La révolution industrielle des deux derniers siècles a été rendue possible par le chemin de fer. Près d'un siècle avant que n'apparaisse l'automobile, il a donné une vigoureuse impulsion au transport de matières premières, de marchandises et de personnes. Il a unifié les territoires, désenclavé les zones rurales et aussi modifié la nature des guerres.
Songeons que du commencement de l'Histoire, il y a 5000 ans, au début du XIXe siècle, les conditions de déplacement n'avaient pas progressé. En 1812, à l'issue de la retraite de Russie, quand Napoléon Ier a dû rentrer en castastrophe de Vilnius à Paris, il lui a fallu pas moins de treize jours pour parcourir 2 000 kilomètres, soit une moyenne de 7 kilomètres par heure. Ce n'était pas mieux que les Romains ou même les Sumériens. C'est dire le bouleversement sans précédent apporté par le chemin de fer.
En ce XXIe siècle, entre la voiture et l'avion, le train cherche sa place. Il conserve d'excellents atouts et pourrait les faire valoir si d'aventure les gouvernants et les citoyens choisissaient de privilégier sobriété énergétique et aménagement du territoire.
Les mines donnent naissance au chemin de fer
L'idée de faire circuler des charges lourdes sur des rails remonte sinon à la nuit des temps du moins aux premières exploitations minières. Dès l'époque médiévale, en Europe, les exploitants des mines s'aperçurent en effet que les charrettes de produits lourds rencontraient moins de résistance au frottement lorsqu'elles roulaient sur des rails. Ces rails improvisés furent d'abord en bois et les véhicules eux-mêmes étaient tirés par des chevaux.
Grâce au développement de la métallurgie, on remplaça progressivement les rails en bois par des rails en fer, ce qui améliora de beaucoup les performances de la traction.
Au pays de Galles où les fonderies ont des produits lourds à transporter, le transport sur voie ferrée apparut comme la solution idoine. En 1807, une compagnie dite Swansea & Mumbles Railway eut même l'idée de l'étendre aux voyageurs en utilisant des wagons initialement destinés au minerai de cuivre et tirés par des chevaux. Ce transport perdura jusqu'en 1896 !
Restait le problème de la traction : devait-on se limiter à des wagons ou chariots tirés par des chevaux ?
C'est ici qu'intervient, après le rail, le deuxième apport décisif à l'invention du chemin de fer : la vapeur. Comme le rail, elle est issue de l'industrie minière.
Le pionnier de la machine à vapeur est le mécanicien anglais Thomas Newcomen (1664-1729).
Vers 1712, il conçoit une machine en vue d'extraire l'eau des mines profondes de charbon et de permettre ainsi l'exploitation de cette ressource devenue vitale pour l'Angleterre.
Inspirée notamment des travaux de Denis Papin, sa machine développe une puissance mécanique à l'aide d'un piston mû par de la vapeur dans un cylindre.
Un demi-siècle plus tard, à partir de 1769, cette première forme de motorisation reçoit une impulsion décisive de l'ingénieur écossais James Watt (1736-1819).
Il en améliore le rendement énergétique (condenseur séparé, double effet...) et développe des mécanismes pour l'adapter à tous usages industriels (métallurgie, textile...).
Mais ces premières machines à vapeur fonctionnent à une pression proche de la pression atmosphérique, avec une puissance par unité de masse trop faible pour envisager une machine embarquée sur un véhicule...
L'ingénieur Richard Trevithick conçoit alors la première locomotive à vapeur, avec une chaudière montée sur chariot.
La vapeur sous pression actionne un piston, lequel fait tourner un grand volant extérieur. Après quoi, la vapeur est éjectée dans l'atmosphère, qui fait office de condenseur.
Richard Trevithick, toutefois, néglige d'exploiter son savoir-faire. Inventeur dans l'âme, il abandonne à d'autres le passage du ferroviaire à la phase industrielle...
Les autorités locales des Midlands lancent un concours afin de sélectionner un constructeur capable de faire rouler sur rails un engin de moins de 6 tonnes à la vitesse de 16 km/h. C'est finalement l'ingénieur Georges Stephenson et son fils Robert qui l'emportent avec leur locomotive, The Rocket (la « Fusée »).
