Le séisme du 5 novembre 2024 qui a vu la victoire de Donald J. Trump candidat du Parti républicain à l’élection présidentielle étasunienne a dérouté nombre d’observateurs attendant une défaite de l’ancien président condamnée par la justice et multipliant les affaires judiciaires. Cette victoire s’est accompagnée d’une prise de la Chambre des représentants et du Sénat avec 53 sur 100 sénateurs. Tiercé gagnant dans l’ordre !
Toutefois, le Parti républicain n’a pas toujours été ce parti populiste de droite très conservateur sur les questions sociétales. Il fut aussi le parti d’Abraham Lincoln et de l’abolition de l’esclavage, comme il aime à le rappeler.
C’est à la suite de mutations profondes du monde politique et de la société américaine que le Parti républicain, né au Nord des États-Unis, a glissé vers le parti de Donald Trump ancré dans ce même Sud.
Suprématie du parti de Lincoln jusqu’à la crise de 1929
Le Parti républicain naît en 1854 à Ripon dans le Wisconsin (à l’ouest du lac Michigan) dans le cadre d’une opposition à la loi Kansas-Nebraska permettant d’étendre l’esclavage vers l’Ouest dans de nouveaux territoires récemment conquis.
Ce sont des membres du Parti démocrate et des dissidents du Parti whig (un parti de droite libérale créé à l’hiver 1834 en opposition à la politique du président démocrate Andrew Jackson, un modèle de Donald Trump) qui en sont à l’initiative. Élu en 1860, Abraham Lincoln en fut le premier président, juste avant la guerre de Sécession qui dura de 1861 à 1865.
Après la victoire du Nord, le parti a mené la Reconstruction du Sud pour la réintégration dans l’Union des États sécessionnistes, jusqu’en 1877 quand le président républicain Rutherford B. Hayes y mit fin.
Le Parti républicain s’impose comme le parti qui favorise l’essor du Gilded Age (ou « Âge doré »), une période de grande prospérité allant de la fin de la guerre jusqu’au tournant du XXe siècle). Il devient le parti incontournable des classes moyennes et des industriels. C’est alors le parti des affaires, mais c’est aussi le parti qui embrasse les réformes anti-corruption dès 1890, s’assurant par les lois anti-trusts les classes populaires notamment dans la Rust Belt ou « Ceinture de la Rouille », une région concentrant aujourd’hui encore 40% de la production industrielle américaine et allant de la région des Grands Lacs au cœur de la Pennsylvanie.
En 1896, l’élection du président républicain William McKinley constitue une « élection de réalignement ». Elle affermit l’emprise du Parti républicain sur le nord-est du pays et conduit au « Fourth Party System », le quatrième système partisan, appelé aussi « ère progressiste », qui court jusqu’à la fin des années 20.
Cette époque est dominée par le Parti républicain avec notamment les deux mandats de Theodore Roosevelt (à l’exception de la présidence de Woodrow Wilson qui fait entrer les États-Unis dans la Première Guerre mondiale). Elle est marquée socialement par l’industrialisation de masse, une forte immigration du sud et l’est de l’Europe, la régulation de l’économie contre les monopoles industriels et contre le travail des enfants.
Ce Parti républicain moderne et progressiste meurt avec le krach de 1929, après l’enchaînement de trois présidents républicains durant l’entre-deux guerres (Warren G. Harding, Calvin Coolidge et Herbert Hoover) sous les mandats desquels les États-Unis vécurent un grand essor économique.
La politique de laissez-faire de Herbert Hoover fut fatale au parti pour plusieurs décennies. Ce fut alors le retour sur scène du Parti démocrate, avec l’élection en 1932 de Franklin Delano Roosevelt et une nouvelle élection de réalignement avec la coalition du New Deal (dico). Le Parti républicain fut même laminé en 1936, sa pire année électorale de l’Histoire. Ce fut la fin de la centralité du parti.
Le Parti républicain en état de minorité : de 1932 à 1994
La nouvelle coalition démocrate issue du New Deal va dominer l’ensemble de la période suivante, pendant six décennies, et reléguer le Parti républicain à un état de minorité perpétuel à tous les échelons institutionnels, excepté à la présidence.
