18 septembre 2022 : avec un titre choc, Planète vide, Le choc de la décroissance mondiale (Les Arènes, 2020), les auteurs canadiens Darrell Bricker et John Ibbitson mettent en lumière un retournement démographique sans précédent de l’humanité...
Depuis la sédentarisation et l’agriculture, il y a dix à mille ans, celle-ci a connu une croissance quasi-continue qui s’est accélérée à partir du XVIIIe siècle. Grâce à l’amélioration de l’hygiène et aux progrès de la médecine et de l’agriculture, ses effectifs ont été multipliés par dix, jusqu’à atteindre 8 milliards aujourd’hui.
Mais cette croissance exponentielle est terminée et l’on est entré dans une période longue de décroissance. Hors Afrique subsaharienne, l’indice de fécondité moyen est désormais nettement inférieur au seuil de renouvellement. Il est de 1,91 enfants par femme quand il en faudrait au minimum 2,1 pour stabiliser la population.
La population humaine plafonnera selon l’ONU à moins de onze milliards en 2100, dans trois générations, et commencera à décroître avant cette date. Darrell Bricker et John Ibbitson pensent toutefois que ces projections sont très « optimistes ». Faisant part des témoignages recueillis au fil de leurs pérégrinations d’un continent à l’autre, ils envisagent une diminution plus précoce et plus rapide de la population mondiale.
Le poids des vieux, le choc des migrants
L’évolution ne sera pas uniforme, loin de là, et les auteurs de Planète vide mettent en lumière les grands contrastes continentaux. Ces divergences démographiques laissent présager des retournements géopolitiques de grande ampleur. On peut ainsi se demander ce qu’il adviendra en Chine ou en Europe, où la baisse de la population ira de pair avec une montée en flèche du grand âge.
A contrario, les États-Unis et le Canada pourraient réserver des surprises inattendues avec une croissance robuste conjuguée à une immigration sélective. Les États-Unis ont aujourd’hui une population près de quatre fois inférieure à celle de la Chine. En 2100, le rapport pourrait se rapprocher de 2 (434 millions d’Étasuniens face à 1065 millions de Chinois) avec pour le premier une proportion beaucoup plus élevée de jeunes et surtout d’actifs.
Pour les auteurs de Planète vide, les projections onusiennes relatives à la Chine sont encore trop optimistes et si le pays suit la voie de la Corée, de Hongkong ou de Taiwan, sa fécondité, dèjà très faible (1,3 enfants par femme) pourrait chuter en-dessous d’un enfant par femme, ce qui signifie une division des naissances par deux à chaque génération, tous les trente ans. « Si les couples chinois suivent ce mouvement, la population de l’empire du Milieu atteindra tout juste 560 millions à la fin du siècle », écrivent les auteurs. Le plus grave est le déséquilibre des générations car les proportions de jeunes, d’actifs et de vieux évolueront en conséquence, les jeunes de vingt ans et moins ne représentant plus que 15% environ de la population (25% aujourd'hui) et les plus de soixante ans 35% environ (15% aujourd'hui).
Les enjeux démographiques risquent donc d’obérer l’avenir de la Chine (comme de ses voisins). L’« atelier du monde » a du souci à se faire, au-delà de 2050, cela sans parler des enjeux environnementaux et climatiques.
Suite à leurs entretiens avec les démographes indiens, les auteurs de Planète vide manifestent aussi des doutes quant aux précisions onusiennes relatives à l’Inde. Ils supputent que son indice de fécondité est déjà inférieur au seuil de renouvellement, de sort que sa population ne devrait pas plafonner à 1,7 milliards en 2060 mais « seulement » 1,5 milliards, pour retomber à 1,2 milliards en 2100 (au lieu de 1,5 milliards en 2022).
Plus peuplée et surtout plus jeune et donc plus dynamique que la Chine, l’Inde pourrait ainsi réserver des surprises et se hisser plus vite qu’on ne croit dans le peloton des grandes nations modernes.