The Rocket a déjà l'apparence que l'on connaît aux locomotives à vapeur, avec une chaudière horizontale, un foyer à l'arrière et une cheminée à l'avant. Sa chaudière tubulaire multiplie par quatre la production de vapeur par rapport aux simples chaudières. Un « tender » contenant l'eau et le charbon est attelé à l'arrière de la locomotive. D'un poids d'à peine plus de 4 tonnes, elle roule jusqu'à 56 km/h en tirant une charge de 13 tonnes. C'est le premier record du monde de vitesse.
À la suite du concours est inaugurée le 27 septembre 1825 la ligne Stockton & Darlington, dans les Midlands. Il s'agit de la transposition à l'air libre d'un chemin de fer minier, avec ses chevaux et ses machines à vapeur fixes qui tirent les wagonnets. Outre le transport du charbon, elle s'accommode du transport de voyageurs.
Après cette expérimentation est lancée la première ligne ferroviaire commerciale entre Liverpool et Manchester, inaugurée le 15 septembre 1830 et équipée des locomotives de Georges Stephenson. Elle fait chuter de moitié le prix des marchandises lourdes vendues à Manchester. La ligne s'avère très rentable pour les actionnaires de la compagnie et le succès est tel que bientôt, Stephenson n'arrive plus à fournir.
De suite s'impose un effort de rationalisation dans le transport ferroviaire afin d'assurer l'interconnexion des réseaux et des machines. Les trains étant apparus en Angleterre, c'est à gauche qu'ils roulent et cette règle va s'imposer partout. Pour l'écartement entre les rails, les concepteurs anglais s'inspirent de ce qui se fait déjà pour les carrosses et les voitures à cheval, selon une tradition qui remonte aux chars romains ! Ce sera 1,435 mètre. Mais des variantes vont très vite apparaître dans les différents réseaux de la planète, occasionnant quelques complications malvenues...
Le chemin de fer, source de profit sans pareille
Le chemin de fer à vapeur n'a pas attendu pour traverser l'Atlantique. Dès mai 1830, un chemin de fer a été inauguré entre Baltimore et Ellicott's Mills. En France, une première voie ferrée a été ouverte en 1827 pour le transport des marchandises, entre Saint-Étienne et Andrézieux (18 km), deux villes du bassin industriel et minier de la Loire. Puis est ouverte en 1835 la ligne Saint-Étienne-Lyon (57 km) pour le transport de marchandises lourdes et de produits sidérurgiques. Il tire parti de la déclivité du terrain pour suppléer au manque de puissance de la traction à vapeur.
Notons que le chemin de fer est encore perçu à cette époque comme une alternative aux voies navigables pour le transport des pondéreux. C'est ainsi que les voies sont qualifiées de « canaux secs » et les gares de « ports secs» !
En 1835, c'est à une locomotive fournie par les établissements Sharp & Roberts que revient la gloire de franchir la barre des 100 km/h. La nouvelle fait sensation et commence à inquiéter les professionnels du transport (diligences, coches d'eau etc). Dans les années qui vont suivre, ils ne vont avoir de cesse de multiplier les obstacles à la construction de lignes, voire de saboter les chantiers, en Angleterre comme ailleurs.
Mais rien n'y fait. Il faut dire qu'en dépit d'investissements importants, les promoteurs du chemin de fer réalisent des profits colossaux, jusqu'à 50% par an, tant dans le transport de marchandises que dans celui de voyageurs. Les investisseurs et les épargnants se laissent griser par ce secteur aux allures d'eldorado qui n'est pas sans rappeler l'internet au tournant du troisième millénaire ! Il s'ensuit même une bulle spéculative dans les années 1830-1850 à la Bourse de Londres, autour des actions des compagnies.
Déjà la technologie ferroviaire franchit la Manche et atteint le Continent. Des lignes à usage minier ou de démonstration sont réalisées en Belgique et en France.
