Dans la nuit du 29 au 30 novembre 1874, une jeune femme donne le jour à un garçon au château de Blenheim, dans le comté d'Oxford, en Angleterre.
Winston Spencer Churchill est le génie de la Politique comme Léonard de Vinci celui des Arts. L'un et l'autre ont entamé d'innombrables travaux et ceux, très rares, qu'ils ont menés à bien ont suffi à leur gloire.
À l'image de l'Athénien Périclès (Ve siècle av. J.-C.), Churchill a guidé son peuple dans une guerre impitoyable. Journaliste talentueux et spirituel, il a aussi beaucoup écrit. Avec le concours de documentalistes zélés, il a témoigné de la Seconde Guerre mondiale... comme Thucydide de la Guerre du Péloponnèse entre Athènes et Sparte. Les 12 tomes de ses Mémoires lui ont valu en 1953 le Prix Nobel de littérature.
Sa longue carrière témoigne d'une combativité exceptionnelle comme de son absolu respect pour les principes démocratiques... et d'un humour très britannique.
Il s'est trompé plus souvent que de raison, sur la monnaie (1925), sur Gandhi (1931), même sur Mussolini, Hitler et Staline à leurs débuts. Il s'est aussi montré mauvais stratège. Mais il a répondu présent à l'heure décisive, le 10 mai 1940, quand il s'est agi de combattre Hitler. Guerrier-né, il a su mobiliser toute l'énergie du peuple britannique, ce que personne d'autre que lui n'aurait été en mesure d'accomplir.
Enfant chétif et rebelle
L'heureuse maman de Winston Churchill, Jennie Jerome, a été prise de douleurs à l'occasion d'une fête. Elle a eu tout juste le temps de gagner les vestiaires des dames pour accoucher, six semaines avant terme. L'enfant est déclaré à l'état civil sous le nom de Winston Leonard Spencer Churchill.
Fille d'un richissime aventurier américain et arrière-petite-fille d'une indienne d'Amérique, elle s'est mariée par amour... six mois plus tôt, à un homme politique talentueux et instable, Randolph Churchill. Celui-ci descend d'un homme de guerre célèbre, John Churchill, duc de Marlborough (le Malbrough s'en va-t-en guerre de nos chansons), qui vainquit les armées de Louis XIV le 13 août 1704 à Blenheim, près d'Hoechstaedt, en Bavière.
Grands aristocrates, les époux mènent une existence mondaine et libertine sans beaucoup s'occuper de leurs deux garçons.
Winston n'en cultive pas moins une admiration sans bornes pour son père. Il apprend par coeur ses discours aux Communes. À la table paternelle, il côtoie aussi tous les ténors politiques du moment : Gladstone, Disraeli, Balfour, Chamberlain, Salisbury, etc.
Il souffre dès sa jeunesse d'une constitution chétive. Il est par ailleurs hanté par la certitude de mourir jeune à l'égal de son père, qui mourra de syphilis à 45 ans, et de la plupart des membres de sa famille... Cela ne l'empêchera pas de finir nonagénaire.
Il apprend très vite à user de dons exceptionnels : une mémoire prodigieuse fort utile dans les sphères politiques, une imagination exubérante, un don de l'écriture qui lui vaudra à la fin de sa vie, en 1953, le Prix Nobel de littérature, un sens de la répartie qui le range parmi les grands humoristes anglais et une énergie à faire pâlir des champions olympiques.
C'est aussi un rebelle qui, dès le plus jeune âge, ne supporte pas qu'on lui dicte sa conduite. La seule personne qui trouve grâce à ses yeux est sa nurse, Mrs Everest, qui va rester auprès de lui de 1875 à 1893 et lui donner confiance en ses capacités.
Enfant, il se passionne pour les soldats de plomb et aime à les manoeuvrer avec ses frères et amis. Mais il montre aussi beaucoup d'affection pour les animaux et en particulier les chats, jusqu'à transformer sa future résidence de Chartwell en ménagerie.
