6 avril 1917

Les États-Unis dans la Grande Guerre

Le 6 avril 1917, le président américain Woodrow Wilson déclare la guerre à l'Allemagne. Avec l'entrée des États-Unis dans la Grande Guerre, celle-ci change de dimension. Elle prend un caractère non plus européen mais mondial.

Elle entre aussi pour de bon dans l'âge industriel car les États-Unis apportent dans le conflit, plus encore que leurs hommes, leur énorme potentiel industriel. Le pays est en effet devenu au début du XXe siècle la principale puissance économique de la planète devant l'Angleterre et l'Allemagne. Il produit 33% de la richesse mondiale avec seulement 6% de la population humaine (Les 76 millions d'Américains de 1900 sont au total moins nombreux que les 56 millions d'Allemands et les 28 millions d'Austro-Hongrois).

André Larané

Les premiers soldats américains paradent à Broadway (New York) avant l'embarquement pour l'Europe, 1918

Guerre sous-marine à rebondissement

Pendant trente mois, les combats opposant Allemands et Austro-Hongrois à la Triple-Entente (Français, Anglais, Russes et autres alliés) se sont enlisés dans les tranchées. En 1917, la lassitude commence à se faire sentir dans les deux camps et principalement chez les Puissances centrales, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie, très affectées par le blocus de leurs côtes par la marine anglaise. Empêchés de s'approvisionner correctement depuis avril 1915, soit deux ans déjà, les citadins allemands souffrent de la disette.

L'empereur autrichien Charles Ier fait en vain des offres de paix séparée. Et l'empereur allemand Guillaume II lui-même demande au président Wilson de s'entremettre entre les combattants ! Le 22 janvier 1917, dans un discours retentissant devant le Sénat, Wilson propose une « paix sans victoire ». C'est un tollé dans les deux camps : personne n'imagine d'avoir autant souffert pour rien.

En désespoir de cause, l'état-major allemand joue son va-tout. Au risque de heurter les États-Unis, encore neutres, il décide de reprendre la guerre sous-marine à outrance et déclare les eaux territoriales britanniques zone de guerre.

Les Allemands avaient suspendu la guerre sous-marine dix-huit mois plus tôt, après le torpillage du Lusitania et la menace par Washington d'entrer en guerre contre l'Allemagne. Il est vrai qu'ils ne disposaient alors que de 25 sous-marins. Ils en ont désormais 150 et espèrent, en coulant l'équivalent de 600 000 tonnes par mois, desserrer le blocus, entraver l'approvisionnement des Alliés et obliger ceux-ci à la capitulation en six mois, avant que les États-Unis n'aient le temps d'entrer dans la guerre. 

Le 31 janvier 1917, à contrecoeur, le comte Johann von Bernstoff, ambassadeur d'Allemagne à Washington, informe les Américains de la décision de son gouvernement. Dans le même temps, à Berlin, le Secrétaire d'État allemand aux Affaires étrangères Arthur Zimmermann déclare, plein d'illusions, à l'ambassadeur américain : « Accordez-nous deux mois de guerre sous-marine : dans trois mois, nous aurons terminé la guerre et obtenu la paix ».

Un télégramme très opportun

 Arthur Zimmermann, ministre allemand des Affaires étrangères en 1916-1917 (5 octobre 1864 - 6 juin 1940, Berlin)Le président Wilson est embarrassé car il a été réélu en novembre 1916 sur la promesse de maintenir son pays en-dehors du conflit. Le 26 février, il suggère une « neutralité armée » et propose au Congrès d'armer les navires de commerce en vue de les protéger.

Ce n'est pas encore la guerre mais ça y ressemble. Beaucoup d'élus et de citoyens s'indignent. Le scandale Zimmerman va tout faire basculer !

