Theodore Roosevelt (1858 - 1919)

Le président social et anti-trust

Sculpture de Theodore Roosevelt sur le mont Rushmore. Agrandissement : Theodore Roosevelt, Lithographie de Forbes, Mfg. Co., Boston, vers 1930.Plus jeune président de l’histoire des États-Unis, Theodore Roosevelt personnifie le volontarisme politique. Désormais éclipsé par son neveu dans la mémoire collective, il fut pourtant le premier président moderne, connu dans le monde entier, incarnation d’une Amérique en pleine maturité à la veille de la Première Guerre mondiale.

Julien Colliat

Un patricien surdoué

Né à New York en 1858, Theodore Roosevelt appartient à une famille patricienne d’origine hollandaise arrivée en Amérique au milieu du XVIIe siècle et ayant pour devise : Qui Plantavit Curabit (Celui qui a semé préservera). Son père, Theodore Sr, a fait fortune dans l'import/export tandis que sa mère est une fille de riches planteurs de coton en Georgie.

Maison natale de Theodore Roosevelt. Elle est aujourd'hui un site historique national référencé au registre national des lieux historiques.Les Roosevelt vivent à Manhattan dans une grande demeure près de Madison Square Park. Garçon à la curiosité insatiable, capable de lire à vitesse rapide, le jeune Theodore acquiert une vaste culture. Les sciences naturelles, et plus particulièrement le monde animal, deviennent sa passion favorite. Il écrit son premier article sur l’histoire des insectes alors qu’il n’a pas neuf ans !

Mais Theodore est aussi un enfant à la santé fragile, souffrant de violentes crises d'asthme qui le handicapent au quotidien. Pour l’apaiser et amoindrir ses souffrances, son père l’initie à la culture physique et fait aménager une salle de gymnastique privée.

Theodore Roosevelt photographié lors du passage des Roosevelt à Paris en 1870. Il est aloros âgé de 11 ans. Agrandissement : Theodore Roosevelt en tant que député de l'État de New York en 1883, à 24 ans.En bon fils de patricien, il part étudier à Harvard. Il s’y révèle un étudiant brillant autant qu’un sportif accompli et commence à se faire un nom comme naturaliste et ornithologiste, publié dans des revues spécialisées.

La mort de son père qu’il admirait lui laisse un très confortable héritage. Le jeune homme décide alors d’abandonner sa prometteuse carrière scientifique et revient à New York pour étudier le droit à Columbia. Féru d’histoire militaire, il écrit un livre consacré au rôle de l’US Navy dans la guerre anglo-américaine de 1812. C’est une pluie de louanges.

La vie de cowboy

Parallèlement, Roosevelt se lance dans la politique et rejoint le Parti républicain dont son père, ami de Lincoln, était un membre éminent. Il est aussitôt élu dans l'Assemblée de l'État de New York. Son principal cheval de bataille est la lutte contre le clientélisme et la corruption qui gangrènent la politique new-yorkaise. À la tribune, il dénonce publiquement les fraudes fiscales du magnat des chemins de fer Jay Gould, s’imposant rapidement comme le chef de file de l’aile réformiste au sein du Parti républicain.

Alice Hathaway Lee Roosevelt, la première épouse de Théodore Roosevelt, vers 1880, Library of Congress.À 22 ans, le jour de son anniversaire, il épouse Alice Hathaway Lee, fille d’un banquier bostonien. L’idylle sera de courte durée puisque quatre ans plus tard, le jour de la Saint-Valentin 1884, Alice meurt des suites d’une insuffisance rénale deux jours après avoir donné le jour à une fille. Comble du malheur, Roosevelt apprend le même jour le décès de sa mère. Le choc est si rude qu’il décide de vendre son appartement new-yorkais, de démissionner de son mandat et de quitter la ville.

Pour se reconstruire, Roosevelt fait route vers l’Ouest sauvage et s’installe, tel un pionnier, dans les Badlands du Dakota du Nord. Sur ces terres montagneuses et hostiles, il fait construire un énorme ranch pour y élever des bovins. Voilà le patricien de la côte Est métamorphosé en cowboy, galopant à cheval, maniant le lasso et chassant le gros gibier.

