Jacques Cœur (1395 - 1456)

« À coeur vaillant, rien d'impossible », foi de marchand

Vue d'artiste de Jacques CÅ“ur vêtu d'un costume brodé de fleurs de lys rouges, Disciple de Jean Fouquet, XVe siècle. Agrandissement : Vue d'artiste de Jacques CÅ“ur, Anonyme, XIXe siècle, Bourges, musée du Berry.À la fois marchand, négociant, banquier et armateur, Jacques Cœur fut sans doute l’un des personnages les plus importants et les plus audacieux de son siècle. Ce fils de marchand originaire de Bourges se lança dans de nombreuses entreprises commerciales et industrielles dont la principale consista à réouvrir au négoce français les ports des échelles du Levant.

Il se hissa jusqu’au sommet de l’État et fut nommé Grand Argentier du royaume de France par Charles VII. Sa fortune considérable lui permit notamment d'aider le souverain à reconquérir son territoire occupé par les Anglais. Après les désordres et les aberrations sans nombre de la guerre de Cent Ans, les succès de Jacques Cœur apparurent comme le symbole de la paix retrouvée et des possibilités de rapports harmonieux entre les hommes !

Cependant, Jacques Cœur, très jalousé pour sa grande fortune, ses ennemis et ses principaux débiteurs parvinrent à entraîner sa chute en 1451 lors d’un procès au terme duquel il fut condamné pour malversation et crime de lèse-majesté. Emprisonné et abandonné par le roi, il réussit à s’échapper pour rejoindre Rome. On le retrouve plus tard lors d’une expédition contre les Turcs durant laquelle il fut blessé. Il mourut sur l’île de Chios en Grèce des suites de ses blessures en 1456.

Matthias Mauvais

Les débuts de Jacques Cœur

Jacques Cœur naquit à Bourges, paisible capitale du Berry, en l’an de grâce 1400 (ou 1395 selon les historiens). Son père, Pierre Cœur, n’était alors qu’un obscur et médiocre marchand pelletier des faubourgs, marié à la veuve d’un boucher.

L'Annonciation, Heures d'Étienne Chevalier, Jean Fouquet, XVe siècle. Possible représentation de la Sainte-Chapelle de Bourges, Chantilly, musée Condé. Agrandissement : La Sainte-Chapelle de Bourges, Étienne Martellange, 1621, Paris, BnF, Gallica.Des vingt premières années de sa vie, nous ne savons rien de précis, si ce n’est qu’il dut grandir avec son demi-frère Jean Bacquelier, issu du premier mariage de sa mère, et son frère Nicolas qui naquit en 1403. On sait aussi que Jacques reçut la première tonsure en tant qu’enfant de chœur (élève) à la Sainte-Chapelle de Bourges, où il bénéficia d’une éducation religieuse et d’une formation intellectuelle de qualité.

Mais l’adolescent rejeta finalement la clergie et opta plutôt pour une carrière commerciale en entreprenant un véritable apprentissage du négoce aux côtés de son père. Comme souvent dans les familles de l’époque, l’aîné de la fratrie allait reprendre, et si possible développer, l’affaire familiale. Or justement, en ce début de XVe siècle où l’on assistait à un appauvrissement de la vieille aristocratie d’épée en même temps qu’une irrésistible ascension de la classe marchande, les affaires de Pierre Cœur allaient elles aussi connaître la réussite permettant ainsi à la petite famille de déménager rue d’Auron, dans le plus riche quartier de Bourges.

En effet, le père de Jacques Cœur était devenu fournisseur à la cour du duc Jean Ier de Berry (celui à qui l’on doit les Très Riches Heures) dont l’opulence permettait un bon débit de pelleteries. Le jeune adolescent, qui accompagnait souvent son père dans ses démarches au palais ducal, découvrit alors le monde des nobles et rencontra des marchands influents Vénitiens ou Génois pour la plupart.