Les Belges inaugurent une première ligne pour le transport des voyageurs entre Bruxelles et Malines, le 5 mai 1835. La même année, le 7 décembre 1835, une première ligne de 6,4 km est ouverte en Allemagne, entre Nuremberg et la ville voisine de Fürth.
Le transport ferroviaire émerge donc en une demi-douzaine d'années et, immédiatement, suscite l'engouement du public... malgré les mises en garde de quelques esprits supérieurs.
C'est ainsi que le savant François Arago, homme de grand mérite par ailleurs, met en garde les Français contre « les illusions que peuvent donner deux tringles de fer ». Plus fort encore, l'Académie de médecine de Lyon énonce en 1835, dans un mémoire resté célèbre : « La translation trop rapide d'un climat à un autre produira sur les voies respiratoires un effet mortel... L'anxiété des périls constamment courus tiendra les voyageurs dans une perpétuelle alerte et sera le prodrome d'affections cérébrales. Pour une femme enceinte, tout voyage entraînera infailliblement une fausse couche avec toutes ses conséquences » (1835).
Adolphe Thiers n'est pas mieux inspiré. Aux frères Péreire, des banquiers qui veulent financer la ligne Paris-Saint-Germain-en-Laye, le Président du Conseil affirme avec son assurance coutumière : « Il faudra donner des chemins de fer aux Parisiens comme un jouet, mais jamais on ne transportera ni un voyageur ni un bagage ! ».
Le chemin de fer au service de l'action politique
Le 24 août 1837, en avance de quelques mois sur le roi Louis 1er de Bavière, la reine Marie-Amélie, épouse de Louis-Philippe 1er, inaugure la première ligne française dédiée au transport de voyageurs. Cette ligne relie Paris à Le Pecq (18 km). Elle est dix ans plus tard prolongée jusqu'à Saint-Germain-en-Laye, de l'autre côté de la Seine...
Le 8 mai 1842, sur la ligne Paris-Versailles se produit le premier drame ferroviaire de l'Histoire : 55 morts. Malgré son caractère spectaculaire et inédit, il ne remet pas en cause la confiance des banquiers et de l'opinion publique dans ce nouveau mode de transport.
Un mois plus tard, le 11 juin 1842, François Guizot, mieux inspiré qu'Adolphe Thiers, promulgue une loi décisive sur les chemins de fer destinée à remédier à l'insuffisance de capitaux : l'État promet des monopoles avec des concessions à long terme aux compagnies privées qui voudront se lancer dans l'aventure. La loi projette sept réseaux en étoile au départ de Paris, vers la Manche, l'Atlantique, les Pyrénées, la Méditerranée et le Rhin, ainsi que deux réseaux transversaux de la Méditerranée au Rhin et de l'Atlantique à la Méditerranée. Sa mise en oeuvre va être retardée par les crises économiques et politiques et ne démarrer vraiment que sous le Second Empire.
Ainsi le chemin de fer va-t-il concourir au désenclavement des territoires, à l'unification du pays et à la centralisation de l'État. Alors que les diligences ont une vitesse moyenne de 4,5 km/h (!), les trains vont atteindre très vite une vitesse moyenne de 65 km/h et Napoléon III pourra rouler en train spécial vers Biarritz et Marseille à une moyenne de 100 km/h ! L'empereur lui-même, quelque peu effrayé, va limiter la vitesse des trains à 120 km/h et cette limitation perdurera jusque dans les années 1950...
En 1848, avec moins de 3000 km, la France est encore très en retard par rapport à l'Angleterre et aux États-Unis qui en possèdent déjà dix mille chacun et même par rapport à la Belgique, dont le réseau déjà très dense attire une grande partie des marchandises en transit en Europe occidentale. Le rattrapage s'effectue sous le règne de Napoléon III. À sa chute en 1870, le pays comptera déjà 17 000 km fréquentés par cinq mille locomotives, soit à peu près autant que l'Allemagne ou le Royaume-Uni.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, comme les compagnies privées s'essoufflent, les États viennent à leur rescousse en leur offrant des obligations garanties par eux-mêmes. Le capital des compagnies se répartit de la sorte entre des actions qui offrent aux fondateurs des dividendes généreux et des obligations proposées aux petits épargnants avec un rendement beaucoup plus modeste mais garanti par l'État.
