Georges Clemenceau (note) est une figure majeure des débuts de la IIIe République et de la Première Guerre mondiale.
Il fut aussi une personnalité d'exception dans tous les sens du terme : journaliste hyperactif et spirituel, grand voyageur, collectionneur d'art féru d'Histoire ancienne et de spiritualité asiatique, amateur de femmes, duelliste etc.
Élu de gauche ou d'extrême-gauche, contestataire-né et laïc militant, il dénonça les conquêtes coloniales et l'influence du clergé.
Mais c'est seulement à 65 ans qu'il entra au gouvernement. Il attendit encore quelques mois pour en prendre la tête... Songeons que c'est au même âge qu'une autre personnalité d'exception, Winston Churchill, devint Premier ministre.
Au gouvernement, Georges Clemenceau se montra un farouche partisan de l'ordre et réprima sévèrement les manifestations de mineurs ou de viticulteurs tout en déployant une intense activité réformatrice en vue d'améliorer la condition ouvrière. Il négocia aussi la séparation des Églises et de l'État.
Il donna enfin sa pleine mesure à la fin de la Grande Guerre, quand, appelé une nouvelle fois à la présidence du Conseil, il rassembla toutes les énergies en vue de la victoire finale.
Découvrez toutes les facettes du « Tigre » dans ce livre numérique : son parcours, ses passions et sa vie personnelle, ses bons mots et ses réparties.
Clemenceau a été édité par Herodote.net en partenariat avec le musée Clemenceau (mars 2014, format pdf, 38 pages et de nombreuses illustrations)...
Georges Clemenceau naît à Mouilleron-en-Pareds (Vendée) le 28 septembre 1841.
Enfant, il séjourne dans le manoir médiéval de l'Aubraie, non loin de là. Son père, médecin, laïc et ardent républicain, par ailleurs peintre et dessinateur talentueux, le rallie très tôt à ses idées.
À son jeune fils qui lui demande comment l'aider après qu'il a été arrêté suite à l'attentat d'Orsini, en 1858, il répond d'un mot : « Travaille » !
Étudiant à Paris, le jeune homme bénéficie de la protection d'Étienne Arago, un ami de la famille.
Il est emprisonné pendant dix semaines, sous le Second Empire, pour avoir tenté de commémorer avec ses amis l'insurrection républicaine de février 1848. Incarcéré dans la prison de Mazas, sur le boulevard Diderot, à Paris, cela lui donne l'occasion de faire la connaissance d'Auguste Blanqui, un éternel insoumis.
Suite à une peine de cœur, il prend le bateau pour les États-Unis en 1865.
Contrevenant aux injonctions paternelles, il va y séjourner quatre ans comme professeur de français et d'équitation et correspondant du journal Le Temps. Il en revient quatre ans plus tard avec une bonne connaissance de la langue anglaise (rarissime chez les Français de sa génération) et une jeune épouse américaine, Mary Plummer, dont il se montre très amoureux, au moins dans les premières années du mariage.
Le couple aura trois enfants : Madeleine, née en 1870 ; Thérèse, née en 1872 ; Michel, né en 1873.
À 29 ans, il s'apprête comme son père à suivre une carrière de médecin, « monte » à Paris et ouvre un cabinet à Montmartre, 23, rue des Trois-Frères. À cette occasion, il se lie d'amitié avec Louise Michel, institutrice dans le quartier. Mais la guerre le rattrape.
Après la défaite de Sedan, l'amitié d'Étienne Arago lui vaut d'être nommé maire provisoire de Montmartre par le gouvernement de la Défense nationale. Le 23 septembre 1870, il rédige une proclamation à l'attention de ses concitoyens : « Nous sommes les enfants de la Révolution. Inspirons-nous de l'exemple de nos pères de 1792 et, comme eux, nous vaincrons. Vive la France ! Vive la République ! ». À l'issue du siège de la capitale, quand est signé l'armistice de janvier 1871 qui consacre la défaite de la France face aux armées prussiennes, il exprime son indignation dans une nouvelle proclamation où l'on peut lire : « On vous a livrés sans merci. Toute résistance a été rendue impossible ».