Au collège de Harrow, à l'adolescence, c'est un élève indicispliné mais bon premier en histoire, géographie, anglais, poésie, mathématiques, latin... « Mon instruction n’a été interrompue que par ma scolarité, » dira-t-il plus tard avec humour et non sans exagération.
Enfin, last but not least, Winston manifeste un courage physique qui confine à l'inconscience. Cent fois dans sa vie, il frôle la mort et y échappe avec une chance surnaturelle comme si le Destin l'avait protégé en vue d'un rôle à venir. « Le bon Dieu m’a préservé pour des tâches plus élevées, » dira-t-il, bien que lui-même ne croyait pas en Dieu.
Avec cela, des faiblesses insignes, des impulsions qui le poussent vers l'échec dans les Dardanelles en 1915 et à Narvik en 1940, qui l'amènent aussi à bombarder sans nécessité Dresde en 1945.
Héritier d'une lignée glorieuse, Churchill vit sur un grand train (il n'a pris qu'une seule fois dans sa vie le métro... et s'est égaré dans les couloirs). Il apprécie plus que de raison les alcools sans lesquels il sombre dans la dépression (my black dogs - « mes chiens noirs » - dit-il lui-même en parlant de ces douloureux moments de faiblesse).
Passionné par l'Histoire, il trouve du temps pour dicter des synthèses de quelques milliers de pages sur les heures illustres de la Grande-Bretagne. Il cultive une passion pour son grand ancêtre, le duc de Marlborough, auquel il consacrera un important ouvrage. Francophile, il admire aussi tout particulièrement Jeanne d'Arc, Napoléon et Clemenceau !
Son sens de l'Histoire lui vaudra une exceptionnelle lucidité sur son époque. Ainsi prévoit-il dès 1911 et 1925 les guerres mondiales avec une grande précision. En juillet 1940, il annonce : « Hitler doit nous envahir ou échouer. S’il échoue – ce qui est inévitable -, il va se reporter vers l’Est. » En 1946 encore, il annonce la guerre froide et propose d'y répondre par les États-Unis d'Europe...
Pendant la Grande Guerre, déjà quinquagénaire, chassé du gouvernement, il se met à la peinture à l'invitation d'une amie. Ses nombreuses toiles, vendues sous un pseudonyme, témoignent, paraît-il, d'un vrai talent et se vendent très cher. Plus tard, pendant une nouvelle « traversée du désert », dans sa résidence de Chartwell, il se prendra aussi de passion pour la maçonnerie, jusqu'à s'affilier au syndicat de la corporation.
Peu tourné vers la galanterie, Winston trouve le bonheur auprès de son épouse, Clementine Hozier. Les deux jeunes gens ont été présentés l'un à l'autre en 1904 sans plus de conséquence. C'est seulement quatre ans plus tard, à Blenheim, que Cupidon va les rapprocher. Ils se marient le 12 septembre 1908.
Clementine soutiendra toujours (ou presque) Winston et lui apportera le réconfort et l'écoute dont il a besoin. Dotée d'une fibre sociale et d'un réel sens politique, elle conseillera son mari dans ses premiers mandats au service des humbles, mais elle ne réussira toutefois pas à le détourner de quelques erreurs comme le soutien à Édouard VIII ou la formation d'un ultime gouvernement en 1953. Le couple aura cinq enfants dont quatre filles et un fils, Randolph, qui cumulera les défauts du père sans en avoir les qualités. Alcoolique, instable...
Découvrez toutes les facettes du « Vieux Lion » dans ce livre numérique : son parcours, ses passions et sa vie personnelle, ses bons mots et ses réparties.
Churchill a été édité par Herodote.net (septembre 2015, format pdf, 81 pages et de nombreuses illustrations).
Tintin en habit de duc
Après une enfance turbulente et des études brillantes mais brouillonnes à la public school de Harrow, où un professeur se plaint qu'il « ait eu l'impudence de lui dire comment faire son métier », Churchill entre à l'académie militaire de Sandhurst et en sort faute de mieux dans la cavalerie, l'arme la moins valorisée. Au demeurant excellent cavalier, il se lasse très vite de la vie de garnison et court le monde à la recherche de toutes les occasions de montrer son courage.
