Si l'on devait distinguer le livre de l'année 2010 en Histoire, sans doute serait-ce celui-ci, par le géographe Yves Lacoste, fondateur en 1976 de l'excellente revue de géopolitique Hérodote.
NB : cette revue, sans lien avec notre site Herodote.net, est à l'adresse : 33, rue Croulebarbe 75013 PARIS.
L'ouvrage aborde d'emblée un sujet d'une actualité brûlante en France et en Europe, le destin des immigrés et de leurs descendants, et l'éclaire à la lumière de l'Histoire des colonisations.
Son auteur est un immense géographe et son livre, écrit dans une langue limpide et claire, est accessible à tous les publics cultivés, ce qui ne gâte rien.
Constatant le malaise des « jeunes issus de l'immigration », l'auteur de La question post-coloniale l'attribue d'une part à leur méconnaissance de leur histoire familiale, d'autre part - et surtout - au malentendu entretenu par l'approche « postcoloniale » de la colonisation et de ses conséquences, dérivée des postcolonial studies américaines et inspirée des théories de la « déconstruction » de Jacques Derrida, Michel Foucault, etc.
Yves Lacoste reproche à ces thèses en vogue aujourd'hui dans les milieux intellectuels de considérer la colonisation et l'esclavage comme le péché originel de l'Occident et des Occidentaux !
Ce point de vue « philosophique » ne tient pas la route face aux réalités historiques propres à chaque pays et chaque époque. Il n'explique pas en particulier le « paradoxe français de l'immigration post-coloniale, principalement algérienne, en dépit de la guerre qui venait de se dérouler en Algérie. Restent encore assez obscures aujourd'hui les raisons pour lesquelles, malgré cette guerre et ses atrocités, des Algériens patriotes vinrent vivre en France peu après. Ce sont des questions que cinquante ans plus tard l'on évite toujours de poser, y compris parmi les enfants et petits-enfants des immigrés. »
L'Histoire pour apprendre à vivre ensemble
Yves Lacoste, né au Maroc il y a 80 ans, adhérent du Parti communiste dans ses jeunes années, a très tôt ressenti le caractère injuste et éphémère de la colonisation. Mais il a aussi rapidement compris que celle-ci était le fruit d'histoires diverses, liées à des groupes restreints (aventuriers, commerçants, officiers de marine...).
Il n'y a rien de commun par exemple entre les processus de conquête de l'Algérie et des Indes. Ces conquêtes et ce qui s'en est suivi furent le fait de petits groupes d'hommes.
Jamais il n'y eut d'ailleurs une volonté planifiée de colonisation et d'oppression, comme s'efforcent de nous en convaincre les tenants des études « postcoloniales », à la suite de Lénine et quelques autres penseurs.
Pour nous en convaincre, l'auteur expose dans une deuxième partie, de façon aussi précise que synthétique, la façon dont furent conduites les guerres d'indépendance. Aux jeunes Algériens de nos banlieues, qui n'osent demander pourquoi leurs parents ou grands-parents ont choisi la France, pays honni entre tous !, il rappelle que ceux-ci ont souvent fui leur pays natal en raison des conflits cruels entre les factions qui se disputent le pouvoir depuis l'indépendance...
Dans une troisième partie, Yves Lacoste brosse à grands traits les histoires des colonisations : contournement des côtes africaines à la recherche de l'or perdu du Soudan, soumission des Aztèques et des Incas et multiplication des mariages entre princesses amérindiennes et nobles castillans, immixtion des compagnies de commerce françaises et anglaises dans les luttes entre nababs indiens, etc.
Ces textes remarquables par leur érudition et leur simplicité mettent en évidence la diversité des histoires... et l'absence évidente d'un quelconque deus ex machina (impérialisme, capitalisme ou quoi que ce soit d'autre).
Amère conclusion
La « question postcoloniale » soulevée par Yves Lacoste n'est pas seulement l'affaire d'intellectuels en chambre. Elle a des implications sur notre vie en société, en France et dans d'autres pays européens (Pays-Bas, Espagne, Angleterre, Belgique...).
On le voit à travers les mouvements politiques et intellectuels qui soutiennent les revendications des « indigènes de la République » sous le prétexte que la France et les Français auraient une dette inextinguible à l'égard des descendants des anciens ressortissants des colonies !
Pour conclure sur une note amère, regrettons que les cercles intellectuels et médiatiques français soient assez crétins au printemps 2010, en pleine crise européenne, pour débattre à tort et à travers d'un essai sans intérêt sur Freud (mort en 1939 !) et laissent dans l'ombre le cri de colère et d'amour d'Yves Lacoste. Cri de colère à l'égard des « repentants », cri d'amour à l'égard de la France et de son Histoire. Notre Histoire.
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