Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, a conduit les destinées de la France pendant près de deux décennies, du coup d'État de 1851 à la défaite de 1870, durant une période qualifiée de Second Empire (le premier Empire étant celui fondé par son oncle).
Lui-même, en restaurant l'empire, a pris pour nom de règne Napoléon III (le nom de Napoléon II étant réservé au fils de Napoléon Ier, qui n'a jamais régné). D'emblée, il a instauré un régime dictatorial et limité très strictement la liberté d'expression. Mais au fil des années, le régime a évolué vers des formes plus libérales, proches d'un régime parlementaire.
Pendant ces deux décennies, la France va se transformer plus vite qu'à aucune autre époque de son Histoire. Elle va s'ouvrir à la révolution industrielle, se doter d'infrastructures et d'un urbanisme encore en usage, mais aussi jeter les fondements d'un deuxième empire colonial.
De l'empire autoritaire à l'empire libéral
Napoléon III prend sans attendre des mesures pour limiter la liberté d'expression de la presse, très vivante sous le règne de Louis-Philippe Ier et la Seconde République. Les journaux sont soumis à une autorisation préalable, à un droit de timbre très élevé et à un système d'avertissements (le troisième entraîne la suppression du titre).
Il met l'Université au pas, supprime les chaires d'histoire et de philosophie, jugées contestataires, et révoque les républicains Jules Michelet et Edgar Quinet.
Au demeurant, la grande masse des citoyens et du peuple se rallient d'assez bon gré, y compris les orléanistes, partisans de la monarchie, et certains leaders républicains sincères, tels Émile Ollivier ou encore l'historien Victor Duruy.
L'empereur y met du sien. Il consacre sa liste civile à ses relations publiques. C'est la « fête impériale », aux rythmes de la musique d'Offenbach.
Avec l'impératrice Eugénie, il anime une vie de cour brillante, aux Tuileries (Paris), à Fontainebleau et à Compiègne, sans oublier les stations thermales et balnéaires créées sous son égide comme Deauville, Monte-Carlo, Biarritz et Vichy.
Cette cour est ouverte à toute la bourgeoisie sans esprit de classe et se montre accueillante pour les gens de lettres. Chacun a droit à une invitation dans le cadre des « séries » qui se succèdent chaque année à Compiègne.
Napoléon III n'a pas d'intérêt particulier pour l'art et la culture mais il n'a pas non plus d'a priori contre les courants artistiques d'avant-garde. Ainsi donne-t-il un coup de pouce aux peintres à l'origine du mouvement impressionniste. Et il autorise les pièces de Victor Hugo, malgré les philippiques que lance le poète de son exil de Guernesey.
Après le Congrès de Paris et la naissance du Prince Impérial en 1856, le régime est à son apogée. L'opposition politique reste latente, néanmoins, et malgré les « candidatures officielles », cinq républicains sont élus en 1857 au Corps législatif (l'assemblée). Les « Cinq » sont Émile Ollivier, Jules Favre, Louis Darimon, Ernest Picard et Jacques-Louis Hénon.
Napoléon III, affecté par l'attentat d'Orsini l'année suivante, se résout à lâcher du lest. D'autoritaire, l'empire va devenir dès lors progressivement libéral.
En 1859, l'empereur accorde une amnistie aux victimes du coup d'État, amnistie que rejette Victor Hugo (« Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là ! » avait-il écrit en 1853 dans le poème Ultima Verba). Puis, par le décret du 24 novembre 1860, il accorde le droit d'adresse au Corps législatif. Aux élections suivantes, en 1863, une trentaine d'opposants sont élus, parmi lesquels Adolphe Thiers.
Enfin, en 1868, la presse retrouve enfin sa liberté. Mais déjà se font sentir les échecs de la politique étrangère, au Mexique et dans l'impuissance de la France face à la montée de la Prusse.
Les élections de 1869 donnent 45% de voix à l'opposition. Napoléon III en prend acte et appelle au gouvernement Émile Ollivier, le chef du « tiers parti », qui rassemble les orléanistes et les républicains modérés.