En une demi-douzaine d'années, il va trouver le moyen de s'illustrer dans cinq expéditions militaires, à Cuba, en Inde à deux reprises, puis au Soudan et enfin en Afrique du Sud.
À l'image de Tintin - mais de façon plus guerrière -, le jeune officier de cavalerie va se partager entre les combats et les reportages. Chaque aventure donne lieu à des articles et des livres qui lui apportent renommée et argent.
Cela commence en 1895 avec la guerre que livre le gouvernement espagnol aux rebelles cubains. Le jeune Winston participe à la bataille de la Reforma.
En octobre 1897, à 23 ans, lieutenant de lanciers au Pendjab, aux confins de l'empire des Indes, il découvre l'horreur des guerres coloniales et s'indigne dans ses compte-rendus publiés par le Daily Telegraph de la mise à mort de prisonniers blessés. Il ne se prive pas non plus de critiquer la stratégie de ses supérieurs.
L'année suivante, grâce aux relations de sa mère et en dépit de sa mauvaise réputation (déjà), il se fait affecter au 21e lanciers qui combat au Soudan sous les ordres de l'irascible Kitchener.
Le 2 septembre 1898, il met sa vie en jeu dans la bataille d'Omdourman. Il tire de cette expérience un livre à succès : The River War (La guerre du fleuve).
Winston « Tintin » poursuit sa quête d'aventures avec une participation héroïque à la guerre contre les Boers d'Afrique du sud comme correspondant du Morning Post.
Son train ayant été attaqué par des Boers, il remet la locomotive sur les rails sous le feu nourri des ennemis. Il est après cela capturé par les troupes du général Botha et interné près de Pretoria. S'étant enfui un mois plus tard, il parcourt 480 km jusqu'à Lourenço Marquez. Son exploit fait la Une des journaux britanniques.
Plus que jamais critique à l'égard de ses supérieurs et notamment du général Buller, qui commande les troupes d'Afrique du Sud, il échappe néanmoins à toute sanction grâce à ses qualités de combattant, à son patronyme et aussi à l'entregent de sa mère, qui compte parmi ses amants le prince de Galles et peut-être aussi le ministre de la Guerre (note) !
Ses exploits, qu'il porte avec talent à la connaissance du public, lui valent enfin une élection comme député conservateur (tory) à la Chambre des Communes.
Homme à tout faire
Churchill est élu au Parlement le 1er octobre 1900 avec 16 voix de majorité dans la circonscription populaire d'Oldham.
Le 15 mai 1903, à Birmingham, le leader conservateur Joseph Chamberlain propose d'en finir avec le libre-échange et de donner la préférence à l'Empire dans les échanges commerciaux. Churchill désapprouve cette orientation.
Partisan du libre-échange, qui permet de maintenir les prix à leur plus bas niveau, il décide de rallier les rangs du parti libéral. C'est chose faite le 31 mai 1904. Selon l'expression consacrée, « he crosses the floor » (il traverse le plancher qui sépare les députés des deux partis aux Communes).
Cette pratique vaut en général une réprobation éternelle à celui qui s'y livre. Churchill est l'un des rares hommes politiques qui y ait échappé. Son geste est en bonne partie motivé par l'ambition malgré ce qu'il en dira : « Certains changent de principes pour l'amour de leur parti. Moi, je change de parti pour l'amour de mes principes ».
C'est qu'il n'en peut plus du vieux parti conservateur qui le laisse languir sur son banc de député. Le renégat reçoit promptement sa récompense. Il devient sous-secrétaire d'État aux Colonies en décembre 1905, sous la tutelle de lord Elgin, puis ministre du Commerce et de l'Industrie trois ans plus tard.
Churchill, grand seigneur autoritaire et aux moeurs chastes, se rapproche à la surprise générale du grand tribun populaire de l'aile gauche du parti libéral, le sémillant David Lloyd George. Il ébauche une législation sociale qui débouchera après la Seconde Guerre mondiale sur le « Welfare State » (État Providence) : création d'une agence pour l'emploi, réglementation des salaires et des conditions de travail, assurance contre le chômage.
