tsar, qui avait déjà pris parti contre Pierre. La tentative de coup d’État échoue avant même le retour de Pierre Ier. Un millier de streltsy sont torturés et massacrés, leurs cadavres exposés dans les rues.

Le Matin de l'exécution des streltsy sur la place Rouge, Vasily Surikov, 1881, Moscou, Galerie Tretyakov.

Dès son retour en Russie, le tsar met en œuvre sa politique d’occidentalisation à marche forcée. Le 5 septembre 1698, ordre est donné aux courtisans de se raser ainsi que de porter des habits courts à l’européenne. Adieu les longues tuniques et les robes traditionnelles ! Les contrevenants doivent s’acquitter d’une lourde taxe. Le souverain légalise aussi l’usage du tabac et impose le calendrier occidental. En 1699, il crée à Moscou une école d’artillerie. Il fonde aussi une imprimerie. Il va sans dire qu’en dehors de la capitale, cette modernisation brutale ne sera jamais acceptée et provoquera des révoltes récurrentes.

Pierre Ier crée un conseil de neuf membres qui prend le nom de « Sénat », à même de se substituer à lui en son absence. Il fonde une Académie des Sciences, une Académie navale, deux Académies militaires…

Pierre le Grand inspectant un navire à Amsterdam, Abraham Storck, vers 1700, Londres, Royal Museums Greenwich. Agrandissement : Agrandissement : Le tsar Pierre le Grand à bord de son navire (à droite) en route vers la forteresse Pierre-et-Paul à Saint-Pétersbourg, Abraham Storck, vers 1708, musée historique d'Amsterdam.

1700-1721 : La grande guerre du Nord

Cherchant des débouchés maritimes, le tsar se tourne vers la mer Baltique, alors contrôlée par les Suédois. Ceux-ci ont rassemblé contre eux une vaste coalition comprenant le Danemark, la Pologne et la Saxe et à laquelle Pierre Ier s’est joint. L’attaque du Danemark contre la Suède au début de l’année 1700 marque le début du conflit.

L’entrée en guerre des Russes est catastrophique. L’armée du tsar est écrasée à Narva par les troupes de Charles XII, largement inférieures en nombre. Mais plutôt que de marcher sur Moscou, alors à peine défendue, le roi de Suède préfère s’attaquer aux Polonais et aux Saxons, laissant le temps au tsar de reconstituer une armée, formée cette fois à l’européenne. Finis l’antique cavalerie et les fantassins à peine entraînés. C’est désormais une armée formée et fondée sur la conscription.

Fort de ces nouvelles troupes, le tsar reprend l'offensive en Livonie et en Estonie. L’Ingrie ayant été délaissée par les Suédois, l’armée russe s’y installe. En 1703, Pierre Ier fonde à l'embouchure de la Neva, la forteresse Pierre-et-Paul. Il en fait le noyau de la future capitale, Sankt-Petersburg (en allemand dans le texte). Sa construction en style rococo, va s'étirer sur tout le XVIIIe siècle et coûter la vie à de nombreux ouvriers. Elle deviendra capitale officielle de l'empire en 1712, en remplacement de Moscou. Pour la renforcer, Pierre fait construire sur l’île voisine de Kotline la forteresse de Kronstadt, d’où partira deux siècles plus tard la célèbre révolte des marins contre le pouvoir bolchevique.

Bataille de Lesnaya, l'une des batailles décisives de la Grande Guerre du Nord, Jean-Marc Nattier, 1717.

Le tsar se préoccupe aussi de moderniser et renforcer son armée. En 1705, il instaure la conscription : un paysan sur 75 est recruté pour 25 ans et, en 1722, la Table des rangs formalisera l’obligation de service des nobles.

En 1708, Charles XII reprend l’assaut contre la Russie et enchaîne les victoires. Mais une nouvelle fois, au lieu de s’avancer vers Moscou, le Suédois se dirige vers l'Ukraine où son armée doit faire jonction avec les Cosaques de Mazeppa lequel vient de trahir le tsar. Fidèle à une tactique qui fera ses preuves, Pierre Ier refuse de livrer bataille et laisse les Suédois pénétrer plus profondément dans son empire.

