La basilique Saint-Denis, à dix kilomètres environ au nord de Notre-Dame de Paris, n'est pas seulement la nécropole des rois de France. Elle est aussi à juste titre considérée comme le berceau de l'« art français », plus tard appelé art gothique.
Son chœur a été consacré par l'abbé Suger le 11 juin 1144 en présence du roi Louis VII, de sa femme Aliénor d'Aquitaine et de toutes les sommités du royaume, y compris vingt-quatre évêques et archevêques. De retour dans leur diocèse, ceux-ci n'ont eu d'autre ambition que de reconstruire leur cathédrale dans le même style.
Après la tourmente révolutionnaire, l'église abbatiale a été redécouverte par les romantiques et restaurée par l'architecte François Debret. Elle est aujourd'hui cathédrale du diocèse de Seine-Saint-Denis et fait la fierté de la ville de Saint-Denis malgré une façade mutilée par le démontage de sa tour nord, en 1856, par Eugène Viollet-le-Duc. Depuis plusieurs décennies, les municipalités successives bataillent pour restituer à la façade son harmonie d'antan.
Jacques Moulin, architecte en chef des Monuments historiques, nous fait visiter la basilique, y compris ses parties les plus anciennes et les plus secrètes. Il évoque le projet de restituer la tour nord et sa flèche, démontées au milieu du XIXe siècle.
Cette restitution, qui sera exclusivement financée par les visiteurs, est soutenue par la mairie de Saint-Denis et une convention en bonne et due forme a été conclue avec la ministre de la Culture Françoise Nyssen le 17 mars 2018...
Saint-Denis, coeur battant du royaume
Saint-Denis tire son prestige et sa fortune de ce que serait mort à cet endroit saint Denis, le premier évêque de Paris, après sa « décollation » (décapitation) à six kilomètres au sud, sur le mont Mercure (aujourd'hui Montmartre, du latin Mons Martyrium). C'est du moins ce que raconte une chronique de l'époque de l'abbé Hilduin (IXe siècle), qui visait à rehausser le prestige du saint vénéré en ce lieu en en faisant un saint « céphalophore » (qui porte sa tête)...
Dans les faits, des fouilles réalisées dans la crypte romane à partir de 1952 ont mis en évidence l'existence en ce lieu d'une nécropole gallo-romaine antérieure à la période chrétienne et peut-être associée à un temple d'Apollon. Il était coutumier en effet à l'époque romaine d'inhumer les morts hors des villes. Sainte Geneviève y fit ériger une église vers 475. Attirés par la sainteté du lieu, des pèlerins commencèrent d'affluer et des moines s'y installèrent.
Le roi Dagobert, lointain descendant de Clovis, y fonda une abbaye bénédictine vers 625. Elle allait devenir un lieu de pèlerinage prospère et aussi le centre administratif du royaume des Francs (Regnum Francorum).
Au siècle suivant, le 27 juillet 754, Pépin le Bref et ses deux fils, Carloman et Charles, y furent sacrés rois des Francs par le pape Étienne II.
Et le 24 février 775, une nouvelle abbatiale (dico), dans un style pré-roman, fut consacrée par l'abbé Furald, en présence du roi Charles, futur empereur Charlemagne.
Après l'époque carolingienne, qui avait déporté le coeur du royaume vers Aix-la-Chapelle, l'installation des rois capétiens à Paris rendit à l'abbaye de Saint-Denis un rôle prépondérant.
Ses abbés comptent désormais parmi les principaux seigneurs du royaume. Plusieurs d'entre eux, à commencer par Suger, vont exercer du fait de leur instruction et de leur charisme la fonction de conseiller auprès des souverains.
Forts de leur proximité d'avec les rois, les moines de Saint-Denis deviennent dès le XIIIe siècle les historiens officiels de la monarchie. Il leur appartient de mettre à jour les superbes Grandes Chroniques de France (il nous reste 900 exemplaires de ces manuscrits enluminés).
C'est aussi au XIIIe siècle que l'abbaye devient le lieu d'inhumation officiel des rois de France.
Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, l'abbaye a enfin l'insigne honneur de conserver les « regalia », autrement dit les objets symboliques employés au sacre des nouveaux souverains : la couronne, l'épée, le sceptre, l'anneau et la main de Justice.
Au début du XVIIIe siècle, les bâtiments monastiques d'origine médiévale sont reconstruits dans une facture classique par les architectes Robert de Cotte et Jacques Gabriel. L'abbaye est nationalisée en 1790, au début de la Révolution, et la basilique brièvement convertie en Temple de la Raison puis en hospice, échappant de justesse à la destruction ! En 1809 enfin, les bâtiments monastiques sont transformés par Napoléon Ier en maison d'éducation des jeune filles de la Légion d'Honneur.
