Le donjon de Vincennes, à l'est de Paris, a été rendu au public le 17 mai 2007, après 13 ans de travaux et plusieurs siècles d'abandon.
Il a retrouvé sa splendeur du temps de Charles V le Sage (1364-1380).
Ce donjon, le plus haut d'Europe, domine de ses 50 mètres la banlieue Est de Paris et le bois de Vincennes, vestige de la grande forêt giboyeuse qui avait attiré en ce lieu les premiers rois capétiens.
Sa visite donne un aperçu de l'architecture royale du Moyen Âge et du règne de Charles V, l'un des plus grands rois qu'ait eu la France.
L'histoire de Vincennes commence avec la construction d'un manoir de chasse au milieu de la forêt au XIe siècle, sous les premiers rois capétiens. Saint Louis y réside volontiers et rend la justice à l'occasion sous un chêne voisin, si l'on en croit le récit hagiographique de son ami Joinville.
Dans ce manoir, dont il ne reste qu'une fontaine, naissent aussi les premiers-nés de la dynastie.
Au début de la guerre de Cent Ans, le roi Jean II le Bon, de la branche cadette des Valois, lance la construction d'un donjon à proximité du manoir. Son impéritie et sa capture à la bataille de Poitiers ne lui laissent pas le temps de l'achever et c'est son fils Charles V le Sage qui va s'en charger avec le concours de l'architecte Raymond du Temple.
Les pierres du donjon de Vincennes - comme de la forteresse de la Bastille, autre grand chantier de Charles V - viennent des carrières de Charenton, dans lesquelles travaillent environ 200 ouvriers. Le donjon est inauguré en 1370 et le roi le complète par une enceinte de mille mètres ponctuée de neuf tours, qui enclôt également le manoir des origines.
Le roi Charles V de Valois lance aussi à Vincennes la construction d'une Sainte-Chapelle imitée de celle construite à Paris, un siècle plus tôt, par son aïeul Saint Louis. Il veut de la sorte sanctifier l'endroit et souligner aussi sa filiation avec les Capétiens directs.
Premier témoignage du gothique flamboyant, elle ne sera terminée qu'à la Renaissance, sous le règne de François 1er, par l'architecte Philibert de l'Orme (ou Delorme).
Comme son aînée, la Sainte-Chapelle se caractérise par une nef unique et élancée, éclairée par de grandes verrières (vitraux). De part et d'autre de la nef, des oratoires sont réservés au roi et à la reine et leur permettent d'assister à la messe en toute discrétion...
Satisfait de son oeuvre, Charles V ne tarde pas à délaisser les résidences royales de Paris : le donjon du Louvre et l'hôtel Saint-Paul, dans le Marais, l'un et l'autre aujourd'hui disparus.
Il emménage à Vincennes, qui bénéficie d'un environnement plus salubre et d'un confort élevé pour l'époque, et surtout le met à l'abri des sautes d'humeur des Parisiens.
C'est qu'il a eu à souffrir dans sa jeunesse d'une révolte des Parisiens. Comme trois siècles plus tard Louis XIV, il a dû fuir la capitale en catastrophe. Et de même que Louis XIV installera son gouvernement à Versailles, à l'écart de Paris, Charles V installe le sien à Vincennes.
C'est dès lors à Vincennes que vont se prendre les grandes décisions du roi « en son conseil ».
Mais le roi meurt prématurément à 42 ans, en 1380, et n'a pas le temps de mener à bien le transfert complet de la Cour à Vincennes.
Sous les derniers Valois, Vincennes sera délaissé au profit de nouvelles résidences comme les châteaux du val de Loire.
Enfin, pendant la minorité de Louis XIV, Vincennes bénéficiera d'un bref retour en grâce : le cardinal Mazarin fera construire par l'architecte Le Vau, à côté du donjon, un magnifique palais de style classique pour abriter la famille royale. Louis XIV l'agrandira avant de l'abandonner tout à fait au profit de Versailles.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, le donjon de Vincennes, transformé en prison d'État, reçoit des prisonniers célèbres comme le prince de Condé, chef de la Fronde nobiliaire. Il est incarcéré à Vincennes avec sa femme pendant quatre ans. Entré à deux dans le donjon, le couple en sortira à trois, un enfant étant né dans l'intervalle ! Le surintendant Fouquet séjourne à Vincennes pendant un an, sous la garde de d'Artagnan, qui ne quittera son emploi que pour aller se faire tuer à Maastricht.
Le donjon accueille également Diderot, Mirabeau (père et fils) et Donatien de Sade... Le sulfureux marquis passe six ans dans un confortable cachot sous l'accusation d'avoir tenter d'empoisonner une prostituée. Il profite de ses loisirs forcés pour écrire son roman le plus célèbre, Justine.
Menacée de destruction au début de la Révolution, la résidence royale est sauvée in extremis par une intervention du marquis de Lafayette. Elle devient un arsenal militaire et occasionnellement une prison, non plus pour accueillir des prisonniers de haut rang mais des malheureux victimes des aléas de la politique.
