Du 1er au 4 mars 2023, le président français Emmanuel Macron a effectué une tournée en Afrique centrale pour tenter de renouer le contact entre l’Afrique et la France. Mal préparée par l’Élysée et le Quai d’Orsay, la tournée en Afrique du président Macron s’est soldée par de sévères embardées, pour ne pas dire plus, en particulier lors de l’étape à Kinshasa. Sans doute la fin de la relation privilégiée entre la France et l'Afrique francophone...
Visionnaire, le général de Gaulle, président de la République française, avait perçu dès 1958 tout le profit à tirer de la décolonisation. Libérée du fardeau hérité de la IIIe République, la France allait pouvoir renouer avec l’impérialisme « de velours » qui lui avait si bien réussi sous la Restauration et le Second Empire, de 1815 à 1870, quand, « bien que dépourvue d’empire colonial, elle était pourtant la deuxième puissance impériale du monde » (David Todd, Un empire de velours, La Découverte, 2022).
Dans ce but, il a inscrit dans la Constitution de la Ve République un éphémère Secrétariat général de la Communauté pour les affaires africaines et malgaches et l’a confié le 21 mars 1960 à Jacques Foccart, un fidèle d'entre les fidèles. Celui-ci allait devenir l'indispensable « Monsieur Afrique » de l’Élysée, usant de tous les moyens, séduction, corruption ou violence, pour maintenir les anciennes colonies du pré-carré dans le sillage de Paris.
Sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, Foccart allait être remplacé à la cellule Afrique de l’Élysée par son adjoint René Journiac. François Mitterrand allait ensuite appeler Jean-Pierre Cot avant de le remplacer très vite par son propre fils Jean-Christophe Mitterrand (« Papamadit »). Mais pendant toutes ces années, Jacques Foccart allait demeurer le conseiller de l’ombre.
Cette « Françafrique » (dico) a donc été avec la dissuasion nucléaire et le siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU l'un des trois piliers qui a permis à la France gaullienne de conserver longtemps un statut de grande puissance.
Elle aurait pu s'en tenir à une stratégie d'influence par le biais de la diplomatie et de la culture mais elle a été gâtée par l'affairisme et, ce qui est peut-être plus grave encore, par une « aide au développement » publique et caricative contre-productive...
L'impossible renoncement à la Françafrique
Le président François Mitterrand prétendit mettre fin à ce système d’influence hérité du général de Gaulle. Dans le même élan, il s'inscrivit dans la lignée de tous les dirigeants de la gauche républicaine depuis Jules Ferry en prétendant faire le bien des Africains et les « civiliser » (citation), qu’ils le veuillent ou pas. Ainsi déclara-t-il à ses hôtes africains, au sommet africain de la Baule, en juin 1989 : « La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté »…
En foi de quoi, l’armée française aida le président du Rwanda Habyarimana quand son pays fut envahi par les rebelles tutsis du FTP en septembre 1990...
Les engagements de La Baule ont aussi eu des répercutions en matière de coopération économique : l'AFD (Agence Française de Développement), issue en 1998 de la Caisse Centrale de la France Libre créée en 1941 par le général de Gaulle, assortit ses prêts (14 milliards d’euros dont 2,9 milliards pour l’Afrique subsaharienne en 2020) de conditions spécifiques en matière de respect des droits humains, de lutte contre la corruption et d'impact environnemental !
Cette démarche s’avéra contre-productive face à des rivaux comme la Chine, la Russie ou même les États-Unis qui n’affichaient pas les mêmes exigences morales. Aujourd’hui, de fait, l’Afrique subsaharienne compte pour presque rien dans le commerce extérieur de la France (2,2% des exportations françaises et 1,5% des importations françaises en 2022), de même que la France dans les investissements et le commerce en Afrique (la France détient 7,35% du marché global africain, loin derrière la Chine : 27,75%). Pas plus l’uranium du Niger que le pétrole du Gabon et de l’Angola ne représentent pour la France un enjeu stratégique, des alternatives étant aisément accessibles partout ailleurs dans le monde.
Que reste-t-il de la France en Afrique ?
Les relations économiques entre la France et l'Afrique subsaharienne étant réduites à peu de chose, tout ce qui reste en ce début du XXIe siècle de l'influence française en Afrique tient en trois points : les bases militaires, la monnaie commune et la langue.
