L’énergie au cœur de l’histoire humaine

Du feu à l'atome : la révolution mécanique

Aux Temps modernes, les Européens ont unifié le monde par leurs explorations, leur commerce maritime, leurs conquêtes et leurs entreprises de peuplement. Le développement des échanges en Europe et au-delà est allé de pair avec celui des activités manufacturières.

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, dans les ateliers et les usines, les machines fonctionnaient très majoritairement grâce à la force hydraulique et à celle du vent. C’est par centaines de milliers que se comptaient en Europe les moulins à eau et les moulins à vent.  Aujourd’hui encore, tous nos cours d’eau sont bordés d’ateliers généralement en ruine qui attestent de cette vénérable activité.

Mais les besoins de chauffage s’accroissent aussi, tant dans les foyers domestiques que dans les ateliers (métallurgie, textile, verrerie, etc.). Aussi, dès les XVIe et XVIIe siècles, Anglais et Hollandais commencent à connaître des pénuries de bois et doivent en importer de la Baltique.

En Hollande,  la tourbe, présente en abondance, apporte un utile complément mais elle s’avère polluante et d’un faible rendement calorique. En Angleterre, on se rabat sur le charbon de terre, également très polluant mais d’un excellent rendement calorique. Son extraction, dans des conditions très rudes, passe de deux millions de tonnes en 1600 à trois millions en 1700 et dix millions de tonnes en 1800.

Mineurs de Dolcoath (Cornouaille), photographie de John Charles Burrow (1852-1918)Et voilà le miracle qui va changer le cours de l’Histoire : des savants et des techniciens vont trouver moyen de convertir une énergie fossile, le charbon en l’occurrence, en énergie mécanique et non plus seulement thermique !

Cela commence avec un Français, Denis Papin (1647‑1713), un protestant natif de Blois qui quitta la France suite à la révocation de l’édit de Nantes en 1685 et finit sa vie à Londres. Passionné de physique, il invente le premier ensemble cylindre-piston fonctionnant à la vapeur. Il ne s’agit de rien moins que de la première machine à vapeur. Denis Papin a immédiatement eu conscience du caractère révolutionnaire de son invention mais n’a pas su la promouvoir.

Là-dessus, un pasteur et mécanicien anglais du Devonshire réfléchit aux mines de la région, régulièrement inondées. Sur le principe du cylindre-piston, il met au point en 1712 une machine destinée à pomper l’eau.  Une chaudière chauffée au charbon comme il se doit produit de la vapeur qui chasse un piston vers le haut. Puis, la vapeur est refroidie par pulvérisation d’eau froide et, en se liquéfiant, fait redescendre le piston. Ce va-et-vient actionne un balancier à l’extrémité duquel une chaîne remonte l’eau  du puits.

Malgré un rendement très médiocre, la machine démontre qu’il est possible de convertir de l’énergie fossile en mouvement mécanique. Il appartiendra à l’ingénieur écossais James Watt d’améliorer son rendement en ajoutant à la machine une chambre de condensation séparée.

À partir de là, les choses s’enchaînent très vite. Fonctionnant au charbon, les machines à vapeur permettent dans un premier temps  d’extraire encore plus de charbon en pompant l’eau dans des mines de plus en plus profondes ! Puis, dès 1800, apparaissent des machines à vapeur qui actionnent une roue et permettent de filer le coton.

Ces machines étant trop volumineuses pour être embarquées, l’ingénieur anglais Richard Trevithick a l’idée d’une chaudière à vapeur sous pression plus compacte, grâce à quoi il peut lancer en 1804 la première locomotive. Un siècle plus tard, on comptera 250 000 kilomètres de voies ferrées en Europe et presque autant en Amérique du nord où, dès 1869, une voie ferrée relie l’Est à l’Ouest des États-Unis ! Mais bien plus que le « cheval-vapeur », mesure de puissance préconisée par James Watt, c’est le cheval qui reste le moyen de transport privilégié à la campagne et plus encore à la ville.

La gare Saint-Lazare, arrivée d’un train (1877, Claude Monet 1840-1926, Fogg Art museum, Harvard)

Tant dans l’industrie que dans les transports, le charbon va s’imposer au cours du XIXe siècle comme l’énergie reine. Il va en premier lieu asseoir la suprématie mondiale de l’industrie cotonnière anglaise. Importatrice de cotonnades indiennes au XVIIe siècle, l’Angleterre prend des mesures protectionnistes dès 1717 pour favoriser ses propres industriels. Puis, un siècle plus tard, forte de l’avantage concurrentiel apporté par la mécanisation de ses usines, elle ruine sans rémission l’industrie textile indienne, jusque-là très en avance sur le reste du monde.