Le 18 mars 1871, il assiste, impuissant, au massacre des généraux Lecomte et Clément-Thomas par la populace de Montmartre. De ce massacre va sortir la Commune. Révulsé par la violence de la foule, Clemenceau en comprend néanmoins l'origine : les souffrances du siège et l'exaspération devant le défaitisme des dirigeants. Il va dès lors plaider pour l'amnistie des Communards, sans cacher son mépris pour « Monsieur Thiers », propagandiste de la République conservatrice.
Un leader radical
Sous la IIIe République, en 1876, Clemenceau se fait élire député de Paris sans interrompre son activité de médecin.
Brillant orateur et improvisateur, il prend grâce à ses discours la tête de la gauche dite « intransigeante » ou « radicale ». Le journaliste Maurice Le Blond le décrit à la tribune de la Chambre : « Sa voix s'enfle à peine, sobre de gestes, les mains aux poches, tandis que ses arguments se déclenchent, terribles, rapides, aiguisés, pareils au couperet du docteur Guillotin »
Mais il s'en tient longtemps à un rôle d'opposant actif qui lui vaut le surnom de « tombeur de ministères ». Ainsi combat-il avec succès les gouvernements « opportunistes » de Jules Ferry.
Injustement soupçonné d'avoir reçu de l'argent de Cornelius Herz, lors du scandale de Panama, il est battu aux élections et doit vendre une bonne partie de ses collections d'art asiatique pour rembourser ses dettes. Il quitte son grand appartement parisien pour un appartement plus modeste, 8, rue Benjamin Franklin.
Il se consacre dès lors au journalisme mais revient en grâce avec l'Affaire Dreyfus. « L'iniquité envers un, c'est l'iniquité envers tous », clame-t-il. Convaincu de l'innocence du capitaine par son frère Mathieu Dreyfus, il s'engage résolument dans le camp dreyfusard à travers pas moins de 665 articles et, lors d'une conférence de rédaction épique, donne à l'article d'Émile Zola, dans son journal L'Aurore, le titre qui fera sa célébrité : J'Accuse !
Le 15 décembre 1899, toutefois, il démissionne de son poste de rédacteur à L'Aurore et fonde son propre journal, Le Bloc, qu'il va alimenter tout seul pendant un an, jusqu'en mars 1902.
Surmontant sa détestation du Sénat, Clemenceau retrouve enfin une tribune en se faisant élire sénateur du Var en 1902. Il siègera au palais du Luxembourg jusqu'à sa retraite, en 1920.
Il ne tarde pas à s'imposer comme le chef du mouvement radical, à l'extrême-gauche de l'échiquier politique, sans pour autant s'affilier au nouveau « parti républicain radical » (ni à aucun autre parti d'ailleurs).
Le 13 mars 1906, à 65 ans, le « tombeur de ministères » accède pour la première fois à un poste ministériel. D'aucuns le qualifient de « vieux débutant » !
Le pays se déchire à ce moment-là sur l'enjeu religieux et la loi de séparation des Églises et de l'État. Clemenceau, laïc convaincu qui n'est jamais entré dans une église lors de cérémonies officielles (sauf peut-être un jour de pluie) s'affiche en partisan du compromis au nom de la liberté !
Le 17 novembre 1903, il a déjà affirmé son attachement à la liberté de l'enseignement : « Je repousse l'omnipotence de l'État laïc parce que j'y vois une tyrannie. (...) L'État, je le connais, il a une longue histoire, toute de meurtre et de sang. Tous les crimes qui se sont accomplis dans le monde, les massacres, les guerres, les manquements à la foi jurée, les bûchers, les supplices, les tortures, tout a été justifié par l'intérêt de l'État, par la raison de l'État. (...) S'il devait y avoir un conflit entre la République et la liberté, c'est la République qui aurait tort et c'est à la liberté que je donnerais raison » (note).