Homme à tout faire, Winston accède en février 1910 au Home office (le ministère de l'Intérieur). Il tente de supprimer la prison pour dettes et fait libérer un garçon de 12 ans condamné à 7 ans de prison pour un vol de morue !
Il repousse aussi un projet de loi destiné à faire stériliser les débiles mentaux au nom de « l'amélioration de la race » (les sociaux-démocrates de Suède ne montreront pas la même sagesse en 1922).
L'image du ministre est néanmoins durablement écornée par le massacre de Tonypandy (un mineur gallois est tué en novembre 1910 par les forces de l'ordre). L'opinion publique se fait de Churchill l'image d'un tueur alors qu'il a tout tenté pour apaiser le conflit social.
Le ministre prend aussi des risques inconsidérés en se mêlant à la police lors du siège d'un forcené, à Sidney Street, en décembre 1910.
Broutilles que tout cela... Les choses sérieuses commencent avec les affaires militaires.
Nommé Premier Lord de l'Amirauté (ministre de la marine) en septembre 1911, Winston appréhende la menace d'une guerre avec l'Allemagne dans un mémorandum prémonitoire.
Il pousse au réarmement et au renforcement de la Royal Navy en s'appuyant sur les conseils d'un vieil amiral, Jacky Fisher (70 ans).
C'est ainsi qu'il convertit les navires du charbon au mazout, ce qui leur augmente leur vitesse et leur autonomie et permet à la Royal Navy de consolider son avance sur ses rivales, notamment la Kaiserliche Marine (Allemagne).
Dans la foulée, il préconise une implantation britannique dans le Golfe Persique en vue de garantir leur approvisionnement en pétrole ! Le pétrole, jusque-là confiné à des usages subalternes, devient un élément stratégique vital pour toutes les grandes puissances, ce qu'il est encore aujourd'hui.
Jamais à court d'imagination et de combativité, Churchill crée aussi l'Aéronavale en 1912.
Une imagination débordante
C'est en qualité de Premier Lord de l'Amirauté que Churchill aborde la Première Guerre mondiale. De tous les ministres, il est celui qui a la meilleure connaissance des armes et le plus d'appétence pour la guerre. Dans la nuit du samedi 1er août au dimanche 2 août, il met la Royal Navy en état de mobilisation générale. La flotte est prête au combat lorsqu'expire le 4 août à 23 heures l'ultimatum de Londres à l'Allemagne lui enjoignant de respecter la neutralité belge.
En 1915, tandis que les combats s'enlisent dans les tranchées, un débat s'ouvre au sein du War Council sur la stratégie à tenir autour du Premier ministre Lord Asquith.
Les « Easterners » Churchill et Lloyd George plaident pour un contournement de l'ennemi par l'Est de l'Europe. Le 13 janvier 1915, ils obtiennent gain de cause et le Conseil accepte le principe d'un débarquement sur la presqu'île de Gallipoli, à l'entrée des Dardanelles et du Bosphore, en vue de la conquête de Constantinople !
L'opération entrevue par Churchill ne manque pas de pertinence : il s'agit d'ouvrir un troisième front contre les Puissances centrales et d'approvisionner la Russie par la mer Noire.
Une escadre franco-anglaise de 10 cuirassés lance l'attaque le 18 mars. Un champ de mines a raison de 4 navires dès le premier jour ! Mauvais début.
L'état-major allié diffère à n'en plus finir le débarquement du corps expéditionnaire. Lorsqu'enfin les premières troupes fortes de 12 000 hommes (y compris des Sénégalais) tentent de débarquer, le 25 avril, elles se heurtent à une farouche résistance des Turcs, commandés par Moustafa Kémal et conseillés par leurs alliés allemands.
Le corps expéditionnaire doit être renforcé de semaine en semaine. Sans succès. Il rembarque en catastrophe le 8 décembre après avoir eu 250 000 morts, blessés et disparus !
