Le microcosme parisien bruit de mille cris autour des propos de Nicolas Sarkozy sur « nos ancêtres les Gaulois ». La formule elle-même n'a guère de sens d'un point de vue historique (note). Mais le débat dont elle est l'objet témoigne du trouble existentiel tant à droite qu'à gauche. Entre projet, identité et héritage, comment se définit la Nation ?
Les débats sur l'« identité nationale » sont très récents. L'historien Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, les fait remonter aux années 1970. L'« identité française » était alors portée par la gauche en lutte contre la puissance américaine et son impérialisme culturel. « Tout bascule en 1985, lorsque le Club de l’horloge publie un livre intitulé L’Identité de la France, au moment où le vote Front National progresse et où la lutte contre le multiculturalisme devient un thème obsédant » (note).
L'identité est comme la santé, on n'en prend conscience que quand on la perd !... Ni la Chine, ni le Japon, ni l'Inde, ni même aucun des États africains nés de la colonisation ne se posent aujourd'hui de question sur leur identité. Le doute agite uniquement les États d'Europe de l'Ouest, de la Suède à la Hongrie. Il se traduit par une forte poussée de la droite, principalement en lien avec le phénomène migratoire. Pour la première fois de leur Histoire, ces États connaissent en effet une immigration de peuplement venue des autres continents. Ils sont les seuls dans ce cas avec l'Amérique du Nord. L'Angleterre et la France, du fait de leur ancienneté, qui remonte aux alentours de l'An Mil, et d'une immigration plus précoce due à leur passé colonial, ont été les premières à s'en inquiéter, dans les années 1970, par la voix d'Enoch Powell et de Jean-Marie Le Pen.
La question identitaire rebondit aujourd'hui, en France, à la faveur de la campagne présidentielle. Elle a été relancée par les crises de l'année 2015 : vagues migratoires en provenance du Moyen-Orient et d'Afrique, défaillances de l'Union européenne et effondrement de la zone Schengen, attentats islamistes et mesures d'exception sécuritaires. Elle traduit une tentative de la classe politique de « normaliser » le phénomène migratoire et de le faire rentrer dans la vie ordinaire de la nation pour n'avoir plus à s'en soucier.
Indéfinissable, la France ?
Paris (salle Wagram), 8 septembre 2016. Premier discours de campagne de François Hollande, en vue des présidentielles du 23 avril et du 7 mai 2017 avec, lancinante, la question migratoire et le terrorisme. Oublieux de son état d'urgence à rallonge et de sa proposition de déchéance de la nationalité pour les terroristes, le président-candidat dénonce ses rivaux qui souhaiteraient « enfermer les suspects sans discernement et sans jugement, (...) instaurer, en violation du droit du sol, l'insécurité juridique pour des centaines de milliers de jeunes nés en France. »
Plus fondamentalement, il ajoute : « La France est bien plus qu'une identité, c'est une idée, un projet ». Cette assimilation de la France à un « projet » mû par les seuls idéaux républicains (Liberté, égalité, fraternité) caractérise la gauche contemporaine. Elle fait fi du patrimoine, des traditions, de la culture et de tout ce pour quoi des centaines de milliers d'êtres humains aspirent à s'installer dans ce pays-ci plutôt que dans un autre, des réalités autrement plus sensibles qu'une devise républicaine à l'état de virtualité.
Franconville, Val d'Oise (Espace culture Saint-Exupéry), 19 septembre 2016. Nicolas Sarkozy lâche sa fameuse phrase : « Quelle que soit la nationalité de vos parents, jeunes Français, au moment où vous devenez Français, vos ancêtres, ce sont les ancêtres de la France, ce sont les Gaulois, et c'est Vercingétorix. » Pour l'ex-président et la droite traditionnelle, les immigrants se doivent d'adopter la France sans esprit de retour, à la manière de l'archiduchesse Marie-Antoinette qui, avant de fouler notre sol et d'épouser le futur Louis XVI, se dépouilla de ses vêtements autrichiens et congédia sa suite. Rappelons dans le même esprit Alexandre Dumas, petit-fils d'une esclave noire, qui s'imposa comme romancier français sans faire cas de ses origines !
Mais pour l'historien Patrick Boucheron, la référence aux Gaulois et à un passé mythifié induit l'idée de permanence, d'être « identique à soi-même » : « Face aux régressions identitaires actuelles, tout l’enjeu est de poser cette question de la singularité, de ce qui nous constitue, en refusant de la confondre avec une permanence figée qu’il faudrait maintenir pour demeurer fidèles à nous-mêmes et nous défendre contre tout ce qui nous est étranger. »
Disons-le franchement !... Il n'y a pas d'identité nationale immuable et éternelle. Aimer la France, c'est l'aimer dans la diversité de son Histoire, de ses habitants et de sa géographie. Après Jules Michelet et son fulgurant Tableau de la France (1861), Fernand Braudel a mis en lumière cette diversité, dans son Identité de la France (1985). Et comment ne pas rappeler la référence de Marc Bloch à une France multiforme et vivante : « Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération. » (L'Étrange défaite, 1940).
