À la « Belle Époque », avant la Grande Guerre, la violence criminelle est devenue l'affaire des médias et de l'opinion publique, autant que de la justice et de la police.
Après la Seconde Guerre mondiale, les Français et la plupart des Européens ont retrouvé une société apaisée, avec un niveau de violence très bas.
Depuis les années 1970 et l'affaire quelque peu oubliée de Bruay-en-Artois, le traitement de cette violence est devenu un enjeu idéologique et un facteur de clivage entre la droite et la gauche.
Entre les deux guerres mondiales, l'opinion se délecte de quelques grandes affaires qui mettent en relief les inquiétudes de l'heure.
Henri-Désiré Landru, séduisant chauve de 51 ans, ouvre la série. Arrêté en 1919 sous l'accusation d'avoir fait disparaître plusieurs veuves après leur avoir soutiré leurs économies, il passe en procès le 7 novembre 1921, défendu par maître Vincent de Moro-Giafferi.
En 1933, on juge les soeurs Papin, deux jeunes bonnes coupables d'avoir horriblement assassiné leur maîtresse et sa fille. La même année vient le tour de Violette Nozières, qui a tenté d'assassiner ses parents. Le public voit en elle le reflet d'une certaine jeunesse dévergondée.
Après la Libération, le 18 mars 1946, s'ouvre le procès du docteur Petiot, défendu par maître René Fleuriot. On lui reproche d'avoir tué 27 juifs pendant l'occupation allemande, après leur avoir promis de les aider à quitter le territoire en échange de leur fortune. Citons encore le procès de Gaston Dominici, le 17 novembre 1954, devant les assises de Gap. Le vieux paysan est accusé d'avoir massacré une famille de touristes anglais.
Les années d'après-guerre manifestent une grande détente sur le front du crime.
Celui-ci reste confiné au « Milieu ». Il s'agit de gangs d'origine corse ou marseillaise apparus entre les deux guerres mondiales, qui vivent (et meurent) de la prostitution, de la drogue et des hold-up. Le public y trouve matière à rire plutôt qu'à pleurer comme le montre le film de Georges Lautner, Les Tontons flingueurs (1963).
La prospérité des « Trente glorieuses » débouche au milieu des années 1960 sur l'apparition de nouvelles bandes de jeunes, plus pittoresques que dangereuses, les « blousons noirs ».
Elle débouche aussi en 1968 sur une vague de contestation de la nombreuse jeunesse issue du baby-boom. Mais en Mai 68, on n'a heureusement à déplorer aucun mort malgré l'ampleur et la violence des manifestations, grâce au sang-froid de la police et de son chef, le préfet Maurice Grimaud, digne héritier de La Reynie et Lépine.
Dans les années 1970, les enfants perdus de la Révolution se signalent par quelques actes tragiques. Le militant Pierre Overney ayant été tué le 25 février 1972 par un vigile de Renault, celui-ci est en représailles « exécuté ».
D'une autre ampleur sont les attentats qui, dans ces « années de plomb », frappent l'Allemagne fédérale, avec la Fraction Armée rouge de la bande à Baader, et surtout l'Italie avec les Brigades rouges d'extrême-gauche et les groupuscules d'extrême-droite à l'origine de l'attentat de la gare de Bologne, le 2 août 1980 (85 morts).
Le 6 avril 1972, un jeune homme découvre le corps inanimé de sa soeur, Brigitte Dewèvre, sur un terrain vague de Bruay-en-Artois. Le juge d'instruction Henri Pascal incarcère aussitôt un notable, le notaire Maurice Leroy, sur la foi de son « intime conviction ». Il étale sa vie privée en place publique. Les organisations gauchistes lui apportent immédiatement leur soutien, voyant dans le crime une manifestation de la lutte des classes !
Le juge sera finalement désavoué et le probable criminel, un ami de la victime, acquitté au bénéfice du doute. L'émotion est telle que la municipalité de la ville a changé son nom en Bruay-la-Buissière.
Avec cette affaire de Bruay-en-Artois, la justice et l'ordre public deviennent une pomme de discorde politique et un enjeu idéologique. Ils ne cesseront plus de l'être.
L'euphorie de la Libération et des « Trente Glorieuses » touche à sa fin. Entre 1972 et 1985, les vols à main armée ainsi que les cambriolages sont multipliés par quatre ! Le voyou représentatif de ces années-là est Jacques Mesrine, abattu par la police le 2 novembre 1979.