Le parti a pu faire élire durant cette période plusieurs présidents restés célèbres, Dwight Eisenhower, Richard Nixon, Ronald Reagan ou encore George H. W. Bush, mais sans posséder les institutions nécessaires pour pouvoir pleinement gouverner (à l’exception du Sénat entre 1980 et 1986 pendant les administrations Reagan, et d’une éphémère victoire à la Chambre en 1952).
Le Parti républicain est marqué durant cette période par une refonte et une homogénéisation idéologiques. C’est durant les années 50 que se structure le conservatisme d’après-guerre, mais hors du Parti républicain, dans des cercles intellectuels en interaction avec celui-ci.
Dwight D. Eisenhower (62 ans), prestigieux vainqueur de la guerre en Europe, fut contacté par le Parti républicain pour le représenter à la campagne présidentielle de 1952. Il tenta de lancer au sein du parti un programme de « Modern Republicanism » afin d’actualiser sa pensée et son fonctionnement, mais il se heurta à une résistance conservatrice, alimentant un nouveau mouvement conservateur qui allait marquer l’histoire politique de la deuxième moitié du XXe siècle.
En 1955, William F. Buckley fonde la revue conservatrice National Review véhicule d’une synthèse idéologique appelée « fusionnisme » mêlant conservatisme sociétal et libertarianisme pour l’économie, pensée par Frank Meyer. Frank Meyer est un des fondateurs de la revue avec Buckley dont il devint l’assistant, et Ronald Reagan appréciait particulièrement ses écrits.
Cette synthèse allait perdurer avec peu de modifications jusqu’à la « révolution trumpienne » de 2016. Elle consiste en l’union des chrétiens conservateurs attachés à une vision traditionnelle de la famille et aux communautés locales, et des libertariens économiques souhaitant plus de libertés économiques par rapport aux limitations de l’État fédéral, unis dans une valorisation des responsabilités individuelles au cœur de la culture américaine. La droite chrétienne entre dans l’arène politique après l’arrêt de la Cour suprême Roe v. Wade en 1973 qui protège le droit des femmes à avorter.
Le Parti républicain franchit durant cette période plusieurs étapes qui l’ont aidé à redevenir majoritaire en fondant de nouvelles coalitions électorales, notamment grâce aux chrétiens évangéliques et aux Blancs du Sud des États-Unis délaissés par le Parti démocrate.
Avec l’adoption par le Congrès en 1964 du Civil Rights Act de 1964, les États-Unis interdisent la discrimination raciale et donc la ségrégation dans le Sud, et en 1965 avec le Voting Rights Act, le Congrès réaffirme le droit de vote pour les Afro-américains.
En 1961 a lieu l’affaire Newburgh, étudiée en France par la chercheuse Tamara Boussac. Newburgh, petite ville de l’État de New York, décide de restreindre drastiquement les aides sociales aux Afro-américains accusés d’en profiter. L’événement fait rapidement le tour du pays, les intellectuels conservateurs s’en saisissent, et un certain Barry Goldwater, sénateur de l’Arizona, vient rencontrer les édiles de la ville.
Dans ce contexte politique, la frange conservatrice du Parti républicain cherche à attirer les voix des Blancs qui pourraient être déçus par le Parti démocrate.
En 1964, Barry Goldwater fait une campagne très conservatrice à destination du Sud. Face au président sortant Lyndon Baines Johnson, il se pose en défenseur du « droit des États », expression codée signifiant la défense de la ségrégation. Sa campagne, perçue comme extrémiste, aboutit à la deuxième pire défaite d’un candidat républicain à la présidence après celle de 1936, avec uniquement 6 États remportés.
Ces six États inaugurent toutefois un changement durable pour le Parti républicain : ils sont tous situés dans l’ancien Sud ségrégationniste ! Ce nouvel électorat sera labouré par les candidats futurs et conduira aux victoires de Ronald Reagan en 1980 et 1984. Avec lui, le « fusionnisme » accèdera au pouvoir.
Avec Ronald Reagan, c’est le conservatisme triomphant, produisant de la croissance économique via l’économie de l’offre stimulant la production plus que la consommation, les baisses d’impôt et de limitations des normes pour les industries devenant un classique des programmes républicains à venir. En politique étrangère, le reaganisme est associé à une politique dure à l’encontre du bloc soviétique. Il mène à un soutien sans réserve des groupes anticommunistes en Amérique latine.