Lors de la prise de Paris par les Bourguignons, Tanneguy du Chastel emporte le dauphin à la Bastille Saint-Antoine, Charles est représenté comme un petit enfant en chemise fleurdelysée, manuscrit de Martial d'Auvergne, Les Vigiles de Charles VII, vers 1484, Paris, BnF. Agrandissement : Un messager annonce la mort du roi Charles VI au dauphin Charles, son fils, manuscrit de Jean de Wavrin, Chroniques d'Angleterre, vers 1470-1490, Paris, BnF.

Cependant, rappelons-nous que la guerre de Cent Ans et les épidémies de peste ravageaient depuis des années le royaume et que dans ce chaos le plus total, les échanges commerciaux n’étaient pas la priorité des Français. Jacques Cœur n’avait alors que 15 ans lorsque la bataille d’Azincourt décimait la fleur de la chevalerie française ; il en avait 18 lorsque les Bourguignons alliés aux Anglais prenaient Paris et obligeait le pauvre dauphin à venir s’installer à Bourges dans le palais ducal, vide depuis la mort de Jean de Berry en 1416. Enfin en 1422, à la mort du roi fou Charles VI et du fait de l'inique traité de Troyes qui livrait la couronne à l'héritier anglais, le dauphin se vit contester l'héritage et le nom de Charles VII. Par dérision, on ne l'appela plus que « le petit roi de Bourges ».

Cette femme, regardant à la fenêtre est reconnue comme étant Macée de Léodepart, Palais Palais Jacques CÅ“ur (Bourges). Agrandissement : Macée de Léodepart, Anonyme, fin XIXe - début XXe, Bourges, musée du Berry.Ces événements tragiques eurent une grande influence sur la vie de Jacques Cœur car la ville qu’il habitait se voyait soudain hissée au rang de résidence première, de capitale du roi. Puis en l’année 1420, Jacques Cœur épousa sa voisine Macée de Léodepart qui appartenait à l’une des meilleurs et des plus réputées familles bourgeoises de la ville, son père étant prévôt et sa mère la fille d’un maître des monnaies de Bourges. Jacques et Macée eurent cinq enfants, dont le premier Jean, naquit en 1421, il y eut ensuite Henri, Geoffroy, Ravand et Pierrette.

Sa belle-famille allait l’introniser et le parrainer dans le milieu des hauts magistrats ainsi que dans celui des gens de cour et du gouvernement qui avait suivi le Dauphin Charles à Bourges. Ces nouvelles relations lui donnèrent peut-être aussi l’occasion de rencontrer personnellement le Dauphin qui ne devait pas avoir les moyens de mener si grand train. En tous cas, durant les premières années de son mariage, Jacques Cœur travailla sûrement avec un ou plusieurs changeurs accrédités auprès de Charles VII.

Ainsi, il se lança dans le monnayage en s’associant en 1427 avec Ravand le Danois, maître-monnayeur, et Pierre Godard, changeur. Néanmoins, deux ans plus tard, les officiers de la Chambre des monnaies découvrirent une fraude et les trois complices furent immédiatement arrêtés.

La fraude de Jacques Cœur et de ses associés fut minimisée car chez les monnayeurs à cette époque, semblable pratique n’était qu’habituelle. Ils durent payer une amende de mille écus d’or et Charles VII ne remit même pas en cause leur charge de maîtres-monnayeurs de Bourges. Sans doute le roi était-il à ce moment-là porté à l'indulgence ; ne venait-il pas d'être enfin sacré à Reims et reconnu comme roi légitime grâce à Jeanne d'Arc ?

Macée de Léodepart et Jacques Cœur, Allège de la tour de l'escalier central du Palais Jacques Cœur. Agrandissement : Façade du Palais Jacques Cœur.

Le grand projet de Jacques Cœur

En 1430, Jacques Cœur fonda avec Pierre Godard et son frère une compagnie pour la fourniture de marchandises diverses, visant à gagner en particulier la clientèle du roi et de la cour. Mais à force de rencontres et de discussions avec des marchands étrangers, il comprit que seuls les échanges internationaux, basés sur le commerce maritime avec l’Orient, pourraient lui offrir l’occasion de vraiment s’enrichir.