Ministre de l'Intérieur dans le gouvernement de Ferdinand Sarrien, il est aussitôt mis à l'épreuve par la catastrophe de Courrières survenue trois jours plus tôt.
Après avoir courageusement tenté de raisonner les mineurs éprouvés par le drame, il fait donner la troupe pour éviter que leur grève ne paralyse le pays.
L'énergie qu'il met dans la modernisation de la police et la lutte contre les malfrats lui vaut le surnom de « Tigre » (et c'est encore le profil d'un tigre et de Clemenceau qui figure dans le logo de la police nationale !).
Lui-même se qualifie de « premier flic de France ».
Sept mois plus tard, Clemenceau remplace Sarrien à la présidence du Conseil et forme enfin l'un des plus longs ministères de la IIIe République, du 18 octobre 1906 au 20 juillet 1909 (trente-trois mois ! un exploit sous la IIIe République).
Dans son équipe figure pour la première fois un ministre du Travail, le socialiste René Viviani. Le ministre de la Guerre n'est autre que le général Picquart, quelques années plus tôt sanctionné par sa hiérarchie pour avoir pris fait et cause en faveur de Dreyfus.
Le président du Conseil confirme son sens particulier du dialogue social lors des manifestations de vignerons languedociens victimes de la surproduction et de la mévente du vin. Il mène aussi à son terme la séparation des Églises et de l'État avec Aristide Briand, ministre de l'Instruction publique et des Cultes.
Son ministre des Finances, Joseph Caillaux, qui deviendra pendant la guerre son ennemi inexpiable, propose l'impôt progressif sur le revenu mais le projet est bloqué par le Sénat.
De retour dans l'opposition, pendant les années qui précèdent la Grande Guerre, Clemenceau trouve le temps de faire un grand voyage en Amérique latine, notamment en Argentine et au Brésil, en 1910, où il est accueilli en héros et multiplie les conférences.
Mais de retour en France, il s'applique à préparer le pays à un nouveau conflit avec l'Allemagne. Contre l'avis de la gauche, il s'oppose à la convention franco-allemande consécutive à l'affaire d'Agadir et plaide pour le rétablissement du service militaire à trois ans au lieu de deux.
En 1913, il fonde un journal L'Homme libre. On peut y lire un article intitulé « Vivre ou mourir » avec cette adresse aux jeunes (lui-même a 72 ans) : « Un jour, au plus beau moment où fleurit l'espérance... tu t'en iras... au-devant de la mort affreuse qui fauchera des vies humaines en un effroyable ouragan de fer. Et voilà qu'à ce moment suprême... ta cause te paraîtra si belle, tu seras si fier de tout donner pour elle que, blessé ou frappé à mort, tu tomberas content ! »
Dès le début de la Grande Guerre, il ne se prive pas de critiquer le gouvernement et l'état-major, l'un et l'autre trop soumis à l'autorité du général Joseph Joffre. Le 7 octobre 1914, son journal L'Homme libre devient L'Homme enchaîné, en guise de protestation contre la censure. Mais lui-même multiplie les visites sur le front, ce qui lui vaut un regain de popularité chez les combattants.
Jusqu'au-boutiste
À l'automne 1917, à un moment crucial de la guerre, son vieux rival le président Raymond Poincaré se résout à l'appeller à la tête du gouvernement, prenant acte de sa détermination à poursuivre la guerre jusqu'à la victoire totale. Georges Clemenceau rassemble alors toutes les énergies du pays en vue de la victoire, ce qui lui vaut un nouveau surnom, « Le Père de la Victoire ». Avec affection, les combattants des tranchées l'appellent plus simplement « Le Vieux ».
Clemenceau, qui veut combattre jusqu'à l'écrasement de l'adversaire, n'hésite pas à poursuivre en justice les partisans d'une paix de compromis, tel Joseph Caillaux. Il torpille aussi les négociations de paix du jeune empereur d'Autriche Charles Ier en publiant ses lettres secrètes échangées avec le quai d'Orsay.
Mais à l'heure de la victoire, il décide, contre l'avis du président Poincaré, de signer l'armistice sans délai, renonçant à pénétrer en Allemagne, voire à gagner Berlin. Scrupule humanitaire ? Ou crainte que les Américains ne volent la victoire aux Français en arrivant les premiers à Berlin ? Les nationalistes allemands tireront plus tard argument de ce que leur territoire n'a pas été envahi pour attribuer la défaite à un « coup de poignard dans le dos » porté par des traîtres, essentiellement juifs.
Après l'armistice, à la signature du traité de paix de Versailles, Clemenceau fait en sorte de punir l'Allemagne pour sa déclaration de guerre et les destructions occasionnées sur le territoire national. Sous la pression des négociateurs anglais et américains, il ne peut empêcher l'éclatement de l'Autriche-Hongrie en une myriade de petits États indéfendables qui se révèleront des proies idéales pour le IIIe Reich hitlérien.
Il doit malgré tout essuyer des critiques de ceux qui lui reprochent d'avoir été trop modéré dans les négociations de paix avec les vaincus et le qualifient ironiquement de « Perd-la-Victoire ».
Retraite active
Immensément populaire, Georges Clemenceau est élu par acclamation à l'Académie française - où il ne siègera jamais - et va rester à la tête du gouvernement jusqu'au 18 janvier 1920. L'attentat manqué d'un jeune anarchiste, Émile Cottin, lui vaut un surcroît de popularité... et une balle dans le poumon, qui ne sera jamais extraite.
Quand ses amis évoquent une possible candidature à la présidence de la République, il ne s'y oppose pas car il pense de la sorte pouvoir veiller à l'application stricte du traité de Versailles, face au laxisme supposé des Anglo-Saxons. Mais comme ni la droite, ni les socialistes et Briand ne veulent de lui, il renonce à présenter sa candidature. Son échec attire ce mot du Premier ministre britannique David Lloyd George : « Cette fois-ci, ce sont les Français qui ont brûlé Jeanne d'Arc ».
Clemenceau laisse la place à Paul Deschanel, qui devra démissionner neuf mois plus tard pour raisons de santé. Il se retire en Vendée, à Saint-Vincent-sur-Jard, dans sa « bicoque » de Bélébat, face à l'océan.
Mais le « Tigre » ne tient pas en place. Avide de voyages à une époque où ceux-ci étaient moins aisés qu'aujourd'hui, il a vécu aux États-Unis puis visité à plusieurs reprises la Grèce de 1896 à 1904. On l'a croisé en Amérique australe.
À l'âge où la plupart des hommes se résignent à la retraite, le voilà qui reprend le bateau pour les antipodes. D'abord dans la vallée du Nil, en Égypte et au Soudan, du 4 février au 21 avril 1920, puis en Asie du 22 septembre 1920 au 21 avril 1921. Il traverse de bout en bout les Indes britanniques et les Indes néerlandaises (Indonésie), de Peshawar à Bali avec une halte aux grottes d'Ajanta (haut lieu du bouddhisme) et un détour par Ceylan !
Au printemps 1921, il rend visite en Angleterre à Churchill et Kipling. À l'automne 1922, il est invité aux États-Unis et acclamé par les foules. Globe-trotter impénitent, Clemenceau ne va toutefois jamais atteindre le Japon en dépit de sa passion pour le bouddhisme et la culture nippone, en phase avec le « japonisme » de son époque...
Dans sa retraite, le vieil homme trouve encore le temps d'écrire. Il rédige Grandeurs et misères d'une victoire pour justifier son intervention au traité de Versailles, et également une biographie de Démosthène, sur une suggestion de sa dernière amie de coeur, Marguerite Baldensperger.
Georges Clemenceau meurt le 24 novembre 1929, dans son appartement parisien. Inhumé dans le parc de la maison familiale de Mouchamps, auprès de son père, il emporte dans la tombe un bouquet de fleurs que lui ont remis des poilus lors d'une visite du front et qui ne l'a jamais quitté.