Parallèlement, surgit un nouveau fléau, la drogue (LSD, haschich). Elle sort des cercles artistiques et frappe la jeunesse dans son ensemble.
Mais le mal le plus sanguinaire est sans conteste l'automobile. Impatients d'imiter les Américains, les Français s'adonnent au culte de la voiture individuelle. Ce culte a un prix, plus élevé que dans la plupart des pays industrialisés : près de 15.000 morts en 1977, année record (à comparer aux 5.000 morts annuels de ce XXIe siècle, pour une population et une densité automobile plus élevées).
En 1974, la France perd son président, Georges Pompidou. Le nouveau chef de l'État, Valéry Giscard d'Estaing (48 ans) engage des réformes sociétales hardies (droit de vote à 18 ans, divorce, avortement...). Cela lui vaut d'être bientôt lâché par son électorat traditionnel et par son principal allié, Jacques Chirac.
Dès 1976, il vire à droite toute. Le garde des Sceaux (ministre de la justice) Alain Peyrefitte met en chantier des lois répressives, la loi « Sécurité et Liberté » et la « loi anticasseurs », dont on a oublié les motivations mais qui n'en suscitent pas moins de vives polémiques entre la droite et la gauche. Les menaces d'attentat entraînent la mise en place en 1978 d'un plan de prévention, Vigipirate, toujours en vigueur. Le président est malgré tout battu aux élections suivantes par le socialiste François Mitterrand.
Mitterrand met fin à de longs atermoiements sur la peine de mort et l'abolit enfin, alignant la France sur les autres pays européens. Le nouveau ministre de l'Intérieur Gaston Deferre n'en affiche pas moins sa fermeté face à la délinquance.
Les Français découvrent une nouvelle menace, le terrorisme islamiste palestinien, iranien ou algérien :
- 3 morts dans l'attentat de la synagogue de la rue Copernic (Paris), le 3 octobre 1980,
- 6 morts dans celui du restaurant Goldenberg (rue des Rosiers, Paris), le 9 août 1982,
- Du 4 au 17 septembre 1986, une vague d'attentats fait 11 morts, dont 6 devant le magasin Tati de la rue de Rennes (Paris),
- Une dernière vague a lieu en 1995 dans plusieurs villes : au total 10 morts dont 8 dans le RER B à la station Saint-Michel (Paris), le 25 juillet 1995.
Ces drames n'ébranlent en rien la cohésion nationale, bien au contraire. Il n'en va pas de même des violences urbaines qui affectent les banlieues populaires. Il s'agit de quartiers sociaux habités en bonne partie par des familles immigrées du Maghreb ou d'Afrique subsaharienne.
Les premières émeutes, en 1981-1983, à Vénissieux et Vaulx-en-Velin, dans l'Est lyonnais, prennent de court la classe politique.
Elles débouchent sur des promesses gouvernementales (soutien éducatif, zones franches, rénovation urbaine...) mais aussi une grande manifestation de solidarité, la marche des Beurs, qui réunit 200.000 personnes entre Lyon et Paris, et la création en 1984 de l'association SOS Racisme, avec un symbole : une main colorée dressée contre l'adversaire, et un slogan équivoque : « Touche pas à mon pote ».
Le répit est de courte durée. L'Est lyonnais entre à nouveau en effervescence en 1990, laissant cette fois le gouvernement désemparé.
Quinze ans plus tard, en novembre 2005, sous la présidence de Jacques Chirac, les émeutes se renouvellent dans différentes banlieues, avec une ampleur inconnue à ce jour en France et en Europe. Les images de voitures incendiées font le tour du monde. Fait exceptionnel, l'état d'urgence est décrété le 8 novembre 2005 (mais l'opposition de gauche reproche au gouvernement d'en « faire trop »).
Ces troubles nourrissent l'inquiétude des citoyens face aux flux migratoires. En France comme dans les pays voisins, d'aucuns doutent de la capacité de la nation à intégrer et assimiler les nouveaux arrivants.
Ces derniers, en s'établissant auprès de leurs compatriotes, contribuent à la formation de quartiers communautaires, que l'on n'ose appeler ghettos, et à la fragmentation du territoire.
Le film de Jacques Audiard Un prophète (2008) illustre la percée des Maghrébins dans le « Milieu » au détriment des clans corses et marseillais. On peut y voir une forme d'intégration par le bas.