Blason des Godard de La Greslerie et de La Verdine : d'azur au chevron d'or, accompagné en chef de deux étoiles du même, et en pointe d'un cygne d'argent.Son projet semblait pure folie car il voulait recréer les conditions d’une activité maritime prospère et pour cela il fallait financer les travaux nécessaires pour créer les infrastructures de base sur le littoral méditerranéen. Au printemps 1432, il se mit donc en route pour un voyage d’étude et de prospection jusqu’à Alexandrie, alors le plus opulent des ports de la Méditerranée orientale, puis vers le Liban et enfin Damas.

Ce fut l’occasion pour lui de répertorier les marchandises françaises susceptibles de plaire sur les marchés orientaux, d’enregistrer les prix pratiqués des produits à importer, et surtout de comprendre le vif intérêt des acheteurs musulmans pour l’argent et le cuivre de même que leur relative indifférence vis-à-vis de l’or qui abondait dans leurs pays. Ce voyage marqua une rupture fondamentale avec le passé.

Tout d’abord, il emprunta à la bourgeoisie de Bourges ainsi qu’à des représentants de banques italiennes, pour constituer son capital de départ. L’année suivante, il reprit la route du Midi pour mettre en place son premier comptoir à Montpellier-Lattès, et organiser une première expédition maritime complète.

Vitrail illustrant une galée ou un cogge. Des six panneaux initiaux, c'est le seul vitrail du XVe siècle qui nous soit parvenu. Ce navire porte les armes de Jacques CÅ“ur à la poupe. Salle des galées, Palais Jacques-CÅ“ur, Bourges. Agrandissement : les armes de Jacques CÅ“ur : À cÅ“urs vaillants rien d'impossible.Il choisit Montpellier car à partir de cette ville, on rejoignait plus facilement les grandes voies de communication en direction des différentes régions de France. De plus, la ville bénéficiait du privilège dit des « nefs absoutes », créant un droit d’exception à la règle sainte qui voulait que soit refusé aux chrétiens le droit de commercer avec les Infidèles. Ainsi chaque année, six nefs montpelliéraines pouvaient faire le voyage aller-retour jusqu’à Alexandrie.

L'habile marchand se mit à exporter des produits très divers dont surtout des tissus, des fourrures, des cuirs tannés, des robes, et enfin du cuivre et de l’argent. Ces métaux allaient, par leur contrepartie en or, lui rapporter des bénéfices fabuleux car les échanges réussis par Jacques Cœur se faisaient le plus souvent poids contre poids !

Les objets qu’il importait étaient encore plus variés et éclectiques : tonneaux de vins d’Orient, sucre de Chypre, épices, confiseries, produits pharmaceutiques (ambre, alun), produits colorants (indigo, safran), textiles (soies, cotons, velours), parfums (musc, encens). Puis des chevaux arabes, plumes d’autruches, coraux, ivoires, pierres précieuses, tapis de Bagdad, de Perse et d’Afghanistan, perles de Ceylan, porcelaines de Chine, et des métaux bien sûr (l’or et le mercure). Enfin, ces voyages pouvaient amener une dernière source de profit pour Jacques Cœur : le transport des pèlerins pour la Terre Sainte.

Sculpture d'une galée de France, XVe siècle, Palais Jacques CÅ“ur, chambre des Galées.Toutes ces marchandises débarquées étaient ensuite transportées dans cent villes différentes. Le trafic de Jacques Cœur n’allait pas tarder à avoir ses retombées sur les productions régionales puis à influer sur la vie économique française en général. L’économie retrouva une dynamique juvénile et fougueuse, notamment en donnant un second souffle aux anciennes foires comme celles de Champagne et de Flandres.

La société fondée avec les frères Godard allait bénéficier du commerce avec le Levant en devenant une cliente privilégiée. Jacques Cœur négociant achetait donc à Jacques Cœur importateur-armateur.

