17 août 2024. Tous les pays développés d'Occident et d'Extrême-Orient sont entrés dans l'« hiver démographique » avec des populations en voie de diminution rapide. En France, cette année, le nombre des naissances est passé pour la première fois sous la barre des 700 000 et l’indice de fécondité (dico) est tombé à 1,6 enfants par femme.
On peut en attribuer la cause au mode de vie contemporain, focalisé sur la consommation immédiate sans projection sur l'avenir. Ève Vaguerlant, agrégée et docteur en lettres modernes, rappelle aussi, dans un essai percutant, les racines idéologiques du refus de la maternité, des Cathares (XIIe siècle) aux Précieuses (XVIIe siècle) et à Simone de Beauvoir (XXe siècle)...
À l’heure actuelle, en France et en Occident, ce sont près de 30 % des femmes en âge de procréer qui déclarent ne pas vouloir d’enfants (ou être dans l’incapacité matérielle ou physique d’en avoir) et ce taux est en augmentation. Chez certains jeunes se diffuse la stérilité volontaire via la vasectomie ou la ligature des trompes, quand ce n'est pas le changement de sexe, une chirurgie à haut risque qui prive le sujet de la faculté d'engendrer (mais profite à Big Pharma).
Ces comportements sont encouragés par la presse féminine qui abonde en articles présentant la maternité sous un jour négatif. Elle déplore les difficultés qui seraient liées à la grossesse et à l’accouchement, alors même que l'obstétrique moderne les rend plus sûrs que jamais. Elle met aussi en exergue le « regret d’être mère » qui frapperait de plus en plus de femmes. Elle flatte même les jeunes femmes qui choisissent d'assumer plusieurs avortements plutôt que la prise quotidienne de la pilule contraceptive.
Faut-il s'étonner dans ces conditions de l'effondrement des naissances très en-dessous du seuil de 2,1 enfants par femme indispensable au renouvellement des générations ? Ce seuil est déjà proche d'un enfant par femme dans plusieurs pays, voire en-dessous comme en Corée. Ce qui signifie une division par deux des naissances à chaque génération et par huit à la fin de ce siècle (note).
Un contexte hostile à l'enfant autant qu'à la maternité
Dans son essai L’Effacement des mères, du féminisme à la haine de la maternité (L’Artilleur, 2024), Ève Vaguerlant montre que cet effondrement des naissances est lié à un contexte social et culturel hostile à l’enfant autant qu’à la maternité.
Même si l'essayiste se cantonne à la situation française, qu'elle connaît pour l'avoir étudié de près, ce contexte se retrouve dans tous les pays développés (à l'exception d'Israël, engagé dans la « guerre des berceaux »).
Il affecte en premier lieu les jeunes actifs des classes moyennes, qui doivent manifester une volonté à toute épreuve pour accueillir un, voire deux enfants dans leur foyer.
Dans les sociétés pré-industrielles, faut-il le rappeler ? la place des femmes ne faisait pas de problème. Elles participaient avec leur conjoint à la bonne marche de l'exploitation agricole, de l'atelier ou du commerce, chacun à sa place selon ses compétences, la femme exerçant souvent les fonctions les plus nobles : la marche de la maisonnée et la gestion des comptes ainsi que l'éducation des enfants ; l'homme se réservant les travaux les plus pénibles, voire les plus périlleux (mineurs, marins, soldats).
Tout a changé au XIXe siècle avec l'apparition de la grande industrie et la généralisation du salariat. L'unité du foyer a été alors brisée, l'homme prenant l'ascendant sur sa femme en ramenant à la maison l'argent indispensable à leur survie.
Dans la prospérité de l'après-guerre s'est imposé l'idéal hollywoodien de la belle maison de banlieue dans laquelle l'épouse élégamment vêtue s'occupe de ses trois enfants en attendant son époux, fier de sa promotion et de son salaire.
