Rétrospective 2024

L'Europe dans la sidération face à Donald Trump

29 janvier 2025. Isolée et perdue dans un monde qu’elle ne comprend plus. Telle est l’Union européenne à l’issue d’une année folle qui a vu sa principale et quasi-unique alliée renouer avec la Realpolitik et l’isolationnisme d’antan. L’ère des « bons sentiments » est close. Tant pis pour les Européens qui comptaient sur la bienveillance de leur protecteur américain et s'accrochaient encore au « droit international »...

Impérial, le président Trump a d'emblée signifier que son pays était plus fort qu'aucun autre et n'avait pas besoin d'amis mais seulement de vassaux. Il l'a rappelé de façon provocante en avançant l'idée d'annexer Panama mais aussi le Canada et le Groenland, dépendance du Danemark !

Que n'eussions-nous dit si ces propos étaient sortis de la bouche de notre adversaire commun Vladimir Poutine ! Mais venant de notre protecteur obligé, ils n'ont suscité que des protestations convenues. Cette marque de soumission des dirigeants européens n'a rien pour surprendre. En 2013, sous la présidence Obama, la presse allemande avait révélé que le téléphone de la chancelière avait été mis sur écoute dès 2002 par les services secrets américains et cette inconduite venant d'un « allié » n'avait donné lieu à aucune mesure de rétorsion.

Il est loin, le temps où le président Jacques Chirac, le chancelier Gerhard Schröder et le président Vladimir Poutine faisaient front commun pour tenter d'empêcher le président George Bush Jr d'envahir l'Irak au mépris du droit international. C'était en 2003, quand les États européens croyaient encore pouvoir peser sur les affaires du monde...

Un monde sens dessus dessous

L’élection nette et sans bavure de Donald Trump (en dépit de ses multiples délits et condamnations) a surpris tout un chacun de ce côté-ci de l’Atlantique. Elle est significative du bouleversement quasi-révolutionnaire qui emporte l’Amérique et le reste du monde.

Donald Trump prétend avant tout privilégier les intérêts de ses industriels et de leurs salariés. Cela se traduit en premier lieu par des frontières bien protégées contre les importations à prix cassé... et la main-d'oeuvre à bas coût ; ensuite par une politique libérale, voire ultra-libérale, à l'intérieur de ces frontières : libre concurrence, normes réduites au minimum, énergie abondante et bon marché, impôts réduits, pas d'impôts sur la fortune, privatisation des services publics, etc.

Pareil programme heurte de front le Parti démocrate, ce qui conduit naturellement le candidat du Parti républicain à s'opposer à tout ce qui fait aujourd'hui l'essence de ce parti : wokisme, « théorie du genre », Black Lives matter, etc. Ainsi Donald Trump se présente-t-il tout à la fois comme un nationaliste, un ultra-libéral et un réactionnaire. Et ça marche, électoralement du moins !

Déjà, en 2023, l’Argentine n'avait pas craint de porter à la présidence Javier Milei, un économiste ultra-libéral au moins aussi excentrique que Donald Trump (mais jamais poursuivi par la justice de son pays). Signe des temps, en janvier de cette année 2025, le Premier ministre canadien Justin Trudeau, qui se voulait plus « progressiste » qu’aucun autre dirigeant occidental et désireux d'ouvrir ses frontières tant aux marchandises qu'aux hommes, a été « remercié » par son parti.

En Asie, le Japon, la Corée et Taïwan gèrent autant que faire se peut leur extinction démographique et leur face-à-face avec la Chine.

Le reste de la planète, qualifié de « Sud global », est un ensemble très hétérogène avec des dictatures et des démocraties plus ou moins libérales ou « illibérales ». Leur point commun est une prise de distance ou une hostilité assumée à l'égard de Washington.

Isolée, inaudible et qui plus est divisée, l'Europe est aujourd'hui absente des grands enjeux géostratégiques et se contente de suivre vaille que vaille le grand frère américain : Ukraine, Gaza, Syrie, Iran. Plus grave que tout, elle est tenue pour quantité négligeable par les uns et les autres.

Fait significatif : l'Algérie a pu arrêter l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal et en même temps refuser de récupérer tel et tel de ses ressortissants qui complotent contre notre pays (imams ou influenceurs) sans que le président français agisse. À l'opposé, la Colombie s'est immédiatement inclinée quand le président américain lui a renvoyé cinq cents immigrants clandestins en la menaçant de sanctions immédiates...

Les Européens font de la résistance !

La solitude de l'Europe est le résultat d'un choix assumé par ses dirigeants. Ceux-ci tentent de préserver envers et contre tout les « valeurs » progressistes qu'ils ont ébauchées pendant ces trois dernières décennies de concert avec leurs homologues américains : multiculturalisme, ouverture des frontières aux hommes et aux marchandises, déconstruction des États-nations, désarmement, théorie du genre, défense des opprimés (noirs, musulmans, femmes, homosexuels, transexuels), etc. Sans compter la lutte contre le réchauffement climatique.

Les milieux d'affaires ont très vite vu que ces « valeurs » leur permettaient de mettre en concurrence les travailleurs du monde entier par l'ouverture des frontières et de délocaliser leurs industries dans les pays à bas coût par le libre-échange.

Les gouvernants ont donc sanctuarisé ces orientations politiques dans le traité de Maastricht (1992) et le traité de Lisbonne (2007). À la différence de leurs homologues américains, ils ont aussi pu déléguer de nombreux pans de la souveraineté des États aux institutions bruxelloises afin de se mettre à l'abri d'une alternance démocratique. 

Il leur est dès lors devenu aisé de neutraliser la contestation populaire générée par les déconvenues sociales et économiques (désindustrialisation, immigration hors contrôle, accroissement des inégalités, etc.). On l'a vu avec les référendums français et néerlandais des 29 mai et 2 juin 2005. On l'a encore vu en décembre 2024 avec l'annulation de l'élection présidentielle en Roumanie après que le premier tour eut propulsé un candidat non conforme aux valeurs européennes. 

À la différence des États-Unis, l'Union européenne se montre ainsi disposée à suspendre des principes démocratiques pluriséculaires pour préserver vaille que vaille ses valeurs néolibérales (dico). Avec un résultat concret : elle faisait quasiment jeu égal avec les États-Unis à l'orée du XXIe siècle, il y a vingt-cinq ans ; elle a aujourd'hui complètement décroché avec un PIB/habitant de 30% inférieur et elle se voit devancée même par la Chine dans les secteurs d'avenir (IA, énergies renouvelables, espace, etc.).

L'Histoire n'est jamais écrite d'avance. Reste à espérer que les citoyens des États européens inventent par le vote des voies de progrès conformes au génie du Vieux Continent

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2025-01-29 11:17:45

Voir les 5 commentaires sur cet article

Georges PN (01-02-2025 23:06:07)

L'UE ne peut qu'être sidérée avec l'élection de Trump : l'Europe est un appendice de Davos dont ce dernier se veut l'ennemi assumé. Apparemment, nos amis d'Hérodote ne sont pas moins sidérés.... Lire la suite

Christian (30-01-2025 06:34:48)

"Que n'eussions-nous dit si ces propos étaient sortis de la bouche de notre adversaire commun Vladimir Poutine"... Mais il se trouve que, précisément, des propos analogues sont réellement sortis d... Lire la suite

Bernard (29-01-2025 16:02:28)

Le retour au pouvoir de Donald Trump - véritable réincarnation d'Edmond Dantès tant furent nombreux les obstacles et coups fourrés mis sur sa route - constitue, au-delà d'une aventure humaine san... Lire la suite

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