Cet empire parlementaire reçoit la caution populaire par le plébiscite du 8 mai 1870 : 7,350 millions de oui , un million et demi de non. La guerre et la défaite de Sedan vont tout emporter et même gommer les acquis incontestables de ces deux décennies...
Révolution économique et sociale
La société française s'est transformée sous l'impulsion de Napoléon III plus vite qu'en aucune autre période de son Histoire. C'est à cette époque qu'elle a accompli sa révolution industrielle.
L'empereur prend lui-même en main la politique économique et sociale du gouvernement. Dès 1852, il participe à la création du Crédit foncier, un organisme de prêt chargé de faire des avances de fonds aux propriétaires fonciers. La même année, deux financiers entreprenants, les frères Pereire, fondent le Crédit Mobilier qui va devenir la plus grande banque d'affaires du pays avant de disparaître en 1867 pour cause de spéculations hasardeuses.
En 1863 est fondé le Crédit Lyonnais et en 1864 la Société Générale, deux banques qui témoignent encore aujourd'hui du dynamisme du Second Empire. Elles vont activement contribuer à l'industrialisation de la France.
De grands centres métallurgiques comme Le Creusot sont créés de toutes pièces. La production de houille passe de 4,9 millions de tonnes à 13,4 entre 1850 et 1870.
La France se couvre d'un réseau dense de voies ferrées, financé par les frères Pereire. En 18 ans, le réseau passe de 3 000 kilomètres à 20 000 kilomètres. Au titre des grands travaux, l'empereur apporte aussi son appui au percement du canal de Suez. Dans le domaine maritime sont créées aussi les Messageries maritimes en 1851 et la Compagnie générale transatlantique en 1862.
Le commerce est stimulé par l'invention et la multiplication des « Grand magasins ». Après le Bon Marché d'Aristide Boucicaut, en 1854, voici les Grands Magasins du Louvre (1855), Au Printemps et La Samaritaine (1865).
Napoléon III, convaincu des bienfaits du libre-échange, signe en 1860 un traité de libre-échange avec le Royaume-Uni. Agissant comme à son habitude dans le plus grand secret, il prend de court les entrepreneurs français, peu soucieux de se soumettre à la concurrence britannique.
L'empereur institue aussi une union monétaire, l'Union latine, qui a englobé jusqu'à la Première Guerre mondiale de nombreux pays.
Enfin, pour répondre aux aspirations des meneurs ouvriers, Napoléon III, qui n'oublie pas sa jeunesse socialiste et révolutionnaire, impose à son gouvernement la mise en oeuvre en 1864 d'une loi accordant le droit de grève aux ouvriers.
Les résultats ne se font pas attendre. Les arrêts de travail revendicatifs se multiplient ! Ils vont de pair avec une amélioration réelle de la condition ouvrière, portée par la croissance économique.
Révolution culturelle
La culture française s'épanouit comme jamais auparavant pendant les deux brèves décennies du Second Empire, tant dans la littérature que dans les arts et l'urbanisme. Le rayonnement de Paris à la fin du siècle puise ses racines dans le Second Empire.
Le romantisme finissant jette ses derniers feux avec Victor Hugo qui, dans son exil, poursuit son oeuvre poétique et surtout publie son chef d'oeuvre Les Misérables (1862).
Une nouvelle vague d'écrivains arrive dans sa foulée et s'épanouit dans le bouillonnement qui saisit la bourgeoisie. Ils ont nom Gustave Flaubert, Eugène Sue, Guy de Maupassant, Émile Zola, etc.
Avec Victor Duruy est relancée l'instruction publique. Napoléon III, qui désirait écrire une Histoire de Jules César, avait consulté cet historien éminent aux sympathies républicaines !
Les deux hommes ayant de la sorte appris à s'estimer, Victor Duruy devient ministre de l'Instruction publique. À ce poste, il met en oeuvre un projet très ambitieux d'enseignement laïc, gratuit et obligatoire, que reprendra plus tard, sous la IIIe République, Jules Ferry. Il tente aussi d'ouvrir l'enseignement secondaire public aux filles malgré l'oposition des congrégations religieuses, attachées à leur monopole.
