Les migrations en Europe

Des États-nations soudés par une civilisation commune

L'unité de la chrétienté médiévale se fissure à la fin du XVe siècle et plus encore au siècle suivant. À l'image d'Érasme, érudits et artistes continuent d'arpenter l'Europe dans tous les sens en quête de mécènes et de protecteurs. Leur langue commune reste le latin, langue vivante s'il en est. Mais les grands pèlerinages s'essoufflent et les ordres religieux ne tissent plus leur toile à travers l'Europe. 

Dans les faits, c'en est fini du grand brassage médiéval avec l'irruption de la Réforme protestante et l'apparition de grand États centralisés. Les langues nationales, français, anglais, italien, espagnol, allemand... permettent à chacun des grands États en gestation de cultiver son identité.

Les Européens n'ont plus à craindre d'invasions extérieures. Ils ouvrent les bras aux Byzantins chassés par l'avancée turque mais dans le même temps expulsent de l'autre côté de la Méditerranée les juifs (marranes) et les musulmans (morisques) qui ont conservé leur foi derrière une fausse conversion.

André Larané

L'État monarchique

Les États nationaux prennent forme avec des frontières mieux dessinées, une langue officielle et une religiosité propre à chacun. L'Allemagne du Nord se voue à Luther, Genève et les Pays-Bas à Calvin, l'Espagne au Saint-Siège etc.

Les souverains demeurent fidèles toutefois aux alliances matrimoniales de sorte qu'il n'y a pas de familles plus « européennes » que les familles royales. Henri IV épouse une Italienne, Marie de Médicis, qui va régenter le pays à sa mort. Son fils et successeur Louis XIII épouse une Espagnole, Anne d'Autriche, qui, elle aussi, dirigera le pays à sa mort. Louis XIV épouse sa cousine franco-espagnole Marie-Thérèse d'Espagne, Louis XV, la Polonaise Marie Leszczynska. Quant à Louis XVI, né de Marie-Josèphe de Saxe, il épouse Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine.

Dans un esprit pratique, les souverains recourent aussi de façon systématique au recrutement de mercenaires étrangers, à commencer par François Ier, qui conclut un accord avec les Suisses après que ceux-ci eussent été réduits au chômage par leur défaite à Marignan.

Louis XIV gonfle ses effectifs militaires avec un quart d'étrangers, Allemands, Suisses... et également Irlandais. Une dizaine de milliers de ceux-ci, qualifiés d'« oies sauvages », se sont mis au service du roi de France après leur défaite face aux Anglais, à la Boyne, en 1691. L'un de leurs descendants, Patrice de Mac Mahon, servira Napoléon III avec le titre de maréchal de France avant de devenir président de la République.

Louis XV doit quant à lui sa plus belle victoire, Fontenoy (1745), à un condottiere, fils bâtard d'un prince allemand, le maréchal Maurice de Saxe. L'une de ses descendantes est la romancière George Sand.

Gardes-suisses sous Louis XVI (aquarelle, Uniformes militaires des troupes françaises sous Louis XVI, 1779)

Déplacements de populations

Aux XVIe et XVIIe siècles, ce sont les conflits armés qui nourrissent les mouvements de population intra-européens. Mais ces derniers sont en tout état de cause très limités.

La persécution des juifs dans la péninsule ibérique provoque la fuite de quelques milliers d'entre eux au-delà des Pyrénées. Spinoza, à Amsterdam, descend de ces réfugiés, de même que Montaigne, dont la mère, Antoinette Loupes de Villeneuve, était la petite-fille d'un certain Lopès dy Villenueva. Plus près de nous, Pierre Mendès France est aussi issu d'un marrane (juif converti).

Au XVIIe siècle, au cœur même du continent, dans le monde germanique, la guerre de Trente Ans entraîne des désordres de grande ampleur. Des provinces comme l'Alsace, la Lorraine ou la France-Comté sont largement dépeuplées et réoccupées par quelques dizaines de milliers d'immigrants venus de Suisse ou d'Allemagne.

Louis XIV, avec la révocation de l'édit de Nantes, en 1685, provoque la fuite précipitée d'environ 300 000 de ses sujets protestants (1 à 2% de la population). Ils vont enrichir de leur travail les pays rivaux de la France.