Jacques Cœur et Charles VII

En 1436 Charles VII pouvait rentrer à Paris suite au traité d’Arras qui avait mis fin à la guerre entre Armagnacs et Bourguignons et convaincu le duc Philippe II de Bourgogne d'abandonner l’alliance anglaise.

Proclamation de la paix après la conclusion du traité d'Arras, La Cronicque du temps de tres chrestien roy Charles, septisme de ce nom, roy de France par Jean Chartier, 1470-1479, Paris, BnF.En mai, le roi fit appeler Jacques Cœur et le nomma Maître de l’Hôtel des Monnaies de Paris, poste qu’il occupa peu de temps, juste celui de mettre de l’ordre dans la circulation monétaire et d’organiser la frappe d’une monnaie de bon aloi, capable de supplanter, entre autres, celle que les Anglais avaient émise et émettaient encore.

En assumant ce poste, Cœur rendait un signalé service à Charles VII mais aussi au négoce tout entier, aux négociants, et donc, par conséquent, à lui-même. Il fit frapper trois monnaies, dont deux à Paris et une à Bouges, appelée d’abord « gros du roi » puis bientôt dénommée le « gros de Jacques Cœur ».

Il fut également chargé de la rentrée des aides (impôts indirects) en Berry et de la mission de percevoir dans les États du Languedoc certains droits pour le compte de la Chambre aux deniers du roi. Pour cela, il descendit dans le Midi en compagnie du roi pendant un mois durant lequel il sut conquérir les bonnes grâces du souverain et s’en faire apprécier en exposant idées et projets.

Il dut insister sur l’impulsion que donnerait à toute l’économie du royaume cette voie d’échange avec l’Orient trop longtemps négligée : injection des petites masses d’or dans la circulation monétaire, développement d’une flotte redoutable, création de ports bien aménagés, croissance des villes riches, productrices de ressources en tous genres et aussi d’impôts.

Écu cu d'or à la couronne de Charles VII.En 1438, Jacques Cœur accéda enfin au titre d’Argentier de l’hôtel du roi, poste qui consistait à répondre à tous les besoins du souverain, de ses serviteurs et de la cour, concernant la vie journalière et les missions extraordinaires, de l’habillement à l’ameublement, en passant par les armes ou encore les voitures. Une charge subalterne certes, mais nul ne pouvait être mieux placé que lui pour cette fonction, lui le négociant et l’importateur en toutes marchandises.

En outre, ses finances lui donnèrent la possibilité de prêter de l’argent, et en quelques mois il s’affirma comme le banquier attitré de la famille royale, de la cour, du gouvernement et du souverain lui-même. Il créait ainsi des relations de dépendance avec les grands dignitaires et la haute noblesse du royaume.

Armoiries de Jacques CÅ“ur.Au mois d’avril 1441, le roi anoblit Jacques Cœur pour ses mérites et ses services, ainsi que sa femme et ses enfants. Ses nouvelles armes furent : « sur champ d’azur, trois cœurs symbolisant son patronyme, et trois coquilles Saint-Jacques, pour rappeler son saint patron », et sa fameuse devise : « A vaillans cuers riens impossible ».

Jacques Cœur fut ensuite nommé Commissaire royal auprès des États du Languedoc, charge qui consistait à aller chaque année discuter du montant et de la répartition des impôts fixés par le roi. Il devait aussi fixer la somme à percevoir et la participation de chacune des villes et des municipalités. Ainsi l’Argentier apparaissait aux Languedociens comme un maître tout-puissant. Cette nomination influença fortement la carrière de Jacques Cœur qui entra dès lors de plain-pied dans les affaires du royaume et commença à jouer un rôle politique de premier plan.