Dans le même temps, un lexicographe dénommé Pierre Larousse publie le 27 décembre 1863 le premier fascicule du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle. Sa parution s'échelonnera jusqu'en 1876.
Paris change de visage. Napoléon III engage à marches forcées la rénovation de la capitale. Le baron Georges Eugène Haussmann, préfet de la Seine de 1853 à 1870, transcrit ses idées sur le terrain. Les quartiers médiévaux disparaissent au profit de larges avenues aérées, bordées d'immeubles en pierre de taille qui donnent encore aujourd'hui à la ville un caractère inimitable.
En 1858, suite à l'attentat d'Orsini, l'empereur lance la construction d'un nouvel opéra. Ce sera le Palais Garnier, du nom de son architecte, inauguré en 1875.
Paris doit pour l'essentiel son aspect actuel à l'empereur et à son maître d'oeuvre. Ensemble, ils ont réalisé une capitale dense et aérée, résolument moderne et rationnelle, selon les ratios de l'époque aussi bien que selon les nôtres. Dans ses Mémoires, Haussmann confesse sa dette à l'égard de Napoléon III : « L'Empereur était pressé de me montrer une carte de Paris sur laquelle on voyait tracées par lui-même - en bleu, en rouge, en jaune et en vert selon leur degré d'urgence - les différentes voies nouvelles qu'il se proposait de faire exécuter ».
Pour accomplir cette rénovation, le baron et préfet s’entoure d’ingénieurs comme Alphand et Belgrand, d’architectes comme Baltard et Hittorff. Il fait démolir 25 000 maisons et en construire 75 000 ; aménage une cité administrative dans l’île de la Cité ; perce de larges avenues ; aménage les bois de Vincennes et Boulogne ainsi que 5 parcs et 19 squares ; creuse 600 kilomètres d’égouts, construit un nouveau marché de gros au cœur de la capitale, achève les Tuileries et lance la construction de l’Opéra.
Outre-mer, au Sénégal, au Cambodge, en Cochinchine, en Nouvelle-Calédonie, l'infanterie de marine jette les bases d'un nouvel empire colonial que la IIIe République aura à coeur d'étendre.
En 1852, la France possède hors d'Europe des débris hérités de l'Ancien Régime (d'avant la Révolution) :
• les îlots de Saint-Pierre et Miquelon au large de Terre-Neuve,
• la Martinique et la Guadeloupe dans les Antilles,
• la Guyane en Amazonie,
• l'île Bourbon (on dit aujourd'hui La Réunion) dans l'océan Indien,
• quelques comptoirs au Sénégal (Saint-Louis-du-Sénégal) et aux Indes (Pondichéry, Karikal, Mahé, Chandernagor, Yanaon).
Elle exerce aussi sa souveraineté sur des territoires acquis plus récemment, sous le règne de Louis-Philippe Ier : l'Algérie en premier lieu mais aussi des comptoirs en Côte d'Ivoire, au Gabon et à Madagascar, ainsi que les îles de Mayotte et Nossi-Bé (au large de Madagascar) et l'île de Tahiti.
L'empereur voit dans les entreprises coloniales une occasion de manifester la grandeur de la France. Il est servi dans cette mission par le marquis Prosper de Chasseloup-Laubat, fils d'un général d'Empire, ministre de l'Algérie et des Colonies en mars 1859, puis ministre de la Marine et des Colonies de novembre 1860 à janvier 1867.
– Le gouvernement impérial soumet la Kabylie, dernier îlot de résistance en Algérie. Napoléon III ne craint pas de se rendre en visite à Alger avec l'impératrice Eugénie. Il pose un regard éclairé sur la colonie, dont il veut faire un « royaume arabe » dont il serait le souverain (violemment hostiles au projet, les colons européens vont s'allier aux républicains en vue de renverser l'Empire à la première occasion).
– Il acquiert le port d'Obock au débouché de la mer Rouge, en vue de surveiller le trafic maritime vers l'océan Indien.