Coupé de ses arrières, Charles XII persiste à s'enfoncer dans l’immensité russe, alors que l’Europe subit le terrible hiver 1709. Le grand affrontement avec les troupes du tsar a finalement lieu le 8 juillet 1709 à Poltava. Épuisée, les Scandinaves sont écrasés par les Russes, supérieurs en nombre. L’armée suédoise est détruite et Charles XII s’enfuit en Turquie. C’est le grand tournant de la guerre.

Après ce succès éclatant, la Russie reprend l’offensive en Baltique et conquiert la Carélie, la Livonie et l’Estonie. Le 27 juillet 1714, la toute jeune marine russe détruit la flotte suédoise au large de Hangö Oud, au sud de la Finlande. Cette victoire sur une flotte réputée invincible fait l’effet d’une bombe en Europe. La grande guerre du Nord s’achève par la signature en 1721 du traité de Nystad. La Russie gagne l’Estonie, la Livonie, l'Ingrie et une partie de la Carélie. Disposant d’une large fenêtre sur la Baltique, le pays de Pierre Ier entre dans le concert européen et supplante la Suède comme puissance du Nord.

Bataille navale d'Hangö Oud, Maurice Baquoi, XVIIIe siècle.

En attendant, en 1717, Pierre Ier effectue un voyage officiel en France. Il visite la bibliothèque Mazarine, la Sorbonne et également l’Académie française. Mais il brouille son image de souverain moderniste par sa réputation de brutalité, allant jusqu'à tuer son fils aîné Alexis, coupable d'animer le clan conservateur !

Pierre Ier sur son lit de mort, Ivan Nikitine, 1725, musée russe de Saint-Pétersbourg. Agrandissement : Catherine Ière de Russie, Heinrich Buchholz, vers 1725, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage.Désormais appelé « le Grand », Pierre Ier se voit conférer par le Sénat en 1721 le titre d'« empereur ». C’est la fin officielle du tsarat et le début de l’empire russe, avec une nouvelle capitale : Saint-Pétersbourg. La même année, l’empereur supprime le patriarcat de Russie qu’il remplace par le Saint-Synode, une direction collégiale de l'Église dont les membres sont nommés par le souverain, donnant à l’État russe un droit de regard sur les affaires religieuses.

Quatre ans après la proclamation de l’empire, le 8 février 1725, Pierre le Grand décède d’une pneumonie. Le défunt tsar qui a quand même fait torturer et exécuter son propre fils, n’a plus qu’un héritier : son petit-fils. Âgé de 11 ans, Pierre II est trop jeune pour régner et c’est la seconde épouse de Pierre le Grand, Marthe Skravonska, qui lui succède sous le nom de Catherine Ière. Quel incroyable destin pour cette ancienne paysanne balte analphabète !

La tsarine confie la politique étrangère au baron Ostermann qui va conduire la Russie à la victoire sur les Ottomans en 1736-1739. Quinze ans plus tard, lors du coup de force d’Elisabeth Ière, le ministre sera renversé. Condamné à l’écartèlement, il verra au pied de l’échafaud sa peine convertie en un exil à vie !

Emportée par la variole en 1727, Catherine Ière laisse le trône à Pierre II qui s’éteint sans descendance après seulement trois ans de règne. C’est sa cousine Anne, fille du co-tsar Ivan V, qui lui succède.

1730-1740 : Anne Ière

Femme cruelle, davantage intéressée par ses nains que par les affaires de l’État, la nouvelle tsarine délège le gouvernement à son favori, Ernest Johann von Biron, un aristocrate germano-balte, détesté des Russes et qui n'hésite pas à faire exécuter ou déporter ses adversaires.

Ernst Johann von Biron, vers 1730, Lettonie, Rund?le Palace. Agrandissement : l'impératrice Anne Ière de Russie, Louis Caravaque, 1730, Moscou, Galerie Tretyakov. Biron s’entoure de barons baltes luthériens qui poussent la Russie à intervenir dans les affaires européennes. Elle participe ainsi contre la France à la guerre de Succession de Pologne en assiégeant la ville de Dantzig. La guerre reprend également contre la Turquie pour l’accès à la mer Noire et se solde par la perte d’Azov.

C’est sous le règne d’Anne Ière que les Russes prennent pied en Alaska.