Au tournant du millénaire, en 1997, un nouveau terme apparaît dans le langage policier : « incivilité ». Il désigne toutes sortes de malveillances (insultes, gestes vifs, dégradation de matériel etc) qui ne conduisent pas obligatoirement à une condamnation pénale et dont chacun s'arrangeait autrefois comme il pouvait. Il est vrai que la frontière est devenue étroite entre ces incivilités et les délits plus classiques (coups et blessures ou vols à l'arraché) dont la tendance est à l'augmentation.
De moins en moins tolérées, elles font désormais l'objet d'un traitement policier.
Ainsi en vient-on à introduire des policiers dans les établissements scolaires, en soutien aux enseignants, et l'on promulgue des lois contre les rassemblements de jeunes dans les halls d'immeubles. Cette démesure met en lumière la perte d'autorité des institutions : État, établissements scolaires, bailleurs etc.
En juillet 2010, des policiers ayant été menacés de mort suite à une action musclée contre la pègre de Grenoble, les autorités ont annoncé urbi et orbi qu'elles allaient muter lesdits policiers loin du département pour les protéger. Imagine-t-on pareil aveu d'impuissance de la part de La Reynie ou Clemenceau ?
Le traitement policier peut s'avérer contre-productif. La France a déploré deux crimes commis par des malades mentaux en une ou deux décennies. Ce ratio très faible - par exemple en regard des crimes de chauffards - est à l'honneur des services psychiatriques. Il n'empêche que ces crimes, sans doute parce qu'ils sont rarissimes et donc spectaculaires, sont apparus de trop au chef de l'État qui a durci l'internement psychiatrique avec le risque de casser tout l'édifice.
Signe de ce durcissement de la répression, on comptait 77 883 prisonniers en 2014 contre 36913 en 1980, soit une augmentation de 70% du taux d'incarcération, compte tenu de l'augmentation de la population française. Dans le même temps, pourtant, la grande criminalité tend à diminuer, sans pour autant disparaître : 682 homicides en 2013 contre 1171 en 1996.
Exceptionnelles demeurent les affaires de tueurs en série comme celles qui ont agité les années 1990 (Émile Louis, Marc Dutroux, Guy Georges...). Nous voudrions y voir le signe que se poursuit l'adoucissement des moeurs amorcé il y a deux siècles, avec le souhait que cette tendance ne soit pas contrariée par une crise économique ou géopolitique.
La violence homicide est en ce début du XXIe siècle à un niveau historiquement bas dans la plupart des pays ouest-européens (de 1 à 2 homicides par an et pour cent mille habitants, contre quatre à six aux États-Unis... et 40 à 100 en Amérique centrale par an et pour cent mille habitants).
En France, le nombre annuel d'homicides a longtemps été un peu supérieur à un millier. Il est désormais inférieur au millier. Près de la moitié de ces homicides concernent le milieu familial (rixes, querelles d'héritage, infanticides...). Un quart environ se rapportent à des querelles de voisinage (bruit, ivrognerie...) . Dans ce qui reste, il faut encore distinguer les règlements de comptes entre truands.
Restent quelques dizaines de crimes crapuleux, comme l'assassinat d'une joggeuse par un repris de justice, « heureusement » pour les journaux à sensation et les politiciens qui font leurs choux gras de ces affaires tout au long de l'année...
Pas un mois ne se passe sans qu'un crime de cette sorte, mis en exergue par les médias, ne vienne réveiller des peurs ancestrales et faire oublier la pacification relative des moeurs. L'écart est abyssal avec des pays d'Amérique latine comme le Honduras ou le Guatemala dont le taux d'homicide dépasse ce que l'Europe occidentale pouvait connaître au Moyen Âge en-dehors des guerres (note).
Le terrorisme dans tous ses états
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Voir les 5 commentaires sur cet article
Olivier (11-06-2023 12:47:42)
Pourquoi avoir choisi ce titre accrocheur alors que votre article montre qu’en fait le nombre de morts violentes en France diminue tout au long du 20eme siècle. Et cela se poursuit au 21eme. Je sui... Lire la suite
Astarté (11-06-2023 10:46:53)
On oublie la serie d.e action directe et les horreurs du Bataclan
Pourtant ils marquent un pas en avant dans.le manque de contrôle des forces de police d'un nouveau milieu très dangereux
Blond Roland (26-09-2013 15:02:40)
Intéressant d'accord. Mais il y aurait encore beaucoup à dire sur les interférences et les contradictions dans "la course à la popularité, ou à l'impopularité" à laquelle se livrent ... Lire la suite