Il est même recruté comme shérif adjoint et traque, carabine Winchester à la main, les voleurs de chevaux. Malgré ses lunettes d’intellectuel et ses éperons en argent, Roosevelt gagne le respect des fermiers du cru. Ses journées au grand air ont transformé son physique : son corps prend de la carrure et sa voix devient plus rauque.

Photographie du ranch de Theodore Roosevelt, vers 1885.

Durant cette période, il ne coupera cependant pas les ponts avec la vie politique new-yorkaise et livre dans des journaux nationaux le récit de son expérience. Le rude hiver 1886-1887 met brusquement fin à son aventure. Son élevage est décimé et son investissement parti en fumée.

Entrée au gouvernement

De retour à New York, Roosevelt se remarie avec son amourette de jeunesse, Edith Carow, et s’installe avec elle dans une immense demeure d’Oyster Bay, quartier huppé de Long Island. Il s’empresse de reprendre ses activités politiques et obtient l’investiture républicaine pour l’élection de la mairie de New York. Nouvelle désillusion pour l’ex-cowboy qui finit à une piteuse troisième place.

THéodore Roosevelt et sa famille en 1894, Washington, Library of Congress. Agrandissement : Portrait officiel de la Première Dame Edith Roosevelt, Théobald Chartran, 1902.

En 1888, l’élection surprise du républicain Benjamin Harrison à la Maison-Blanche lui permet de relancer sa carrière au point mort. Grâce à son ami, l’influent républicain Henry Cabot Lodge, Roosevelt est nommé à la tête de la Commission nationale de la fonction publique. Malgré l’hostilité de la frange conservatrice du parti, le jeune homme (30 ans) privilégie la nomination des fonctionnaires fédéraux selon leurs compétences et non selon les choix des appareils politiques, comme cela était en vigueur avec le « spoil system ». Son efficacité à sa fonction lui permet non seulement de conserver son poste durant tout le mandat d’Harrison mais même d’y être reconduit par son successeur, le démocrate Grover Cleveland.

Theodore Roosevelt et le journaliste Jacob Riis marchant dans New York, en 1894, illustration de Thomas Fogarty.Fort de sa popularité naissante, Roosevelt se voit proposer par son parti de briguer à nouveau la mairie de New York. Échaudé par son premier revers, il refuse. Mauvais calcul puisque son remplaçant, William Strong, est élu. Une première pour les républicains depuis deux décennies. Roosevelt doit se contenter de la direction de la police locale. Nouveaux recrutements, contrôles inopinés, tests physiques, vérification des armes à feu : il parvient à moderniser une institution minée par la corruption et se révèle un homme à poigne, faisant face aux menaces avec un rare courage.

En 1896, les républicains sont de retour au pouvoir à Washington avec l’élection de William McKinley. Roosevelt qui avait misé sur le mauvais cheval lors des primaires du parti est quand même nommé secrétaire adjoint à la Marine grâce à l’intervention d’Henry Cabot Lodge. Il s’y retrouve sous l’autorité de John D. Long, un ami de McKinley mais d’une santé fragile et sans expérience sur les questions militaires. Il ne faut que quelques mois à Roosevelt pour prendre le contrôle de facto du ministère.

Les Rough Riders

Partisan de l’expansionnisme et disciple de l’historien et stratège naval Alfred Mahan, Roosevelt insiste sur la nécessité pour les États-Unis de développer une marine puissante, sur le modèle britannique, et favorise la construction de cuirassés.

Colonel Theodore Roosevelt, en uniforme de Rough Rider, 1898, George Gardner Rockwood, Washington, Library of Congress.En février 1898, à la suite de l’explosion du cuirassé USS Maine dans la rade de la Havane, Roosevelt se range aussitôt dans le camp des faucons. Ceux-ci souhaitent, non sans arrières pensées, appuyer militairement les indépendantistes cubain pour chasser de l’île les Espagnols, accusés, sans la moindre preuve, d’être à l’origine du drame. Sans même en informer Long et McKinley, Roosevelt met plusieurs bâtiments de l’US Navy en état d'alerte.

