Les impasses de la « transition énergétique »

Un coût aberrant de la tonne de CO2 évitée

3 juillet 2022. L’heure est à la lutte contre le réchauffement climatique. La classe politique européenne en fait le leitmotiv de tous ses discours mais oublie le seul objectif qui vaille : réduire au maximum les émissions de gaz à effet de serre au niveau planétaire. Elle s'en tient à une vision d'ingénieur et de technocrate : « décarboner » nos activités au niveau européen à quelque prix que ce soit...
Il s'ensuit sur les citoyens et les entreprises une pression fiscale en passe de devenir insupportable, avec des résultats très loin de compenser l'accroissement de la consommation de charbon dans les pays émergents, en Chine ou en Inde...

En France, le « scénario national bas carbone » (SNBC, 2016) table sur un coût de l’ordre de 32 à 85 milliards d’euros par an pour le développement des énergies renouvelables, l’isolation des logements, etc. Attendons-nous dans un proche avenir à des montants très supérieurs pour les aides à la commercialisation de véhicules électriques, de batteries et de piles à hydrogène (note).

Pour nous rendre compte de ce que cela signifie, cet objectif de « transition énergétique » conduit à réduire de quatre mille euros le revenu annuel dont chaque ménage français dispose pour la satisfaction de ses besoins (alimentation, logement, santé, éducation, culture et loisirs). Dit d'une autre manière, ces milliards d'euros  permettraient d'augmenter de 1000 euros net par mois les salaires de chacun de nos enseignants (au nombre d'un million) ainsi que de nos infirmiers et aides-soignants (un million) !

Nous assumons donc le choix collectif de faire passer les « énergies nouvelles renouvelables » (ENR) avant l'éducation et la santé alors qu'elles ne représentent en France qu'une fraction minime de notre consommation d'énergie primaire (3% au mieux d'après le graphique ci-après) et ne progressent que lentement malgré nos efforts dispendieux  (Chiffres-clé de l'énergie 2021).

CONSOMMATION D'ÉNERGIE PRIMAIRE PAR ÉNERGIE Total : 2 650 TWh en 2020 (données corrigées des variations climatiques), Ministère de la Transition écologique

Nos énergies renouvelables croissent moins vite que la demande d'énergie

Les investissements dans les ENR sont-ils du moins cohérents ? Répondent-ils à l'objectif de réduire nos émissions de gaz à effet de serre ? Craignons que non. Malgré un coût supérieur à cent euros par tonne de CO2 évitée (Christian Gérondeau, Écologie, la grande arnaque, Albin Michel, 2007), les énergies renouvelables peinent à satisfaire ne serait-ce que l'accroissement de notre consommation d'énergie.

Ainsi, les 62 éoliennes géantes du parc éolien marin de Saint-Brieuc mises en service en 2023 (puissance installée : 496 mégawatts) pourront tout au plus fournir l’électricité de cent mille climatiseurs, soit le dixième seulement de ceux qui auront été achetés dans l’année et l'ensemble des éoliennes déjà en service dans toute la France (puissance installée : 19 gigawatts) ne pourront alimenter qu'une petite fraction des millions de climatiseurs que les ménages se disposent à acheter dans les prochaines années (note). En 2019, ces éoliennes ont produit environ 34 TWh, contre 400 TWh pour les 56 réacteurs nucléaires.

Les ENR déployées en Europe sont surtout très loin de compenser la progression des énergies fossiles et du charbon en particulier dans les pays émergents. Ainsi, la Chine en est à ouvrir une nouvelle centrale à charbon chaque semaine en bonne partie pour fabriquer et nous livrer les composants de nos ENR !

Le résultat est sans appel comme le constate avec dépit le média Transitions & Énergies : « En 2021, la consommation mondiale d’énergie primaire a augmenté de 5,8% par rapport à 2020 et s’est établie à un niveau supérieur à la consommation d’avant la pandémie de Covid-19 (+ 1,3% par rapport à 2019). C’est aussi un niveau de consommation d’énergie jamais atteint dans l’histoire. Cette hausse de la demande a été avant tout tirée par les économies émergentes les plus peuplées, la Chine et dans une moindre mesure l’Inde. Les émissions de CO2 liées à l’énergie ont augmenté dans les mêmes proportions que la consommation, atteignant près de 33,9 milliards de tonnes en 2021, soit 5,9% de plus qu’en 2020 » (Statistical Review of World Energy 2022).

Autant dire que les Européens se fourvoient en voulant diminuer les émissions de gaz à effet de serre par la « décarbonation » de nos activités sans rien changer au consumérisme qui pousse chacun à consommer plus d'énergie d'année en année. C'est vouloir une chose et son contraire, selon la « politique de l'oxymore » (Bertrand Méheust, 2009)... Mais peut-être cette « décarbonation » à coup d'investissements coûteux cache-t-elle une tentative de sauver le capitalisme par des aides massives ? C'est en tout cas ce que suggère l'historien des énergies Jean-Baptiste Fressoz (voir la vidéo ci-dessous).