Jules Mazarin (atelier de Pierre Mignard, musée Condé)Il n'empêche que les monarques se montrent par ailleurs accueillants aux étrangers de qualité. Richelieu et Anne d'Autriche ne craignent pas de confier les rênes du gouvernement à un diplomate italien, Mazarin. Plus tard, le Régent Philippe d'Orléans charge un financier écossais, John Law, de redresser les finances. Son demi-échec ne décourage pas plus tard Louis XVI de faire appel à un banquier genevois, Jacques Necker.

Les artistes, poètes et comédiens italiens ont les honneurs de la cour, de Léonard de Vinci, accueilli par François Ier, à Jean-Baptiste Lully, musicien favori de Louis XIV. Les savants, mathématiciens et astronomes voyagent et correspondent entre eux à travers toute l'Europe en ce XVIIe siècle qui est aussi le Siècle d'Or des sciences. Leibnitz rencontre à Paris Huygens et Malebranche. Il se rend ensuite à Londres pour rencontrer Newton.

Le mouvement se prolonge au siècle suivant. Au milieu du XVIIIe siècle, dans les salons parisiens se croisent, excusez du peu, Turgot, Diderot, Hume, Franklin, Smith, Beccaria, Lagrange, Laplace, Grimm etc. Rousseau mais aussi d'Holbach et Helvétius font honneur aux lettres françaises, bien que nés hors des frontières. Il est vrai que la culture aristocratique et raffinée de Versailles et Paris séduit bien au-delà des frontières, jusqu'à Saint-Pétersbourg et Richmond (Virginie).

Ces bonnes manières se prolongent jusque dans les premières années de la Révolution. Des étrangers tel le Prussien Anarchasis Cloots se mettent à son service avec une passion qui leur coûtera la vie.

Mais le plus important est ailleurs, dans l'afflux d'étrangers entreprenants. Dès la fin du XVe siècle, les rois ont appelé des soyeux italiens pour développer à Tours et Lyon une industrie nationale de la soie. Plus tard, ils ont fait appel à des Hollandais pour relancer la construction navale ou assécher les marais.

À Cognac, la famille Hennessy, originaire d'Irlande, met au point et développe la liqueur qui fera la gloire de la région. Au Siècle des Lumières, dans une France en pleine croissance économique et démographique, Christophe-Philippe Oberkampf, un teinturier originaire de Stuttgart, crée une manufacture au sud de Paris, à Jouy-en-Josas, en 1760. Au Creusot, en 1782, un Anglais, William Wilkinson, monte une fonderie de canons avec Ignace de Wendel, maître de forges originaire de Lorraine.

La forge fondée au Creusot par William Wilkinson en 1779

Les États-nations

Ces migrations capillaires (« aussi ténues qu'un cheveu ») s'ajoutent aux déplacements de populations et au brassage médiéval. Tout cela fait que les Européens, « de l'Atlantique à l'Oural », ont tous des ancêtres communs pour peu que l'on remonte dans leur généalogie jusqu'à l'An Mil.

Cela n'empêche pas toutefois la formation d'États-nations plus ou moins hostiles les uns aux autres à partir du XVIe et surtout du XVIIe siècle. Les traités de Westphalie, qui clôturent en 1648 la terrible guerre de Trente Ans, marquent une étape décisive dans ce processus. Au même moment, les deux grandes puissances commerçantes que sont les Provinces-Unies (Pays-Bas) et l'Angleterre se font la guerre pour la maîtrise des océans et des routes maritimes, en usant de l'arme protectionniste. On établit aux frontières des postes de douanes et des lignes de fortifications mais cela n'empêche personne de circuler librement d'un pays à l'autre tout comme aujourd'hui au sein de la zone Schengen.  

Une nouvelle étape est franchie avec la Révolution française. Celle-ci, à ses débuts, s'inscrit dans la continuité de l'Ancien Régime. Elle engage avec brio une réforme magistrale des institutions et soulève l'enthousiasme des élites éclairées d'Europe. Elle émancipe au passage les protestants et les juifs. Ces derniers, 30 000 au total (à peine un millième de la population française), divisés en communautés très diverses, sont priés de devenir des citoyens comme les autres.