Poussé par une opinion publique chauffée à blanc, elle-même intoxiquée par une presse mensongère, McKinley se résout à déclarer la guerre à l’Espagne en avril 1898. Roosevelt prend alors une décision sans précédent : il démissionne de son poste de secrétaire adjoint et s’engage dans le 1er régiment de volontaires de cavalerie ! Le 20 juin, il débarque sur l’île avec le corps expéditionnaire américain, soit près de 17 000 hommes au total.

Promu rapidement colonel, Roosevelt prend la tête de sa brigade. Forte de 486 volontaires, elle est composée de nombreuses recrues ayant guerroyé contre les Indiens. Ses membres qui ont des allures de cowboys avec leurs larges chapeaux et leurs mouchoirs flottant autour du cou sont surnommés les Roosevelt's Rough Riders (« durs à cuire de Roosevelt »).

Theodore Roosevelt et le journaliste Richard Harding Davis à Cuba en 1898.Pour assurer sa publicité, Roosevelt a embauché le journaliste du New York Herald Richard Harding. Chargé de relater ses faits et gestes, il devient le premier correspondant de guerre américain de l’Histoire.

C’est sur les collines de San Juan, à l’est de l’île, que le 1er juillet 1898, Roosevelt va entrer dans la légende. À la tête de ses hommes, l’homme politique mène une charge de cavalerie épique et quasiment suicidaire contre les Espagnols. Les pertes sont très importantes pour les Américains et Roosevelt lui-même frôle de peu la mort durant l’assaut mais la manœuvre s’avère plus ou moins victorieuse. Son initiative déplaît cependant à l’état-major qui lui refusera la médaille d'honneur du Congrès. Il n’empêche : le récit de la charge fait le tour des États-Unis, assurant à Roosevelt une célébrité retentissante.

La guerre terminée, Roosevelt rentre auréolé de gloire. Il est désormais un héros national qui fascine la presse par sa personnalité originale et est surnommé affectueusement « Teddy » par le peuple américain.

Vice-président des États-Unis

Cet électron libre suscite cependant la méfiance des républicains. Pour l’écarter de la course à la Maison-Blanche de 1900, ceux-ci le choisissent pour briguer le poste de gouverneur de New York. Élu d’extrême justesse, Roosevelt se trouve désormais à la tête de l’État le plus peuplé des États-Unis et détient un pouvoir considérable.

Il ne tarde pas à entrer en guerre contre les trusts et les monopoles, coupables de fausser la loi du marché, ainsi que les grands groupes privés qu’il souhaite davantage taxer et encadrer. Sa politique lui aliène l’aile conservatrice du Parti républicain qui l’accuse de traitrise mais lui vaut une grande popularité au sein du peuple.

Portrait officiel du Président Roosevelt, 1903, John Singer Sargent, Maiso Blanche.À 41 ans, Roosevelt a plus que jamais dans le viseur l’élection présidentielle de 1904. Un double coup du destin va cependant précipiter les évènements. En novembre 1899, le vice-président Garret Hobart succombe à une crise cardiaque à seulement 55 ans. Le coup est rude pour McKinley car Hobart était un vice-président extrêmement actif, ayant pratiquement le rôle de président-adjoint. Pour lui trouver un successeur pour l’élection de 1900, McKinley s’en remet au Parti républicain.

Henry Cabot Lodge soutient la candidature de Roosevelt, mieux placé à ses yeux pour mener campagne et faire gagner son camp. Il obtient l’accord de l’aile conservatrice, trop heureuse de brider dans un poste de second rôle ce quadragénaire charismatique. Comme prévu, Roosevelt conduit la campagne présidentielle avec une énergie peu commune, sillonnant une vingtaine d’États et plus de 500 villes. Grâce aux efforts de son colistier, McKinley est confortablement réélu en novembre 1900.

Investi vice-président, Roosevelt ne tarde pas à déchanter. Peu fait pour cette fonction honorifique, condamné à rester dans l’ombre du président, il se sent inutile et doit ronger son frein. Pourtant, six mois seulement après sa prise de fonction, l’impensable se produit : le 6 septembre 1901, un anarchiste fait feu sur McKinley lors de l'exposition panaméricaine du Temple of Music de Buffalo. Le président succombera à ses blessures huit jours plus tard.