Le charbon était-il indispensable à l’industrialisation de l’Angleterre et de l’Europe ? Le chercheur François Jarrige n’en est pas convaincu. Dans Face à la puissance, Une histoire des énergies alternatives à l’âge industriel (La Découverte, 2020), il montre comment les industriels ont privilégié le recours au charbon de préférence aux moulins à eau. Ces derniers imposaient d’aménager les usines là où était la source d’énergie. Tandis que le charbon, aisément transportable, laissait aux industriels le libre choix de l’implantation de leurs usines, de préférence dans les agglomérations riches en main-d’œuvre à bas coût.

Le charbon représente encore en 2018 près du tiers de l’énergie primaire consommée dans le monde derrière le pétrole et avant le gaz, avec un total de 3,5 milliards de tonnes. S’il n’est plus guère utilisé pour faire rouler les trains ou actionner des machines, il sert à produire de l’électricité, essentiellement en Chine et en Inde mais aussi en Pologne, en Allemagne et même en France où, suite à la guerre d’Ukraine, on a rouvert en catastrophe deux centrales à charbon à Cordemais (Loire-Atlantique) et Saint-Avold (Moselle).

Edmin Drake (à droite) devant le premier puits de pétrole, en 1859, à Titusville (Pennsylvanie)En 1859, une deuxième énergie fossile entre en scène avec le forage en Pennsylvanie d’un premier puits de pétrole par Edwin Drake. Comme le charbon, le pétrole était connu et déjà utilisé sous l’Antiquité, quoiqu’en quantité très faible. Sa redécouverte aux États-Unis survient à point nommé, à un moment où les besoins d'éclairage n'arrivent plus à être satisfaits avec les bougies traditionnelles et les lampes à huile (de l’huile de baleine !). Le pétrole va donc révolutionner la vie quotidienne ! Il va aussi faire la fortune des raffineurs et du principal d’entre eux, John Davison Rockefeller, dont le nom va devenir synonyme de celui de Crésus.

Le meilleur reste à venir. Des ingénieurs songent à convertir le pétrole en énergie mécanique pour faire avancer des véhicules plus légers que les trains. L’Allemand Gottlieb Daimler conçoit en 1883 un moteur à combustion et en 1892, son compatriote Rudolf Diesel optimise ledit moteur avec un système d’allumage plus performant. Il espère, grâce à ses moteurs de petite taille et accessibles à tous, ouvrir la voie à une société fraternelle constituée de petites entreprises autonomes.

Au lieu de cela, très vite, l’industrie automobile devient le lieu d’une concurrence exacerbée qui voit le triomphe d’Henry Ford en 1908 avec le lancement de la première voiture fabriquée à la chaîne. Dans le même temps, les frères Wright utilisent un moteur à combustion pour faire voler en 1903 leurs premiers avions. C’est là aussi le démarrage d’une activité promise à un prodigieux avenir.

Un nouveau cap a été franchi en 1911, à Londres, quand le Premier Lord de l’Amirauté, un certain Winston Churchill, renonce au charbon et convertit les navires de la Royal Navy au pétrole pour augmenter leur vitesse et leur autonomie. Dans la foulée, il préconise une implantation britannique dans le Golfe Persique en vue de garantir l’approvisionnement en pétrole ! Celui-ci est devenu un élément stratégique vital pour toutes les grandes puissances, ce qu'il est encore aujourd'hui. Il en va de même du gaz naturel, un autre hydrocarbure utilisé principalement pour le chauffage et la production d’électricité.

La fée électricité : affiche de Tamagno (1900) ; agrandissement : oeuvre monumentale de Raoul Dufy au musée d'Art moderne de Paris (1937)L’électricité est une énergie secondaire produite à partir de l’une ou l’autre des énergies primaires. Elle a l’avantage d’être facilement transportable et de pouvoir être convertie à moindre coût en énergie mécanique ou en chaleur. Son inconvénient est de ne pouvoir être stockée sauf à passer par un convertisseur (batterie ou pile à hydrogène).

