17 août 2025. Le président français a adressé un courrier à son homologue camerounais Paul Biya en évoquant les événements meurtriers qui ont eu lieu au Cameroun entre 1945 et 1971 et en concluant : « Il me revient aujourd’hui d’assumer le rôle et la responsabilité de la France dans ces événements ». C'est un propos surprenant de la part d'un homme politique. Il fait fi des choix parfois douloureux qu'un homme d'État est amené à prendre, hier commme aujourd'hui. La France et ses gouvernants ont agi au Cameroun au mieux des intérêts de ce pays comme le rappelle l'Histoire...
Karine Ramondy, chercheuse associée à l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, a écrit une thèse de doctorat sur quatre leaders d’Afrique centrale assassinés en 1958-1961. Elle a pour cette raison été choisie en 2022 par Emmanuel Macron pour diriger une commission franco-camerounaise de quatorze personnes en vue d’éclairer l’action de la France au Cameroun entre 1945 et 1961.
La commission a abouti à un rapport de plus de mille pages remis au président de la République le 21 janvier 2025. Ce fouillis (en écriture « inclusive » !) détaille les difficultés et les drames qui ont accompagné la marche du pays vers l’indépendance la grève de Douala en 1945 (une dizaine de victimes). Il s’étend sur les conflits de personnes dans les partis et les instances dirigeantes mais ne fait que survoler les affrontements dans le pays bamiléké, dans les années 1960, bien qu’ils aient occasionné de très loin les pertes les plus élevées de cette période.
Le rapport passe sous silence les difficultés nées de la diversité humaine du Cameroun : environ deux cents langues et ethnies ; deux langues officielles, l’anglais et le français ; trois religions d’un poids similaire chacune, le catholicisme, le protestantisme et l’islam, à quoi s’ajoute l’animisme...
Il s’ensuit une sous-évaluation manifeste des risques de guerre civile inhérents à l’indépendance, comme en ont connu d’autres États africains : le Congo belge, le Nigeria britannique, l’Angola et le Mozambique portugais, pour ne rien dire aussi des drames plus tardifs du Soudan et du Sud-Soudan, de l’Éthiopie, de l’Érythrée et de la Somalie, ainsi que du Rwanda et du Burundi.
Ces différents conflits ont occasionné des morts par centaines de milliers, voire par millions et certains pays comme le Congo, le Nigeria, le Soudan ou encore le Mozambique n’ont pas pratiquement pas connu la paix depuis leur indépendance, il y a plus d’un demi-siècle.
La France, qui était jusqu’à l’automne 1958, gouvernée par des coalitions de gauche à dominante socialiste, a fait en sorte d’éviter à tout prix ce genre de désagrément, d’autant qu’elle devait gérer en même temps la guerre livrée en Algérie contre deux partis indépendantistes, le FLN et le MNLA.
Aveugle à ces réalités, le président français écrit dans son courrier du 30 juillet 2025 à Paul Biya : « La commission d’historiens a clairement établi qu’une guerre a eu lieu au Cameroun, durant laquelle les autorités coloniales et l’armée française ont exercé diverses formes de violences répressives. » Il précise que « cette guerre s’est poursuivie au-delà de 1960, avec le soutien de la France aux actions menées par les autorités camerounaises indépendantes. » Il évoque « certains épisodes spécifiques de cette guerre, comme celui d’Ekité du 31 décembre 1956, qui a fait de nombreuses victimes, ou la mort lors d’opérations militaires menées sous commandement français des quatre leaders indépendantistes Isaac Nyobè Pandjock (17 juin 1958), Ruben Um Nyobè (13 septembre 1958), Paul Momo (17 novembre 1960) et Jérémie Ndéléné (24 novembre 1960) ».
En ce qui concerne l’assassinat de l’opposant Félix-Roland Moumié à Genève le 3 novembre 1960, il estime que « l’absence d’éléments suffisants dans les archives françaises et le non-lieu rendu par la justice suisse en 1980 n’ont semble-t-il pas permis d’apporter un nouvel éclairage sur les responsabilités ».