Cette représentation réductrice de la femme moderne a sans doute inspiré la philosophe Simone de Beauvoir que cite Ève Vaguerlant : « Le code français ne range plus l'obéissance au nombre des devoirs de l'épouse et chaque citoyenne est devenue une électrice ; ces libertés demeurent abstraites quand elles ne s'accompagnent pas d'une autonomie économique (...). C'est par le travail que la femme a en grande partie franchi la distance qui la séparait du mâle ; c'est le travail qui peut seul lui garantir une liberté concrète » (Le Deuxième Sexe, 1949).
Par « travail », la philosophe sous-entend une activité hors du domicile et le plus souvent salariée. De ce point de vue, ses voeux se sont réalisés au-delà de toute espérance à partir de la décennie suivante !
En effet, dans les années 60, une fois achevée la reconstruction consécutive à la Seconde Guerre mondiale, les milieux entreprenariaux ont craint que la croissance économique ne vienne à fléchir. Ils ont jugé nécessaire de stimuler de toutes les façons possibles la consommation des ménages pour soutenir l'activité... et leurs profits.
On assista alors à l'émergence de la « société de consommation » que dénoncèrent tant et plus les étudiants bourgeois de Mai-68.
On assista aussi au développement du salariat féminin qui permit de peser à la baisse sur les salaires masculins de sorte qu'il ne fut bientôt plus envisageable pour une famille de maintenir un niveau de vie décent avec un seul salaire.
La maternité apparut alors aux yeux du patronat comme une entrave à l'emploi des femmes et - plus grave sans doute - comme une forme de contestation du consumérisme, lequel fait de la jouissance immédiate le but unique de l'existence (note). De fait, à partir de 1963, après le boum spectaculaire de l'après-guerre, la fécondité entama sa décrue dans tous les pays industriels, y compris le Japon (note).
Des Cathares à Simone de Beauvoir, une même détestation de la maternité
Le travail salarié est devenu pour les femmes des classes moyennes une quasi-obligation en raison de la nécessité du salaire féminin dans une famille. Ces femmes sont-elles pour autant devenues plus heureuses ? Dans son essai Où en sont-elles ?, l'anthropologue Emmanuel Todd en doute. Il souligne le fait que leur entrée massive dans le monde du travail les a aussi faites entrer dans l’anxiété économique.
Ève Vaguerlant rappelle à ce sujet une formule ironique de l'écrivain anglais Gilbert Keith Chesterton (1876-1936) : « Le féminisme pense que les femmes sont libres lorsqu'elles servent leurs employeurs mais esclaves lorsqu'elles aident leurs maris ».
Plus sérieusement, on peut se féliciter de ce que les femmes aient retrouvé une place de choix dans l'économie de marché après en avoir été évincées au début de la révolution industrielle tout en déplorant que cette promotion se soit faite au détriment de la maternité.
Dans L'Effacement des mères, l'essayiste souligne à ce propos l'incohérence de Simone de Beauvoir dans son approche du féminisme. La philosophe a plaidé dans Le Deuxième sexe pour l'émancipation des femmes par le travail professionnel tout en maudissant au fil de ses pages l'attribut caractéristique du sexe féminin, à savoir la faculté d'enfanter. « Il n'est évidemment pas anodin que l'acte fondateur du féminisme ait été posé par une femme qui, toute sa vie, a rejeté la maternité et l'a considérée comme le principal obstacle à l'émancipation des femmes, » écrit Ève Vaguerlant.
En somme, du point de vue de la philosophe, devenir une femme émancipée reviendrait à s'interdire d'être femme ! Simone de Beauvoir elle-même s'est interdit d'enfanter pour écrire son grand oeuvre et s'est placée toute sa vie dans le sillage d'un homme qu'elle vénérait comme un Dieu, Jean-Paul Sartre. En matière d'« émancipation », on peut préférer l'exemple donné par George Sand, Colette... et des millions de femmes anonymes qui ont su s'épanouir dans leur métier comme dans leur féminité... malgré les obstacles dressés par le corps social et les mouvements féministes eux-mêmes.