Roosevelt prête aussitôt serment dans la bibliothèque de son ami Ansley Wilcox, devenant officiellement le 26e président des États-Unis. Âgé de 42 ans, il est alors - et reste à ce jour - le plus jeune président de l’histoire des États-Unis.

Theodore Roosevelt et J.P. Morgan ont une réunion au cours de laquelle ils proposent une résolution pour la grève de l'anthracite de 1902, Harper's Weekly, 25 octobre 1902.

Un « hyper président »

Dès son entrée en fonction, Roosevelt fait savoir qu’il entend user de toutes ses prérogatives et intervenir dans tous les domaines, comme l’ont fait avant lui Andrew Jackson et Abraham Lincoln. Il intervient ainsi dans la grève nationale des mineurs en Pennsylvanie et obtient au forceps un accord historique qui octroie une augmentation salariale et une diminution du temps de travail. Son immixtion dans un conflit social est une première aux États-Unis et lui vaut une solide détestation du grand patronat.

D’autant qu’en parallèle, Roosevelt poursuit sa bataille contre les monopoles. Durant sa présidence, il déclenche 43 poursuites contre les firmes violant la loi Sherman sur les trust, soit trois fois plus que tous ses prédécesseurs réunis ! Il obtiendra le démantèlement de la Northern Securities Company qui détenait le quasi-monopole des transports ferroviaires.

Portrait de Theodore Roosevelt dans le tout nouveau bureau exécutif de la Maison Blanche. Sur cette photo, Roosevelt se tient à côté de l'un de ses objets préférés, un immense globe sur lequel il plaçait de petits marqueurs blancs pour indiquer la position des marines américaine, allemande et britannique dans l'hémisphère occidental, Rockwood Photo Co., Maison Blanche. Agrandissement : Theodore Roosevelt (à gauche) et le défenseur de la nature John Muir, fondateur du Sierra Club, à Glacier Point, dans le parc national de Yosemite, 1903, Washington, Library of Congress.Sur la forme, son élection marque une véritable rupture. Premier président à comprendre l’importance de la communication, Roosevelt abreuve les journalistes d’informations exclusives et fait installer à la Maison-Blanche une salle dédiée aux points presse qu’il organise quotidiennement.

Pour faire pression sur les appareils politiques qui bloquent ses réformes, le président choisit de s'adresser directement au peuple et multiplie les interventions publiques.

Soucieux de sa publicité, il veut donner l’image d'un président moderne et actif et se met en scène au volant d’une automobile, dans un sous-marin ou chassant le bison. Il sera l’homme politique le plus photographié de son temps, mais aussi le chef d’État le plus connu dans le monde.

Cette politique ostentatoire suscite néanmoins critiques et mépris. Mark Twain, un de ses plus vifs détracteurs, écrit par exemple : « M. Roosevelt est le Tom Sawyer du monde politique du XXe siècle, toujours en train de se mettre en valeur ; toujours sur la piste d'une chance de se montrer en spectacle. Dans son imagination délirante, la grande république est un vaste cirque Bamum avec lui pour clown et le reste du monde comme spectateur ; il irait jusqu'à Halifax pour la moitié d'une chance de se donner en spectacle et en enfer pour la totalité. »

L’origine de Teddy Bear

Un jour de novembre 1902, Roosevelt s’apprête à rentrer bredouille d'une partie de chasse dans le Mississippi. Pour qu’il rapporte au moins un trophée, les organisateurs attachent un ourson noir à un arbre. Choqué par cette mise en scène, le président refuse d’abattre l’animal et ordonne de le libérer. Cet épisode est aussitôt relaté dans la presse et immortalisée par le célèbre caricaturiste Clifford Berryman dans le Washington Post. Le dessin attire l’attention d’un couple de commerçants originaires de Russie et installés à New York, Rose et Morris Michtom. Ceux-ci ont l’idée de confectionner un ourson en peluche qu’ils baptisent Teddy Bear (« l’ours de Teddy »). Le président leur accorde l’autorisation de commercialiser l’objet qui connaîtra un succès considérable, faisant la fortune du couple.

