Le 19 mai 1802 (29 floréal An X), Napoléon Bonaparte établit par une loi consulaire un Ordre national de la Légion d'Honneur.
Le Premier Consul veut de la sorte récompenser les mérites des citoyens et établir une émulation civique chez les notables, afin que la société française sorte de la corruption et de l'immoralité post-révolutionnaires.
Une tradition monarchique
Il existait sous l'Ancien Régime un ordre royal de Saint-Louis réservé aux militaires. Bonaparte, quant à lui, veut un ordre national qui honore les civils aussi bien que les militaires.
Le 8 mai 1802, un membre du Conseil d'État l'interpelle sur le bien-fondé d'une décoration qui viole les principes révolutionnaires d'égalité et invoque l'exemple des Romains. Le Premier Consul rétorque : « On nous parle toujours des Romains ! Il est assez singulier que, pour refuser les distinctions, on cite l'exemple du peuple chez lequel elles étaient le plus marquées. Est-ce là connaître l'histoire ? Les Romains avaient des patriciens, des chevaliers, des citoyens et des esclaves. Ils avaient pour chaque chose des costumes divers, des moeurs différentes. Ils décernaient en récompenses toutes sortes de distinctions, des noms qui rappelaient des services, des couronnes murales, le triomphe !... Je défie qu'on me montre une république ancienne et moderne dans laquelle il n'y ait pas eu de distinctions. On appelle cela des hochets ; eh bien, c'est avec des hochets qu'on mène les hommes. L'on convient qu'il nous faut des institutions ; si l'on ne trouve pas celle-là bonne, qu'on en propose donc d'autres ! Je ne prétends pas qu'elle doive sauver la République ou l'État, mais elle y jouera son rôle ».
Au moins la nouvelle distinction honorifique ne coûte-t-elle rien ou presque à l'État, à la différence des fiefs et des pensions dont l'ancienne monarchie usait pour récompenser ses dévoués serviteurs...
Militaire d'abord
Dès son origine, la Légion d'Honneur recueille un vif succès dans l'opinion, ce qui raffermit le prestige du Premier Consul. Le 2 août 1802, un plébiscite vaut à celui-ci le Consulat à vie.
Mais les notables ne manifestent pas le même enthousiasme que les citoyens. Le Tribunat accepte la Légion d'Honneur avec 56 voix seulement contre 36 et le Corps législatif avec 166 voix contre 110. Confronté à leurs réticences, Bonaparte va devoir différer de plus d'un an la constitution de l'Ordre.
Il comprend d’abord quatre, puis cinq classes de légionnaires : les grades de chevalier, officier et commandeur et les dignités de grand officier et grand-croix (anciennement grand Aigle).
Il est présidé par le Premier Consul, qui lui donne pour devise « Honneur et Patrie », et dirigé par un Grand Chancelier et un Grand Trésorier. Les premiers nommés à ces charges, le 14 août 1803, sont un civil, le comte de Lacépède, naturaliste de profession, et un militaire, le général Dejean.
Devenu empereur, Napoléon associe à la dignité de légionnaire ou chevalier une médaille.
En signe de consensus national, la première distribution des insignes a lieu à l'occasion d'une fête républicaine, le 14 juillet 1804, dans la chapelle Saint-Louis des Invalides, haut lieu des gloires militaires. La peinture ci-dessus, exécutée en 1812, montre l'Empereur épinglant lui-même la médaille sur la poitrine d'un vétéran manchot.
La deuxième distribution a lieu à Boulogne, devant 100 000 soldats, le 16 août 1804. Elle honore les héros des premières victoires de la Révolution. Parmi les impétrants, André Estienne, le petit tambour d’Arcole, aura qui plus est l'honneur de voir son nom gravé sur l’Arc de Triomphe.
Par le décret de Schönbrunn du 15 décembre 1805, après la bataille d'Austerlitz, Napoléon 1er confère à l'Ordre une mission d'entraide en fondant trois maisons d'éducation pour les filles des légionnaires, à Écouen, Saint-Denis et aux Loges (près de Saint-Germain-en-Laye). Par cette mesure, il pallie au manque crucial de structures éducatives pour l'instruction des jeunes Françaises, après la tourmente révolutionnaire et la fermeture des écoles paroissiales et des couvents.