Charles VII en habit royal entouré de son conseil de guerre, Jean Chartier, Chronique de Charles VII, 1471, Rouen, Bibliothèque municipale. Agrandissment : Jean Bureau seigneur de Montclat, XVIIe siècle, Jacques Grignon dit le Vieux, XVIIe siècle, Paris, musée Carnavalet.Ainsi en 1444, l’Argentier faisait partie de la quatrième coterie du roi avec notamment Pierre de Brézé et les frères artilleurs, Jean et Gaspard Bureau, ou encore Étienne Chevalier, grand commis des finances. C’est aussi cette année qu’il fit la rencontre d’Agnès Sorel, la célèbre maîtresse et favorite de Charles VII. Elle se montra bienveillante à son égard.

Elle qui détenait un absolu empire sur l’esprit du roi, n’en usa que pour soutenir et défendre contre les intrigants l’intelligence politique menée par ses amis Brézé et Cœur. D’ailleurs au moment de sa mort en 1450, elle les désignera comme ses exécuteurs testamentaires.

En parallèle et aussi peut-être en secret, Jacques Cœur commençait à se rapprocher du dauphin, futur Louis XI, qui, trop empressé de régner, entretenait des relations plus que houleuses avec son père. Mais l’Argentier et le Dauphin s’appréciaient mutuellement, leurs relations s’affineraient d’ailleurs au fil des ans et pèseraient lourd dans leur destin.

L’ « Empire Cœur »

Pour que la construction du « trust Jacques Cœur » fut complète, il ne lui manquait plus que deux activités majeures : celle de propriétaire de chantiers navals et celle de propriétaire-exploitant de mines. Vers 1442, il commanda aux Génois une galée (galère) dans le but secret de la prendre pour modèle et d’en faire construire une copie exacte.

Palais Jacques CÅ“ur à Bourges. Agrandissement : voûte gothique en haut de l'escalier prinvipal du palais.Les Génois, furieux, montèrent une opération militaire pour rechercher la galée vendue à Jacques Cœur, sans résultat. Les chantiers languedociens continuèrent de se développer et la flotte personnelle de Jacques Cœur comptera jusqu’à sept navires de haut-bord et d’autres nombreux bâtiments de moindre importance.

Deux ans plus tard, par lettre patente, Charles VII accordait à Jacques Cœur, pour douze années, la concession de mines d’argent, de cuivre et de plomb, situées dans le Lyonnais et le Beaujolais. Des travaux considérables furent ensuite entrepris pour leur remise en exploitation. Et s’il est vrai que l’argent extrait de ces mines vendu aux cours français rapportait peu, il ne faut pas oublier la flotte de l’Argentier et le prix de vente de cet argent sur les marchés musulmans. Les bénéfices devenaient donc absolument prodigieux.

Ses navires déversaient à profusion les produits servant aux raffinements de la vie. La soif du luxe tempérait les derniers sursauts d’une époque brutale en aidant de quelque manière à l’amour de l’art et des lettres. En somme, l’Argentier préparait les voies de la Renaissance française. A cette époque il se fit également construire à Bourges, au cœur de sa ville natale, l’hôtel de Jacques Cœur, un vrai palais considéré aujourd’hui comme l’un des plus somptueux édifices civils de style gothique flamboyant.

Et Jacques Coeur créa les galères...

En 1443 Jacques Cœur faisait face à une pénurie de marins ce qui menaçait gravement son négoce. Il proposa alors à Charles VII de procéder à des enrôlements de force et lui demanda d’autoriser l’utilisation des « méchantes gens » responsables de l’insécurité dans les villes, en tant que mariniers-avironneurs. Le 22 janvier 1443, Charles VII, convaincu, se décida à suivre les conseils de son Argentier et lui accorda le « privilège » d’enrôler par tous les moyens, y compris la force, et à condition de leur fournir une convenable rémunération, les « personnes oyseuses, vagabondes et autres caïmans » qui troublaient l’ordre et la paix des cités du littoral. Ainsi Cœur venait-il de fonder les bases de ce vieux bagne, de cette institution qui plus tard, et durant des siècles, porterait le nom infamant de « galères ».