Sélectionner les actions dont le coût par tonne de CO2 évitée est le plus bas

Nous sommes dans l'impasse en raison d'une erreur de raisonnement. L'objectif légitime, ô combien ! est de réduire les émissions planétaires de gaz à effet de serre. Au lieu de garder l'oeil sur cet objectif en sélectionnant les investissements les plus efficaces en terme de CTCE (coût par tonne de CO2 évitée), les dirigeants européens se focalisent sur la multiplication des ENR (éolien, solaire ou autre) sans se soucier d'évaluer leurs résultats. C'est une aberration qui vaudrait la ruine à n'importe quelle entreprise privée.

Comme l'État ne peut pas pressurer à l'infini les citoyens, les entreprises et même les milliardaires, il importerait qu'il fasse les choix les plus judicieux en terme de rapport coût/résultat, par exemple entre l'éolien (plusieurs centaines d'euros par tonne de CO2 évitée) et la reforestation en France et dans les pays pauvres (quelques euros par tonne de CO2 évitée selon Christian Gérondeau).

Le remplacement au pas de charge des voitures à moteur thermique par des voitures électriques peut quand à lui déboucher sur un coût par tonne de CO2 évitée infini (autrement dit une augmentation des émissions de CO2) si l'électricité vient de centrales à charbon comme c'est encore le cas en Allemagne.

Certaines décisions, sans toucher directement à la « transition énergétique », peuvent être dommageables pour le climat. Ainsi les Européens ont-ils signé un traité de libre-échange avec le Brésil pour s'alimenter en soja. Mais a-t-on comparé le bénéfice financier qu'ils tirent de ce traité aux émissions de CO2 qui en résultent (mise en coupe réglée de l'Amazonie) ? Peut-être qu'en se privant de ce bénéfice financier, ils auraient diminué les émissions planétaires de CO2 à un coût imparablement bas ?

La lutte contre le dérèglement climatique, plus que jamais cruciale, réclame un projet de société véritablement politique. Dans un essai publié en 2020 (Le Climat et la vie, manifeste pour une écologie globale), j’ai ainsi évoqué des dispositions incitatives destinées à réduire très vite nos besoins en énergie avec un coût par tonne de CO2 évitée (CTCE) très bas ou même négatif (c'est le cas quand un salarié se rapproche de son travail et peut se dispenser de l'usage quotidien d'une voiture : il gagne en bien-être et en même temps réalise des économies). Ces initiatives visent à promouvoir une « sobriété choisie » (ne plus avoir besoin d’une voiture ou se satisfaire d'une petite diesel plutôt que d'une grosse électrique) plutôt qu’imposer une « sobriété contrainte » (payer chacun, chaque année, plus de 1000 euros de taxes pour des éoliennes sans profit pour notre bien-être).

Exemples parmi d’autres :
• Tel couple explique à son maire : « Nous avons besoin de deux voitures pour nous rendre l’un et l’autre à notre travail ; si vous mettez en place une navette autocar, en correspondance avec le train, nous n’aurons plus besoin que d’une voiture. » Et le maire, constatant que leur cas n’est pas isolé, de mettre en place la navette.
• Des villageois se plaignent : « Le lycée, le collège, la poste, la maison de santé… sont éparpillés dans tout le canton et nous gaspillons notre temps et le carburant de la voiture à courir d’un endroit à l’autre. » Les maires du canton et le préfet vont dès lors concevoir un plan sur quelques années pour concentrer les services et les commerces dans le bourg principal, afin qu’ils soient tous accessibles à pied.
• Les syndicats professionnels proposent à leurs adhérents, pour chaque catégorie de produit (eaux minérales, farines, yaourts, lessives, etc.), un emballage standard et réutilisable unique, avec un prix de consigne. Les industriels conservent la liberté de l’adopter ou de lui préférer un contenant jetable (et soumis à une taxe de recyclage).

Les dispositions de ce genre sont applicables partout dans le monde et peuvent très vite faire école. Puissions-nous y réfléchir, en débattre, et, s’il y a lieu, engager notre pays et l’Europe dans une voie d’avenir porteuse d’espoir.

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2024-02-12 12:32:12

Voir les 19 commentaires sur cet article

mickéo (29-02-2024 10:01:12)

Jean Baptiste FRESSOZ. Pas un mot sur le Nucléaire qui est à ce jour la méthode la plus efficace et écologique pour produire de l'électricité. Il faut accélérer le développement des réa... Lire la suite

Michel (06-12-2023 18:43:36)

Une question me semble essentielle : la qualité de l’air et c’est pourquoi je trouve incontournable de se doter de véhicules électriques à défaut d’autres solutions actuelles.

Michel J. (28-09-2023 10:42:04)

Pensant renouveler mon Scenic diesel de 215 000 kms au compteur et 4,1 l/100 je suis en train de courir les concessionnaires : Hier l’un me disait que le malus pour un véhicule thermique allait ju... Lire la suite

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