Dès le 16 janvier 1917, Arthur Zimmermann a adressé un télégramme secret à son homologue mexicain. Il lui a fait part de l'intention de son pays de reprendre la guerre sous-marine à outrance (la guerre sous-marine reprend en effet dès le 1er février 1917).

Zimmerman propose une alliance au Mexique, avec à la clé, en cas de victoire, l'annexion du Sud des États-Unis. Mais le télégramme est intercepté par la Marine britannique et transmis au président américain. Celui-ci le fait opportunément publier dans la presse le 1er mars. Le scandale fait basculer l'opinion américaine, jusque-là neutraliste.

Le torpillage du paquebot Vigilentia, le 19 mars 1917, par un sous-marin allemand lui rappelle qui plus est le sort similaire fait au Lusitania le 7 mai 1915. L'affaire est entendue ! Les États-Unis entrent donc dans la guerre aux côtés des Alliés le 6 avril 1917.

Sur une caricature de l'époque, le Kaiser observe l'arrivée des soldats américains. « Combien de navires a-t-il donc fallu pour les amener en Europe ? » demande-t-il, incrédule. « Un seul, le Lusitania, » lui répond un conseiller.

L'intervention de la première puissance industrielle du monde s'avère décisive.

Français et Britanniques, au bord de l'effondrement, accueillent la nouvelle avec un soulagement d'autant plus grand qu'ils ne peuvent plus guère compter sur leur allié russe. Le front oriental est affaibli par les mouvements révolutionnaires et le coup d'État bolchévique du 6 novembre 1917 va conduire à sa rupture.

Pourquoi entrer dans la guerre ?

Quand éclate le conflit en Europe, les États-Unis, devenus depuis peu la première puissance mondiale, n'ont aucune envie de s'y associer. D'une part, ils veulent préserver la paix civile entre leurs ressortissants de diverses origines (Anglo-Saxons, Allemands, Russes...) et n'ont aucune sympathie pour la Russie autocratique et antisémite. D'autre part, ils ont bien plus à gagner en approvisionnant les belligérants à prix d'or en fournitures agricoles et industrielles.

De fait, à défaut de pouvoir commercer avec les Allemands et les Austro-Hongrois, soumis au blocus de la Royal Navy, ils multiplient les livraisons à destination de l'Entente (la Grande-Bretagne et la France). Ces ventes se font à crédit (2,3 milliards de dollars de prêts à l'Entente contre 26 millions seulement à l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie) et le souci d'en obtenir le remboursement va être déterminant dans le choix du gouvernement américain de s'engager aux côtés de l'Entente.

Un banquier américain anonyme en fait la confidence à un jeune journaliste français, Camille Ferri-Pisani : « J'ignore La Fayette. J'ignore si l'Allemagne attaqua la première. De l'histoire, je ne retiens que la statistique. Je sais une chose, c'est que la grande guerre a quintuplé le chiffre de nos affaires, décuplé nos bénéfices et tout ce trafic magnifique  nous l'avons opéré avec les Alliés. (...) Notre stock or dépasse aujourd'hui le stock or de tous les Alliés réunis. Mais vous nous avez payé aussi avec du papier. Or vos traites ne vaudront que ce que vaudra votre victoire. Il faut que vous soyez victorieux à tout prix pour faire face à vos engagements. Je vois plus loin encore. Il vous faudra reconstruire tout ce qui fut détruit. Cet argent que nous avons gagné sur vous, nous vous le prêterons pour relever vos villes... » (Les Annales, 25 mars 1917) (note).

La 6e artillerie de campagne, qui a tiré le premier coup de feu pour l'Amérique pendant la Première Guerre mondiale à 6 h 05, le 23 octobre 1917, depuis une position à 400 mètres (437 verges) à l'est de Bathemont.

La guerre américaine

Les premiers Sammies débarquent le 26 juin 1917 au Havre. Le président Wilson a refusé l’amalgame de ces troupes fraîches avec les poilus et tommies alliés. C’est donc sous le haut commandement du général John Pershing qu'est placé l'American Expeditionary Force. Comme Douglas Haig pour la Grande-Bretagne et Philippe Pétain pour la France, John Pershing se plie aux ordres du généralissime Foch.

