Au tournant du XXe siècle, de la Belle Époque aux Années folles, la capitale française connaît son Âge d’or. Paris est alors à la pointe de la création, attirant les artistes du monde entier, faisant écrire à Jean Giraudoux : « À Paris, j’ai sous les yeux les cinq mille hectares du monde où il a été le plus pensé, le plus parlé, le plus écrit. »
Naissance de la Ville-Lumière
Sous le Second Empire, grâce à l’œuvre du préfet Haussmann, Paris entre dans la modernité. Percement du boulevard saint-Michel, ouverture des axes qui donnent les Grands Boulevards, construction de monuments comme l’Opéra-Garnier, création des kiosques et des squares, aménagement de parcs et jardins comme Boulogne, Monceau, Montsouris, Vincennes ou les Buttes-Chaumont, les projets menés par le baron, dont la majorité fut commandée par Napoléon III, métamorphose Paris pour en faire l’une des plus belles villes du monde.
La capitale, ses boulevards, ses lieux de plaisir et ses expositions font les délices de tout ce que l'Europe compte de gens fortunés. Les touristes britanniques, fascinés par ses éclairages, lui ont d’ailleurs trouvé un surnom : « City of Lights ». Un sobriquet flatteur qui ne tarde pas à être repris à des fins publicitaires par les Parisiens eux-mêmes.
Après une parenthèse liée aux évènements dramatiques de 1870-1871, la guerre franco-prussienne, le siège de la capitale et la Commune, la ville reprend progressivement son essor. L'ordre revient dans la capitale si bien qu’en 1879 les sénateurs peuvent quitter Versailles pour retrouver le palais du Luxembourg. La Ville-Lumière est plus prisée que jamais par la bonne société européenne.
Les expositions universelles de 1889, avec l’érection de la tour Eiffel, et de 1900, avec les Jeux Olympiques, ainsi que les funérailles de Victor Hugo (1885) et Louis Pasteur (1895), deux génies universellement admirés, portent le prestige de la capitale à son apogée.
Traumatisées par la défaite de 1870, les élites françaises nourrissent une passion pour le progrès et les créations culturelles, comme aucune période n’en a connue. Cette extraordinaire effervescence artistique, intellectuelle et scientifique fait de Paris la ville la plus internationale du monde.
Les étudiants y affluent de l’Europe entière. En 1891, une Polonaise de 24 ans rejoint sa sœur dans la capitale française. Son nom : Marie Sklodowska. Elle s'inscrit à la Sorbonne où elle suit les cours de physique et de mathématiques tout en perfectionnant son français et investit une chambre de bonne à proximité. Elle se sent alors enfin libre d'étudier et a la chance de côtoyer les plus grands noms de la science : Brilloin, Painlevé, Lippmann, Appell.
Au bout de seulement deux ans, Marie décroche une première place en licence de physique. En même temps, elle entame des recherches sur les aciers dans le laboratoire du professeur Lippmann. Ses travaux lui donnent l'occasion de faire connaissance avec celui qui deviendra son mari, Pierre Curie. Récompensées par deux prix Nobel, ses découvertes (polonium, radium) font le renom de la science française.
La capitale mondiale de la peinture
Les arts rayonnent plus que jamais dans la capitale. Celle-ci apparaît en particulier comme le haut-lieu de la peinture, depuis que les Monet, Cézanne, Degas, Renoir et autres Pissarro ont révolutionné le langage pictural à travers l’impressionnisme, donnant naissance à l’art moderne.
Dès lors, Paris devient le passage obligé pour les peintres européens. C’est ainsi qu’en 1886, Vincent Van Gogh y rejoint son frère marchand d'art et découvre le néo-impressionnisme et le pointillisme dont il emprunte les thèmes et les couleurs, en plus de faire la connaissance des artistes les plus en vues. Le Hollandais restera deux ans dans la capitale puis, attiré par la lumière du Sud, partira à Arles où son génie s'exacerbera autant que sa folie.
Après un passage à Vienne, le tchèque Alphonse Mucha s’installe dans la capitale où, faute de mieux, il illustre des livres. En 1894, il dessine une affiche pour le nouveau spectacle de Sarah Bernhardt : Gismonda. Mettant en valeur les lignes courbes et les formes végétales inspirées de la Nature dans des tons doux ou pastels, celle-ci fait aussitôt sa renommée. Mucha deviendra l’un des chefs de file de l’Art Nouveau.
Au début du XXe siècle, des centaines de peintres étrangers s’établissent à Paris à la recherche d’un lieu où ils pourront exprimer totalement leurs talents et profiter d’une émulation féconde aux côtés de leurs homologues français : Braque, Matisse, Derain, Léger ou Toulouse-Lautrec.
Le quartier de Montmartre est alors un véritable vivier d'artistes aux têtes pleines d'idées mais aux poches vides. Dans une ambiance de bohème, ce petit monde travaille à casser les codes de la peinture traditionnelle. La figure la plus emblématique du mouvement est évidemment Pablo Picasso. L’Andalou rejoint la capitale en 1904 et installe son atelier dans un vieux bâtiment délabré de Montmartre, le Bateau-Lavoir, occupé jusque-là par des artistes italiens et espagnols. C’est là que naîtra le cubisme, véritable révolution dans l’histoire de la peinture.
À partir de la Première Guerre mondiale, la nouvelle génération de peintres délaissera Montmartre au profit du Montparnasse, élisant domicile dans les ateliers de la Ruche.