Anne meurt en 1740, elle aussi sans enfant. Pour permettre à Biron de lui succéder, elle désigne comme héritier un nourrisson : l’arrière-petit-fils d'Ivan V. Mais un coup d'État fomenté par la fille de Pierre le Grand, Élisabeth, avec l’aide de la garde impériale, exile Biron en Sibérie et destitue Ivan VI. Celui-ci passera le restant de ses jours en captivité sous le nom de « Prisonnier numéro 1 ».

1741-1761 : Élisabeth Ière

La nouvelle tsarine délègue presque tous ses pouvoirs à ses favoris afin de pouvoir se consacrer à la vie culturelle. Francophile, elle commande à Voltaire une Vie de Pierre Le Grand et fait découvrir à la cour les comédies de Molière. L’aristocratie russe se modernise et s’ouvre à la littérature et à la musique.

Élisabeth Ire de Russie, Louis Caravaque, 1750, Moscou, Galerie Tretiakov. Agrandissement: Portrait officiel d'Élisabeth Ire, Louis Tocqué, 1758, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage.Son règne est une période d’éclat sur le plan intellectuel, marquée notamment par l’action du savant et poète Michel Lomonossov, surnommé le « Leibniz russe ». Sous son impulsion est ainsi créée l’Université de Moscou en 1755 et l’Académie impériale des Beaux-Arts. L’architecte italien Barthélemy Rastrelli popularise le style « baroque élisabéthain » avec le palais d'Hiver, le palais Catherine, le palais de Peterhof (le « Versailles russe ») ou le couvent Smolny (qui hébergera le quartier général des bolcheviques en 1917).

La Russie prend part à plusieurs conflits. Sa victoire contre la Suède lui permet d’annexer la Finlande méridionale en 1743. L’armée russe participe également à la guerre de Sept Ans aux côtés de l’Autriche et de la France et inflige à la bataille de Kunersdorf en 1759 une cuisante défaite à Frédéric II qui permet aux austro-russes d’entrer dans Berlin.

Sans enfant, l'impératrice désigne comme successeur son neveu, Pierre, duc de Holstein-Gottorp. Consciente de ses limites, Élisabeth lui trouve une épouse de caractère en la personne d'une princesse allemande : Sophie d'Anhalt-Zerbst. Totalement dévouée à sa nouvelle patrie, celle-ci se convertit à l'orthodoxie et prend pour nom Catherine.

Dernière Romanov de souche russe, Élisabeth meurt le 5 janvier 1762.

Portrait équestre d'Élisabeth de Russie, Georg Caspar Prenner, entre 1744 et 1755, Saint-Pétersbourg, musée Russe. Agrandissement : Catherine II près du cercueil de l'impératrice Élisabeth, Nikolaï Gay, 1874, Moscou, Galerie Tretiakov.

Le règne éphémère de Pierre III

Le nouvel empereur, Pierre III, ne règnera que 6 mois. Se montrant davantage attaché à son duché d’origine qu’à sa terre d’adoption, le tsar est un admirateur de Frédéric II et sa première décision est de signer une paix séparée avec la Prusse, au grand dam de ses alliés autrichiens et français. Il évite ainsi au roi de Prusse une lourde défaite. Dès son avènement, en janvier 1762, le nouveau tsar Pierre III  Sa prussophilie l’amène aussi à quitter la coalition de la guerre de Sept Ans, ce qui fait le bonheur de l’Angleterre.

Pierre III et Catherine II avant leur règne, Georg Christoph Grooth, vers 1745, musée d'art d'Odessa. Agrandissement : Pierre III, Lucas Conrad Pfandzelt, vers 1762, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage.Haï des dignitaires russes, Pierre III s’entoure de courtisans allemands. Il refuse d’abandonner le luthéranisme et se met à dos l’Église orthodoxe en demandant aux popes de se vêtir comme des pasteurs et en ordonnant le retrait des icônes des églises.

L’empereur s’entend si mal avec son épouse qu’il envisage de la répudier pour se remarier avec sa maîtresse. Assignée au palais de Peterhof, Catherine fomente un complot avec l’aide de quelques officiers pour chasser son mari du trône. Le coup d'État a lieu le 9 juillet 1762.

