Le 9 juillet 1762, trois régiments de la garde de l'empereur Pierre III se révoltent contre leur maître et prêtent serment de fidélité à son épouse, Catherine, « pour la défense de la foi orthodoxe et pour la gloire de la Russie ». Leur révolte est animée par le propre amant de la reine, Grégoire Orlov (ou Grigori Orloff).
L'empereur (on ne dit plus tsar depuis Pierre le Grand) abdique dès le lendemain. Il meurt une semaine plus tard dans sa retraite, sans doute tué par l'un des frères Orlov dans une querelle d'ivrognes. Ainsi débute le règne immense de Catherine II la Grande.
Un grand « homme d'État »
La nouvelle impératrice est née à Stettin, en Prusse, le 2 mai 1729, sous le nom de Sophie Augusta d'Anhalt-Zerbst.
Princesse allemande d'extraction modeste, elle a été fiancée au grand-duc Pierre de Holstein-Gottorp, neveu de l'impératrice Élisabeth et petit-fils de Pierre le Grand.
Elle acquiert une culture d'autodidacte très étendue et se révélera plus tard étonnamment préparée à ses responsabilités. Elle lit Tacite, Machiavel, Montesquieu dans le texte et n'hésitera pas à racheter en viager la bibliothèque de Diderot.
Bien que de culture allemande, Catherine s'assimile remarquablement à sa nouvelle patrie. Convertie à la religion orthodoxe, elle prend le nom de Catherine et se fait apprécier des Russes, au contraire de son mari, inculte, immature, allemand de coeur et admirateur éperdu du roi de Prusse Frédéric II.
Le couple se déteste et, comme de bien entendu, ne donne le jour à aucun héritier pendant huit ans, au grand mécontentement de l'impératrice Élisabeth qui pousse Catherine à prendre un amant, le « beau Serge ». Sans doute celui-ci est-il le véritable père de l'héritier qui naît sur ces entrefaites.
Pierre monte sur le trône à la mort de l'impératrice ou tsarine Élisabeth, le 5 janvier 1762, et prend le nom de Pierre III. Il n'a rien de plus pressé que de se retirer de l'alliance avec la France et l'Autriche contre la Prusse, sauvant son héros, Frédéric II, d'une situation désespérée. Il restitue à la Prusse la Poméranie et la Prusse-orientale.
Le bruit court enfin que le nouvel empereur se prépare à abolir le servage.
C'est à ce moment-là que Catherine, profitant du mécontentement de la noblesse, s'empare du pouvoir avec la complicité de son amant (Grigori Orlov a peut-être aussi donné à l'impératrice un fils dont elle aurait caché la naissance).
Quelques mois après son accès au trône, elle intervient en Pologne où elle fait élire comme roi son favori, Stanislas Poniatowski !
Pour le soutenir contre ses ennemis, regroupés dans la confédération de Bar, elle envahit le pays en 1770.
Là-dessus, par le traité de Saint-Pétersbourg du 25 juillet 1772, elle s'entend avec le roi de Prusse Frédéric II et l'archiduchesse d'Autriche Marie-Thérèse pour enlever à la Pologne un tiers de son territoire.
Les guerres de conquête
Les trois larrons - Russie, Prusse, Autriche - s'allient non seulement contre la Pologne mais aussi contre la Turquie. C'est ainsi qu'en 1774, le nouveau favori de l'impératrice, Grégoire (Grigori) Potemkine (35 ans) conquiert d'immenses territoires aux dépens du sultan.
Par le traité de Kütçük-Kaynarca du 21 juillet 1774, le sultan garantit aux navires russes la liberté de navigation dans la Mer Noire et le libre passage vers la Méditerranée à travers les détroits du Bosphore et des Dardanelles.
Il confère à l'impératrice un droit de regard sur le sort des chrétiens orthodoxes des possessions ottomanes des Balkans. Il cède surtout à la Russie les territoires qui s'étendent de la mer Noire à l'Ukraine et dont Potemkine devient le gouverneur général en remerciement des services rendus.
Le favori développe activement ces territoires, les repeuplant avec des immigrants de toute la Russie et même d'Allemagne. Il annexe au passage le khanât de Crimée et fonde sur la péninsule le port de guerre de Sébastopol.
En janvier 1787, Potemkine, devenu ministre de la Guerre, invite l'impératrice à visiter les nouvelles provinces. Catherine II quitte en grande pompe Saint-Pétersbourg pour s'embarquer sur le Dniepr. Elle descend triomphalement le fleuve en compagnie du roi de Pologne Stanislas II, de l'empereur d'Allemagne Joseph II, du prince de Ligne et de l'ambassadeur de France, le comte de Ségur.
