Terrorisme et criminalité

La violence ne se cache plus

7 octobre 2024. Le pogrom qui a frappé Israël il y a un an a d'autant plus bouleversé l'opinion mondiale que les images des atrocités ont été diffusées quasiment en direct par leurs auteurs.
Cette mise en scène relève d'une pratique vieille d'à peine deux décennies mais commune à toutes les formes de barbarie...

Jusque dans les années 1970, la barbarie était honteuse. Même les nazis avaient soin de dissimuler leurs forfaits. Aucun massacre ni même aucune exécution judiciaire n'était filmé, encore moins les tortures, et ils usaient de mille stratagèmes pour cacher la réalité de ce qu'ils appelaient eux-mêmes de façon sybilline la « Solution finale » : incinération des corps de leurs victimes dans les bûchers de Sobibor ou dans les fours crématoires d'Auschwitz.

De l'« utilité » de montrer la souffrance !

Est-ce à dire que l'exposition de la souffrance était unanimement honnie ? Pas tout à fait. Dans toutes les sociétés, démocratiques ou non, l'État se réserve la pratique de la violence selon le mot célèbre du sociologue Max Weber : « L'État est cette communauté humaine qui, dans les limites d’un territoire déterminé, revendique avec succès pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime » (Le savant et le politique, 1919).

Cette violence physique désigne le droit de tuer les ennemis et exécuter les condamnés. Jusqu'à une date récente, jusque dans les sociétés les plus raffinées, elle incluait aussi le droit de mettre en scène la souffrance !

Que l'on songe aux six mille gladiateurs crucifiés que les Romains avaient eu soin de laisser longtemps agoniser à la vue de tous au bord de la via Appia, ou encore à Ravaillac, l'assassin d'Henri IV, exécuté en public avec un raffinement de cruauté, et à tous les roués, tel Mandrin, que le bourreau s'appliquait à faire souffrir longtemps et de toutes les manières possibles pour le bonheur des badauds. Au fait, qui sait pourquoi de Jeanne d'Arc, on prend soin de préciser qu'elle fut brûlée « vive » ? Le bûcher étant trop haut, le bourreau n'avait pu, comme il était d'usage, l'étrangler discrètement afin d'abréger ses souffrances dans les flammes... Plus près de nous, au matin du 17 juin 1939, devant la prison de Versailles, la dernière exécution publique a l'heur de distraire un public nombreux de fêtards.

Ces mises en scène sont utilisées par les États avec parcimonie pour ne pas lasser ou irriter le public. Elles satisfont les pulsions morbides qui dorment en chacun de nous avec en prime l'espoir qu'elles dissuadent tout un chacun de s'écarter du droit chemin.

Violence des images, faiblesse des États

Tout change dans les années 1990, une décennie relativement apaisée avec la fin de la guerre en Afghanistan et la démocratisation du bloc soviétique. Dans les pays occidentaux, la criminalité tend à baisser après une poussée de fièvre relative dans la décennie précédente.

La liberté individuelle est portée au pinacle pour le meilleur et le moins bon, avec la libération de pulsions jusque-là réprimées par la censure et la morale ordinaire. C'est ainsi que fleurit dans le cinéma underground un nouveau genre qualifié de snuff movies. Il s'agit de films où l'on tue - et l'on viole - quasiment pour de vrai, d'après l'argot anglais snuff, « zigouiller ». Cannibal Holocaust (1980) serait le plus connu de ces films. Il a motivé des poursuites judiciaires à l'encontre de ses auteurs. 

À ce premier élément s'ajoutent les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours du World Trade Center (New York) et le Pentagone, qui vont démontrer la puissance politique des images. Ces actes terroristes ont été précédés par bien d'autres au cours des trois décennies précédentes (extrémistes européens et japonais, agents palestiniens ou iraniens, islamistes d'Al-Qaida). Mais ils avaient été vite oubliés tandis que ceux-ci bouleversent comme jamais l'opinion mondiale, en raison bien sûr du nombre de victimes, environ trois mille, et plus encore parce qu'ils ont été filmés et diffusés en direct sur les télévisions du monde entier.

Le drame du 11 septembre 2001 survient bien avant facebook (2004) et le smartphone (2007). Il est filmé essentiellement par des professionnels mais déjà permet de mesurer la force des images... Et les premiers à en faire usage seront les narcotrafiquants du Mexique.

Lesdits cartels filment leurs exploits macabres et les diffusent sur le web pour intimider la population, narguer police et armée et surtout défier les bandes ennemie. « YouTube s'est ainsi transformé, des mois durant, en petit théâtre des horreurs : ici un homme recevant une balle en pleine tête, là un autre décapité filmé sous tous les angles » (YouTube : vidéo-terreur au Mexique, Florence Halimi, Le Figaro, 22 juin 2007). Mais les limites de l'horreur n'ont de cesse d'être dépassées. Le 11 août 2023 (deux mois avant le pogrom commis en Israël par le Hamas), le Mexique était une nouvelle fois bouleversé par l'enlèvement de cinq jeunes gens contraints par leurs ravisseurs de se tuer les uns les autres sous l'oeil des smartphones (source).

L'Europe n'est pas indemne. À preuve en Ukraine le procès des « fous de Dniepropetrovsk » : trois jeunes gens reconnus coupables d'avoir torturé, mutilé et tué 21 personnes entre le 25 juin et le 16 juillet 2007 ainsi que d'avoir filmé leurs crimes et diffusé les vidéos sur internet (note).

De façon quelque peu paradoxale, les militants islamistes, qui se veulent hostiles à l'Occident, n'en ont pas adopté ses aspects les plus rebutants jusqu'à les retourner contre leur adversaire. Ainsi, en 2012, le terroriste Mohamed Merah a-t-il commis ses différents crimes avec une caméra sanglée sur l'épaule de façon à pouvoir les filmer et diffuser sur internet.

Dans cette vidéo mise en ligne par le L'État islamique (Daesh) n'a pas manqué aussi, à partir de 2014, de mettre en scène et diffuser sur internet ses exécutions et massacres : longues enfilades de prisonniers chrétiens encagoulés et à genoux, décapités au sabre sur une plage de Libye ; pilote jordanien brûlé vif dans une cage, etc.

Le Hamas s'inscrit dans cette filiation par son attaque indicible du 7 octobre 2023 sur le festival Tribe of Nova, à Sderot et dans les kibboutz de Be'eri, Kfar Aza et Nir Oz (plus de 1 200 morts, cinq mille blessés, 256 otages)

Qu'ils relèvent des narcotrafiquants ou des mouvements terroristes, ces actes barbares ont en commun d'être destinés non pas à être dissimulés comme l'était la Shoah mais au contraire exposés au vu de tous. Savamment mis en scène, ils sont un défi aux États et à leur « monopole de la violence physique ». Jusqu'où les États et les peuples sont-ils prêts à assumer ce monopole ?

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2024-10-09 10:57:43

Voir les 7 commentaires sur cet article

Christian (25-11-2024 14:39:08)

Alors que les "insoumis" tentent à nouveau d'attirer l'attention sur eux avec leur pseudo-proposition de loi visant à abroger le délit d'apologie du terrorisme, on peut constater qu'ils sont en con... Lire la suite

KLAPISCH (15-10-2024 18:22:08)

je vous félicite pour vos articles et pour celui-ci. nous assistons à la chute dramatique de la culture occidentale, et il faudra au moins 20 ans si non plus, pour retrouver un peu d'équilibre (ave... Lire la suite

oldpuzzle (13-10-2024 07:07:08)

Le terme de pogrom me semble tout à fait inapproprié ici. Trouvez autre chose.

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