Le chemin de fer bouleverse les campagnes en accélérant l'exode rural mais aussi en facilitant le transfert sur longue distance des produits agricoles vers les marchés de gros de Paris et des métropoles. C'est ainsi qu'apparaît dans les villes un marché des primeurs, inconcevable au temps de la diligence. En France, le train accélère le développement de l'axe Lille-Paris-Lyon-Marseille, desservi par un réseau rapide, au détriment de l'Ouest atlantique.
La plupart des capitales européennes se dotent de grandes gares monumentales, cathédrales des temps modernes. Ainsi Paris avec ses sept grandes gares têtes de réseau (Montparnasse, Saint-Lazare, Nord, Est, Lyon, Austerlitz, Orsay), lieux d'une nouvelle urbanité autour desquels se réorganise la vie citadine.
Dès 1859, en Italie, lors des campagnes militaires franco-italiennes contre l'Autriche, le chemin de fer contribue pour la première fois au transport des troupes. En amenant au plus vite les soldats sur le champ de bataille, il va s'avérer décisif dans la guerre de Sécession comme dans la victoire de la Prusse sur l'Autriche en 1866 puis dans la victoire de la Prusse et de ses alliés sur la France en 1870.
A contrario, le gouvernement russe attribue à ses carences ferroviaires sa défaite dans la guerre de Crimée en 1856. C'est pourquoi il lance un grand programme d'équipement dès 1857. En 1890, l'immense empire comptera 30 000 km. Grâce aux capitaux français et à l'Alliance franco-russe, il doublera ce réseau à l'aube de la Première Guerre mondiale mais avec avant tout des préoccupations stratégiques. De fait, à la déclaration de guerre, en août 1914, les Russes vont pouvoir mobiliser les conscrits et les transporter sur le front beaucoup plus vite que prévu, obligeant les Allemands à dégarnir leur front de l'Ouest... Ainsi permettront-ils aux Français d'échapper à une défaite prématurée !
Aux États-Unis, comme en France, le souci d'unification politique et d'aménagement territorial préside au développement du chemin de fer. Le 10 mai 1869, l'achèvement de la première ligne transcontinentale, entre New-York et San Francisco, consacre l'unité du pays, de l'Atlantique au Pacifique.
Le chemin de fer a révolutionné le temps. Avant lui, chacun vivait à son heure et voyait midi à sa porte. Compte tenu de la rotation de la Terre autour du Soleil, il pouvait y avoir près d'une heure de différence entre les montres des Strasbourgeois et des Brestois. Cette différence était sans conséquence dans un monde où l'on se déplaçait à la vitesse du cheval... Mais avec l'ouverture de lignes ferroviaires sur de longues distances, il fallut bien songer à unifier les horloges.
Pour ne pas à avoir à changer d’heure dans chaque localité, les compagnies de chemins de fer britanniques décidèrent dès les années 1840 de régler toutes leurs horloges sur l’heure moyenne de l'Observatoire royal de Greenwich (Greenwich Mean Time, en abrégé GMT), dans la banlieue de Londres. Très rapidement, les Anglais prirent l’horaire des chemins de fer comme référence et abandonnèrent les heures locales si bien qu’en 1855 la quasi-totalité de leurs horloges publiques était passée à l’heure de Greenwich.
S’inspirant de l’exemple britannique, les compagnies de chemin de fer françaises choisirent l’heure de Paris et dans chaque gare, on installa deux horloges, l'une avec l'heure locale, l'autre avec celle de Paris ! C'est seulement le 14 mars 1891 que le gouvernement imposa pour la France une heure unique, celle du méridien de Paris.
Dans le même temps et pour les mêmes raisons, l'ouverture de lignes transcontinentales aux États-Unis conduisit les compagnies américaines à définir de façon stricte des fuseaux horaires. Ils furent adoptés au plan international en 1884 par l'International Prime Meridian Conference, à Washington. La planète fut ainsi découpée virtuellement en 24 fuseaux horaires. Le passage de l'un à l'autre conduit à retarder ou avancer sa montre d'une heure pour s'ajuster à la rotation de la Terre.
