Du IIIe millénaire av. J.-C. à ce jour

Les migrations en France et en Europe

8 février 2023 : le Parlement français a été saisi d’un projet de loi destiné à maîtriser l’immigration. Plus d’une vingtaine de lois similaires ont déjà été promulguées depuis cinq décennies. Mais le fait nouveau est que la classe politique dans son ensemble ne prétend plus stopper l’immigration de peuplement mais seulement gérer les entrées au mieux des intérêts nationaux. Il ne s’agit rien moins que d’une rupture historique par rapport au précédent millénaire !

Avant les années 1960, l’Europe occidentale ne reçut qu’un flux très limité d’immigrants (commerçants, intellectuels ou artistes) mais elle eut à cœur de s’ouvrir sur le reste du monde.

Un peuplement stable, une civilisation puissamment créatrice

Les dernières vagues de peuplement remontent en Europe à 4500 ans environ, avec l’irruption des tribus indo-européennes venues du bassin du Don et dont descendent les Européens actuels.

Depuis lors, l’Europe occidentale n’a pas reçu de nouveaux peuplements. Les différentes populations issues des Indo-Européens originels (Latins, Hellènes, Celtes, Germains et Slaves) se sont régulièrement affrontées, en particulier à l'époque des Grandes Invasions (pénétration de Germains au sein de l'Empire romain) et du Drang nach Osten (poussée germanique vers l'Est) mais l'Europe occidentale n'a connu pour le reste que des migrations marginales (Sarrasins et Arabo-Berbères au sud de l’Èbre, Turcs ou Hongrois dans le bassin du Danube ou les Balkans). 

Au IIe millénaire de notre ère, elle n’a même connu aucune invasion. C’est une exception dont aucun autre territoire du monde ne peut se prévaloir, à l’exception seulement du Japon !

À l’époque médiévale, cette stabilité démographique a permis aux habitants, dans chaque seigneurie ou village, d’enraciner leurs coutumes dans la durée, génération après génération, jusqu'à leur donner force de loi. C'est là l'origine du droit anglo-saxon, common law, que l'on traduit par « loi commune » ou « coutume ». Devant cette loi commune s'inclinaient les puissants comme les humbles, ce qui ne manquait pas d’étonner les Orientaux, habitués à l’arbitraire (note).

L’absence d’invasion et la stabilité du peuplement a ainsi permis en Europe l’émergence d’une société fondée sur le droit et la confiance. Ce fut la clé du progrès comme le démontre a contrario le monde russe.

Autour de Novgorod et de Kiev avait émergé aux environs de l’An Mil une société prospère et relativement égalitaire qui ne le cédait en rien à ses homologues occidentales. Mais elle fut ruinée par l’irruption des Mongols de Gengis Khan au XIIIe siècle et ne se remit jamais complètement de ce drame.

Rien de tel en Europe occidentale : après le passage des Vikings au IXe siècle, celle-ci ne connut aucune invasion notable, seulement des guerres féodales et des guerres de voisinage. D’un côté, les chaînes de montagnes, les fleuves et les échancrures des littoraux permirent la formation de nations diverses et stables. De l’autre, la commune identité religieuse facilita le brassage des populations (note).

Les mariages entre familles régnantes et surtout les déplacements des pèlerins, moines, étudiants, commerçants et soldats diffusèrent le sentiment d’appartenance à une même civilisation, par-delà les rivalités nationales. Cette particularité s’exprime dans l’actuelle devise de l’Union européenne : « Unie dans la diversité ».

L’Europe ne fut pas pour autant fermée sur elle-même. Aucun lieu n’étant à plus de 500 km du domaine maritime, les habitants eurent très tôt à cœur de prendre le large, à la poursuite des bancs de morue ou des précieuses épices.

En 1364, des marins de Dieppe fondent un comptoir sur la côte de l’actuel Liberia. Au siècle suivant, un aventurier toulousain s’aventure sur les rives du Niger et en ramène une épouse… et un médecin qui soignera à l’occasion le roi Charles VII ! Cette ouverture sur le monde fait fi de toute forme de racisme. Au Moyen Âge, l’un des Rois mages du Nouveau Testament est ainsi représenté sous les traits d’un Africain.

Au contraire, de l’autre côté de la Méditerranée, les Arabes musulmans, dès lors qu’ils entrèrent en contact avec le monde africain, développèrent un racisme antinoir d’une extrême violence dont témoignent les écrits d’Ibn Khaldoun, les Mille et Une Nuits ou encore le mythe de la malédiction de Cham. Celle-ci fut bien plus tard récupérée par les colons anglais d’Amérique pour justifier le mauvais sort fait à leurs esclaves africains.

Au début du XVIIe siècle, les premiers de ceux-ci furent traités ni plus ni moins mal que les Européens engagés sous contrat. Mais à mesure que leur nombre s’accrut, les planteurs craignirent qu’ils ne prennent le dessus et ébauchèrent une législation esclavagiste féroce dont les relents pourrissent encore la société étasunienne.