– Il étend la colonie du Sénégal grâce à un officier de génie, Faidherbe. Ne disposant que de quatre compagnies d'infanterie de marine, celui-ci recrute des soldats sur place, les tirailleurs et spahis sénégalais.
Il établit des postes à l'intérieur du pays et oblige les chefs locaux à se mettre sous la « protection » de la France. En même temps, il se montre respectueux des coutumes locales et repousse les colons désireux de mettre le pays en coupe réglée.
– En 1860, la France se laisse entraîner par l'Angleterre dans une « Seconde guerre de l'opium » destinée à renouveler la soumission de l'empereur mandchou.
– L'opinion publique suit surtout les progrès de la pénétration française dans le Pacifique, avec la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie,
– En Indochine, l'infanterie de marine occupe Saigon en vue de protéger les chrétiens locaux, puis établit une convention avec le roi du Cambodge en vue de le protéger contre son encombrant voisin du Siam. Ainsi s'accomplit le voeu du ministre Chasseloup-Laubat : « Je voudrais créer pour mon pays un véritable empire dans l'Extrême-Orient ».
Ces entreprises coloniales sont avant tout l'oeuvre de l'infanterie de marine, soucieuse de valoriser son image. Elles se font à peu de frais, au gré des opportunités, essentiellement par des démonstrations de force, des conventions de gré à gré et quelques modestes engagements militaires.
Il en ira autrement sous la IIIe République avec des expéditions parfois sanglantes, commanditées par le gouvernement, engagé dans une « course au drapeau » pour la conquête des dernières « terres sans maître » (terra nullius).
Une diplomatie brouillonne
L'empereur garde de sa jeunesse aventureuse une extrême sensibilité aux principes humanitaires. Il se montre désireux de faire prévaloir en Europe le « principe des nationalités » (une nation, un pays) exalté par les romantiques, Victor Hugo en tête. C'est au nom de ce principe que les intellectuels de différentes contrées (Finlande, Serbie, Bohême, Hongrie, Allemagne etc) réveillent le folklore et la langue locales pour en faire les étendards des nations en devenir.
Napoléon III va donc mener une diplomatie brouillonne, généralement contre l'avis de ses propres ministres. Ses initiatives plus ou moins secrètes et impulsives vont jeter le trouble en Europe et mettre un terme à son régime.
Pour commencer, il s'engage contre la Russie dans une guerre en Crimée, victorieuse mais éprouvante, aux côtés du Royaume-Uni (c'est la première fois depuis sept siècles que Français et Anglais combattent ensemble). La signature de la paix au Congrès de Paris en 1856 marque l'apogée du régime. Napoléon III en profite même pour appuyer la création d'un royaume de Roumanie.
Il apporte ensuite son soutien aux nationalistes italiens dans une guerre rapide contre l'Autriche, qui lui vaut l'annexion de Nice et de la Savoie, avec le consentement de leurs habitants. Il secourt également les chrétiens du Mont Liban.
Mais il subit aussi de graves déconvenues dans une intervention inappropriée au Mexique, prématurément qualifiée de « plus grande pensée du règne ».
Après ce premier et grave échec, il se laisse berner par le chancelier allemand Bismarck qui lui fait miroiter une « politique des pourboires » en échange de sa neutralité face aux entreprises de conquête de la Prusse.
Enfin, gravement affaibli par la maladie et poussé de l'avant par l'opinion publique, elle-même manipulée par le chancelier, il entreprend une guerre désastreuse contre la Prusse et ses alliés allemands. Elle va lui coûter son trône et ternir à jamais le bilan de son règne.
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Christian (09-08-2022 13:34:48)
Dans le domaine social, la loi du 25 mai 1864 autorisant la grève est bien connue. Il s'agit plus exactement de l'abolition du délit de coalition, instauré par la Loi Chapelier en 1791. Le droit de... Lire la suite
marxer richard (02-08-2013 21:43:27)
ainsi résumé, on découvre mieux cette époque si riche en enseignement. Des dates et des noms connus sur lesquels je n'osais pas avancer un lieu une époque. Merci.