Roosevelt est également le premier président à mettre en avant sa famille. Sa fille, Alice, personnage excentrique et fantasque devient l’égérie de l'Amérique et sa renommée traverse les frontières. Elle restera une figure mondaine populaire jusqu’à la présidence de Gerald Ford !

Le président et son épouse s'attachent aussi à transformer l'image de la résidence présidentielle. Appelée jusque-là « Manoir de l’exécutif », elle prend le nom officiel de Maison-Blanche et devient un lieu de mondanité et de culture, accueillant de nombreux artistes.

L’élection de 1904

Alors que les experts prédisent un scrutin serré pour l’élection présidentielle de 1904, Roosevelt est confortablement réélu, raflant les grands électeurs de tous les États à l’exception de ceux du Sud. Le jour de son investiture, il s’engage à ne solliciter aucun nouveau mandat. Une promesse qu’il va amèrement regretter…

Roosevelt en 1904, Washington, Library of Congress.Durant son second mandat, il pose les bases des droits des consommateurs. Il crée ainsi l’actuelle Agence fédérale américaine des produits alimentaires et médicamenteux et obtient la régulation des tarifs des chemins de fer. Mais c’est dans le domaine de la protection de l'environnement que son œuvre est la plus louée aujourd’hui avec la création de quatre parcs nationaux et d’une centaine de forêts nationales. Il est incontestablement le premier président « écolo » !

Ardent défenseur des promotions au mérite, Roosevelt nomme Oscar Strauss secrétaire au Commerce et au Travail. C’est la première fois qu’un juif intègre un cabinet ministériel. Il ose même placer à la tête de l’US Navy, Charles Joseph Bonaparte, petit-neveu de Napoléon ! Celui-ci créera en 1908 le Bureau of Investigation (BOI), ancêtre de l’actuel FBI (dico).

Roosevelt sera également le premier président à recevoir officiellement un noir à la Maison-Blanche : l’écrivain Booker T. Washington, ancien esclave et défenseur de l'émancipation des Afro-Américains. Dans le Sud ségrégationniste l’affaire fait grand bruit.

Caricature publiée en 1904 montrant Roosevelt armé de son « gros bâton » en train de patrouiller et de tirer la flotte américaine dans la mer des Caraïbes, William Allen Rogers.

Le « Big Stick »

En politique étrangère, le président prône l’usage de la menace militaire pour renforcer le contrôle des États-Unis sur leur sphère d’influence. Une doctrine impérialiste voisine de la « diplomatie de la canonnière » des Européens et qu'on appellera la « diplomatie du gros bâton » car lui-même avait coutume de dire : « Speak softly and carry a big stick » (en français : « Parlez avec douceur mais portez un gros bâton »)..

Cette doctrine se matérialise en 1903 quand, désireux d’ouvrir un canal dans l’isthme centraméricain, il encourage la bourgeoisie de Panama à faire sécession d’avec la Colombie et déploie des navires de guerre qui interdisent toute intervention de Bogota. Un traité est ensuite signé avec la nouvelle république panaméenne qui concède aux États-Unis les droits de construction et d’exploitation du canal reliant Atlantique et Pacifique, après l’abandon du projet français.

Caricature publiée en 1906 représentant Theodore Roosevelt utilisant la doctrine Monroe et son corollaire pour empêcher les Européens d'intervenir en République dominicaine, Louis Dalrymple.Trois ans plus tard, Roosevelt se rend en personne sur les chantiers du canal. C’est la première fois qu’un président américain en exercice quitte les États-Unis.

Lors de la guerre russo-japonaise de 1904-1905, Roosevelt s’impose comme médiateur et dirige les pourparlers qui aboutissent au traité de Portsmouth, sifflant la fin des hostilités. Son efficacité et son impartialité lui valent l’année suivante l’attribution du prix Nobel de la paix. Il est à la fois le premier chef d’État et le premier Américain à le recevoir.