Se posant en protecteur bienveillant de ses anciennes colonies, le général de Gaulle avait maintenu une présence militaire en Afrique pour prêter mainforte aux nouveaux États… et veiller à la sécurité de leurs dirigeants. Depuis le retrait du Mali et de Centrafrique, cette présence est réduite à quatre bases : Djibouti, Côte d'Ivoire, Gabon et Sénégal. La force française la plus importante, stationnée à Djibouti, compte encore 1450 hommes mais est destinée à se projeter dans l’océan Indien bien plus que sur le continent. Pour le reste, la Côte d’Ivoire accueille encore 900 soldats, le Gabon et le Sénégal, 350 chacun. Les soldats anciennement stationnés à Bouar, en Centrafrique, ont dû céder la place aux mercenaires de la milice russe Wagner de même que les contingents de l’opération Barkhane engagés au Mali.
Il reste donc trois bases en Afrique avec moins de deux mille soldats. Les opinions publiques africaines attendent avec impatience leur fermeture d’autant que leur utilité reste à démontrer. Mais il est vain de l’espérer à moyen terme car les militaires français, qui y trouvent beaucoup d’avantages personnels (soldes, etc.) s’y opposent avec force, selon le journaliste Jean-Dominique Merchet (source).
Le 20 mai 2022, la France a entériné la fin du franc CFA, issu du franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA) et son remplacement par l’éco, du moins en Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo). L’Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad) continuera de l’utiliser. Le ministre français des Finances et le gouverneur de la Banque de France se retirent du conseil de direction de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et cette dernière, en charge de la nouvelle monnaie, ne devra plus déposer la moitié de ses réserves de change auprès du Trésor français, ce qui était perçu comme humiliant.
Très bien, mais ainsi que le rappelle le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, « le rôle de la France évolue pour devenir celui d’un strict garant financier de la zone ». En clair, l’essentiel demeure, à savoir que le taux de change de l’éco et du franc CFA reste aligné sur l’euro européen. C’est le Trésor français qui soutient le cours de la monnaie et lui évite une dévaluation lorsque la balance commerciale des pays africains vient à trop se creuser. Comme cette balance commerciale est déficitaire depuis plusieurs décennies, le cours de la monnaie africaine, aligné sur celui de l'euro, est donc notablement surévalué malgré la dévaluation de 50% imposée par le Premier ministre Édouard Balladur en 1994.
Du fait de cette surévaluation de la monnaie, les producteurs locaux ne peuvent en conséquence soutenir la concurrence internationale. C’est ainsi que les petits paysans doivent renoncer à vendre aux citadins leur farine, leurs poulets ou leur lait, trop peu concurrentiels face aux produits d’importation, ceux-ci étant qui plus est souvent subventionnés par l’Union européenne quand ils ne sont pas offerts par des ONG. Mais l'alignement du franc CFA et de l'éco sur l'euro ne fait pas que des malheureux. Il profite ô combien ! aux oligarchies africaines qui ne craignent pas de voir le fruit de leurs pillages fondre comme neige au soleil...
La langue française est le legs le plus notable de la France coloniale à l’Afrique. Qui le sait ? Le plus grand pays francophone du monde est aujourd’hui la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre, ex-Congo belge), avec cent millions d’habitants, et la plus grande métropole de langue française est sa capitale Kinshasa (20 millions d’habitants).
Modérons toutefois le propos en rappelant que les pays africains dits francophones ne comptent pour l'heure qu'une minorité de gens en situation de parler et comprendre le français (c'est 5 à 10% au Niger par exemple).
Du fait de la croissance démographique encore très forte de l’Afrique subsaharienne francophone, les locuteurs potentiels de notre langue devraient en théorie plus que doubler d’ici 2050, passant de 300 millions à 750 millions environ, soit de 3% à 8% de la population mondiale.
Mais il ne s’agit pas qu’une mauvaise politique vienne gâcher la fête. En 2009, très remonté contre la France, le président du Rwanda Paul Kagamé a obtenu l’admission de son pays dans le Commonwealth britannique et érigé l’anglais en langue officielle de son pays au côté du français (pour le moment).