Seule victime politique de cet échec, Churchill a dû démissionner dès mai 1915. C'était la condition expresse que mettaient ses anciens amis conservateurs à leur entrée dans un gouvernement de coalition. Qu'à cela ne tienne. Après une longue dépression durant laquelle il se met à la peinture, le réprouvé demande et obtient un commandement dans les tranchées de la Somme, avec le grade de colonel comme commandant du 6e bataillon du Royal Scot Fusiliers. Il ne cesse pas pour autant de critiquer la politique pusillanime du gouvernement.
En décembre 1915, fort d'une énergie et d'une imagination intactes, il transmet au gouvernement un mémorandum secret où il plaide pour la création de « landships » (les futurs blindés). Il y voit le seul moyen de percer les tranchées ennemies. Fabriqués sous le nom de code de tanks, les premiers sont envoyés au combat à Flers, sur la Somme, le 15 septembre 1916.
Lloyd George, devenu Premier ministre, rappelle son ami Churchill au gouvernement en juillet 1917 comme ministre des Munitions. Churchill intensifie les productions militaires et le 8 août 1918, il assiste dans les Flandres aux premières percées de ces engins blindés sur chenilles.
Contrariétés de l'entre-deux-guerres
Après la Grande Guerre, devenu ministre de la Guerre, il se prononce pour une réconciliation avec l'Allemagne - à l'opposé de Lloyd George et Clemenceau - et dénonce par ailleurs le bolchevisme (ou communisme) qui a pris le pouvoir en Russie.
C'est en vain qu'il avertit : « De toutes les tyrannies de l'Histoire, la tyrannie bolchevique est la pire, la plus dévastatrice, la plus avilissante » (discours à l'Aldwych Club le 11 avril 1919). Il a compris avant tout le monde ou presque que le communisme porte atteinte aux fondements de la civilisation en préconisant la dictature d'une minorité au lieu de la recherche du compromis dans le respect de toutes les opinions.
Devenu ministre des Colonies, Winston crée les protectorats d'Irak et de Transjordanie sur les décombres de l'empire turc, à l'issue d'une conférence au Caire, le 12 mars 1921, à laquelle participe le célèbre colonel T.E. Lawrence, qui lui dispute les faveurs du public.
Il contredit une nouvelle fois avec justesse Lloyd George et Clemenceau qui soutiennent les revendications de la Grèce sur l'Anatolie occidentale. Son point de vue l'emportera au traité de Lausanne de 1923... mais sans lui, car entre-temps, il aura été chassé du gouvernement.
Après le départ de Lloyd George et Churchill en 1922 et l'échec du gouvernement d'union nationale hérité de la guerre, le conservateur Bonar Law devient pour quelques mois Premier ministre. Il cède la place à Stanley Baldwin, qui est lui-même renversé par les travaillistes de Ramsay MacDonald à la suite de dissensions dans le camp conservateur.
Pour Churchill, cette énième traversée du désert se solde par une deuxième traversée du « floor » : délaissant les libéraux (whigs), il renoue avec les conservateurs de sa jeunesse (tories) : « Tout le monde peut retourner sa veste, mais il faut une certaine adresse pour la remettre à l'endroit ». Il entre peu après dans le gouvernement de Stanley Baldwin comme chancelier de l'Échiquier, c'est-à-dire ministre... des finances, une charge qui n'est pas vraiment dans sa nature. L'habile Premier ministre a voulu de la sorte neutraliser le trublion.
Le 28 avril 1925, Churchill annonce le retour à la convertibilité or de la livre sterling (suspendue en 1919). La monnaie britannique se retrouve d'un coup fortement surévaluée, cela pour répondre à la demande des banquiers qui s'inquiètent de la fuite des capitaux.
Les investisseurs profitent de cette surévaluation de la monnaie britannique pour convertir à un taux avantageux leurs capitaux en dollars. Ils les transfèrent aux États-Unis, à Wall Street, où ils vont nourrir la spéculation et contribueront au krach d'octobre 1929.
En Angleterre même, sa mesure provoque une grève générale sans précédent en mai 1926. Churchill va la réprimer avec tout son savoir-faire mais reconnaîtra après la guerre que sa décision de 1925 fut « la plus grosse bévue de ma vie ».