Le chemin de fer au service des milliardaires et des diplomates
Un homme d'affaires américain, George Pullman, conçoit un train de luxe et va le promouvoir à la faveur de l'assassinat de Lincoln, en 1865, l'un de ses wagons ayant transporté la dépouille du président sur une voie spéciale, de Washington à Springfield (Illinois). Sa compagnie va très vite compter jusqu'à dix mille voitures.
En 1872, l'homme d'affaires belge Georges Nagelmackers fonde sur le même modèle la Compagnie internationale des wagons-lits. Il inaugure en 1883 un train de luxe entre Paris, Vienne, puis Venise, Constantinople et Londres. C'est l'Orient-Express, destiné à resserrer les liens entre la République française et ses partenaires plus ou moins lointains.
À défaut de président assassiné, il va bénéficier pour sa renommée d'un crime de polar, celui que raconte Agatha Christie en 1934.
Un peu plus tard, en 1903, l'Allemagne promeut un projet ferroviaire Berlin-Constantinople-Bagdad (1600 km) mais les guerres mondiales le réduiront à néant. Le Britannique Cecil Rhodes n'aura guère plus de chance avec l'utopie d'une liaison Le Caire-Le Cap qui traverserait l'Afrique de part en part sans jamais quitter les territoires sous tutelle britannique !
Notons que deux pays européens, l'Espagne et la Russie, se sont singularisés (et quelque peu isolés) en adoptant un écartement de voies plus large que les autres...
Le chemin de fer sous la surveillance des comptables
En France, l'extension du réseau ferroviaire se poursuit sous la IIIe République.
Le grand programme d'infrastructures lancé en 1878 par le ministre des Travaux Publics Charles de Freycinet ajoute près de 9 000 km de lignes d'intérêt local aux 24 000 km déjà existant, avec l'objectif d'amener le train dans tous les chefs-lieux d'arrondissement, au plus près des villages. 140 ans plus tard, ce sont ces lignes qui seront les premières menacées de fermeture, les successeurs de Freycinet au gouvernement étant davantage soucieux d'équilibre comptable que d'équilibre territorial.
Le plan Freycinet entraîne la construction de remarquables ouvrages d'art comme le viaduc en acier de Garabit, construit en 1880-1894 par Gustave Eiffel pour le franchissement de la Truyère, dans le Cantal, sur la ligne des Causses (Béziers-Neussargues).
Pour les travaux d'infrastructure et l'exploitation des lignes et des gares, les compagnies embauchent à tour de bras des paysans du cru. Elles les forment à des tâches très techniques (mécaniciens, aiguilleurs, lampistes, brigadiers de la voie...) et craignent plus que tout de les voir partir prématurément, d'autant que les conditions de travail sont souvent éprouvantes (intempéries, accidents...) et les contraintes pesantes (réquisitions de nuit...).
Pour les dissuader de quitter leur entreprise et rentrer chez eux à l'époque des moissons ou des labours, elles leur accordent avantage sur avantage : garantie de l'emploi, caisses de secours en cas d'accident ou de maladie, promesse d'une aide pour l'épouse et les enfants, mais aussi droit à la retraite, dans certains cas dès l'âge de 50 ans. Pour le renouvellement des effectifs, elles créent des filières d'apprentissage ouvertes en priorité aux enfants de leurs agents, accoutumés au monde ferroviaire et à ses contraintes.
« En se montrant ainsi humaines et généreuses, les compagnies ne remplissent pas seulement un devoir. Elles font aussi un bon calcul, car c'est pour elles le meilleur moyen d'obtenir des employés un dévouement qu'ils refuseraient à des compagnies avares et égoïstes », déclare un administrateur de compagnie en 1859. Ainsi émerge, en France et dans les autres pays d'Europe, une aristocratie ouvrière, les cheminots, avec un statut qui ne doit rien aux luttes syndicales et, encore aujourd'hui, fait des envieux.
Déficitaires, les différents réseaux français sont progressivement nationalisés par l'État français, à commencer par le réseau Ouest en 1908. L'ensemble est nationalisé le 1er janvier 1938 par le gouvernement du Front Populaire qui regroupe les activités ferroviaires dans la Société Nationale des chemins de fer français (SNCF).