Cette récompense décernée à un impérialiste patenté fait quand même grincer quelques dents… Quant à Roosevelt, il ne se prive pas d’envoyer dans la foulée sa « Grande flotte blanche », composée de 16 bâtiments de guerre, réaliser un tour du monde pour vanter la marine américaine et surtout montrer les muscles.

Voyage en Europe et retour en politique

Après sept ans passés à la Maison-Blanche, Roosevelt consent à respecter ses engagements et ne brigue donc pas un nouveau mandat en 1908, malgré un immense mouvement d’opinion en sa faveur.

Après avoir transmis le pouvoir à son successeur républicain, William Taft, il met la politique entre parenthèses et part pour un long safari. Accompagné par le célèbre chasseur Robert Cunninghame et quelques scientifiques, il sillonne l’Est africain, informant quotidiennement la presse du nombre de grands mammifères abattus !

Theodore Roosevelt à côté d'un éléphant mort, vers 1910, Edward Van Altena, N.Y.C.

Ce périple est suivi d’une grande tournée dans les capitales européennes, à la rencontre des têtes couronnées du Vieux Continent et des puissants du moment. À Paris, Roosevelt prononce une conférence à la Sorbonne et prend le thé avec Auguste Rodin. Seul accroc à sa tournée européenne : son entrevue glaciale avec Guillaume II. Son voyage se conclut par son discours de réception du prix Nobel à Oslo devant 2000 personnes.

Après plus d'un an passé à l'étranger, Roosevelt rentre aux États-Unis en juin 1910. Il redevient aussitôt le centre d’attraction de la presse qui suppute sur son éventuel retour en politique. D’autant que le nouveau président Taft, cédant à l’aile conservatrice du Parti républicain, met en péril l’œuvre de son prédécesseur.

Le 31 août 1910, lors d’une réunion publique au Kansas, Roosevelt prononce un discours très virulent contre la politique de Taft, marquant son retour dans l’arène politique. Il y expose les grandes lignes de son programme baptisé « nouveau nationalisme », dans lequel il préconise l’augmentation du pouvoir fédéral pour démanteler les trusts et la création d’un impôt sur le revenu.

La triangulaire de 1912

Menant la fronde contre les conservateurs du Parti républicain, Roosevelt défie le président Taft lors des primaires républicaines de 1912. Durant la campagne, des invectives d’une rare violence sont échangées entre les deux présidents. Mais bien que Roosevelt ait obtenu la majorité des suffrages populaires, l’appareil républicain choisit d’investir le président sortant.

Contre toute attente, Roosevelt refuse de s’avouer vaincu. Et à quelques semaines seulement du scrutin, il provoque une scission du Parti républicain et créé son propre mouvement politique : le Parti progressiste.

L’élection présidentielle de 1912 sera donc une triangulaire. Accusé de faire le jeu des démocrates et de ne pas respecter sa parole, Roosevelt est attaqué avec virulence par son rival. Avec une rare énergie, l’ancien président mène une campagne tambour battant, se posant en candidat du peuple. Il traverse la quasi-totalité du pays en train et prononce jusqu’à 30 discours par jour depuis la plateforme de son wagon.

Le 14 octobre, durant un meeting à Milwaukee, un déséquilibré fait feu sur Roosevelt. La balle pénètre dans sa poitrine après avoir été amortie par son étui à lunettes et les feuillets d'un discours. Le candidat sauve le tireur du lynchage et, chose invraisemblable, insiste pour continuer son allocution, lançant à ses supporters : « Mesdames et Messieurs, je ne sais pas si vous comprenez bien que je viens de me faire tirer dessus, mais il en faut davantage pour tuer un élan mâle. »

Après une heure et demie de discours, la chemise maculée de sang, il consent enfin à être conduit aux urgences. Constatant que la balle s’est logée dans le muscle thoracique, les médecins jugeront moins dangereux de la laisser que de tenter de l’extraire.

L’attentat de Milwaukee renforce sa popularité et Roosevelt en profite pour faire de l’« élan mâle » l’emblème du Parti progressiste. Il n’en demeure pas moins que la scission du Parti républicain a ôté aux deux candidats toute chance de victoire, d’autant que les démocrates ont eu l’intelligence de désigner un modéré en la personne de Woodrow Wilson. Celui-ci remporte triomphalement l’élection avec 435 grands électeurs sur 531.