Jacques Cœur le diplomate

Jacques Cœur montra à plusieurs reprises ses talents de négociateur, aussi bien pour son compte que pour celui du roi. En effet, suite à des conflits entre équipages vénitiens et fonctionnaires égyptiens, le souverain d’Égypte, Abou-Said-Djamac-el-Daher, décida d’interdire l’entrée de ses ports aux navires vénitiens. Jacques Cœur, qui bénéficiait d’une excellente réputation en Égypte, intervint en faveur de Venise auprès du Soudan qui annula ses ordres et permit aux Vénitiens de reprendre leurs activités commerciales.

Pourtant la République de Venise était le plus grand concurrent de Jacques Cœur, mais ce dernier y voyait l’occasion rêvée d’obtenir un certain nombre d’avantages. De fait, son intervention lui valut un prestige cent fois accru auprès de toutes les puissances maritimes qui fréquentaient Alexandrie. Elle provoqua un renouvellement des échanges, et, par conséquence directe, un commun enrichissement.

Vue de Gênes, Christoforo de Grassi (d'après un dessin de 1481), Galata - Museo del Mare, Gênes.

Dès lors, l’Argentier du roi fut nommé dans de nombreuses ambassades, notamment en 1445 auprès de Gênes alors qu’on prévoyait son rattachement au royaume de France, projet qui fut finalement abandonné. Puis Jacques Cœur intervint en faveur des « Chevaliers hospitaliers » de Rhodes qui faisaient face aux attaques des flottes égyptiennes. Une fois de plus l’Argentier venait de réaliser un véritable exploit dont il allait tirer grand profit. Car pour les remercier de la sécurité retrouvée, les Chevaliers de l’Ordre promirent privilèges et protection aux serviteurs ainsi qu’à la flotte de Jacques Cœur, dans toute la Méditerranée orientale.

Amédée VIII, Anonyme, XVIIIe siècle, Italie, château royal de Racconigi. Agrandissement : Nicolas V par Rubens, vers 1612-1616, Anvers, musée Plantin-Moretus.Pour couronner le tout, en 1447, l’Argentier conclut une entente « cordiale » entre la France et l’Égypte alors le plus puissant des pays arabes . Cette alliance démontrait l’intelligence politique de Jacques Cœur qui estimait que les Arabes pouvaient devenir des alliés de poids pour faire face à l’avance des Turcs (Constantinople sera prise quelques années plus tard, en 1453). Mais l’Argentier ne fut pas compris.

La même année, un nouveau schisme déchirait une fois de plus l’Église d’Occident suite à l’élection de l’antipape Félix V par une faction d’évêques mécontents. Charles VII chargea une mission composée notamment de Jacques Cœur d’aller convaincre Félix V de se souvenir de l’intérêt supérieur de l’unité de l’Église et de céder sa place. Après plusieurs tentatives complexes et délicates, en 1448, Jacques Cœur recueillait enfin l’abdication souhaitée en bonne et due forme, et put établir définitivement sa réputation au Saint-Siège. Il venait de gagner auprès du nouveau pape Nicolas V un appui et une amitié qui, par la suite ne lui ferait jamais défaut.

Jacques Cœur finance la reconquête du royaume de France

En 1449, la trêve de Tours de 1444 fut rompue et la guerre reprit entre la France et l’Angleterre. Les princes de l'entourage de Charles VII se mirent d’accord pour la libération totale du Royaume des Lys mais le nerf de la guerre cependant manquait à l’appel. La palme du dévouement revint alors sans contestation possible à l’Argentier qui prêta au roi une masse d’or et lui fournit une somme se montant, dit-on, à 100 000 écus d’or environ.

Une fois les troupes financées, le 6 août 1449, la chevauchée pouvait commencer et l’armée française bouscula l’adversaire en lui reprenant villes et places fortes. Charles VII faisait son entrée solennelle dans la ville de Rouen le 10 novembre, jour sans doute le plus important de son règne, après celui de son sacre. Jacques cœur tenait, après le roi, la meilleure place dans le cortège royal.