Plus gravement, le 25 juin 2022, le Togo et le Gabon ont obtenu leur admission dans le Commonwealth britannique avec le soutien actif du président rwandais. Ils n’ont toutefois pas encore basculé vers l’anglais. Leur choix à venir dépendra pour beaucoup des Français eux-mêmes. Si ceux-ci s’obstinent à semer des mots anglais partout et à valoriser l’apprentissage et l’usage de l’anglais international (global english), il leur sera de plus en plus difficile de convaincre les Africains de rester fidèles à notre langue maternelle !
Notons que la désignation en 2018 d’une Rwandaise, Louise Mushikiwabo, à la direction de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) n’a rien fait pour rassurer les dirigeants africains en conflit avec leur homologue rwandais.
Les bons sentiments, reliquat de l'ère coloniale
Le 27 février 2023, au palais de l’Élysée, en prélude à sa tournée africaine, Emmanuel Macron a assuré que l'Afrique ne devait plus être un « pré carré » français. Il a annoncé une prochaine « diminution visible » des effectifs militaires français sur le continent. Sans doute le président, adepte du double langage, convertira-t-il les militaires en instructeurs et conseillers, au risque de donner prise à l’ire des jeunesses africaines, excitées par la propagande russe, chinoise, américaine ou autre.
Après cela, le président s’est rendu le lendemain 1er mars au Gabon (deux millions d’habitants sur 270 000 km2) où se tenait le One Forest Summit (en anglais dans le texte !). À Libreville, le 2 mars 2023, il a réitéré la promesse malheureuse de François Mitterrand : « l’âge de la Françafrique est bien révolu ! »
Après un crochet par Luanda, capitale de l’Angola (35 millions d’habitants sur 1,2 millions de km2), premier producteur africain de pétrole devant le Nigeria, Emmanuel Macron s'est rendu à Brazzaville, au Congo-Brazzaville (6 millions d’habitants sur 342 000 km2), puis a traversé le fleuve pour se rendre en face, à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (95 millions d’habitants sur 2,4 millions de km2 en 2021).
Dans cette métropole plus turbulente qu’aucune autre, Emmanuel Macron a rencontré le président Félix Tshisekedi. Leur conférence commune, le 4 mars 2023, témoigne de tous les malentendus entre la France et l’Afrique ! Dans la vidéo ci-dessous, nous recommandons en particulier les passages à la 30e et à la 44e minutes qui montrent un affrontement à fleurets mouchetés entre les deux hommes. Le vainqueur n'est pas celui que l'on croit (ou espère)...
Embarrassé, le président français s'emploie tout au long de la conférence à ne jamais citer le nom du pays voisin, le Rwanda. Il craint plus que tout de mécontenter le président Kagamé, déjà très irrité par l'accusation (fondée) d'avoir été à l'origine du génocide de ses compatriotes tutsis en abattant l'avion de son prédécesseur, le président-dictateur Habyarimana.
Après le génocide de 1994, Paul Kagamé a repris en main le Rwanda et s'est aussitôt lancé à la poursuite des soldats hutus à l'origine du génocide. Comme ceux-ci se sont réfugiés en RDC, dans la province du Kivu et autour de la ville de Goma, il en a profité pour envahir la région et piller ses ressources minérales (or, diamant, etc. etc.). Il s'en est suivi une « guerre des Grands Lacs » ou « guerre du Kivu » qui a fait des millions de morts et des millions de déplacés.
Après un semblant de cessez-le-feu avec Kinshasa le 23 mars 2009, des rebelles congolais sont repartis en guerre contre l'armée de leur pays, avec le concours actif du président rwandais, désireux de garder la main sur les richesses minérales de la région. Rien qu'en 2022, les organisations internationales assurent qu'un million de personnes auraient été déplacées à Goma et dans les environs, sans que l'on connaisse le nombre de morts. Il est vrai que cette guerre, très certainement la guerre la plus meurtrière depuis la chute du nazisme, se déroule loin des caméras, loin de l'Europe... et loin de l'Ukraine.
Qui se soucie en Occident de diaboliser Paul Kagamé, pourtant coupable d'une agression caractérisée encore plus brutale que celle de l'Ukraine par Vladimir Poutine ? Ce deux-poids-deux mesures explique selon François Gaulme, chercheur à l'IFRI (Institut français des relations internationales) pourquoi une trentaine de pays africains ont refusé à l'ONU de condamner l'agression russe ainsi que de s'associer aux sanctions contre Moscou.