La passion de Clemenceau pour le Japon et le bouddhisme remonte à ses années d'études, quand il se lia d'amitié avec Saionji Kinmochi, un étudiant japonais qui allait devenir lui aussi le chef du gouvernement de son pays et retrouver Clemenceau à la table de négociations du traité de Versailles, en 1919 !
À défaut de visiter l'Empire du Soleil levant, il se mit à collectionner les coffrets d'encens (kogos). C'est le seul luxe dont il se targuait mais il dût s'en séparer après le scandale de Panama pour rembourser ses dettes...
Clemenceau noua aussi des rapports passionnés avec le milieu artistique. C'est ainsi qu'il se battit en duel avec un énergumène qui avait craché sur l'Olympia de Manet. À la suite de cet exploit, il noua une amitié durable avec le critique d'art Gustave Geoffroy et conserva des rapports étroits avec les artistes de son temps comme Bourdelle ou Rodin.
Il défendit aussi avec la dernière énergie la peinture de son vieil ami Claude Monet, lequel, reconnaissant, offrit les Nymphéas à la République française après la Grande Guerre. Cette série de toiles monumentales bénéficie aujourd'hui d'un écrin lumineux à l'Orangerie des Tuileries (Paris) où elle a été installée officiellement le 17 mai 1927.
Une personnalité explosive
Georges Clemenceau ne fut pas seulement un homme d'État exceptionnel mais aussi une personnalité explosive et caustique, connue pour ses bons mots. Redoutable bretteur et doté d'un grand courage physique, il ne rechignait pas à convoquer sur le pré ses adversaires. Il se battit ainsi en duel, au sabre ou au pistolet, avec Déroulède, Drumont et également le pauvre Deschanel.
Doté d'une plume agile, Clemenceau écrivit des articles sur tous les sujets (à part peut-être la mode). En 1891, dans un discours fameux à la Chambre, il soutint l'interdiction d'une pièce de Victorien Sardou hostile à Robespierre et aux Jacobins,Thermidor, avec cette formule qui fit un choc : « La Révolution est un bloc dont on ne doit rien distraire ». Lui-même se piqua d'écrire une pièce de théâtre, Le Voile du bonheur. Elle fut représentée en 1901 au théâtre de la Renaissance, avec une musique de scène de Gabriel Fauré.
Le « Tigre » nourrissait une grande tendresse pour les femmes, même s'il n'a pas eu autant de liaisons que lui en prête la rumeur. Il savait leur parler comme en témoigne le volumineux recueil de ses Lettres à une amie, adressées dans son grand âge à Marguerite Baldensperger. Mais lui-même est resté toujours discret sur ce chapitre et ne s'est jamais vanté de ses succès féminins. Son biographe Jean-Baptiste Duroselle relève aussi qu'aucune femme, y compris parmi les comédiennes de son entourage, n'a confessé une liaison avec le grand homme, pas même la cantatrice Rose Caron qu'il rencontra dans les années 1900, alors qu'elle approchait de la cinquantaine, et qui fut pour lui une amie dévouée et une conseillère.
En bourgeois de son temps, Clemenceau ne pardonna pas pour autant à son épouse américaine, dont il vivait séparé de fait, une fugace liaison avec le jeune précepteur normalien de ses enfants : après avoir fait suivre l'amant, il conduisit en personne la police dans la chambre d'hôtel où les deux tourtereaux s'étaient réfugiés et permit que l'épouse infidèle fut envoyée en prison. Après quoi, en mars 1892, ayant obtenu le divorce et sans laisser à son ex-femme le temps de rentrer chez elle et voir ses enfants, il la renvoya aux États-Unis avec un billet de troisième classe.
On peut lire bien évidemment de nombreuses biographies sur le « Tigre », dont celle de Jean-Baptiste Duroselle, de loin la plus complète et la plus dense. Michel Winock met l'accent sur la personnalité du Tigre (Perrin, 2007). La biographie de Philippe Erlanger (Grasset, 1968) est sans doute la plus caustique de toutes.