La découverte et la mise en œuvre de l’électricité sont l’œuvre d’une pléiade de grands savants et inventeurs géniaux du XIXe siècle, d’Alessandro Volta, André-Marie Ampère et Michael Faraday à Thomas Edison et Nikola Tesla.

En 1879, Edison met au point l’ampoule électrique qui va très vite les lampes à huile. Un premier train électrique est réalisé en 1881 en Allemagne. Le moteur électrique est appliqué aussi au métro de Londres en 1887 avant d’équiper les trolleybus. Les premières automobiles sont aussi mues à l’électricité avant que les adeptes du moteur à combustion n’y mettent le hola.

Mais au XXe siècle, l’électricité va s’imposer par son caractère pratique dans la mécanisation et la robotisation des usines et des bureaux ainsi que l’équipement des foyers domestiques en appareils électro-ménagers. Dans la deuxième moitié du siècle, la maîtrise de l’atome va offrir de nouvelles opportunités de satisfaire l’explosion des besoins.

Effet rebond ou « paradoxe de Jevons »

Comme l’énergie demeure accessible à bas prix, toutes les améliorations de rendement se soldent par une extension des usages ! Ce phénomène  a été mis en évidence par l’économiste William Jevons à propos des usages du charbon en 1865 (The Coal Question. An inquiry concerning the progress of the Nation, and the probable exhaustion of our coal-mines). Il montre que le fait de rendre les machines plus économes en énergie n'amène pas une baisse de la consommation globale de combustible, car les machines devenant plus productives, elles produisent à moindre coût et suscitent une demande accrue de leurs produits de sorte que l'on est conduit à utiliser davantage de machines.
Ce fameux paradoxe appelé « effet rebond » a déjà été illustré ainsi que nous l'avons montré par l'égreneuse à coton de Whitney. Il se vérifie aujourd'hui plus que jamais. Ainsi, quand les ingénieurs réduisent de moitié la consommation d’essence par kilomètre, les automobilistes ont le choix soit de couvrir la même distance avec deux fois moins d’argent, soit de parcourir deux fois plus de kilomètres avec autant d’argent ou de se tourner vers de plus gros véhicules à consommation constante. L'expérience montre que c’est la deuxième option qui a leur faveur. Le paradoxe de Jevons s’observe encore avec les ampoules LED (diodes électroluminescentes), réputées durables et à basse consommation. Elles ont entraîné depuis le début du XXIe siècle une multiplication par deux ou davantage des éclairages : allées de jardins, vitrines, façades, etc. On assiste par ailleurs à la multiplication des écrans vidéo publicitaires dans l’espace public, les couloirs du métro et les vitrines de magasins, etc.

Énergie : toujours plus !

De la Seconde Guerre mondiale à nos jours, la consommation d’énergie primaire a été multipliée par six, bien plus vite que la population des pays industrialisés en situation d'y avoir accès. Cette consommation a été stimulée par les coûts d’extraction très faibles des énergies fossiles ainsi que par une fiscalité très indulgente et le soutien actif des autorités.

En témoigne la détaxation du kérosène qui alimente les avions par la convention de Chicago, en 1945, afin d'encourager les vols commerciaux et d'offrir un débouché alternatif aux constructeurs aéronautiques menacés de devoir réduire leur activité suite à la victoire sur le nazisme.

Dans le domaine des transports terrestres, l'automobile pour tous, associée à la maison de banlieue, va symboliser le rêve américain. Les constructeurs automobiles et les pétroliers, en cheville avec les pouvoirs publics, s'activent dans ce sens. Ainsi rachètent-ils les compagnies de tramways, florissantes entre les deux guerres, et les laissent dépérir avant de les fermer, ainsi que le rapporte l'historien des sciences Jean-Baptiste Fressoz.

C'est une amère désillusion pour l'historien Lewis Mumford qui, dans  Technique et Civilisation (1932), imaginait comme Rudolf Diesel que l'Âge de l'électricité, venant après l'Âge du charbon, conduirait à une société fraternelle tissée de petites entreprises et de villes à taille humaine... 

Depuis lors, notre consommation d'énergie s’est proprement emballée jusqu’à atteindre 14 000 Mtep (millions de tonnes d’équivalent-pétrole) en 2018, dont 81% d’énergies fossiles. Celles-ci décroissent légèrement en pourcentage mais continuent de croître en valeur absolue.

