Après « Paris 1900, la Ville spectacle » en 2014 et « Paris Romantique 1815-1858 » en 2019, le Petit Palais, entre les Champs-Élysées et la Seine, consacre le dernier volet de sa trilogie parisienne au « Paris de la modernité 1905-1925 ».
Jusqu'au 14 avril 2024, cette exposition nous offre un aperçu éblouissant de tous les aspects de la vie intellectuelle et artistique à un moment charnière de notre Histoire, de la « Belle Époque » aux « Années Folles » en passant par la Grande Guerre.
Paris attire alors les artistes et les intellectuels du monde entier. Authentique « ville-monde », elle manifeste une créativité exceptionnelle à la fois exubérante et tragique...
NB : cliquez sur les œuvres pour les voir en grandes dimensions et haute définition
De la « Belle Époque » aux « Années Folles »
L'exposition présente près de 400 œuvres de Robert Delaunay, Sonia Delaunay, Marcel Duchamp, Marie Laurencin, Fernand Léger, Tamara de Lempicka, Amedeo Modigliani, Chana Orloff, Pablo Picasso, Marie Vassilieff, etc.
Elle montre aussi la mode avec Paul Poiret, Jeanne Lanvin et des bijoux de la maison Cartier. Un aéroplane type B de Deperdussein, une voiture Peugeot et un moteur reflètent la révolution des transports. Tout cela est rythmé par des films de Charlie Chaplin comme de René Clair...
En 1905, on est encore dans ce que l'on appellera plus tard la « Belle Époque », belle seulement du point de vue des privilégiés car jamais les inégalités sociales n'ont été aussi grandes.
L'Art nouveau est au mieux de sa forme mais déjà se font jour des courants artistiques nouveaux. Au Salon d'automne, qui se tient au Grand Palais, en face du Petit Palais, du 18 octobre au 25 novembre 1905, on crie au scandale au point que le président de la République Émile Loubet préfère se fait porter pâle à l'inauguration. En cause des oeuvres réunies dans la salle VII qui se distinguent par l'exaltation de la couleur pure, appliquée en larges traits de pinceau.
Cet excès chromatique choque le public. Le critique Louis Vauxcelles remaque un candide buste d'enfant dont la candeur, dit-il, « surprend au milieu de l'orgie des tons purs : Donatello chez les fauves » ! La phrase fait mouche et « fauve » devient éponyme du fauvisme, premier mouvement d’avant-garde du XXe siècle, illustré par Matisse, Manguin, Derain, Vlaminck, Rouault, Marquet, Dufy, van Dongen, Braque, etc.
Dans les ateliers du Bateau-Lavoir, à Montmartre, Picasso et sa bande se disposent à une autre révolution artistique...
Au musée de l'Homme, où l'a conduit son ami André Derain, Picasso a eu la révélation de l'Art nègre (sans nuance péjorative !).
Au printemps 1907, il peint dans la foulée Les Demoiselles d'Avignon. Ce coup de tonnerre inaugure le cubisme...
Dans sa maison de couture, le jeune Paul Poiret (26 ans) dessine des robes légères et droites qui annoncent le style Art déco.
Il « libère » la femme du corset. C'est un pas notable dans l'émancipation des femmes. Dans les sciences, on arrive à la fin d'une décennie prodigieuse qui a fait voler en éclats toutes les certitudes antérieures...
À quelques pas du Petit Palais, dans l’actuelle avenue Franklin Roosevelt alors appelée avenue d’Antin, le couturier s’installe en 1909 dans un superbe hôtel particulier et marque les esprits en y organisant des fêtes déguisées dont la mémorable fête de « La Mille et Deuxième Nuit », en 1911, qui témoigne de son goût pour l'esthétique orientale et le fauvisme. Génie du marketing, il invente le concept de produit dérivé en lançant en 1911 le premier parfum de couturier.
À mille lieues d'imaginer les horreurs des tranchées et des goulags, les Européens ne doutent alors de rien. Le 5 février 1909, l'écrivain italien Filippo Tommaso Marinetti publie avec ses amis dans la Gazzetta dell'Emilia de Bologne un Manifeste du Futurisme dans lequel il prône rien que la destruction du vieux monde par la violence (on dirait aujourd'hui « déconstruction »).
Son manifeste est repris par Le Figaro de Paris le 20 février 1909. « Nous voulons glorifier la guerre - seule hygiène du monde -, le militarisme, le patriotisme, le geste destructeur des anarchistes, les belles idées qui tuent, et le mépris de la femme », clame, provocateur, ce wokiste avant l'heure. Il va être exaucé au-delà de toutes ses espérances.