Il est appuyé par les intellectuels néoconservateurs venus en 1979 du Parti démocrate. Ils sont partisans d’une politique dure à l’égard de l’URSS et refusent que l’État s’immisce dans les affaires sociétales. Les années Reagan sont le moment où se structure un camp conservateur avec ses réseaux et think-tanks puissants, comme la Heritage Foundation toujours importante.
Cet écosystème fournit au Parti républicain cadres et soutien financier. Parmi les réseaux, il y a la droite chrétienne et ses nombreux militants de terrain et relais religieux, mais aussi la Federalist Society fondée en 1982. Celle-ci amène au Parti républicain de nombreux magistrats et juges conservateurs parmi lesquels certains accèderont à la Cour suprême.
En 2025, six des neuf juges de la Cour suprême sont issus de la Federalist Society. Celle-ci prône l’« originalisme », à savoir une doctrine d’interprétation juridique considérant que la Constitution doit être interprétée dans le sens que lui donnaient les Pères Fondateurs.
Avec la « Révolution républicaine » de 1994, le Parti connaît un succès décisif : il reprend le Congrès après 40 ans d’échec.
Cette « Révolution républicaine » est due à un groupe de représentants au Congrès mené par Newt Gingrich, représentant de Géorgie. C’est lui, avec ses collègues Richard K. Armey de l’Oklahoma et Tom DeLay, qui a conceptualisé cette campagne victorieuse du « Contrat avec l’Amérique » qui a permis au Parti républicain d’augmenter de 54 sièges à la Chambre des représentants et 8 sièges au Sénat.
La particularité de cette campagne était d’être nationalisée et donc particulièrement lisible, avec un programme radicalement opposé à celui du Parti démocrate, appliquant à l’échelle nationale le reaganisme durant les élections de mi-mandat du premier mandat de Bill Clinton. Cette campagne bénéficia notamment du redécoupage des circonscriptions de 1991 à la faveur du Parti républicain qui était un objectif stratégique du parti à la fin des années 80.
Gingrich forgea sa stratégie dès 1979, année où il entra à la Chambre et intégra un projet confidentiel du parti, la Project Majority Task Force, qui visait à redevenir majoritaire à la Chambre.
À cette époque, seul un tiers environ de l’électorat s’identifiait au Parti républicain, un niveau très faible qui ne lui permettait pas de peser dans une quelconque institution en-dehors de la Maison Blanche.
Au sein de ce projet mené avec les instances du Parti républicain du Congrès et des consultants politiques, il élabora une stratégie visant à désigner le Parti démocrate comme un ennemi et à créer une « guérilla » à la Chambre pour reprendre le pouvoir par tous les moyens.
Au fil des années 80, il gravit tous les échelons du Parti républicain du Congrès. En 1986 notamment, il reprit le GOPAC, comité d’action politique affilié au parti, pour en faire un organe de formation des candidats très efficace. Avec ce comité, il put mettre en place sa stratégie clivante de séparation radicale des deux partis. Dès lors et jusqu’à ce jour, le « populisme » incarné par Gingrich fit figure d’ennemi au cœur même du Parti républicain.
Le Parti républicain au XXIe siècle
Depuis le retour pour le Parti républicain d’une capacité à remporter des élections à tous les échelons en 1994, le nouveau paradigme électoral au Congrès montre une polarisation importante avec des changements très fréquents de majorité au Congrès. C’est aussi la victoire définitive de sa frange conservatrice et populiste, avec un départ progressif des centristes vers le Parti démocrate.
De 1995 à 1998, le Parti républicain fut majoritaire au Congrès et Newt Gingrich devint le Speaker de la Chambre des représentants, menant la vie dure au président Bill Clinton dans le cadre d’une forme de cohabitation.
Le parti est passé par diverses étapes d’une nouvelle mutation idéologique qui a transformé son rapport au monde. D’un parti néolibéral sur le plan économique, embrassant la mondialisation, il est devenu un parti populiste de droite refusant l’immigration et prônant la fin du libre-échange.
C’est tout d’abord le 11 septembre 2001 qui transforma l’Amérique, sous la présidence du Républicain George W. Bush, qui fut au pouvoir pendant huit ans.