Le 4 juillet 1917, le lieutenant-colonel Stanton lance au cimetière de Picpus, devant la tombe du héros des deux Mondes, la célèbre apostrophe : « La Fayette, we're here ! ». Ce n'est toutefois qu'un an plus tard que les premiers combattants américains seront engagés dans les combats, après qu'ils auront été équipés par les Français et formés au combat.

À l'été 1918, sur les 211 divisions dont dispose Foch, une douzaine seulement sont américaines et leur équipement, notons-le, est fourni par la France, celle-ci disposant des usines d'armement (chars, avion, canons) qui font encore défaut outre-Atlantique ! Mais la 1ère armée américaine de Pershing lance sa première offensive à Saint-Mihiel, près de Verdun, le 12 septembre 1918 et ce tardif engagement suffit à convaincre les Allemands de leur infériorité et de l'inéluctabilité de leur défaite.

Il faut dire que deux millions de Sammies sont à ce moment-là présents sur le sol français. Deux millions de soldats supplémentaires s'apprêtent à traverser à leur tour l'Atlantique, tous en bonne santé et plein d'allant, à la différence des poilus et des tommies anglais, épuisés par trois ans de guerre.

Notons la présence de deux cent mille noirs, cantonnés au moins au début dans les opérations de soutien. Au contact des officiers français, dépourvus de préjugés et habitués par les guerres coloniales aux contacts interraciaux, ils vont ressentir avec d'autant plus d'âpreté le racisme de leurs propres officiers. « En ce sens, la guerre a aggravé les conflits entre Blancs et Noirs aux États-Unis », assure l'historien américain Jay Winter (La Croix, 23-24 juin 2018).

Les États-Unis perdront au total 116 000 hommes dans le conflit, ce qui est peu en regard de leur population (95 millions d'habitants). Mais ainsi que le note l'historien André Kaspi, si la guerre ne s'était pas arrêtée le 11 novembre 1918, elle serait devenue l'affaire des Américains et aurait mené ceux-ci jusqu'à Berlin selon la volonté du général Pershing. Il était prévu en effet une marche sur Berlin dès le 14 novembre, les Américains empruntant la route du nord et les Français celle du sud.

Américains de retour du saillant de saint-Mihiel (juillet 1918)

« And the winner is... »

En dépit de leur intervention, les États-Unis ont le sentiment de participer à une guerre strictement européenne... Aujourd'hui encore, c'est ainsi qu'est appelée aux États-Unis la Grande Guerre : « European war ».

Sitôt après la fin des hostilités, en 1919, ils renouvellent la tradition isolationniste fondée par le président Monroe, d'une part avec le refus du Sénat de ratifier le traité de Versailles qui va laisser la voie libre à toutes les dérives, d'autre part en établissant pour la première fois des quotas d'immigration motivés par la crainte de perdre leur identité anglo-saxonne. Ces quotas resteront en vigueur jusqu'en 1967.

Les Européens, quant à eux, s'effraient de l'image que leur renvoie la société américaine. Ainsi le romancier Georges Duhamel décrit-il de façon dantesque cette société dans Scènes de la vie future (1930). Quoi qu'il en soit, les États-Unis, qui faisaient auparavant figure de puissance lointaine, sont devenus avec leur entrée en guerre une puissance européenne, partie prenante des affaires du Vieux Continent.

Publié ou mis à jour le : 2022-04-04 16:38:37
dama2i (02-04-2017 21:32:22)

Habitant la région de Boulogne-sur-mer, j'aurais aimé lire dans cet article que le général Pershing a d'abord débarqué à Boulogne le 13 juin 1917... http://www.franceusa.org/themes/histoire/la... Lire la suite

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net