Aujourd'hui, quand il s'agit de promouvoir les droits des femmes, les mouvements féministes se soucient de la parité dans les emplois publics, de l’égalité salariale, voire de l'écriture inclusive, mais se contrefichent de l'environnement social et matériel des femmes qui ont fait le choix de la maternité. « Le paradoxe de notre société nihiliste est que l'on fait tout pour déculpabiliser les femmes qui avortent, en dépit du problème moral que cela pose et du coût de cet acte pour la société, tandis que les femmes qui voudraient simplement prendre soin d'elles et de leur bébé pendant la grossesse se sentent coupables, alors qu'elles assurent l'avenir de la société, » écrit Ève Vaguerlant.
Ces mouvements féministes s’inscrivent dans un vaste mouvement historique d’individualisme qui traverse nos sociétés depuis les années 70-80. « Idiots utiles » du néolibéralisme selon le philosophe Jean-Claude Michéa, ils réduisent les femmes à des productrices-consommatrices. Ainsi, le Planning familial, à ses débuts, promouvait la contraception afin que les femmes n'aient plus à recourir à l'avortement ; aujourd'hui, il a inversé ses choix. S'il constate que le consumérisme pousse les femmes à refuser la maternité, ce n’est pas pour dénoncer ledit consumérisme mais pour demander que soit facilité le recours à l’avortement !
Dans ce contexte, le rapport à l’enfant lui-même tend à devenir de plus en plus consumériste, à travers la notion de « droit à l’enfant », mais aussi à travers la hantise de l’enfant qui n’aurait pas été voulu et planifié.
Pour ne rien arranger, ce féminisme a aussi rencontré un écologisme radical qui voit dans le fait d’avoir des enfants une chose néfaste pour la planète, et tend à déconsidérer l’humain, perçu comme une menace. Le réchauffement climatique, conséquence directe de notre consumérisme débridé, est ainsi devenu prétexte au rejet de la maternité ! Dans les classes moyennes et supérieures, la mouvance childfree (« sans enfant ») permet de se donner bonne conscience à peu de frais en s’interdisant de donner le jour à de futurs « pollueurs », mais c’est pour mieux continuer de consommer soi-même par ailleurs.
La conséquence de tout cela est que les femmes occidentales ne font presque plus d’enfants (tout comme les femmes d’Extrême-Orient), soit qu’elles rejettent la maternité, soit qu’elles sont empêchées d’avoir autant d’enfants qu’elles le souhaiteraient – en France, le désir d’enfant se situe à 2,4 quand la fécondité est tombée à 1,6…
C’est, note Ève Vaguerlant, l’accomplissement de l’objectif affiché il y a… sept cents ans par les Cathares. Ces hérétiques chrétiens voyaient la chair comme une souillure et la maternité comme le prolongement de l’œuvre du démon. C’est encore l’accomplissement de l’idéal affiché il y a trois à quatre siècles par les Précieuses des salons parisiens, qui se voyaient comme de purs esprits et rejetaient les bassesses du mariage et de la procréation. Les uns et les autres demeurèrent en leur temps ultra-minoritaires. Leurs héritiers peuvent se flatter d'avoir pris le pouvoir et aboli l’idéal chrétien illustré par la fête de la Nativité, qui avait sanctifié la figure maternelle et permis il y a mille ans aux femmes d’Occident de trouver la voie de leur émancipation.
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Voir les 8 commentaires sur cet article
Françoise (30-10-2024 19:06:54)
Vous oubliez l'instabilité des couples qui fragilisent les femmes (et les enfants), les longues études qui repoussent le moment de la maternité, l'insertion dans le monde du travail, la difficul... Lire la suite
hadrien1000 (20-08-2024 15:56:34)
C'est courageux de s'aventurer ainsi sur le "terrain glissant" de la natalité, du féminisme et de la contraception : gare à certaines ! Mais les femmes à mon avis ne sont pas seules en cause, la ... Lire la suite
orace369 (20-08-2024 10:58:53)
Bonjour, mal placé à propos de ce sujet, je n'ai pas eu comme but d'avoir des enfants, mon but inconscient était de laisser la nature faire. Cependant, je conçois que cette baisse est grande et ... Lire la suite