Seule consolation pour Roosevelt, il obtient 88 grands électeurs contre seulement 8 pour Taft. Jamais un tiers parti n’a fait et ne fera aussi bien (on peut toutefois se demander ce qu’il en eut été de la Grande Guerre si les États-Unis avaient alors été dirigés par Roosevelt plutôt que l’idéaliste Wilson…).

L’expédition en Amazonie

Abandonné par ses alliés politiques, Roosevelt sait que sa défaite sonne le glas de son Parti progressiste et signe la fin de sa carrière politique. Loin d’être abattu, il va vite se concentrer sur un nouveau projet, renouant avec ses passions de jeunesse : monter une expédition en plein cœur de l’Amazonie. Conduite par l’explorateur brésilien Cândido Rondon, elle a pour but de cartographier une des dernières zone inexplorée du globe, les sources du Rio da Duvida, récemment découvertes, et redescendre la rivière sur plus de 700 kilomètres jusqu'à l’Amazone.

Partis fin 1913, Roosevelt et ses compagnons sont les premiers Occidentaux à descendre l’affluent le plus sauvage et inhospitalier de l'Amazone. Engouffrés dans une forêt vierge infinie, ils doivent passer des chutes d’eau infranchissables, faire face à une faune dangereuse et des tribus hostiles, et braver les maladies tropicales. Manque de chance : Roosevelt se blesse à la jambe dès le début de l’expédition. La plaie s’infecte, l’empêchant pratiquement de marcher. L’Américain est même victime de crises de délire et songe au suicide.

En mai 1914, après cinq mois dantesques, l’expédition arrive à destination. Mais l’ex-président est méconnaissable. Amaigri d’une vingtaine de kilos, il ne parvient à marcher qu’avec l’aide d’une canne - qu’il surnomme par dérision son « gros bâton » - et restera affligé jusqu’à la fin de ses jours de fièvres récurrentes. En son honneur, le Rio da Duvida est rebaptisé Rio Roosevelt.

La fin d’un lion

Son retour aux États-Unis coïncide avec le début de la Première Guerre mondiale. Dès le début du conflit, Roosevelt prend parti pour l’entrée en guerre des États-Unis aux côtés de l’Entente et fustige la neutralité de Wilson. Il propose d’envoyer un bataillon de volontaires en Europe et soumet un projet détaillé au secrétaire à la Guerre, Newton Baker, qui lui adresse une fin de non-recevoir courtoise mais définitive.

Theodore Roosevelt en 1918, Ohio, Baker Art Gallery.Avec l'entrée en guerre des États-Unis en 1917, Roosevelt obtient du Congrès l'autorisation de lever quatre divisions de volontaires sur le modèle des Rough Riders. Mais il se heurte finalement au veto de Wilson et de l’état-major militaire, malgré l’appui de Clemenceau.

Trop vieux pour rejoindre le front, Roosevelt se console en voyant ses quatre fils partir combattre en France. Le plus jeune, Quentin, aviateur dans l’US Army, meurt le 14 juillet 1918 lors d'un raid aérien derrière les lignes allemandes. L’ancien président est anéanti par la nouvelle.

Ravalant leur rancune passée, les républicains le courtisent pour qu’il soit leur candidat lors des élections de 1920. Mais Roosevelt n’est plus que l’ombre de lui-même, brisé par la mort de son fils et devenu impotent. Il s’éteint dans son sommeil le 6 janvier 1919. Apprenant la nouvelle, son cousin éloigné et neveu par alliance, Franklin, promis à un destin aussi légendaire, confiera à son épouse : « Il a été le plus grand homme que j'aie jamais connu. »

Bibliographie

On peut lire avec intérêt la double biographie de Georges Ayache, Les Roosevelt, Une dynastie américaine, Perrin, 2023.


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Les États-Unis
Publié ou mis à jour le : 2024-01-07 18:13:10
Jezierski (07-01-2024 12:39:30)

Passionnant, instructif et documenté

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