Emmanuel Macron, poussé dans ses retranchements, s'est défendu des accusations de Félix Tshisekedi concernant le Rwanda en signifiant que le président congolais et sa classe politique portent une grande part dans les malheurs de leur pays par leur incurie ! Le reproche ne manque pas de sel, venant d'un chef d'État qui n'en finit pas de mettre son pays et ses institutions en tension (taxes sur le diesel, retraites,...).
Félix Tshisekedi relève la critique : « Ca aussi, ça doit changer dans la manière de coopérer avec la France et l'Europe. Regardez-nous autrement, en nous respectant, en nous considérant comme de vrais partenaires et non pas toujours avec un regard paternaliste, avec l'idée de toujours savoir ce qu'il faut pour nous ».
Embarras du président Macron qui s'en sort par une pirouette en signifiant que la presse française, elle, ne se prive pas de dénoncer ses gouvernants coupables de malversations. Et de citer de façon quelque peu discourtoise son prédécesseur Jacques Chirac !
E. Macron : « Quand un ou une journaliste pose une question, ce n'est pas le gouvernement de la France... ».
À quoi son interlocuteur réplique : « Je faisais allusion aux propos de Le Drian. Lui, c'est un officiel. Et le compromis à l'africaine, c'est Le Drian, ce n'est pas la journaliste... ».
E. Macron : « Cette formule, président, on sait d'où elle est sortie... et il n'y avait pas de mépris dans la formule de Le Drian ».
F. Tshisekedi, passant au tutoiement : « Si, si, si. À Nairobi, d'ailleurs, grâce à toi, on a pu s'expliquer avec lui... ».
Tous les malentendus de la relation franco-africaine sont contenus dans cet échange et l'on peut se demander s'il est encore temps pour les diplomates du Quai d'Orsay de reprendre la main. Leur serait-il encore possible d'instaurer avec les pays francophones d'Afrique des partenariats pragmatiques au lieu d'un bienveillant paternalisme entâché d'affairisme et de corruption ? Il est permis d'en douter.
Le 2 mars 2023, après que le président Macron eut à Brazzaville déclaré que sa relation avec le roi du Maroc Mohammed VI était « amicale », l'entourage du roi avait sèchement publié un communiqué rappelant que « nos relations ne sont ni bonnes ni amicales », un camouflet dont la violence surpasse le tutoiement du président congolais Tshisekedi.
Dans les deux cas, c'est le résultat d'un même désastre diplomatique de la part de l'exécutif français qui réussit le tour de force de se brouiller avec deux grands pays a priori bienveillants à l'égard de la France, le Maroc et la RDC (Congo) sans pour autant se réconcilier avec leurs deux grands ennemis qui sont aussi des adversaires de toujours de la France, l'Algérie du FLN et le Rwanda de Kagamé.
Le Maroc est engagé au Sahara dans un conflit frontalier sévère avec son voisin l'Algérie depuis plusieurs décennies, de même que le Congo avec le Rwanda dans la province du Kivu. Pas plus que le président congolais, le roi du Maroc ne supporte la déférence de l'exécutif français envers leur ennemi. De leur côté, les gouvernants algériens et rwandais voient dans ces démonstrations de faiblesse sans cesse réitérées depuis Nicolas Sarkozy (repentance, excuses, etc.) un encouragement à persister dans leurs admonestations à l'égard de Paris. Difficile de faire pire...
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Voir les 8 commentaires sur cet article
joseph (15-03-2023 19:17:55)
Merci d'avoir mis en ligne cette conférence très intéressante. Elle montre en effet un président africain s'exprimant remarquablement bien, et on y entend parler d'un conflit complètement ignoré... Lire la suite
Bernard (12-03-2023 17:47:56)
La politique actuelle de la France en Afrique est - hélas comme dans presque tous les autres domaines - absolument catastrophique. Avoir livré les clés du pouvoir en 2017 à un jeune homme immature... Lire la suite
gramoune (10-03-2023 08:51:45)
La France a injecté des millions voire des milliards de Francs ou d'Euros en Afrique depuis l'indépendance de ces pays, pour rien. Ni pour développer les pays, ni pour propager le français - l... Lire la suite