La vie culturelle parisienne s’interrompt brutalement lorsque la capitale est déclarée en état de siège, en août 1914.
Elle reprend progressivement à la fin de l’année 1915. Dans l'hôtel de Paul Poiret, à l'angle de l'avenue d'Antin et des Champs-Élysées, la galerie d'art d'Henri Barbazanges présente une exposition : L'Art moderne en France en juillet 1916. Le public découvre à cette occasion Les Demoiselles d’Avignon que l'artiste tenait jusque-là caché dans son atelier.
Le 18 mai 1917, au plus fort de la Grande Guerre, le théâtre du Châtelet, à Paris, crée le ballet Parade. Il va révolutionner les arts, pas seulement la chorégraphie mais aussi la peinture, la musique, la poésie et la littérature. Il va engendrer aussi le surréalisme.
Cette création singulière, qui raconte les tourments d'une troupe de comédiens, a été suggérée à Diaghilev, fondateur des Ballets russes, par le dandy Jean Cocteau qui en écrit le scénario (des artistes de cirque font la parade pour convaincre le public de venir à leur représentation !). Le rideau de scène et les costumes portent la signature déjà prestigieuse de Picasso ! La musique est l'oeuvre d'Éric Satie.
Le poète Guillaume Apollinaire consacre un article à Parade. Il voit dans les décors et les costumes conçus par Picasso comme dans la chorégraphie de Messine une « sorte de surréalisme ». C'est la première fois qu'apparaît le mot.
Le mot reviendra quelques semaines plus tard, le 24 juin 1917, à l'occasion de la première représentation des Mamelles de Tirésias, une pièce écrite par le même Apollinaire et sous-titrée « drame surréaliste en deux actes et un prologue ».
Après la guerre, les artistes du monde entier se ruent sur Montparnasse. Ils constituent ce que le critique André Warnod nomme, en 1925, l'« École de Paris ».
Chaïm Soutine et Tsouguharu Foujita connaissent le succès. Kiki de Montparnasse, compagne du photographe Man Ray, est l’égérie de ce Paris des années 1920 qui vit la nuit, avec ses premiers dancings.
Joséphine Baker fait sensation au théâtre du Châtelet avec la Revue Nègre.
Après le spectacle, en tenue de soirée élégante, elle fréquente Le Bœuf sur le Toit, un cabaret ouvert en janvier 1922 par l'Américain Louis Moyses dans la rue Boissy d’Anglas et où Jean Cocteau attire le Tout-Paris.
Les bals concrétisent « l’union des arts ». Le Bal Blomet, ouvert en 1924 et rebaptisé « Bal nègre » par Robert Desnos, au 33, rue Blomet, près de Montparnasse, attire également les fêtards et le tout-Paris avec ses biguines martiniquaises.
Nombreux à débarquer sur le Vieux Continent, les Américains, tels Henry Miller, Ernest Hemingway, Francis Scott Fitzgerald et Sidney Bechet, importent le jazz et s'éclatent à Paris où l'alcool et la débauche font oublier la prohibition, les lois ségrégationnistes et le racisme ainsi que la guerre.
Ernest Hemingway (1899-1961) magnifiera plus tard ses souvenirs de cette époque dans son roman Paris est une fête, paru en 1964 : « Quand le printemps venait, même le faux printemps, il ne se posait qu’un seul problème, celui d’être aussi heureux que possible. Rien ne pouvait gâter une journée, sauf les gens, et si vous pouviez vous arranger pour ne pas avoir de rendez-vous, la journée n’avait pas de frontières (...). Tel était le Paris de notre jeunesse, au temps où nous étions très pauvres et très heureux ».
Les « Années folles » s'achèvent sur l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes...
Cette grande exposition parisienne accueille pas moins de quinze millions de visiteurs du 28 avril au 25 octobre 1925. Réunissant vingt-et-une nations à l'exception notable des États-Unis et de l'Allemagne, elle exprime avec faste la rencontre de l'Art et de l'Industrie.
C'est à cette occasion qu'apparaît l'expression Art déco pour qualifier un courant artistique illustré dans la peinture (Tamara de Lempicka), l'architecture, le design d'intérieur et la sculpture. Il rayonnera jusqu'au Brésil et dans la foulée de l'exposition, le sculpteur français Paul Landowski réalisera la statue du Christ rédempteur sur le Corcovado, au-dessus de Rio de Janeiro.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible