Andrew Jackson est le premier président des États-Unis d’extraction modeste. Homme de l'Ouest, avocat autodidacte d'une honnêteté scrupuleuse, il s'apparente par là à Abraham Lincoln, plus jeune d'une génération. Mais c'est aussi un self made man énergique et fonceur, impétueux et même brutal.
Il a 61 ans quand il est élu une première fois à la Maison Blanche en 1828. Il clôt pour de bon l'ère « des bons sentiments » et des patriciens de la côte Est et du Sud. Avec lui, les États-Unis accèdent à la maturité. Principal président entre Jefferson et Lincoln, il a eu l'honneur de figurer sur les billets de vingt dollars.
C'est sous sa présidence qu'Alexis de Tocqueville visite l'Amérique avec son ami Gustave de Beaumont. Il en tire des enseignements mémorables sur la démocratie moderne dans son chef d'œuvre : De la démocratie en Amérique.
Mauvais garçon au grand cœur
Enfant posthume d’un immigrant irlandais, né dans une petite ferme de Caroline du Sud, rebelle aux études et joueur, Andrew Jackson prend part à la guerre d’indépendance dès l’âge de treize ans, aux côtés des Insurgents. Orphelin l'année suivante. Capturé et maltraité par les Anglais, il gardera toute sa vie une solide rancune à leur égard.
Rendu à la vie civile après la guerre, il apprend en deux ans assez de droit pour entrer comme avocat au barreau de Caroline du Nord. Il s'enrichit dans la spéculation foncière et acquiert une propriété à Nashville, L'Hermitage, avec des esclaves comme cela va de soi.
Il prend aussi des cours de bonnes manières pour se faire adopter par la bourgeoisie locale. Mais il a la fâcheuse manie de se battre en duel à la moindre occasion. Ainsi, il tue un homme qui a eu l'impudence d'insulter sa femme Rachel !...
Tenu à l’écart par les notables, il se lance dans la bataille politique, participe à la Convention qui rédige la Constitution du Tennessee et se fait élire représentant (« député ») de ce nouvel État quand il entre dans l'Union en 1796. Il en devient sénateur l'année suivante puis est élu en 1802 général de la milice du même État.
Alors s'affirment ses qualités de chef de guerre. À la tête d’une armée débraillée, il triomphe des Indiens Creeks et s’empare de leur territoire. Il adopte en passant un bébé orphelin pour lequel il s’est pris de pitié.
C’est toutefois la guerre avec l’Angleterre, en 1812, aussi qualifiée de « Seconde guerre d’indépendance », qui lui vaudra la célébrité. Nommé général de l’armée du sud, il engage une guerre de guérilla contre les Tuniques rouges anglaises qui viennent de débarquer à La Nouvelle-Orléans. Avec l’aide du pirate français Jean Laffitte, il parvient à les vaincre et reconquiert La Nouvelle Orléans... alors que la paix vient d’être signée entre les belligérants.
Devenu un héros national, Andrew Jackson se signale une nouvelle fois à l’attention de ses concitoyens en combattant les Indiens. Le 7 mars 1814, assisté de Samuel Houston, futur président du Texas, il assiège à Horseshoe Bend (Alabama) une troupe rebelle d'un millier de Creeks.
Les Creeks survivants rejoignent les Indiens Séminoles mais Jackson et son armée de trois mille hommes les traquent jusqu’en Floride, alors territoire espagnol. Le général triomphe d’eux à Pensacola et établit en 1817 un gouvernement provisoire dans le territoire.
Ainsi les États-Unis se trouvent-ils engagés dans une guerre contre l'Espagne sans l'avoir déclarée ni voulue. L’Espagne, de lassitude, choisi de leur vendre ses territoires à l'Est du Mississipi.
Fort de ses succès et du soutien de l'opinion, Jackson échappe à toute sanction. Au lieu de cela, il est nommé gouverneur du territoire de la Floride. Deux ans plus tard, en 1823, il reprend son siège de sénateur du Tennessee.
Naissance au forceps du Parti démocrate
Le président Monroe ayant annoncé son intention de ne pas se représenter au terme de son deuxième mandat, les républicains-démocrates du Tennessee proposent le 20 juillet 1822 la candidature d'Andrew Jackson aux élections de novembre 1824.