Cette vague d’artistes étrangers qui vont prolonger le rayonnement de la France jusqu'à la Grande Guerre et au-delà, sera baptisée « École de Paris ». Parmi ses plus illustres représentants : l'Italien Amedeo Modigliani, le Russe Marc Chagall, le Hollandais Kees Van Dongen, le Polonais Moïse Kisling, l’Espagnol Juan Gris, le Lituanien Chaïm Soutine, le Roumain Brancusi et le Japonais Foujita.
Durant l'entre-deux-guerres, de nouveaux artistes continuent à affluer. Ils viennent de Belgique, des Pays-Bas, d’Espagne, du Portugal, d’Allemagne mais surtout d’Europe centrale et orientale, avec une importante proportion de juifs, fuyant les régimes autoritaires. À l’instar de Constantin Terechkovitch, Serge Poliakoff ou Jean Pougny, beaucoup francisent leur prénom, voire même leur nom, comme pour mieux signifier leur inscription dans la culture française.
Paris et la littérature anglophone
Paris n’attire pas que les peintres. Les artistes de toutes origines se retrouvent dans la capitale : des photographes, des musiciens, des danseurs et bien sûr des écrivains. À partir des Années folles, de nombreux auteurs américains élisent domicile dans la Ville-Lumière : Francis Scott Fitzgerald, dont le chef d’œuvre Gatsby le Magnifique a été écrit en France, Ezra Pound qui se perdra ensuite dans le fascisme ou encore Ernest Hemingway qui reviendra sur cette période dans son roman Paris est une fête.
Ces expatriés, représentants du mouvement de la « génération perdue » se retrouvent dans une librairie située au 12 rue de l’Odéon : la librairie Shakespeare and Company. Dirigée par l'Américaine Sylvia Beach, elle devient un lieu majeur de la littérature anglophone en diffusant les ouvrages visés par la censure aux États-Unis ou au Royaume-Uni comme L'Amant de lady Chatterley de D. H. Lawrence.
C'est encore à Paris que Sylvia Beach fait paraître en 1922 la première édition d’Ulysse, le chef d’œuvre de James Joyce, qui sera interdit outre-Atlantique. L’Irlandais s’est installé dans la capitale deux ans plus tôt. Il est rejoint en 1928 par un de ses compatriotes : Samuel Beckett. Âgé de 22 ans, l’étudiant est subjugué par l’effervescence culturelle de la Ville-Lumière, délivrée du conservatisme et du puritanisme qui règne sur son île natale. Après quelques pérégrinations et un engagement dans la Résistance, l’écrivain s’installera définitivement à Paris après-guerre. Et c’est en français que seront écrites la plupart de ses œuvres.
Paris et la culture afro-américaine
Toujours dans les années 1920, Paris devient le havre de paix des artistes noirs américains. L’arrivée de l’armée états-unienne en 1918 a fait découvrir le ragtime à la France. Le pays tombe sous le charme et accueille à bras ouverts ces artistes qui fuient la ségrégation - pour ne pas dire l’apartheid - et l'absence de perspective que leur réserve leur pays.
À l'exemple du trompettiste Sidney Bechet, toute une génération vient trouver refuge en France pour vivre ses rêves. Les jazzmen Eugene Bullard et Ada Bricktop Smith enchantent les nuits de Paris, Loïs Mailou Jones mêle dans ses peintures Afrique et Occident, tandis que le poète Claude McKay profite de la sérénité trouvée dans l’Hexagone pour y poursuivre le mouvement de « La Renaissance de Harlem » en faveur de la culture afro-américaine.
L’engouement pour le jazz favorise la création en 1925 d’un spectacle musical, La Revue Nègre, avec en vedette une danseuse venue directement des États-Unis : Joséphine Baker. L'avant-garde parisienne, en pleine découverte des arts primitifs, se pâme devant celle qui devient une véritable star. Également chanteuse, l’Américaine triomphe en 1930 en interprétant : « J'ai deux amours, mon pays et Paris… »
Dix ans après son arrivée en France, Joséphine Baker retraverse l'Atlantique sur le Normandie avec l'espoir de conquérir son Amérique natale. La désillusion est totale : les rebuffades racistes s'accumulent, on lui refuse l'entrée des hôtels et des restaurants, même les plus grands journaux lui font comprendre qu'elle n'est pas à sa place.
On peut par exemple lire dans le magazine Time : « La nuance fauve particulière de la peau nue de la grande et filiforme Joséphine Baker a fouetté le sang des Français. Mais pour les spectateurs de Manhattan, qui l'ont vue la semaine dernière, ce n'était qu'une négresse aux dents de lapin [...] qui, pour la danse et le chant, se serait fait évincer de pratiquement partout en dehors de Paris. » Indignée, elle rentre alors en France et court demander un changement de nationalité.
Elle retournera néanmoins aux États-Unis pour participer à la lutte pour les droits civiques. Le 28 août 1963, quelques minutes avant que le pasteur Martin Luther King prononce son célèbre « I Have Dream », Joséphine Baker prend la parole et face aux 250 000 participants de la « Marche pour l'emploi et la liberté » parlera de son amour pour la France : « Lorsque j’étais enfant, ils ont brûlé ma maison, j’ai eu peur et je me suis enfuie. J'ai fini par m'enfuir très loin. Jusqu'à un endroit qu'on appelle la France. […] Je peux vous dire, mesdames et messieurs, que dans ce pays qui semblait sorti tout droit d'un conte de fées, je n'ai jamais eu peur. »
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Moreau (11-06-2023 14:44:24)
Par pitié
Pourquoi pas 'le Times' (britannique, qui se dit 'the Times' et autorise l'article français) et Time (américain)?