L’Europe en rupture avec son passé

Par la stabilité de son peuplement, l’Europe occidentale a été très tôt libérée du servage et préservée de l’esclavage. À la fin du XIXe siècle, il est partout acquis que les citoyens sont égaux en droits même si cette égalité a du mal à se traduire dans les domaines économique et social.

Mais l’égalité des droits est mise en question en France par l’arrivée de travailleurs en provenance des pays limitrophes à partir des années 1860. Une partie de ces travailleurs, essentiellement des Italiens, font souche sur place et leurs enfants sont instruits dans les écoles de la République. Très vite un ressentiment se fait jour à leur égard du fait que leur nationalité les dispense du service militaire, alors très pesant (deux ou trois ans).

Loi relative au séjour des étrangers (1893)Par la loi du 26 juin 1889, les parlementaires français inventent donc un principe inédit : le « droit du sol », le mot droit étant ici employé au sens de « juridiction » ( jus en latin) et non de « permission » comme lorsqu’on dit : « j’ai le droit de… ».  Ils déclarent français dès sa naissance, sans possibilité de renonciation, « tout individu né en France d’un étranger qui y est lui-même né ». Ils déclarent également français tout individu né en France de parents qui n’y sont pas nés, mais avec possibilité de renonciation à sa majorité.

Mais à la fin du XIXe siècle, aveuglés par leurs succès politiques, scientifiques et techniques, les élites européennes se mettent en devoir d’européaniser le monde, que ce soit pour remplir les caisses de l’État (Pays-Bas), par stratégie de puissance (Royaume-Uni) ou plus curieusement pour le bien de l’humanité (France). La gauche républicaine, qui domine la vie politique française jusqu’en 1958, promeut ainsi les conquêtes coloniales au nom de sa « mission civilisatrice ». 

Après la Première Guerre mondiale, nombre d’intellectuels et artistes afro-américains viennent chercher du réconfort à Paris, « dans ce pays, la France, qui semblait sorti tout droit d'un conte de fées » (Joséphine Baker). Ils y retrouvent des réfugiés chassés d’Arménie comme de Russie, de Pologne ou d’Espagne en raison de leur race, de leur religion ou de leur engagement politique. Ils sont accueillis en vertu du droit d’asile.

Après la Seconde Guerre mondiale enfin, l’Europe occidentale se redresse très vite, stimulée par le rebond de la natalité. Les industriels français vont quérir leur main-d’œuvre dans les campagnes puis, quand l’exode rural se tarit, en Espagne, au Portugal, enfin en Afrique du nord. Dans les années 1960, tandis que commencent à arriver en France des travailleurs algériens et marocains, les Allemands concluent un accord avec la Turquie pour faire aussi venir les travailleurs dont ils ont besoin.

Les décolonisations et les secousses politiques des nouveaux États indépendants entraînent aussi l’arrivée en Europe d’une première vague d’immigration familiale (Suriname et Indes néerlandaises, Algérie, Indochine, Ouganda, etc.). C’est un phénomène inédit depuis plus de mille ans. Il ouvre la voie à un demi-siècle d’initiatives brouillonnes.

Changement de population

En 1973, la guerre du Kippour et le premier choc pétrolier mettent un terme à l’expansion économique de l’après-guerre.

Par frilosité, au nom de la « préférence nationale », la classe politique française prétend remédier à la flambée du chômage en suspendant l’immigration de travail. Elle met fin à la « noria » entre pays natifs et pays de travail et les travailleurs déjà installés en Europe n’ont plus d’autre choix que d’y faire souche. C'est le début d'un enchaînement absurde : l'État multiplie les encouragements financiers à l'entrée de non-travailleurs dans le pays (femmes, enfants...) et en même temps gémit de ne pouvoir correctement assimiler les nouveaux immigrants.

Les enjeux migratoires passent au premier plan des préoccupations politiques. Dans les années 1970, la gauche française milite contre l’immigration qui offre aux entreprises une main-d’œuvre corvéable et peu revendicative. Elle plaide pour le droit de chacun à « Vivre au pays » (Viure al Pais). Puis, dans les deux décennies suivantes, elle découvre le potentiel électoral des nouveaux-venus et entreprend de les assister en réactualisant à sa manière le plaidoyer célèbre de Jules Ferry.

Au tournant du IIIe millénaire, les enjeux migratoires se concentrent sur la traque de l’immigration illégale. Tandis que l’extrême-droite dénonce l’immigration en bloc, la gauche plaide pour une immigration légale apaisée et une « intégration » active des nouveaux arrivants dans la communauté nationale.

Le choc de 2015, avec la guerre de Syrie et l’irruption dans les Balkans de plusieurs centaines de milliers d’immigrants change une nouvelle fois la donne. La chancelière allemande Angela Merkel annonce la régularisation de 800 000 réfugiés. Il n’est dès lors plus question de distinguer entre immigration légale et immigration illégale.