Le gouvernement révolutionnaire dissipe le flou artistique des siècles antérieurs. Désormais, une frontière n'est plus une zone où s'imbriquent des droits et des coutumes de diverses origines, comme c'était encore le cas en Alsace, mais une ligne nette et bien dessinée. D'un côté, on est français à 100%, de l'autre étranger.

Tout dérape quand les députés se mêlent des affaires religieuses, heurtant les convictions du roi et des humbles, jusqu'à susciter contre eux une succession de coalitions des monarchies européennes. Les guerres révolutionnaires et napoléoniennes, de 1792 à 1815, ont pour effet d'éveiller les nationalismes en France et dans toute l'Europe. À la fidélité à la personne du roi se substitue la fidélité obligatoire à une entité supérieure, abstraite et immortelle, la Nation, qui se confond avec la patrie de naissance !

Passeport à usage intérieur (1792)Signe des temps, un décret de l'Assemblée nationale du 28 mars 1792 instaure les premiers passeports et fait obligation d'en être pourvu à tout citoyen désireux de quitter son canton comme à tout étranger circulant en France. Le document tombera toutefois en désuétude à la fin du XIXe siècle et refera son apparition avec force à la faveur de la Première Guerre mondiale...

Sous la Restauration, après la chute de Napoléon, de grands esprits comme Guizot, Thiers, Michelet... inventent l'Histoire nationale, laquelle se substitue aux chroniques royales et aux grandes fresques universelles. Le roi Louis-Philippe Ier inaugure à Versailles un musée de l'Histoire de France.

On se retrouve entre soi mais le sentiment d'appartenance à une même civilisation européenne ne faiblit pas pour autant. Les mouvements artistiques et culturels ne connaissent pas plus de frontières qu'au Moyen Âge ou à la Renaissance. Après l'art gothique, l'humanisme, les Lumières... les élites communient dans le romantisme et plus tard encore l'Art nouveau... Si l'Allemagne et l'Italie n'ont plus beaucoup la cote, il n'en va pas de même de l'Angleterre dont les succès suscitent l'admiration universelle. Lamartine, Vigny, Tocqueville épousent une Anglaise !

L'amélioration des conditions de vie, l'hygiène et la vaccination entraînent au XIXe siècle une baisse rapide de la mortalité infantile dans la plupart des pays européens. Le surcroît de population nourrit la révolution industrielle et va remplir les usines. Il va aussi peupler les espaces à moitié vides du Nouveau Monde. C'est ainsi que les États-Unis deviennent le melting-pot (« creuset ») dans lequel se fondent plus ou moins toutes les populations venues du Vieux Continent.

La France, pays le plus peuplé d'Europe jusqu'au XVIIIe siècle, a innové en inventant dans les années 1760... le planning familial !

Pour la première fois, des populations entières choisissent de diverses façons de « tromper la nature » et limiter leur descendance. Un siècle plus tard, quand le pays accomplit sous le Second Empire sa révolution industrielle, il s'ensuit que les industriels doivent aller chercher un complément de main-d'oeuvre dans les pays voisins, Belgique (Borinage), Suisse, Italie etc. Cette immigration inédite va se prolonger entre les deux guerres mondiales avec l'arrivée de Polonais puis, dans les années 1960, de Portugais.

Au tournant du XXe siècle, les Européens, héritiers d'une civilisation qui a tout inventé du monde moderne, dominent la planète comme aucune autre entité auparavant. Rivaux et alliés à la fois, ils ont d'autant plus de facilité à assurer leur domination qu'ils disposent de l'avantage du nombre : le Vieux Continent, pas si vieux que cela, porte un quart du milliard d'êtres humains que compte la planète en 1900, et c'est sans compter les extensions de l'Europe (Amériques, Australie, Sibérie, Afrique australe).

Deux guerres mondiales vont retourner la situation. Vaincus par leur hubris, les gouvernants européens vont tomber de leur trône et passer la main aux Américains. Dans les années 1960, les grands États industriels, touchés à leur tour par la dénatalité, vont comme la France faire appel à une immigration de labeur et, pour la première fois depuis mille ans, l'Europe va connaître l'arrivée en masse de nouvelles populations sur son sol : Algériens en France, Turcs en Allemagne, Pakistanais en Angleterre, Indonésiens aux Pays-Bas...


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Citoyens !
Publié ou mis à jour le : 2020-11-15 11:30:59

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