8 septembre 2024. Jours heureux, de l'historien Jean Garrigues, met en exergue les journées festives autour desquelles a semblé se réunir le peuple français entre 1790 et 1998. Autant de journées hors du temps, déconnectées du passé, du présent et de l'avenir... tout comme les six semaines olympiques clôturées aujourd'hui.
Notre survol de l'Histoire longue de la France donne à penser que, loin de cette vision irénique très contemporaine, la construction d'une Nation passe par bien autre chose que les bals et les flonflons...
Jean Garrigues raconte avec talent et érudition seize moments de liesse qui ont réuni tout ou partie de la population française. Si la Fête de la Fédération (14 juillet 1790), l'Exposition universelle de 1889 ou encore la Coupe du Monde 1998 ont pu faire consensus, ce ne fut pas le cas par contre des grèves joyeuses de 1936 ou de la fête de la Bastille le 10 mai 1981, qui ont marqué la victoire d'un camp politique.
Dans la période plus récente, l'historien n'a pas jugé bon de citer la grande manifestation contre le terrorisme du 11 janvier 2015, qui fut un moment de tristesse plus que de joie. Victime sans doute d'un tropisme parisien, Jean Garrigues a aussi oublié les rassemblements des « Gilets jaunes » sur les ronds-points qui ont réuni le 17 novembre 2018 les laissés-pour-compte et les oubliés de la mondialisation...
Toutes ces périodes d'allégresse, à l'exception de l'Exposition universelle de 1989, ont en commun d'avoir très vite débouché sur de sévères déconvenues ainsi que l'observe aussi Jean Garrigues !...
Il n'a fallu que onze mois avant que la fuite à Varennes ne brise le lien entre le roi et les révolutionnaires (il est vrai que le ver était déjà dans le fruit avant la Fête de la Fédération avec le vote de la Constitution civile du clergé). Trois mois ont suffi avant que les généreux chefs la Seconde République en viennent à massacrer les ouvriers. Deux ans ont suffi à François Mitterrand avant de rallier en 1983 le néolibéralisme et le « cercle de la raison » (dixit Alain Minc). Quant à la France « black-blanc-beur » de 1998, inattendu miracle un an après la dissolution malencontreuse de l'Assemblée par le président Chirac, elle a été suivie moins de quatre ans plus tard sur l'accession non moins inattendue de Jean-Marie Le Pen (Front national, extrême-droite) au second tour de l'élection présidentielle.
Cette constance dans les sautes d'humeur reflète le caractère superficiel de ces « jours heureux » par lesquels les Français aspiraient à simplement « rêver ensemble ». Elle démontre surtout la passion des Français pour les conflits politiques, des conflits qui s'en tiennent à « l'écume des choses » (dixit Paul Valéry) et évacuent les débats de fond qui engagent l'avenir du pays.
Les péripéties de l'été 2024 en sont l'illustration la plus récente avec l'élection d'une Assemblée nationale sur un seul enjeu : pour ou contre le RN (Rassemblement national). Aucun débat sur la politique migratoire et, plus grave encore, sur l'effondrement de la natalité qui rend illusoire à moyen terme le maintien à niveau des pensions de retraite et des soins de santé. Rien sur le déficit commercial et la désindustrialisation. Rien sur la chute du niveau éducatif. Rien sur le « Pacte vert » européen qui saccage l'environnement sans pour autant réduire les émissions planétaires de CO2.
Projets collectifs au service de la nation
Ce qui unit les Français serait à chercher non pas dans les mirages politiques mais dans les projets collectifs qui ont permis à la nation de grandir et se fortifier au fil des générations.
Remontons le temps. Nous voilà en l'An Mil, dans un Occident encore juvénile. La société se partage entre des paysans misérables, en écrasante majorité, des guerriers et des clercs (prêtres et moines), mais elle est portée par une foi intense, naïve et puissante.
Au milieu des chaumières en paille et torchis des premiers villages, les hommes élèvent des églises en pierre si solides qu'elles ont perduré pour la plupart jusqu'à nos jours. Ils en arrivent à « couvrir la terre d'un blanc manteau d'églises » (dixit le moine Raoul Glaber). Cette explosion de vie sera suivie aux XIIe et XIIIe siècles par l'érection dans les villes épiscopales de cathédrales en style français (« gothique »). Autant de manifestations concrètes d'une volonté collective, d'une unité en gestation.
Dans les siècles qui suivent, tandis que s'améliorent les conditions de vie, on ne discerne pas de projets collectifs de semblable ampleur. Au lieu de cela, les luttes de pouvoir, les conflits et les guerres conduisent à la formation de grandes entités politiques à l'origine des futures nations. « L'investigation historique, en effet, remet en lumière les faits de violence qui se sont passés à l'origine de toutes les formations politiques, même de celles dont les conséquences ont été le plus bienfaisantes. L'unité se fait toujours brutalement ; la réunion de la France du Nord et de la France du Midi a été le résultat d'une extermination et d'une terreur continuée pendant près d'un siècle, » nous dit Ernest Renan. « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune » (Qu'est-ce qu'une nation ?, 1882).
Si l'on devait donc définir ce qui unit les citoyens français comme les citoyens de toute autre nation, ce sont les épreuves et les réalisations communes bien plus que les fêtes d'un jour.
On a cité la construction des cathédrales. Plus près de nous, on peut évoquer aussi les funérailles de Victor Hugo en 1885, qui ont uni tout un peuple autour du plus grand de ses écrivains ; la souscription publique qui a conduit à la fondation de l'Institut Pasteur en 1888 ; l'Exposition universelle du centenaire de la Révolution et sa Tour Eiffel, prestigieuse démonstration du savoir-faire national ; pourquoi pas aussi le lancement du paquebot France le 11 mai 1960 et l'inauguration du TGV Paris-Sud-Est le 22 septembre 1981, prouesses représentatives des « Trente Glorieuses »...
Et si, cet été, les Jeux Olympiques de Paris 2024 ont tant ravi les Français, c'est sans doute avant tout parce qu'ils les ont rassurés sur leur capacité à continuer de mener ensemble de grands projets collectifs.
Vos réactions à cet article
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Candide06 (19-09-2024 10:55:22)
Merci de cette mise en perspective, profonde et sage... Encore un bel exemple du "si tu ne sais pas où tu vas, regarde d’où tu viens"... Et merci à Orlando pour son commentaire : il contribue Ã... Lire la suite
Orlando (11-09-2024 19:52:33)
L'union d'un peuple se vit dans la nation, laquelle peut se fédérer à d'autres nations, telles la Suisse et l'Union européenne. Actuellement, on assiste malheureusement à un repli, dit identita... Lire la suite