Pourtant en 1450, des milliers de soldats, cavaliers et archers anglais débarquaient à Cherbourg et repartaient à l’assaut du royaume. Le roi envoya alors une armée dirigée par le comte de Clermont et les deux armées engagèrent la lutte le 15 avril au village de Formigny. Pour la première fois depuis cent ans, en rase campagne, une armée française écrasait une armée anglaise (3774 morts et 1400 prisonniers côté anglais, pour douze tués dans le camp français).

Bataille de Formigny, Julien Rémy Eugène, XIXe siècle, Bayeux, musée d'Art et d'Hhistoire Baron-Gérard. Monument commémoratif de la bataille de Formigny, élevé par souscription en 1903, oeuvre d'Arthur Leduc.

Les Anglais ne disposaient plus que de Cherbourg en Normandie, commandée par le capitaine Thomas Gower. Charles VII demanda à Jacques Cœur de mener les pourparlers avec le capitaine anglais. Au terme de longues palabres, celui-ci accepta de repartir vers l’Angleterre avec ses hommes, à la condition qu’on lui rendit son fils prisonnier, et que les Français acceptassent de payer les frais de rembarquement estimés par les deux parties à 40 000 écus. Comme le roi ne disposait pas d’une telle somme, Jacques Cœur la lui avança.

Enfin au printemps 1451, une armée fut envoyée pour reprendre la Guyenne, dernière province en France parmi celles autrefois possédées par les Plantagenêt. Une fois de plus l’argent pour solder les troupes ne fit pas défaut, car Jacques Cœur, à la demande de son roi, avança successivement diverses sommes dont le montant total s’élevait à 70 680 livres tournois. Ainsi la guerre de Cent Ans touchait à son terme tandis que l’Argentier se retrouvait au faîte de sa puissance et de sa richesse.

Trahisons, procès et chute de Jacques Cœur

Toujours en 1451, Jacques Cœur transféra ses affaires et l’ensemble de ses activités de Montpellier à Marseille. En effet, il disposait depuis un an d’une bulle papale (dico) l’autorisant personnellement à commercer avec les musulmans. Rien ne le contraignait plus à se réfugier derrière l’exemption de six navires annuels accordée jadis par le pape à Montpellier. Ce fut un coup terrible pour le Languedoc et un apport inestimable pour la Provence qui appartenait alors au Bon Roi René d’Anjou.

Était-ce folie provocatrice de la part de l’Argentier du roi de France ?

Gisant du tombeau d'Agnès Sorel, détail du visage, collégiale Saint-Ours de Loches.Depuis longtemps sa grande fortune faisait l’objet de jalousies et de rancœurs, mais le 31 juillet 1451, ses ennemis et ses envieux parvenaient finalement à le perdre. En effet ce jour-là, Jacques Cœur fut accusé d’avoir empoisonné Agnès Sorel, et fut arrêté pour malversation.

Charles VII, ingrat, oublia ses services et l’abandonna à l’avidité des courtisans, notamment Antoine de Chabannes, bailli de Troyes, un de ses principaux débiteurs, et Otto Castellani, trésorier des finances à Toulouse, qui aspirait à le remplacer. Était-ce dû à ses relations avec le Dauphin (quiconque acceptait l’amitié de Louis devait du même coup s’attendre à l’inimitié de Charles), ou bien le roi voulait-il rafler la formidable fortune de Jacques cœur ?

Quoi qu’il en soit, durant le procès, une haine et une volonté acharnée de destruction apparurent clairement. La grande masse des accusateurs furent des négociants du littoral méditerranéen, la plupart d’origine italienne, qui prospéraient avant l’arrivée de l’Argentier, mais aussi bien sûr des Languedociens qui avaient mal vécu le déménagement de Montpellier. En revanche l’accusation calomnieuse d’empoisonnement, portée devant le roi par la nommée Jeanne de Vendôme, ne fut pas retenue dans le dossier et l’accusatrice fut condamnée à faire amende honorable puis bannie de la cour.