En conclusion, le président affirme : « Il me revient aujourd’hui d’assumer le rôle et la responsabilité de la France dans ces événements. »
Si ce n’était le respect que l’on doit à la fonction présidentielle, je dirais qu’il est difficile d’émettre autant de bêtises en si peu de mots.

Une guerre très « cachée »
Les violences auxquelles fait référence le président Macron furent en bonne partie le fait d’un gouvernement auquel participait l’actuel président camerounais Paul Biya. C'est pourquoi les événements de ces années-là ont attendu les années 1990 pour susciter l’intérêt du monde académique et des médias. Ils ont inspiré en 2011 à Thomas Deltombe, Manuel Domergue et Jacob Tatsitsa un ouvrage au titre provocateur : Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique, 1948-1971 (La Découverte).
Mais il est difficile de voir une « guerre cachée » dans cette succession d’événements qui vont d’une grève à Douala en 1945 à une vague d’arrestations de syndicalistes et de militants en 1955, des heurts entre militaires et paramilitaires dans le pays bassa en 1958 (400 morts environ), enfin une jacquerie dans le pays bamiléké, au sud-ouest du Cameroun, en 1958-1961.
L’action de la France au Cameroun n’a en tout cas rien à voir avec ce qui se passe au même moment en Algérie. Il n’a jamais fait de doute pour Paris que le Cameroun avait vocation à devenir autonome, voire indépendant, comme les autres colonies africaines. L’Algérie, par contre, était considérée par toute la classe politique, y compris la gauche socialiste, comme une partie intégrante de la République française et il n’était pas question d’abandonner à leur sort le million de citoyens qui y vivaient…
Il y a matière à s’indigner en tout cas de ce qu’Emmanuel Macron, désireux sans doute de refaire le « coup » de Jacques Chirac au Vél d’Hiv (note), n’ait rien trouvé de mieux que de dénoncer les interventions de la France au Cameroun avec l’espoir qu’on lui sera reconnaissant de sa volonté de transparence. À défaut de Shoah, il fait avec la jacquerie bamiléké…
Notons que cette opération de communication a au moins fonctionné auprès des médias français et étrangers qui ont aussitôt repris les propos du président sans se soucier de revenir à la réalité, sans doute effrayés par le millier de pages du rapport Ramondy.
Les mêmes médias se taisent sur la guerre sauvage menée depuis 2016 par l'armée camerounaise du président Paul Biya, né en 1933 et au pouvoir depuis 1982 (source). Cette guerre ravage l'ouest anglophone du pays, en rébellion contre l'État central. Elle a causé des centaines de milliers de victimes (morts, blessés, viols, réfugiés) dans l'indifférence des bonnes âmes occidentales, seulement préoccupées de raviver le souvenir des opérations de maintien de l'ordre menées par la France, en accord avec les autorités camerounaises, et dont le rapport Ramondy chiffre le bilan à 7 500 combattants entre décembre 1956 et janvier 1962.













Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Voir les 9 commentaires sur cet article
Lionel (07-09-2025 14:02:33)
L'un des Etats les plus stables et les plus prometteurs du continent c'est meconnaitre ce qui se passe à l'ouest et à l'extrême Nord de ce pays, y compris ses maigres performances économiques et l... Lire la suite
Pedro69400 (25-08-2025 10:25:49)
Et Paul Biya , lui, n'a pas exprimé ses regrets et excuses pour le génocide des pygmées !!! c'est curieux !!!
biche (21-08-2025 22:05:13)
La conduite de la France au Cameroun entre le Libération (avec un contingent significatif de camerounais) et 1971, douze ans après l'indépendance du Cameroun serait donc exemplaire. À quoi pourrai... Lire la suite