Il n’est plus question non plus pour la gauche européenne de dénoncer le « multiculturalisme » façon étasunienne. Celui-ci devient au contraire un objectif à atteindre et pour cela, il n’est plus question d’intégration mais d’« inclusion » : les Européens doivent adapter leurs mœurs et leur droit de façon à les rendre compatible avec les mœurs et les coutumes des nouveaux-venus (note).

Ce plaidoyer progressiste est ardemment porté par les couches éduquées de la population, qui vivent dans les métropoles et occupent la haute administration et les milieux éducatifs.

Beaucoup de jeunes gens, privés de perspectives par la déliquescence de l’industrie,  y trouvent un idéal de substitution et mettent leur énergie et leur enthousiasme au service des administrations et des associations vouées à l’accueil des migrants.

Les uns et les autres ne s’émeuvent pas de la multiplication dans les métropoles d’emplois subalternes auxquels l’immigration a redonné vie : livreurs de pizzas, chauffeurs Uber, personnel de ménage ou de gardiennage, travailleurs de force, etc. Chacun tire profit de cette main-d’œuvre serviable et au statut précaire, parfois sous l’emprise des chefs de clans ou de confrérie religieuse demeurés au pays (Sénégal, Mali).

Faut-il s’étonner de la fracture électorale entre les grandes villes et les classes laborieuses des villes moyennes et des campagnes (note) ? Rejetant un système politique sourd à leurs attentes, celles-ci se réfugient vaille que vaille dans le vote protestataire. Ainsi la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen a-t-elle remporté la majorité des suffrages au second tour des élections présidentielles de 2022 dans la plupart des départements du Nord et de l’Est de la France ainsi que dans le Sud-est et, de façon plus symptomatique, dans les départements d’outre-mer où la population est très affectée par une immigration hors contrôle.

Faute d’ambition politique et de vision, chacun se voile la face devant une réalité qui tient en quelques chiffres :

En 2022, la France métropolitaine a enregistré un solde naturel de 32 000 personnes. C'est la différence entre les  651 000 décès et les  683 000 naissances de l'année. Mais sur ces naissances, plus d’un dixième, soit au bas mot 70 000, interviennent dans des foyers dont les deux parents sont nés à l’étranger, le plus souvent en Afrique du nord ou en Afrique subsaharienne (source : INSEE).

Autrement dit, si l'on exclut les naissances chez les immigrants les plus récents, le solde naturel de la France est déjà très nettement négatif. De quelque façon que l’on tourne les chiffres, il est indubitable que la France voit désormais diminuer sa population de souche ou d'origine européenne ou plus précisément indo-européenne. Cette diminution est d'une certaine manière « compensée » par l'immigration. Ainsi le pays a-t-il enregistré 173 000 immigrants supplémentaires en 2022, déduction faite des personnes qui l'ont quitté pour s'installer ailleurs.

Tous les pays du Vieux Continent sont affectés par le même phénomène avec une antériorité variable (dans certains pays comme l'Allemagne, le solde naturel est négatif depuis plusieurs décennies). L'Union européenne dans son ensemble voit sa population diminuer depuis plusieurs années cependant que s'accroît la pression migratoire en provenance d'Afrique et d'Asie du sud (source : INSEE). 

La France et l'Europe sont de la sorte confrontés pour le meilleur ou pour le moins bon à un changement de population sans équivalent dans notre Histoire et dans le reste du monde (note). Il n’est que de circuler dans nos villes et nos métropoles pour nous en rendre compte.

C’est une réalité puissante qui mérite mieux que les jeux de rôle hypocrites de l’Assemblée législative et du gouvernement.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2023-07-04 21:55:39
Françoise (25-05-2023 20:32:08)

Pourquoi avoir passé sous silence les invasions (on dit aujourd'hui "migrations" !) du V° siècle ?Herodote.net répond :Ces Grandes Invasions concernaient des tribus germaniques installées sur les... Lire la suite

Liger (10-02-2023 19:12:43)

@Marc Français de Métropole, je partage votre tristesse en ce qui concerne l'abandon honteux du Canada par la France. Mais vous vous trompez de cible : - Napoléon 1er vendit - on peut dire bra... Lire la suite

Jonas (09-02-2023 15:10:44)

Un article qui dessille les yeux de certains, qui ne veulent pas regarder la réalité. De tous les immigrés , qui sont venus s'installer en France ,depuis la fin du XIX siècle , et ils ils s... Lire la suite

Marc (09-02-2023 02:03:07)

Ici au Québec, c' est encore pire énormément de nouveaux arrivant choisissent l'anglais comme langue bref nous sommes foutus que c est triste que la France nous ait trahi et Napoléon premier qui v... Lire la suite

Castel (08-02-2023 22:06:42)

Excellent article !

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