Adolf Helbig, biographe de Potemkine, a lancé la légende selon laquelle le ministre aurait implanté des villages factices en carton-pâte tout le long du parcours de l'impératrice dans ses nouvelles provinces. Il aurait ainsi voulu la flatter et la rassurer sur l'état de sa paysannerie !
Depuis lors, l'expression « village Potemkine » désigne - à tort - des opérations de propagande visant à tromper les dirigeants d'un pays et son opinion publique.
En 1792, la Crimée et d'immenses étendues d'Asie centrale sont définitivement annexées par le traité de Jassy. Quelques possessions suédoises en Finlande sont acquises en 1790 par le traité de Verela. Deux partages ultérieurs de la Pologne, en 1792 et 1795, ne laissent enfin plus rien d'un pays vieux de huit siècles. Une tentative d'expédition contre la Perse n'a pas de suite.
Les affaires intérieures
Catherine poursuit l'aménagement de Saint-Pétersbourg, la capitale baroque inaugurée par Pierre 1er le Grand à l'embouchure de la Néva, sur la mer Baltique. Elle y attire des architectes et des artistes occidentaux. C'est ainsi que le sculpteur Falconet érige la statue de Pierre le Grand sur la place du Sénat en 1782.
Les idées sociales de Catherine ne sont pas précisément celles des philosophes des Lumières. Mais, par opportunisme politique, elle vénère ces hommes influents dans ses salons et sur son écritoire.
Elle correspond avec d'Alembert, Diderot, Voltaire, Grimm, Helvétius et Kant qui la tiennent pour un « despote éclairé », à l'égal de ses contemporains Frédéric II, roi de Prusse, et Joseph II, archiduc d'Autriche... Despote, elle l'est sans aucun doute, éclairé, cela se discute ! Voltaire, flatteur, l'appelle la « Sémiramis du Nord » (Sémiramis est une reine légendaire de Babylone).
Les terres d'Église sont sécularisées en 1764, y compris leurs deux millions de serfs, ce qui permet à l'impératrice, les jours de fête, de faire de généreuses donations de terres (et de serfs) à ses protégés !
Sous l'impulsion de Potemkine, des villes nouvelles voient le jour dans les marches d'Ukraine (Odessa, Kherson, Nikolaïev, Taganrog, Mariupol - aujourd'hui Pavlovsk).
Pour encourager la noblesse à s'intéresser à ses propriétés souvent négligées, l'impératrice ne craint pas de limiter les quelques droits qu'ont encore les serfs. Ainsi donne-t-elle aux nobles, en 1765, le droit de déporter leurs serfs récalcitrants en Sibérie !
Les mécontentements paysans alimentent les rancoeurs et les révoltes.
C'est ainsi qu'en 1773, un Cosaque du Don nommé Pougatchev prétend être le tsar Pierre III. Avec une armée de 26 000 hommes composée de paysans, d'ouvriers et de Cosaques, il dévaste la Petite-Russie (Ukraine), tenant en échec le pouvoir.
Livré par ses compagnons au général Souvorov, Pougatchev est décapité à Moscou en 1775.
Malgré ou à cause des révoltes paysannes, Catherine II ne voit pas d'inconvénient à renforcer le servage en Russie. En 1785, elle l'étend même à l'Ukraine, terre traditionnelle de liberté (note).
Mais elle souhaite par ailleurs s'appuyer sur une aristocratie éclairée et une bureaucratie décentralisée sur le modèle de l'Occident. Par la Lettre de grâce à la noblesse de 1785, elle délègue de larges pouvoirs aux gouverneurs de province et à des assemblées provinciales de nobles.
Un bilan imposant
Sous le règne de Catherine II, la surface de la Russie s'agrandit d'un tiers et le pays, jusque-là très marqué par son caractère slave et orthodoxe, absorbe des populations très diverses, y compris des musulmans qui parlent turc ou mongol. Catherine II ajoute à la diversité ethnique en faisant venir des paysans allemands pour mettre en valeur les bords de la Volga (persécutés et déportés à l'époque de Staline, ces colons reflueront en masse en Allemagne à la fin du XXe siècle.
L'impératrice meurt après 34 ans de pouvoir absolu, en 1796, non sans s'inquiéter de la Révolution française où elle voit « un repaire de brigands ».
Son fils Paul Ier lui succède. Le jeune homme a une personnalité fantasque et sa mère, consciente de ses carences, a tenté plus d'une fois de le priver du trône. Devenu empereur, il se révèle imprévisible et se fait rapidement beaucoup d'ennemis. Alors qu'il vient de fonder la Ligue des Neutres avec les Scandinaves pour contrer l'influence maritime britannique, il est opportunément étranglé !
La Russie entre nostalgie et futur
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