À vrai dire, la France ne fait que suivre un mouvement européen qui a débuté en Suisse en 1898 avec un mot d'ordre : « Le train suisse pour le peuple suisse ». L'Italie nationalise à son tour son réseau en 1905 etc.
Même cheminement au Royaume-Uni où les 123 compagnies ferroviaires sont nationalisées le 1er janvier 1948 sous le nom de British Rail. L'entité sera démantelée et reprivatisée en 1994-1997 par le gouvernement conservateur de John Major. En Allemagne, c'est sous le IIIe Reich, en février 1937, qu'ont été nationalisés les chemins de fer sous le nom de Deutsche Reichsbahn (aujourd'hui Deutsche Bahn ou DB).
Stimulée par le président Pompidou, la SNCF, fière de sa culture d'ingénieur, s'est flattée d'être à l'avant-garde mondiale en matière de technicité. En 1981, elle ouvre une ligne à grande vitesse entre Paris et Lyon plus rapide que le Shinkansen japonais et le 18 mai 1990, remporte le record du monde de vitesse sur rail avec une pointe à 515,3 km/h. Mais, contraintes européennes aidant, l'État français a depuis lors sacrifié le chemin de fer aux équilibres budgétaires. Depuis l'ouverture en 2010 de la ligne Madrid-Valence, l'Espagne détient devant la France le plus long réseau à grande vitesse d'Europe.
Depuis deux siècles donc, le chemin de fer reflète les priorités politiques des gouvernants, du transport des matières premières à la réduction des dépenses publiques en passant par les cases désenclavement des territoires, unité nationale et enjeux militaires.
C'est désormais en Asie que se joue l'avenir du rail.En ce début du XXIe siècle, les dirigeants européens ont ainsi fait le choix de privilégier le transport automobile et aérien, avec un prix du carburant en chute libre depuis le choc pétrolier de 1978 (note). Comme aux États-Unis, le chemin de fer est peu à peu réduit aux liaisons entre métropoles, assurées d'une excellente rentabilité grâce à une clientèle bourgeoise et professionnelle... Plaignons les Suisses, arriérés à souhait, qui persistent à entretenir un magnifique réseau lourdement déficitaire pour que chaque village et col de montagne soit accessible par le rail.
L'Inde a été dotée d'un réseau de chemin de fer par les colonisateurs anglais à partir de 1853 mais c'est surtout au Japon, vingt ans plus tard, que s'est épanouie cette nouvelle technique de transport. Nationalisés en 1949, les chemins de fer japonais sont sans doute aujourd'hui les meilleurs du monde (et les plus rapides).
La Chine, arrivée tardivement dans la compétition et handicapée par les guerres civiles et l'incurie du régime maoïste, relève aujourd'hui le défi avec des liaisons à grande vitesse entre les principales métropoles du pays, notamment une ligne de 1300 km entre Pékin et Shanghai, la plus longue du monde, avec des trains roulant à 350 km/h.
Il n'y a pas beaucoup de livres en français sur la naissance du chemin de fer. On peut retenir un bel album aux Éditions Atlas : Les trains de légende (2000).
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Voir les 5 commentaires sur cet article
Jean Paul MAÏS (30-09-2020 16:14:15)
Sans doute allez-vous aborder le rôle des chemins de fer dans la Déportation et l' Extermination des juifs dans un prochain chapitre ? Pour moi c' est déjà fait : j' en suis à ma 8 ième expo sou... Lire la suite
Jean Pierre Pascuito (09-03-2018 17:19:42)
Je partage l'inquiétude de mes concitoyens ci-dessus. Il ni y'a pas si longtemps des responsables politiques souhaitaient que les marchandises (en dehors des produits frais) soient transportées par ... Lire la suite
edzodu (06-03-2018 16:49:10)
Les hommes ont la mémoire courte ! Faut-il rappeler à tous ceux qui ont tiré un profit non négligeable et un temps très important sur l’utilisation des transports ferroviaires, grâce au bon... Lire la suite