Bien qu’ayant triomphé de l’URSS, les États-Unis se sentirent alors en vulnérabilité et l’administration républicaine Bush lança en coup sur coup une guerre contre le terrorisme en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003.
C’est le moment où les néoconservateurs, idéologues partisans d’une politique étrangère agressive pour défendre la démocratie libérale (surnommés les « faucons ») déjà intégrés au pouvoir sous les administrations Reagan, sont les plus puissants, appelant à la guerre en Irak pour y installer la démocratie.
Selon la théorie des « dominos », la démocratisation de l’Irak allait faire tomber les régimes autoritaires voisins comme l’Iran et la Syrie. L’échec total de cette stratégie causa la mise à l’écart progressive des néoconservateurs.
Les huit ans de présidence Obama où celui-ci lança son « pivot vers l’Asie » tout en voulant mettre fin aux guerres de l’ère Bush imposèrent une nouvelle orientation générale de la politique étrangère des États-Unis. L’impopularité de W. Bush et de ses guerres causa par ailleurs au Parti républicain la perte des deux chambres du Congrès en 2006.
L’aile « modérée » incarnée notamment par Mitt Romney, candidat en 2012, reprit de la voix tandis qu’une nouvelle étape de radicalisation naissait avec le mouvement Tea Party. Ce mouvement populiste est né au sein du Parti républicain en réaction aux dépenses sociales de l’administration Obama pour répondre à la crise financière de 2008.
Il fut financé notamment par Dick Armey, camarade de Newt Gingrich depuis les années 80 et corédacteur du « Contrat avec l’Amérique » de 1994, ainsi que par les milliardaires libertariens frères Koch. Son nom provient du Boston Tea Party, événement de 1773 où des Américains jetèrent des cargaisons de thé dans le port de Boston pour protester contre le principe imposé par les Britanniques de « taxation without representation » : le fait que les colons américains n’étaient pas représentés politiquement mais restaient taxés.
Une dernière étape de l’histoire du Parti républicain commença en 2016 avec la campagne victorieuse de Donald J. Trump, milliardaire magnat de l’immobilier, qui se lança dans la course à partir de 2015. Il gagna contre Hillary Clinton qui remporta toutefois le vote populaire de premier niveau et perdit le vote des « grands électeurs ».
Ce fut une étape décisive où Trump transforma le Parti républicain avec un programme résolument anti-immigration (notamment avec la promesse de renforcer le mur à la frontière avec le Mexique), pessimiste sur la mondialisation et l’ouverture des frontières, contre l’interventionnisme en politique étrangère et très critique des élites, rompant avec une grande partie de la tradition républicaine.
Le slogan Make America Great Again (MAGA, « Faire l’Amérique plus grande »), repris à Reagan, exprime la peur du déclin ressentie par de nombreux citoyens américains, notamment l’électorat blanc et conservateur.
Les attaques contre la Chine, perçue comme l’ennemi principal des États-Unis, sont nombreuses et sa guerre des tarifs douaniers émailla l’administration Trump. La plupart des dispositions prises par Trump furent maintenues par Joe Biden, vainqueur de l’élection suivante, signe d’un consensus bipartisan à Washington D.C. sur ce sujet.
L’insurrection au Capitole le 6 janvier 2021 pour contester la victoire de Biden et bloquer le processus électoral a marqué les esprits comme une étape de radicalisation et de tournant illibéral. La famille Trump a mis la main sur le Parti républicain pour transformer le parti et assurer l’investiture de Trump pour 2024 ainsi que sa succession.
La galaxie de think tanks gravitant autour du parti a théorisé le trumpisme à rebours, notamment le Claremont Institute, ancien think tank californien fondé par des dissidents anti-interventionnistes des néo-conservateurs, afin de donner une forme intellectuelle à la révolution trumpienne.
Le mouvement National Conservatism, auquel est attaché notamment J. D. Vance, vice-président de Donald J. Trump durant sa deuxième administration, prolonge lui aussi cette mutation idéologique. Reste à se demander s’il s’agit d’une tendance durable ou d’un feu de paille.
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GG (19-01-2025 17:20:02)
TRUMP, Une force et un dynamisme certain. America FIRST,déjà présente depuis longtemps,sera renforcée avec une stratégie ,non dépourvue d'une certaine habileté sélective, qui peut ,éventuelle... Lire la suite