Les Nations, les peuples et les États naissent, grandissent et meurent comme nous-mêmes. Rappelons le joli mot de Jules Michelet : « La France est une personne »... Une personne née avec les Capétiens (987) et dont on peut faire remonter la conception au baptême de Clovis (498). Elle s'est affirmée comme État dans la guerre de Cent Ans contre les Anglais. Elle s'est révélée comme Nation avec la fête de la Fédération (1790). On peut légitimement souhaiter qu'elle vive encore longtemps, pour notre plus grand bien.
Un héritage à faire fructifier
Ni « projet » évanescent, ni « identité » fossile, la France est pour chacun de ses enfants un héritage reçu à la naissance ou par adoption. Héritage tissé de mille et mille petites et grande impressions indéfinissables qui relèvent de la sociabilité, la langue, les mœurs, la gastronomie et tant d'autres trésors. Fabuleux héritage qui valut à la France d'être longtemps admirée de la planète entière.
Si les hasards de la naissance et de la vie nous ont permis d'être aussi richement dotés, soyons-en dignes et sachons en tirer profit. Il ne s'agit pas d'enfouir notre héritage sous terre, comme dans la parabole des talents, mais de le faire fructifier et grandir à l'imitation des générations qui nous ont précédés. Il ne s'agit pas non plus que les nouveaux citoyens venus d'ailleurs soient tenus en lisière de cet héritage, mais au contraire fermement encouragés à se l'approprier.
Avant les grandes vagues d'immigration du XXe siècle, Ernest Renan a prononcé quelques mots définitifs sur les deux substances qui constituent un peuple : « L'une est la possession en commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis (...). Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. » (Qu'est-ce qu'une nation ?, 1882).
Quelle leçon retenir de ces grandes références ? Le « vivre-ensemble » ne doit pas se limiter à une injonction morale ou politique mais redevenir un désir fondé sur l'envie de faire valoir l'héritage commun. Pour que ce désir soit ressenti par tous et en particulier les nouveaux arrivants, encore faut-il que les dirigeants de ce pays et leurs porte-parole expriment leur fierté d'être Français, plutôt que leur regret de n'être pas Allemands ou Étasuniens, qu'ils cessent de sacrifier l'intérêt national aux injonctions de Bruxelles et Berlin, voire de Riyad (
Nous trompons-nous ? Pour en juger, il sera intéressant d'observer l'évolution des deux nations sœurs que sont la France et l'Angleterre, qui ont fait deux choix opposés, l'une en sacrifiant sa souveraineté à l'union monétaire, l'autre en la recouvrant. Laquelle saura le mieux insuffler à tous ses habitants le désir de vivre ensemble ? L'avenir nous le dira.
Vos réactions à cet article
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kourdane (23-10-2016 17:39:10)
désolé mais je ne vibre pas en pensant à Reims ville des sacres. je trouve votre conclusion mal à propos pour 2 raisons. Tout d'abord l'union monétaire n'est qu'un des constituants de l'Europe... Lire la suite
momon (25-09-2016 22:20:08)
Momon Comment concilier, d’une part les valeurs culturelles, religieuses, intellectuelles, historiques et son génie de la France sans faire la relation, pour faire simple, avec « l’identitÃ... Lire la suite
Pat111 (25-09-2016 19:23:03)
Un mastic vous a certainement fait attribuer à Braudel la fameuse citation de Marc Bloch «Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’histoire de France : ceux qui refusent d... Lire la suite
Boutté (25-09-2016 18:44:54)
Vous donnez 5 siècles de gestation pour la France. Cette durée n'est pas excessive pour un tel Etat, richement doté en effet.Quant au sentiment de nation, ne croyez-vous pas que les gens de Montlh... Lire la suite
Noé (25-09-2016 16:49:02)
Je fais parti des ces Français qui ne "vibrent" pas au souvenir du sacre de Reims. Par contre je pleure en visitant les charniers et cimetières de Lorraines, devant les tombes de mes grand-pères et... Lire la suite
Yves Petit (25-09-2016 15:14:34)
Sarkozy a raison, sauf que...Sauf que chaque Français doit personaliser sa propre identité, autrement elle n'a pas de prise sur le réel. Tout comme lorsque la députée Nadine Morano avait dit que ... Lire la suite