L'empereur ordonne la restauration de la basilique dont il souhaite faire le lieu d'inhumation de sa famille. La restauration débute en 1813 sous la direction de l'architecte François Debret, frère du peintre et coloriste Jean-Baptiste Debret. En 1846, il doit céder la place à Eugène Viollet-le-Duc.
La même année, la tour nord, qui culminait à 86 mètres, est déstabilisée et fissurée par une tempête. L'architecte Viollet-le-Duc la démonte précautionneusement. Il projette dans un premier temps de la restituer avant d'y renoncer.
La basilique a accédé au statut de cathédrale lorsque fut créé le département de la Seine-Saint-Denis en 1968. Tandis que le préfet s'installait à Bobigny, ville administrative érigée en chef-lieu, l'évêque choisissait Saint-Denis, ville au passé religieux autrement plus prestigieux.
Après la restauration de sa façade en 2012-2014, la basilique est encore dans l'attente d'importants travaux de restauration (vitraux, chapelles...).
La municipalité veut croire que la restitution de sa tour nord pourrait lui valoir un supplément de fréquentation et de recettes, avec un chantier ouvert au public et autofinancé, comme ceux de Guédelon et L'Hermione.
Parmis ses reliques, l'abbaye a longtemps conservé l'oriflamme de saint Denis, rouge du sang du martyr.
En 1124, confronté à une attaque de l'empereur allemand, le roi Louis VI l'a arborée à la tête de son armée. Depuis lors, les rois capétiens ont pris l'habitude de l'arborer dans les grands moments de péril. Cette tradition a été reprise huit siècles plus tard par les révolutionnaires parisiens, insurgés contre le roi. C'est comme cela que le drapeau rouge est devenu dans le monde entier le symbole des luttes révolutionnaires et ouvrières !
Suger et le triomphe de l'art gothique
Fils de paysans non libres, Suger s'est hissé par ses seuls talents jusqu'au sommet de l'Église et de l'État. Conseiller des rois Louis VI le Gros et Louis VII le Jeune, il devient aussi vers 40 ans, en 1122, abbé de Saint-Denis.
Entrepreneur hors pair, il décide en 1130 de reconstruire son église abbatiale avec magnificence. Il a le sentiment d'oeuvrer ainsi pour la gloire de l'Église et du royaume. Dans un premier temps, pour la façade et la crypte de l'église, l'abbé adopte le style de l'époque, non sans introduire sur la façade une superbe rosace, la première du genre.
Ce style, baptisé au XIXe siècle roman ou romain, c'est-à-dire d'inspiration latine, s'est épanoui après l'An Mil en Occident à l'occasion du renouveau de l'Église. Il se caractérise par des voûtes en berceau soutenues par de solides parois en pierre.
Vers 1130, à Sens (Yonne), à l'occasion de la reconstruction de la cathédrale Saint-Étienne, un nouveau style apparaît subrepticement, plus léger, plus élancé, plus lumineux, avec premières voûtes en ogives, supports en filigrane et larges fenêtres.
La Normandie des Plantagenêt connaît des innovations similaires, par exemple dans l'ancienne abbatiale Saint-Étienne de Caen. L'abbé Suger, séduit, décide de s'inspirer de ces différentes innovations pour l'achèvement de sa chère basilique.
Avec la consécration du chœur, achevé en quatre ans seulement, les contemporains ont conscience d'assister à la naissance d'un nouveau style architectural, proprement révolutionnaire par sa hardiesse et son caractère résolument novateur.
De cette architecture, Saint-Denis a conservé le déambulatoire et ses chapelles rayonnantes, avec voûtes en ogives, colonnades minces et parois percées de larges vitraux. La nef proprement dite sera réalisée plus tard dans un style gothique plus mûr, proche de celui de Notre-Dame de Paris.
Le style architectural qui caractérise le choeur de Saint-Denis est d'abord baptisé « ogival » par référence à l'ogive ou à l'arc brisé, ou encore « art français » car il est né au XIIe siècle dans le Bassin parisien, à Sens, Saint-Denis, Laon, Noyon, Paris.
Comme tout l'art médiéval, il sera sous la Renaissance baptisé par dérision « art gothique » (c'est-à-dire « à peine digne des Goths »). Au XIXe siècle seulement, on en viendra à distinguer l'art gothique de l'art roman qui l'a précédé.
Vos réactions à cet article
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Lizzie (23-06-2018 09:58:27)
La grande invention de l’époque c’est l’arc brisé, qui permet de mieux répartir le poids de la voûte
BRES DANIELLE (30-01-2017 16:45:34)
Le terme "restitution" me parait ambigu ; je pensais qu'il s'agissait de rendre au pays d'origine les oeuvres d'art "butin de guerre" comme les bas reliefs grecs qui se trouvent au National British Mu... Lire la suite