Les États-Unis n’ont pas dit leur dernier mot
La surprise, à la lecture de Planète vide, vient toutefois des États-Unis qui, en dépit de leurs déboires militaires et diplomatiques en Indochine ou encore au Moyen-Orient, conservent et même accroissent leur suprématie sur le monde.
Leur premier atout est démographique. Comme les autres sociétés développées, les États-Unis ont un indice de fécondité inférieur au seuil de renouvellement. Mais il n’est pas aussi faible qu’en Extrême-Orient et surtout, relèvent les auteurs, il ne montre pas de grandes divergences entre les différentes communautés ethniques. À l’encontre d’une idée reçue, « il y a peu de différence entre les taux de natalité des Blancs, des Noirs et des Latinos aux États-Unis. » C’est ce qu’atteste le graphique ci-après.
Indices de fécondité aux États-Unis en 2020 (source : Statista.com) :
Les États-Unis ont par ailleurs un solde migratoire d’un million de personnes par an. Venant pour l’essentiel d’Amérique latine, d’Extrême-Orient et du sous-continent indien, les nouveaux-venus assurent une main-d’œuvre âpre au travail et dans l’ensemble bien éduquée.
Ils offrent à l’Amérique un avantage déterminant. « Et pour ceux qui ne seraient pas encore convaincus : en 2016, sept Américains ont reçu des prix Nobel. Six d’entre eux étaient des immigrés. (Le septième, Robert Zimmerman, est plus connu sous le nom de Bob Dylan.) » Les auteurs écrivent aussi que « plus de la moitié des start-up américaines valant aujourd’hui plus de 1 milliard de dollars ont été créées par des immigrés. »
Bénéficiant d’un regard plus ouvert que le nôtre sur les États-Unis, les auteurs canadiens de Planète vide concluent à leur sujet que « le déclinisme n’a jamais été aussi hors de propos qu’à l’heure actuelle. Le XXe siècle a été baptisé le siècle américain. Le XXIe siècle le sera aussi. »
De fait, en dépit d’une violence persistante et d’indicateurs de bien-être médiocres (mortalité infantile, espérance de vie), les États-Unis conservent des atouts notables que nos auteurs se plaisent à énumérer : une richesse par habitant huit fois supérieure à celle des Chinois, une monnaie de réserve mondiale peu contestée, une puissance militaire énorme avec 800 bases militaires dans le monde, 10 des 20 universités les mieux classées.
Par-dessus tout, l’industrie du numérique et d’internet est dominée de façon écrasante par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon,…) ; l’anglo-américain, compris par plus d’un millliard d’individus, est devenu la lingua franca de la planète ; le cinéma américain, porté par Hollywood et Netflix, véhicule partout la culture US et ce que l’on appelait au XXe siècle l’american way of life. Enfin, cerise sur le gâteau, le pays est devenu excédentaire en énergies fossiles, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique.
Les Européens et les Français semblent avoir pris acte du caractère irrépressible de cette suprématie, d’autant qu’ils n’ont pas les mêmes atouts pour attirer une immigration de haut niveau éducatif et professionnel. Les mœurs, la culture, les courants de pensée et même le vocabulaire d’outre-Atlantique ne rencontrent plus guère de résistance au pays d’Astérix.
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Vincent (19-09-2022 21:25:04)
Le dynamisme bien connu de l'Inde cache une réalité inquiétante (qui est aussi celle de la Chine): le déficit de femmes, dû à la pratique d'avortements sélectifs par des couples préférant un ... Lire la suite
Vincent (19-09-2022 21:15:46)
Un indice du déclin politique et économique de la France est très perceptible dans le désintérêt grandissant des autres peuples pour la langue française, comme de la plupart des autres langues ... Lire la suite
Pépé (18-09-2022 13:33:11)
Moins de jeunes pour s’occuper d’un monde comptant plus de vieux, ça veut dire qu’il faudra que les vieux contribuent plus longtemps. D’autant plus qu’ils vivent plus longtemps et sont en m... Lire la suite