Mme Campan, qui fut Première femme de chambre de la reine Marie-Antoinette, devient surintendante de la maison d'Écouen ; c'est une manière de perpétuer les bonnes manières aristocratiques de l'Ancien Régime.
Au nombre d'un millier aujourd'hui, les pensionnaires se partagent entre les Loges et Saint-Denis. Toutes internes, elles portent un uniforme sur lequel elles arborent une ceinture, héritage de l’Empire, qui permet de distinguer leur niveau scolaire.
Un succès qui ne se dément pas
48 000 personnes vont être élevées à la dignité de légionnaire sous le Consulat et l'Empire... dont seulement 1400 civils !
L'un de ceux-ci est le contremaître Hubert Goffin. Le 28 février 1812, il travaille dans la mine de Beaujon, près de Liège, avec son équipe et son propre fils, Matthieu, quand survient un effondrement des parois. Après cinq jours de lutte, il réussit à extraire ses compagnons de la mine. Cet acte d’héroïsme lui vaut d’être le premier ouvrier à recevoir la Légion d’Honneur (Liège et la Belgique font alors partie de l’Empire français).
Le poète allemand Goethe reçoit avec fierté la Légion d'honneur par décret du 12 octobre 1808 de Napoléon, « empereur des Français, roi d'Italie et protecteur de la Confédération du Rhin ». Il continuera de la porter après que les Français auront été chassés d'Allemagne.
À la chute de Napoléon, le roi Louis XVIII maintiendra la Légion d'Honneur, substituant simplement l'effigie d'Henri IV à celle de l'Empereur sur les médailles.
Le 23 février 1825, les jeunes poètes Victor Hugo et Alphonse de Lamartine reçoivent la décoration. Sous le Second Empire, elle est remise à sept femmes, dont le peintre Rosa Bonheur et plusieurs religieuses.
En 2014, la Légion d'Honneur compte environ 92 000 titulaires après un maximum de 320 000 en 1968. Cet effectif comprend 75 % de chevaliers, 20 % d'officiers et 5 % de commandeurs. Les militaires représentent 60 % du total et les hommes 80%. Les légionnaires peuvent adhérer à la Société des membres de la Légion d'honneur, association loi 1901, qui compte 57 000 adhérents.
Le chef de l'État, autrefois l'empereur ou le roi, aujourd'hui le président de la République, est de droit le grand-maître de la Légion d’Honneur. Il reçoit à ce titre le somptueux collier de grand-maître le jour de son entrée en fonction.
Ce collier porte la devise de l’ordre : Honneur et Patrie. Il comporte 17 maillons à l'avers desquels sont représentées l'une ou l'autre des activités de référence des légionnaires (activités civiles ou militaire). Au début de chaque mandat présidentiel, le nom du président est gravé au revers de l'un des maillons. L’actuel collier remonte à 1951. Il sera remplacé une fois tous les maillons gravés.
Depuis l'investiture de Valéry Giscard d'Estaing, en 1974, le collier n'est plus porté par le président mais lui est seulement présenté sur un coussin le jour de son entrée en fonction. Il est ensuite ramené dans sa vitrine du musée de la Légion d'Honneur, dans le joli hôtel de Salm (1782), au bord de la Seine et en face du musée d'Orsay.
Cet endroit accueillant, qui déroule l'histoire de la Légion d'Honneur comme de la plupart des ordres français et étrangers, vaut la visite et s'adresse aux enfants comme aux adultes. Il est gratuit et l'on n'a pas à y faire la queue comme au musée d'Orsay voisin.
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Shizu (20-05-2017 09:40:32)
A propos de français et d'orthographe, le verbe pallier est transitif:
On doit écrire: "Par cette mesure, il pallie le manque..." et non " ...., il pallie au manque..."
jean (23-04-2013 11:21:43)
Je pense que Les Loges sont à Saint Germain et non à St Cloud comme il est dit plus haut dans le parag. "Pensons aux filles"
Cordialement