À la fin du Premier Empire, le fort de Vincennes connaît son heure de gloire, sous les ordres du gouverneur Pierre Daumesnil, ancien général de la Garde, amputé à Wagram. Avec moins de 200 hommes, il brave pendant cinq mois les envahisseurs russes et prussiens : « Rendez-moi ma jambe et je vous rendrai Vincennes ! ». Il consent à se rendre sur les injonctions du roi Louis XVIII, mais avec le drapeau tricolore (et non le drapeau blanc de la Restauration) !
C'est dans un des fossés de Vincennes qu'est exécuté le malheureux duc d'Enghien sur ordre de Bonaparte en 1804. Après la chute de l'Empire, Louis XVIII fera inhumer ses restes dans un somptueux mausolée dans la nef de la Sainte-Chapelle de Vincennes. Un demi-siècle après, Napoléon III, par égard pour son oncle, dissimulera le mausolée dans l'oratoire sur la gauche de la nef...
Plus tard sont fusillés les officiers du fort coupables d'avoir rallié la Commune de Paris. Pendant la Grande Guerre, la danseuse Mata Hari sera fusillée à quelques kilomètres de là, sur le Polygone de Tir.Sont aussi fusillés des résistants dans les fossés, le 20 août 1944. Les heures sombres de l'ancienne résidence royale s'achèvent avec le procès du colonel Jean Bastien-Thiry en 1963.
Le donjon de Charles V demeure exceptionnel par sa taille et son caractère royal.
Entouré de douves qui étaient à l'origine remplies d'eau, il est précédé d'une entrée fortifiée, le châtelet, avec, à l'étage, un petit cabinet de travail dans lequel Charles V recevait ses visiteurs.
On accède à l'étage par un escalier hors oeuvre (accolé au bâtiment principal et non inclus dans celui-ci), le plus ancien que l'on connaisse ; il est l'oeuvre de Raymond du Temple.
Du châtelet, on gagne le donjon par une passerelle en bois amovible. Pour des raisons de sécurité, le donjon n'avait pas, à l'origine, d'ouverture à sa base. Soucieux de protéger le donjon contre les mouvements du sol, l'architecte a renforcé la structure avec des armatures en acier et en plomb.
Au premier étage, les visiteurs accèdent directement à la « grande » salle du Conseil. En cet endroit où battait le coeur du royaume ne pouvaient guère se réunir plus d'une trentaine de personnes !
Les nervures des voûtes gothiques conservent des traces de peinture d'origine. Sur les murs, on distingue des crochets pour l'accrochage des lambris. Il reste même sur les parties les plus hautes quelques-uns de ces lambris en bois de chêne. Peints ou couverts de tentures, ces lambris de chêne, qui couvraient à l'origine les murs et les voûtes, avaient vocation à décorer la pièce et la protéger du froid et de l'humidité.
Un très large escalier en colimaçon mène à l'étage supérieur, où habitait le roi. Sa chambre, au centre, comporte encore des éléments du décor d'origine (peintures, sculptures et lambris).
Les autres pièces principales sont le bureau, avec une large vue sur Paris et des alcôves pour ranger les dossiers, et la salle du trésor.
Là, le roi gardait ses manuscrits et objets d'art ainsi que la trésorerie du royaume (l'équivalent d'un cinquième du budget annuel sous forme de sacs de cuir remplis de monnaie).
Notons à chaque étage, dans les tourelles d'angle, une chapelle pour le recueillement. Le roi Charles V, très pieux, venait y prier ou assister à la messe plusieurs fois par jour.
Notons aussi le soin apporté à l'hygiène avec des latrines et des lavabos à chaque étage, alimentés en eau par une citerne située sur le toit. Cette commodité va de soi dans les demeures bourgeoises et princières du Moyen Âge mais elle disparaîtra à la Renaissance, remplacée par la chaise percée, nettement moins hygiénique !
Les quatre étages supérieurs, qui ne se visitent pas, accueillaient l'entourage du roi. Mais au total, soulignons-le, ce puissant donjon n'a jamais hébergé qu'une trentaine de personnes à la fois ! C'est dire la modestie de l'État à ses origines...
L'ouverture au public du donjon de Vincennes, le 17 mai 2007, s'est faite dans la plus grande discrétion, il est vrai entre les élections présidentielles et les élections législatives, à un moment peu propice pour la gaudriole. Tandis que le donjon ouvrait ses portes, la Sainte Chapelle voisine fermait les siennes, son tour étant venu d'être restaurée. Elle a réouvert ses portes le 15 mai 2009.
Dans le donjon, on peut librement visiter la salle du Conseil (premier étage), les appartements royaux (deuxième étage) et les communs (rez-de-chaussée). On peut aussi accéder au châtelet, au-dessus du pont-levis. Les étages supérieurs, réservés à l'entourage du roi, sont accessibles sur réservation seulement du fait de l'exiguïté des volumes.
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Yves Krier (19-06-2007 08:49:45)
Je réagis au commentaire d'André Larané sur l'inauguration timide du donjon de Vincennes. Je suis en effet étonné que l'état ne s'intéresse plus à la reconstitution historique alors que de ... Lire la suite