Catherine est conduite par les conjurés à la caserne du régiment Ismaïlovski, où les soldats lui prêtent serment de fidélité. Forte de ce soutien, elle marche ensuite vers Saint-Pétersbourg où elle est accueillie triomphalement et proclamée impératrice à la cathédrale Notre-Dame-de-Kazan.

Contraint d’abdiquer, le tsar déchu est retenu prisonnier au château de Ropcha où il meurt quelques jours plus tard au cours d’une « dispute » avec son geôlier, Alexis Orlov, qui se trouve être également le favori de Catherine ! Le mystère entourant sa mort donnera naissance à d’innombrables rumeurs qu’exploiteront, non sans succès, quantité d’imposteurs.

1762-1795 : Catherine II, une Allemande au service de la Russie

La nouvelle tsarine poursuit la politique de modernisation entamée par Pierre le Grand. Séduite par les philosophes des Lumières, elle attire à Saint-Pétersbourg des Européens de renom, y compris Diderot et Mme Élisabeth Vigée-Lebrun. À Diderot, elle déclare en 1773 : « Vous ne travaillez que sur le papier qui souffre tout, tandis que moi, pauvre impératrice, je travaille sur la peau humaine qui est bien autrement irritable et chatouilleuse ».

L'impératrice fait confisquer l'essentiel des biens de l'Église orthodoxe et met en œuvre la séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire.

Pour exploiter la steppe inhabitée de la moyenne Volga, elle fait appel à 23 000 paysans allemands de Rhénanie dont les descendants resteront dans la région jusqu’à la fin de l’URSS.

Catherine II de Russie dans sa tenue de couronnement, Vigilius Erichsen, vers 1778, Copenhague, David Collection. Agrandissement : Catherine II, vers 1780, Berlin, Kunsthistorisches Museum.Modèle du « despote éclairée », Catherine II rétablit pourtant la peine de mort, abrogée par Élisabeth Ière. Elle renforce également les privilèges des nobles. Ceux-ci ne sont plus contraints de servir dans l’armée et sont dispensés d’impôt. Pire : leurs droits sur les serfs sont étendus. Les propriétaires sont désormais libres de les punir, les vendre ou les envoyer en Sibérie. Et le nombre de serfs ne cesse de s’accroître. Il passe de 40% de la population russe en 1750 à plus de la moitié à la fin du règne de Catherine II.

Le règne de Catherine II sera surtout marqué par ses succès en politique étrangère. Première souveraine à n’avoir pas une goutte de sang russe, elle entend profiter de l'affaiblissement de la Pologne pour récupérer les terres de la Russie historique (la Rus' de Kiev) à savoir la Biélorussie (« Russie blanche ») et l’Ukraine (« Petite Russie »).

La révolte de Pougatchev

L'aggravation de la condition paysanne sera à l’origine de nombreuses révoltes. La plus fameuse éclate en 1773. Elle est menée par Emelian Pougatchev, un cosaque déserteur qui se fait passer pour Paul III et appelle à déposer l’impératrice. Partie de l’Oural, la révolte va prendre une ampleur considérable, attitrant les mécontents de toute sorte : Vieux Croyants, serfs exploités, Cosaques du Don, ouvriers… En l’absence des troupes régulières en prise avec les Turcs, les insurgés, au nombre de 50 000, s’emparent d’un vaste territoire entre la moyenne Volga et l'Oural. Ils prennent Kazan et menacent même Moscou ! Ce n’est qu’avec le retour de l’armée que la rébellion sera matée. S’ensuit une répression féroce. Abandonné par les siens, Pougatchev est livré aux autorités et finira écartelé en janvier 1775.

Le Jugement de Pougatchev, Vassili Perov, 1879, Saint-Pétersbourg, musée russe.

Les partages de la Pologne

En 1764, Stanislas II est élu roi de Pologne. Ancien amant de Catherine II, le nouveau souverain est un dirigeant faible qui s’avère totalement inféodé à la Russie.

Le roi Stanislas II, Johann Baptist von Lampi, vers 1782, Saint-Pétersbourg, musée de L'Ermitage. Agrandissement : Portrait de Stanilas II par Élisabeth Vigée Le Brun, 1797, Château de Versailles.Quatre ans plus tard, la signature d’un traité d'amitié perpétuelle entre les deux États entraîne le soulèvement d'une partie de la noblesse polonaise, rassemblée dans la Confédération de Bar. Soutenus par la France, les Confédérés finissent par déposer les armes.