Le rêve américain (La La Land, film de Damien Chazelle, 2016)

La diffusion de l’american way of life (le « mode de vie étasunien ») a conduit au tout-automobile et à l’avion pour tous, avec près de 100 millions de voitures produites chaque année et un milliard de véhicules de tous ordres en circulation sur la terre, dans les airs et dans les mers. L’une des conséquences en a été la suburbanisation, avec l’éclatement des villes anciennes, l'extension à l'infini des banlieues, l’artificialisation accélérée des sols et l'allongement des temps de transport.

La numérisation de la société et l’explosion des services en ligne (5G, métavers, Intelligence artificielle, etc.) promettent une nouvelle poussée de la demande d’énergie. Autant dire que la « transition énergétique » n’est pas faite. 

Sévère, Jean-Baptiste Fressoz voit dans le « Pacte Vert » européen (le Green Deal) tout au plus une tentative de relance du capitalisme par l'investissement public dans un contexte de régression démographique et de consommation plus faible. Pas moins critique, Jean-Marc Jancovici juge irrépressible le lien entre énergie et croissance économique et, à moins d'une forte relance du nucléaire, il n'imagine pas de freiner les émissions de gaz à effet de serre sauf à accepter une sévère réduction de notre niveau de vie.

Ne perdons pas espoir. Dans un essai déjà vieux de quelques années, Une écologie de la liberté, j'ai ainsi suggéré de détourner chacun d'entre nous des consommations les plus énergivores de façon indolore, en agissant sur le prix des énergies tout en redistribuant le surcoût entre tous les citoyens. Semblable proposition a aussi été émise en janvier 2019 par plusieurs Prix Nobel américains dans une tribune du Wall Street Journal (voir le point 5 de la tribune, publiée ci-après). Le débat reste ouvert.

André Larané
Une tribune dans le Wall Street Journal (17 janvier 2019)

Le 17 janvier 2019, le Wall Street Journal a publié une tribune  signée par 27 lauréats du prix Nobel d'économie, quatre présidents de la FED et deux anciens secrétaires d'État au trésor. La voici dans une traduction en français :

DÉCLARATION DES ÉCONOMISTES SUR LES DIVIDENDES CARBONE
Le changement climatique mondial est un grave problème qui appelle une action nationale immédiate. Guidés par des principes économiques sains, nous sommes unis dans les recommandations politiques suivantes.
  1. Une taxe sur le carbone constitue le levier le plus rentable pour réduire les émissions de carbone à l’échelle et à la vitesse nécessaires. En corrigeant une défaillance bien connue du marché, une taxe sur le carbone enverra un puissant signal de prix qui exploite la main invisible du marché pour orienter les acteurs économiques vers un avenir faible en carbone.
  2. Une taxe sur le carbone devrait augmenter chaque année jusqu’à ce que les objectifs de réduction des émissions soient atteints et être neutre sur le plan des recettes pour éviter les débats sur la dimension de l’État. Une augmentation constante du prix du carbone encouragera l’innovation technologique et le développement d’infrastructures à grande échelle. Elle accélérera également la diffusion de biens et de services à faible intensité carbonique.
  3. Une taxe sur le carbone suffisamment robuste et progressivement croissante remplacera les diverses réglementations sur le carbone qui sont moins efficaces. La substitution d’un signal de prix aux règlements encombrants favorisera la croissance économique et fournira aux entreprises la certitude réglementaire dont elles ont besoin pour investir à long terme dans des solutions de rechange en matière d’énergie propre.
  4. Pour prévenir les fuites de carbone et protéger la compétitivité des États-Unis, un système d’ajustement frontalier du carbone devrait être établi. Ce système améliorerait la compétitivité des entreprises américaines qui sont plus écoénergétiques que leurs concurrents mondiaux. Cela inciterait également d’autres pays à adopter une tarification du carbone similaire.
  5. Pour maximiser l’équité et la viabilité politique d’une taxe croissante sur le carbone, toutes les recettes devraient être remises directement aux citoyens américains sous forme de remises forfaitaires égales. La majorité des familles américaines, y compris les plus vulnérables, y gagneront financièrement en recevant plus en « dividendes carbone » qu’elles ne paient en augmentation des prix de l’énergie.

Publié ou mis à jour le : 2023-05-17 09:00:49

Aucune réaction disponible

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net