Ce faisant, ils prennent de court les élus de la capitale qui, jusque-là, avaient coutume de désigner eux-mêmes le candidat de leur parti au cours d'une réunion informelle appelée caucus.
Il s'ensuit aussitôt une débauche de candidatures locales face au candidat officiel, le sénateur Henry Clay et à deux membres du cabinet : John C. Calhoun et John Quincy Adams. Ce dernier est le fils du deuxième président des États-Unis John Adams ; il est issu de la bourgeoisie de la Nouvelle-Angleterre.
Andrew Jackson arrive en tête du vote populaire et également du vote des grands électeurs. Mais avec 99 grands électeurs, il est encore loin des 131 voix de la majorité absolue. Du coup, il revient à la Chambre des représentants de désigner le futur président ! Elle fixe son choix sur le notable John Quincy Adams. Henry Clay, homme fort du Sénat, obtient le Secrétariat d'État, première marche vers la présidence suivante.
Indigné par ce « marché corrompu », Jackson démissionne du Sénat et se retire dans sa propriété de L'Hermitage.
Mais ses amis ne renoncent pas. Pour contourner l'hostilité des notables de la côte Est, ils refondent le Parti républicain-démocrate et le rebaptisent Parti démocrate (Democratic party). C'est sous ce nom qu'il est aujourd'hui connu.
De cette époque date aussi la représentation du parti sous l'aspect d'un... âne, en référence à l'entêtement d'Old Hickory (le « Vieux Noyer »), surnom affectueux donné à Jackson (le symbole de l'âne est associé à la couleur bleue).
Quatre ans plus tard, « Andrew Jackson fait campagne contre la capitale en valorisant son statut d'outsider. Les démocrates inventent également de nouvelles méthodes de campagne. Un comité national structure les comités Jackson créés à travers tout le pays. Pour faire connaître leurs idées et mobiliser leurs électeurs, les démocrates multiplient meetings, barbecues, banquets et parades. Ils s'adaptent à l'extension du corps électoral. (...) Jackson est aussi le premier candidat dont l'image apparaît sur des badges de campagne et des assiettes » (note)... C'est qu'il s'agit de toucher des centaines de milliers de citoyens parfois illettrés !
Avec 647 000 votes contre 508 000 pour John Quincy Adams et un total de 178 grands électeurs, Jackson l'emporte très largement sur le président sortant, sixième et dernier président issu de l'aristocratie des planteurs virginiens. Pour la première fois, la participation à l'élection présidentielle dépasse les 50%.
Une nouvelle classe sociale arrive au pouvoir, issue de l'immigration pauvre et ouvrière. Mais cette victoire est chèrement payée. Rachel, la femme du président, s'est vue traîner dans la boue par la presse sous l’accusation de bigamie car, avant de rencontrer Andrew Jackson, elle s'était mariée à un autre homme dans un territoire indien sous tutelle espagnole.
Très affectée, elle meurt six mois plus tard. Son mari, accablé de chagrin et déjà sexagénaire, est alors tenté de démissionner.
Président à poigne
Andrew Jackson s'en prend d'emblée à la corruption qui gangrène l'administration fédérale et destitue près de la moitié des fonctionnaires installés à des postes de responsabilité.
Il inaugure ce faisant le spoils system ou « partage des dépouilles », qui consiste à changer tout ou partie partie du personnel politique après chaque élection. Ce droit de nomination sera restreint aux principales fonctions de l'exécutif par la loi Pendleton, en 1883, suite à l'assassinat du président Garfield par un postulant éconduit.
Jackson s'entoure lui-même d'un petit groupe de conseillers sans titre officiel : le kitchen cabinet ou « gouvernement de la cuisine ».
Fort de son assise électorale, le président engage un bras de fer avec le Congrès. Il oppose son veto à douze lois votées par le Congrès, soit plus que tous ses prédécesseurs.
Il s'abstient aussi de signer les lois en-dehors des sessions du Congrès, ce qui oblige les congressistes à en reprendre l'examen à chaque fois.
Ses opposants dénoncent son emploi abusif du veto tout comme son clientélisme et le surnomment « roi Andrew 1er ». Tocqueville, quant à lui, voit dans sa présidence un renouveau de la démocratie !