Le 5 août 1772, un traité de partage du tiers de la Pologne est conclu à Saint-Pétersbourg entre la Russie, l'Autriche et la Prusse. La Russie annexe l’est de la Biélorussie.

Un deuxième partage est conclu avec la Prusse en 1793. Cette fois, la Russie met la main sur l'essentiel de la Biélorussie (dont Minsk) et l’ouest de l'Ukraine.

Deux ans plus tard, un dernier partage offre à la Russie le reste de la Biélorussie ainsi que la Lituanie et le sud de la Lettonie.

Séparés depuis les raids mongols, les slaves de l’Est sont désormais réunis au sein d’un même État. Entre le Boug et le Dniepr, Biélorusses et Ukrainiens, largement orthodoxes, se considèrent plutôt délivrés de la domination des Polonais catholiques. Voisine de l’Autriche et de la Prusse, la Russie est plus que jamais au cœur de la politique européenne.

Vue de l'embrasement des flottes turques dans le port de Tchesmé le 7 juillet 1770, Rijksmuseum, Amsterdam. Agrandissement : Bataille de Tchesmé. Attaque du lieutenant D. Ilyin, Vladimir Kosov, 2021.

La Russie annexe la Crimée

En 1768, lors de la guerre entre la Russie et la Confédération du Bar, la France, alliée des Polonais, a poussé l’empire ottoman à déclarer la guerre à Catherine II.

Pour empêcher les Turcs de prêter mains fortes aux Confédérés, la Russie lance une armée vers l'embouchure du Danube. Les troupes de Catherine II marchent vers les Balkans, où l’impératrice ambitionne de créer un nouvel empire byzantin qui reviendrait à son petit-fils. Les Russes invitent les populations chrétiennes soumises aux Turcs à se soulever. C’est la préfiguration de ce qui deviendra au XIXe siècle le panslavisme.

L’armée de Catherine II atteint la Grèce. Le 6 juillet 1770, en pleine mer Égée, la flotte russe commandée par Alexis Orlov détruit la flotte turque à la bataille de Tchesmé. C’est la plus grande défaite navale subie par l'Empire ottoman depuis Lépante. Quelques semaines plus tard, les Russes triomphent sur terre d’une armée ottomane largement supérieure en nombre à Kagul (Moldavie).

Sur le front est, la prise de la forteresse de Kertch qui commande le passage entre la mer d'Azov et la mer Noire permet à la Russie d’occuper la Crimée et tout le littoral ukrainien. Le traité de Koutchouk-Kaïnardji de 1774 fait passer la Crimée sous suzeraineté russe. Celle-ci sera intégrée à l'empire russe neuf ans plus tard. Surtout, le traité fait de la Russie la protectrice de tous les orthodoxes de l’Empire ottoman, lui donnant un motif d’ingérence qu’elle ne manquera pas d’utiliser.

Il faudra encore une guerre (1787-1792) pour que la victoire russe soit complète. Par le traité de Jassy, la Sublime Porte reconnaît l'annexion de la Crimée et cède aux Russes la rive nord de la mer Noire. Les navires marchands russes obtiennent la libre circulation à travers les détroits turcs. La Russie accède enfin aux mers chaudes et les ports de Sébastopol et Odessa sont créés. Le vieux rêve de Pierre le Grand est devenu réalité.

La Révolution française marque un tournant dans la politique Catherine II. Craignant que son pays ne soit gagné par les idées révolutionnaires, la tsarine rompt les relations diplomatiques avec la France, réprime les loges maçonniques, et envoie en Sibérie les penseurs contestataires, tels le philosophe Alexandre Radichtchev.

À la mort de Catherine II en 1796, la Russie n’a jamais été aussi vaste et puissante.

Publié ou mis à jour le : 2024-03-16 09:18:00
PascalD (19-03-2024 08:11:53)

Bonjour, Toujours aussi bien documenté ! Une réserve personnelle sur l'expression "la nuit mongole" - la visite de l'exposition sur Gengis Khan et les Mongols organisée à Nantes en ce début d'a... Lire la suite

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L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

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