L'Histoire bafouée

Faire « table rase » de l'Histoire : woke et cancel culture

10 septembre 2022. Le grand public ignore encore pour l'essentiel les termes d'origine américaine woke, wokisme, cancel culture. Légitimés par Pap Ndiaye, ministre de l'Éducation nationale, ces termes désignent une volonté de « déconstruction » de l'Histoire et de la culture occidentale dans son ensemble. Cette déconstruction est déjà à l'oeuvre dans l'enseignement, de l'école primaire à l'Université, avec des conséquences redoutables pour l'intelligence critique des jeunes générations...

La cancel culture (« culture de l'élimination » ou « culture de la table rase ») a émergé dans les universités américaines à la fin du siècle précédent comme l'atteste le romancier Philip Roth (note). Cette idéologie s'applique à « déconstruire » les savoirs issus de l'Histoire occidentale.

Elle s'inscrit dans la mouvance woke (« éveillé » en français) qui dénonce les discriminations que subiraient aussi bien les femmes, les homosexuels et les personnes « racisées » en Occident (Europe de l'Ouest et Amérique du nord) et appelle à des « luttes intersectionnelles » contre l'oppresseur commun, l'« homme blanc occidental hétérosexuel », réputé à l’origine de tous les maux contemporains, y compris dans le domaine social et environnemental.

Pap Ndiaye, professeur à Sciences Po et spécialiste des relations sociales aux États-Unis, définit très bien le wokisme dans un entretien publié par Le Monde le 8 février 2021 : « Bien que son origine soit la lutte contre le racisme, et que cette question reste essentielle, il n’y a plus une cause unique attachée au woke. C’est un ensemble de causes, qu’on peut schématiser par un grand triangle militant qui mobilise une partie de la jeunesse mondiale : un premier angle est l’antiracisme (et le mouvement Black Lives Matter), qui a montré toute sa force en 2020 ; un deuxième est l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique (Greta Thunberg est une figure typiquement woke) ; le troisième angle est l’égalité femmes-hommes, la défense des minorités sexuelles et la lutte contre les violences sexuelles et sexistes (#metoo). »

Hubert Robert, La violation des caveaux des rois dans la basilique Saint-Denis, en octobre 1793, Paris, musée Carnavalet.

Du danger d'ignorer le passé

Cette phraséologie qui fait table rase du passé n’a que le tort de décrire un monde qui n’existe pas. Rappelons quelques enseignements tirés de l'Histoire :

Notre civilisation européenne, née il y a mille ans, est à l'origine des plus incroyables progrès qu'ait accomplis l'humanité depuis la naissance de l'écriture. Il y a deux siècles, rappelons-le, le reste de l'humanité vivait dans des conditions guère meilleures que celles des Égyptiens de l'Ancien Empire (3000 av. J.-C.).

Les progrès accomplis depuis lors tiennent aux ressorts mis en place par la chrétienté médiévale : la primauté de la loi sur l'arbitraire, le respect des contrats, la proscription de l'esclavage, l'émancipation des femmes, la démocratie, la distinction de la foi et de la raison... Ils ont permis aux Européens de bâtir dès le Moyen Âge une société urbaine, industrieuse et libre. Il s'en est suivi d'immenses avancées tant dans le domaine matériel que dans le domaine intellectuel.

Ces succès sont montés à la tête des Européens qui, à la fin du XIXe siècle, saisis par l'hubris, ont été conduits à de graves excès (colonisation, eugénisme, etc.). Mais depuis lors, le reste du monde s'est converti à leurs principes avec plus ou moins de bonheur.

Si l'on veut bien oublier l'effroyable crise des années 1914-1945 dont l'Europe s'est vite remise, notre Vieux Continent apparaît aujourd'hui non seulement comme la région la plus prospère du monde mais aussi comme de loin la plus démocratique, la plus ouverte, la moins affectée par le racisme et les discriminations en tous genres, celle où les femmes ont le meilleur sort qui soit (ou le moins mauvais). Sur chacun de ces points, toutes les autres régions du monde, y compris l'Amérique du nord, auraient beaucoup plus à se reprocher.

L’absence de racisme et l'égalité de droits entre tous les citoyens et citoyennes, indépendamment du sexe, de la religion et de la race, sont la marque la plus voyante de l'Europe occidentale et de la France en particulier. Le racisme n’y a jamais eu de prise chez les autochtones, y compris à l’égard des noirs et des musulmans (sauf en France du fait de la guerre d’Algérie).

Dans le répertoire de la bêtise humaine - une réalité universelle -, les insultes et les brimades à tonalité raciale ne dépassent pas en violence les insultes ordinaires (« moche ! », « poil de carotte ! », « gros ! », etc.).

En ce qui concerne non pas l'Europe mais les États-Unis, on peut concéder que les descendants d’esclaves ont longtemps fait l’objet de discriminations et que les femmes n’ont accédé que récemment à une totale égalité de droits. Mais aujourd'hui, les États-Unis offrent à chacun les mêmes chances de promotion par l'étude et le travail. Les minorités issues du monde chinois et du sous-continent indien ne s’y trompent pas. Elles affichent des revenus égaux ou supérieurs aux blancs, investissent avec succès les meilleures universités et se gardent de participer au wokisme.

Alors, certes, tout n'est pas parfait, y compris en France, et des progrès sont encore possibles pour atteindre la perfection absolue que certains appellent le Paradis. Mais faut-il, pour accomplir ces ultimes progrès, prendre le risque de casser tout ce qui a fait ce que nous sommes ? La raison ne commande-t-elle pas de réfléchir aux principes millénaires qui nous ont permis d'accéder à notre situation actuelle et de les améliorer en veillant à ne pas les détruire ?

Hélas, c'est tout le contraire qui se produit. Depuis deux décennies et plus précisément depuis 2015, le wokisme, par petites touches, gangrène le corps social et le nécrose. Les médias et la classe politique, y compris à droite, dénoncent régulièrement sur le ton de l’évidence des discriminations dont ils seraient bien en peine de démontrer la réalité, tant à l’égard des noirs que des musulmans, des femmes, des homosexuels, etc.  Chacun est sommé de se reconnaître soit victime soit coupable de méfaits imaginaires. Tous malades !

Publié ou mis à jour le : 2023-10-25 14:50:29
laubier (26-04-2023 12:53:45)

A nouveau excellent article de M. Larané, dont je deviens un lecteur de plus en plus assidu ! Une petite remarque cependant : j'aurais aimé pouvoir échapper au "moins pire", qui se répand malheur... Lire la suite

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