Le 15 avril 1874, une trentaine de peintres exposent leurs oeuvres dans l'atelier de leur ami, le photographe Félix Tournachon, plus connu sous le pseudonyme Nadar, au 35, boulevard des Capucines.
Nombre d'entre eux avaient déjà participé onze ans plus tôt au « Salon des Refusés » autour d'Édouard Manet mais leur rébellion n'avait pas eu de suite. Cette fois, bénéficiant de la curiosité du public... et de l'hostilité de certains critiques, ils vont déclencher la première révolution artistique de l'époque contemporaine, l'impressionnisme ! La plupart de ces artistes : Boudin, Cézanne, Degas, Monet, Pissaro, Renoir, Sisley... font aujourd'hui la fortune des salles des ventes.
Du Salon des Refusés à l'atelier de Nadar
L'aventure commence à l'apogée du Second Empire, au palais de l'Industrie de Paris, où s'ouvre le 1er mai 1863, le Salon officiel.
Le jury refuse d'exposer les oeuvre d'Édouard Manet et d'autres artistes d'avant-garde. À l'origine du refus, une toile d'Édouard Manet intitulée Le Bain et aujourd'hui appelée Le Déjeuner sur l'herbe... Devant l'émotion suscitée par l'affaire, l'empereur Napoléon III lui-même décide de les accueillir le 15 mai 1863 dans un « Salon des Refusés » à côté du Salon officiel !
Édouard Manet devient dès lors dans les années 1860 le chef de file de l'avant-garde picturale. Il retrouve ses amis Edgar Degas, Camille Pissaro ou encore l'écrivain naturaliste Émile Zola au café Guerbois.
Dans l'atelier de Nadar, en 1874, les artistes déchaînent une nouvelle fois la critique. Parmi eux figure une femme, Berthe Morisot, qui épousera quelques semaines plus tard Eugène Manet, frère d'Édouard. Du fait de l'invention de la photographie, ces peintres s'affranchissent de l'obligation de reproduire la réalité et enfreignent les codes habituels de la grande peinture en stylisant le trait sans tenir compte des impératifs techniques ni des finitions.
Leur exposition reçoit la visite, parmi d'autres, d'un certain Louis Le Roy, critique du journal Le Charivari. Il ironise sur ces peintres qui se détournent de la manière académique en vogue sous le Second Empire et au début de la IIIe République. Il intitule son article « L'exposition les impressionnistes », d'après le titre d'un tableau de Claude Monet : Impression soleil levant (1872) qui fait partie de l'exposition. Prétendant ridiculiser les exposants, le critique écrit : « Impression, impression, j'en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans ». Le qualificatif d'impressionniste va rester au groupe pour la postérité !
Quoi qu'il en soit, la frange éclairée de la IIIe République va très vite reconnaître eet apprécier le talent des impressionnistes, à l'image de l''impétueux Georges Clemenceau, qui se lie ainsi d'amitié avec Claude Monet jusqu'à sa mort.
Claude Monet a eu la révélation de sa vie à Londres, où il s'était réfugié en 1870-1871 pour échapper à la guerre franco-prussienne. Alors âgé de 30 ans, il découvre dans les musées l'oeuvre de Joseph William Turner, mort 20 ans plus tôt. Celui-ci a peint, comme personne avant lui, les nuances de la lumière et les reflets du soleil sur l'eau. À son retour en France, en 1872, de passage au Havre, Claude Monet représente le port, vu de la fenêtre de son hôtel, à la manière de Turner. Il baptise sa toile faute de mieux Impression, Soleil levant. Deux ans plus tard, il la présente à l'exposition de son ami Nadar. La toile va être achetée par l'amateur Ernest Hoschedé pour 800 francs.
Le peintre, à Londres, comme à Paris et plus tard dans sa maison de Giverny, en Normandie, s'illustre par la multiplication de « séries » qui montrent les variations de la lumière autour d'un même motif : la Tamise, un port, la gare Saint-Lazare, des locomotives ou des cheminées d'usine, les nymphéas de Giverny, la lagune de Venise...
Primauté de la lumière
En dépit de leurs dissemblances, les peintres dits impressionnistes cultivent en commun une nouvelle technique picturale qui donne la primeur aux effets de lumière. Sur leurs tableaux, le dessin s'efface devant les touches de couleur ainsi que les objets devant la représentation qu'en donnent les sens. À ce titre, les impressionnistes constituent le chaînon intermédiaire entre les romantiques anglais (Constable...) et les peintres abstraits qui leur succèderont. Auguste Renoir se souviendra plus tard : « Nous voulions dans nos tableaux des accords gais, de la vie sans littérature. Un matin, l'un de nous, manquant de noir, utilisa du bleu. L'impressionnisme était né » (Augustin de Butler, Renoir, 2002).
Les impressionnistes se démarquent par un autre trait des peintres académiques, qu'ils appellent « pompiers » : ils décrivent la vie quotidienne de préférence à des sujets mythologiques ou historiques. Ils sortent de leur atelier et peignent volontiers en extérieur, précédés en cela par les peintres réalistes de l'« école de Barbizon » (Honoré Daumier, Jean-François Millet, Charles Daubigny...).
Révolutionnaires dans la forme, les peintres impressionnistes se montrent conservateurs en matière politique comme dans les sujets traités : paysages bucoliques, enfants adorables ou belles adolescentes dénudées. Ils mettent en scène les bourgeois, les demi-mondaines et les courses à Longchamp. Ils fréquentent les villages bucoliques des environs de Paris : Barbizon bien sûr, mais aussi Auvers-sur-Oise et Chatou... en quête de lumière pure et de bonheur simple.
Il n'y a guère que Claude Monet qui se plaît à représenter des paysages industriels, des usines fumantes et des locomotives à vapeur. Gustave Caillebotte (1848-1894, Les raboteurs de parquet, 1875) et Edgar Degas (1834-1917, Repasseuses, 1884) sont aussi les seuls à notre connaissance à s'être penchés sur le sort des travailleurs et des humbles.
Le temps n'est plus où Jean-François Millet, l'auteur de L'Angélus (1859) exaltait la vertu des pauvres à travers ses portraits de travailleurs de la terre, dignes et durs à la tâche. Même changement dans la littérature romanesque. On oublie Eugène Sue qui faisait pleurer son public sur le sort des pauvres en 1842, dans les Mystères de Paris, et même Victor Hugo, qui racontait en 1862 l'épopée des Misérables. Au contraire de ses devanciers, le grand romancier de la fin du siècle, Émile Zola, ne s'apitoie pas sur les miséreux et les ouvriers mais les dépeint comme des êtres irrémédiablement marqués par leur ascendance génétique.
Émile Zola, fin observateur de son époque, écrit vers 1866 : « La vie d'un artiste aujourd'hui est celle d'un bourgeois tranquille qui peint des tableaux comme d'autres vendent du poivre derrière leur comptoir. La race chevelue de 1830 a même, Dieu merci, complètement disparu et nos peintres sont devenus ce qu'ils doivent être, des gens vivant la vie de tout le monde ».
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