Citons également un ouvrage très richement illustré : Portrait d’un homme libre (Mengès, 2005), par Jean-Noël Jeanneney, dont le grand-père Jules Jeanneney fut un proche collaborateur de Clemenceau et participa à son gouvernement de guerre. Jean-Noël Jeanneney a aussi préfacé la réédition de Grandeurs et misères d'une victoire (Perrin, 2010).
À trois décennies d'écart l'un de l'autre, trois hommes d'exception ont croisé le destin de leur pays respectif, à un moment clé de l'Histoire : Lincoln (1809-1865), qui mena son camp à la victoire dans la guerre de Sécession, Clemenceau (1841-1929) dans la Grande Guerre, Churchill (1874-1965) dans la Seconde Guerre mondiale.
Il est piquant de recenser les fortes similitudes entre le Français et le Britannique...
L'un et l'autre ont témoigné tout au long de leur longue vie d'une énergie hors du commun. Ils ont gagné la notoriété grâce à leurs articles et leurs livres et ont accédé enfin à un rôle historique à l'heure où la plupart des gens avaient déjà pris leur retraite.
• Clemenceau devint ministre à 65 ans et c'est à 76 ans seulement, en 1917, qu'il assuma la charge de chef de guerre qui lui valut la reconnaissance éternelle de ses concitoyens,
• Churchill accéda aux postes ministériels beaucoup plus tôt mais c'est à 66 ans, en 1940, qu'il dut à lui tout seul contenir la furie hitlérienne.
L'un et l'autre ont été appelés à la tête du gouvernement sans avoir été désignés par une majorité parlementaire mais en leur qualité d'« homme providentiel ». Quelques mois décisifs ont suffi à l'un et à l'autre pour gagner une place de premier plan dans l'Histoire, le premier avec le surnom de « Tigre », le second avec celui de « Vieux Lion » (en référence au symbole héraldique de la monarchie anglaise).
• Clemenceau a conduit l'effort de guerre du 17 novembre 1917 au 11 novembre 1918 (Armistice), pendant 12 mois,
• Churchill a maintenu son pays seul en guerre contre Hitler pendant douze mois aussi, du 22 juin 1940 jusqu'au 22 juin 1941, date à laquelle l'URSS a été entraînée à son tour dans la guerre.
Notons également que Clemenceau était un amateur d'art éclairé, avec un bon coup de crayon ; Churchill révéla de réels talents d'artiste-peintre au milieu de sa vie.
Enfin, les mauvais esprits peuvent assez justement appliquer aux deux hommes d'État le mot d'Abel Ferry à propos de Clemenceau suite à l'affaire Czernin (1918) : « Il est le plus capable de nous mettre dans les pires situations, mais le plus capable aussi de nous en tirer. » (note).
Relevons tout de même aussi ce qui les différencie : Clemenceau, issu d'une vieille famille de la bourgeoisie de province, a mené un train de vie honorable et sans ostentation ; Churchill, cadet d'une famille ducale, a mené un train de vie de grand aristocrate - mais avec les revenus de ses livres. Le premier était opposé aux conquêtes coloniales, le second partisan de l'Empire britannique. Enfin, il semble que le premier était beaucoup plus enclin aux aventures féminines que le second.
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Voir les 14 commentaires sur cet article
Jean MUNIER (17-04-2024 13:48:55)
On a reproché à Clémenceau le traité de Trianon très dur envers la Hongrie , continuation de la lutte entre rois de France et Habsbourg. Autre explication ; la monarchie catholique rebutait l'an... Lire la suite
Lionel (13-01-2024 15:38:47)
Merci pour cet article fort documenté. Je souhaite juste préciser qu'Ajanta ne se trouve pas à Ceylan, actuel Sri Lanka. Ajanta se trouve dans l'état indien de Maharastra près d'Auraganad. Ces fa... Lire la suite
Ronan (11-09-2022 15:55:02)
« Le nom de Georges Clemenceau est connu des Hongrois. Il est perçu comme l’ennemi juré de leur nation et le principal responsable de la sévérité du traité de Trianon qui a dépecé la Hong... Lire la suite