En septembre, l’évêque de Luçon Nicolas Cœur, le frère de Jacques, mourait, puis en décembre 1452, c’était au tour de sa femme Macée de disparaître. Jacques Cœur, emprisonné, invoqua le bénéfice de clergie pour être jugé par un tribunal ecclésiastique puisqu’il avait reçu la première tonsure dans son enfance, mais ce privilège lui fut refusé malgré les intercessions du pape Nicolas V.

Jacques CÅ“ur fait amende honorable face à la justice, gravure ancienne.Il fut finalement interrogé sous la menace de la torture à Tours au cours des ultimes informations en 1453. Au moment où on l’attacha sur le billot ou la sellette et que le bourreau entreprit d’officier, Jacques Cœur préféra reconnaitre sa culpabilité et demander grâce au roi. Il ne fut pas condamné à mort mais se vit déclaré coupable du crime de lèse-majesté et condamné à la confiscation de ses biens.

Il dut faire amende honorable, simplement revêtu d’une chemise et à genoux devant le procureur général du roi « requerant de mercy et pardon à Dieu », puis fut « déclaré inhabile à tousjours de toutes offices royaux et publicques », et enfin condamné à payer deux amendes de 300 000 et 100 000 écus. Jacques Cœur ne pouvait être libéré avant que les amendes n’aient été payées, et il savait bien que jamais les sommes ne pourraient être réunies. Pendant ce temps, toute la meute des courtisans et trafiquants de tous bords allaient s’en donner à cœur joie. Les biens et la fortune de l’ancien Argentier furent liquidés.

Après 39 mois de détention, au mois d’octobre 1454, Jacques Cœur parvint à s’échapper du château pourtant bien gardé de Poitiers ; nul n’a jamais su comment. Il atteignit le couvent des cordeliers de Beaucaire, sur le Rhône, qui bénéficiait d’une « franchise » (privilège d’inviolabilité accordé aux communautés religieuses possédant une église). Ses ennemis retrouvèrent sa trace mais le supérieur du couvent refusa de leur livrer l’évadé.

Statue en marbre de Jacques CÅ“ur à Bourges réalisée en 1874 par Auguste Préault.Jacques Cœur envoya alors une lettre à son ami de toujours Jean de Village qui résidait à Marseille, dans laquelle il lui demandait assistance. Les deux hommes établirent une correspondance qui leur permit de mettre au point un plan d’évasion. Quelques jours plus tard, avec une vingtaine d’hommes, Village réussit à pénétrer silencieusement dans Beaucaire jusqu’au couvent des cordeliers duquel il exfiltra son ami. Peu après ce dernier se retrouvait libre en terre de Provence.

En mars 1455, Jacques Cœur était à Rome avec son fils cadet Ravand, où il pouvait compter sur l’absolue protection du pape Nicolas V. On le retrouve à la fin de l’année 1455 comme capitaine général des galères papales au sein d’une expédition contre les Turcs en Méditerranée orientale. Ce fut au cours d’un combat qu’en automne 1456, il fut grièvement blessé et conduit sur l’île de Chio où il mourut quelques jours plus tard, le 25 novembre 1456. On l’enterra dans le chœur de l’église des Cordeliers de Chio mais bien des années plus tard, ce monument fut détruit par la guerre et toute trace matérielle de Jacques Cœur disparaissait avec lui.

Bibliographie

POULAIN Claude, Jacques Cœur ou Les Rêves concrétisés, Paris, Fayard, 1982.

Publié ou mis à jour le : 2023-06-27 12:58:36
Etienne (11-10-2023 15:24:09)

Bonjour, Quelq'un qui ne fait rien pour sauver Jeanne d'Arc, ne peut être qu'un ingrat vis à vis de tous ceux sans qui il n'aurait jamais été roi et même devenu roi n'aurait pas pu mener sa poli... Lire la suite

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