Vis-à-vis des Indiens qu'il a combattus dans sa turbulente jeunesse, Jackson ne montre aucune empathie. Un accord tacite qui remontait à l'indépendance laissait toute liberté de mouvement aux Indiens au-delà du Mississipi. Mais des Indiens au nombre d'environ 60 000 persistaient à survivre à l'Est du grand fleuve. Par l'Indian Removal Act du 28 mai 1830 (« Loi de déplacement des Indiens »), le président ordonne le déplacement de ceux-ci vers des territoires au-delà du Mississipi.
Il va s'ensuivre de violentes dissensions à l'intérieur des « nations » indiennes. Les Cherokees, en particulier, se divisent sur l'attitude à tenir. Ceux qui acceptent de quitter leur terres ancestrales à la suite du traité de New Echota (29 décembre 1835) vont connaître un sort effroyable sur le « Chemin des Larmes » (Trail of tears).
Lutte des classes
Pour la première fois, l'économie et la finance entrent dans les prérogatives présidentielles. Fidèle à l'idéal rousseauiste de Jefferson, Jackson défend les droits des États et engage la lutte contre la finance de New York : il s'oppose en particulier à la reconduction de la Seconde Banque des États-Unis, une institution privée qui bénéficie d'un monopole d'État, dans le prolongement de la Banque fédérale fondée par Hamilton en 1791.
Seule banque du pays autorisée à recevoir des fonds fédéraux, la Second Bank symbolise aux yeux des pionniers de l'Ouest la puissance du capitalisme de la côte Est. Considérant qu'elle représente une menace pour la démocratie, le président refuse le renouvellement de sa charte et en retire les fonds fédéraux.
« La Banque essaie de me tuer mais c'est moi qui la tuerait !r » confie Jackson au vice-président Martin Van Buren. Il faudra attendre 1913 pour que le pays se dote d'une Banque centrale, la Réserve fédérale.
Mais dans le même temps, en 1832, Andrew Jackson sévit avec vigueur contre la prétention de la Caroline du Sud à « nullifier » les droits de douane de la fédération qu'elle juge trop élevés. La nullification est une disposition prévue par la Constitution mais jusque-là oubliée qui permet à un État de faire abroger une loi fédérale.
Avec le concours de son rival, le sénateur Henry Clay, surnommé the Great compromiser (le « Grand pacificateur »), Andrew Jackson oblige la Caroline du Sud à s'incliner. Il n'hésite pas à agiter la menace d'une intervention militaire et dirige des navires de guerre vers la capitale de l'État, Charleston. En privé, il menace aussi de pendre le sénateur John C. Calhoun, qui mène l'attaque. La Caroline du Sud et les autres États sudistes repartiront à l'aventure 28 ans plus tard en faisant sécession mais c'est une autre histoire...
Un homme d'influence
Populaire mais honni par la bourgeoisie de Washington et souvent caricaturé, Andrew Jackson devient, le 30 janvier 1835, le premier président victime d'une tentative d'assassinat.
Son agresseur, un déséquilibré, tire sur lui au Capitole mais ses pistolets s'enraient heureusement au moment décisif et le président, pas décontenancé pour un sou, se jette sur lui en brandissant sa canne.
Le président va exercer en définitive deux mandats et quitter la Maison Blanche le 3 mars 1837 aussi pauvre qu’il y est entré. En se retirant, à 69 ans, il propulse sur le devant de la scène son vice-président Martin van Buren. Il lui succède sans difficulté.
Jusqu'à sa mort, dix ans plus tard, Andrew Jackson va continuer de peser sur la vie politique et le parti démocrate. En 1844, après la présidence de John Tyler, soutenu puis lâché par les whigs, l'ancien président arrive à faire élire un démocrate de son État du Tennessee, James K. Polk. C'est la première fois qu'un parti réussit à regagner la Maison Blanche après l'avoir perdue. L'alternance politique entre dans les mœurs.
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pierre (11-11-2016 09:21:55)
Personnellement, j'ai beaucoup d'admiration pour la musique "country", le "blues", le "rock" ... ces musiques étant issues du "melting-pot" de la grande Amérique. Mais mon admiration s'arrête là. ... Lire la suite
Epicure (24-10-2016 16:09:52)
Si on étudie un peu l'Histoire des USA, on voit à quel point sa Réputation de Démocratie est usurpée et toute relative...Par rapport à l'odieuse Europe des Tzars, des Hohenzollern et autres Cou... Lire la suite
Brigitte (12-01-2014 20:55:16)
Et quid de l'Indian Removal Act ?