En juin 1929, le gouvernement Baldwin se retire et Churchill perd son portefeuille de l'Économie, sans doute sans trop de regret : « On m'a accusé d'avoir été le plus mauvais chancelier de l'Échiquier que l'Angleterre ait jamais eu. C'est vrai ! ».
Le travailliste Ramsay MacDonald revient au pouvoir. Il présente un projet audacieux d'autonomie de la colonie des Indes. C'est ainsi que le 31 octobre 1929, le vice-roi des Indes, Edward Wood, futur lord Halifax, promet à la colonie le statut de dominion, c'est-à-dire une autonomie complète comme en disposent déjà le Canada et l'Australie !
Winston Churchill, nostalgique de l'Empire victorien, s'y oppose bruyamment à l'inverse de son chef de parti, Stanley Baldwin, beaucoup plus compréhensif. Cette divergence de vues avec la fraction dominante des conservateurs va l'écarter pour longtemps des allées du pouvoir.
La « décennie du démon »
À 55 ans, tout en conservant son mandat de député, Winston Churchill, déjà encombré d'un passé tumultueux, entame une « traversée du désert » qui va durer une décennie : the devil's decade (la « décennie du démon ») !
Incapable de rester inactif, il se met à la maçonnerie et va faire de la peinture à Cannes, sur la Côte d'Azur.
Il achève aussi la volumineuse biographie de son prestigieux ancêtre, Vie de Marlborough, et va en faire la promotion aux États-Unis en 1931.
Il y est accueilli avec enthousiasme mais en revient en chaise roulante, ayant été renversé par une automobile à New York. Il en retient une leçon : « Avec l'âge, on se relève plus difficilement des accidents mortels ! »
Il est honni par ses adversaires comme par les députés conservateurs, qu'il a trop souvent trahis. Ses proches eux-mêmes doutent de son avenir politique. Sa chère Clementine, sans doute lassée par ses bougonneries, s'offre une croisière dans le Sud-Est asiatique, durant laquelle elle noue une idylle amoureuse avec un jeune intellectuel de sept ans son cadet.
Winston Churchill voyage de son côté. Il affiche son admiration pour Mussolini qu'il a rencontré en 1927 et tente même d'interviewer Hitler. Mais le Führer renonce à le rencontrer quand il apprend que Churchill tient à le questionner sur les Juifs.
Lorsque les troupes allemandes réoccupent la Rhénanie en 1936, en violation du traité de Versailles, il approuve l'inaction du gouvernement français. La même année, quand l'armée espagnole se soulève contre le gouvernement républicain espagnol, il prend le parti du général Franco.
Enfin, alors même que ses diatribe prophétiques contre Hitler commencent de recevoir un écho à la Chambre des Communes, l'héritier des Marlborough se fourvoie dans la défense de son ami le roi Édouard VIII, tiraillé entre ses devoirs royaux et son amour pour Mrs Wallis Simpson.
Le roi est obligé d'abdiquer le 10 décembre 1936 au profit de son frère, le futur George VI, au grand soulagement des démocrates qui s'inquiétaient des penchants germanophiles et pro-nazis d'Édouard VIII. Churchill, discrédité et découragé, se replie dans son manoir de Chartwell.
Néanmoins, quand la guerre devient imminente, c'est vers lui que se tourne l'opinion publique, la « traversée du désert » ayant préservé son image d'homme d'action et fait oublier ses bévues passées.
Le 3 septembre 1939, deux jours après la déclaration de guerre, le Premier ministre Neville Chamberlain ne peut faire moins que d'intégrer dans son gouvernement le seul homme politique anglais qui connaisse la guerre et ait pris la mesure de la menace hitlérienne. Churchill retrouve donc son poste de Premier Lord de l'Amirauté. Pour lui, le meilleur est à venir !...
• 5 mars 1946 : discours de Fulton
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Benoit de BIEN (18-03-2012 22:52:00)
ou l'on peut voir déjà en 1925 l'influence des banquiers sur le survenance des crises économiques !