3 novembre 1903

Le Panamá, un État sur mesure

Le drapeau du PanamaLe 3 novembre 1903, le territoire de Panamá fait sécession d'avec la Colombie.

La création du nouvel État n'a rien d'un mouvement spontané. Elle est téléguidée par le gouvernement américain qui souhaitait avoir les mains libres pour y creuser un canal et faciliter les liaisons maritimes entre l'océan Atlantique et l'océan Pacifique.

Alban Dignat

Un isthme très convoité

La ville de Panamá a été fondée le 15 août 1519 sur le littoral pacifique, à l'endroit le plus étroit de l'isthme américain, par le conquistador espagnol Pedro Arias Dávila.

Grâce à une liaison terrestre avec le port de Colón, sur le littoral atlantique, elle va très vite prospérer comme port de transit pour le trafic entre l'Europe et le Pérou.

Panamá et sa province vont être intégrées par Madrid à la vice-royauté du Pérou jusqu'en 1824. Au moment des indépendances latino-américaines, elles vont revenir à la Colombie.

Le Panama, depuis une fenêtre, vers 1900, Amiral Sir Edward Gennys Fanshawe.

Un enjeu stratégique pour Washington

Le Panamá ayant l'insigne privilège d'être l'endroit le plus étroit de l'isthme qui unit l'Amérique du Nord à l'Amérique du Sud, les conquérants européens ont eu dès le XVIe siècle l'idée d'y percer un canal pour relier l'océan Atlantique à l'océan Pacifique.

L'illustre Ferdinand de Lesseps, auréolé par le succès du canal de Suez, s'y hasarde pour de bon. Mais son projet, mal conçu, sombre dans un gigantesque scandale financier, les Américains relèvent le défi et, pour 40 millions de dollars, rachètent les droits des Français sur le canal.

Depuis leur guerre contre l'Espagne (1898), les États-Unis veulent éviter le contournement de l'Amérique du sud par le détroit de Magellan aux navires qui relient la Californie à la côte Est.

Ils songent d'abord à un canal qui passerait plus au Nord, par le Nicaragua, où l'isthme est plus large qu'à Panamá mais n'est pas traversé par une chaîne de montagnes. Finalement, ils se rallient au principe d'un canal à écluses à travers Panamá, selon la conception de l'ingénieur français Philippe Bunau-Varilla.

Malentendu colombien

Approché par Washington, le gouvernement de la Colombie, qui exerce sa souveraineté sur le territoire panaméen, voit dans un premier temps le projet d'un bon oeil. Il est vrai que les Américains lui promettent une confortable indemnité en échange de la concession d'une bande de terrain pour une durée de cent ans.

Mais le pays sort à ce moment-là d'une terrible guerre civile, la « guerre des Mille Jours ». Dans la confusion politique qui règne à Bogotá, les parlementaires colombiens refusent au dernier moment d'aliéner leur souveraineté et s'opposent au traité.

C'est un coup dur pour la bourgeoisie de Panamá, qui plaçait beaucoup d'espoirs dans cette opportunité. Elle craint que les États-Unis ne se rabattent sur le projet alternatif du Nicaragua.

Les Panaméens, traditionnellement hostiles à l'administration colombienne, lointaine, tatillonne et inefficace, commencent à songer à la sécession. Le gouvernement du président Theodore Roosevelt les y encourage et, lorsqu'elle survient enfin, il envoie des vaisseaux de guerre devant les villes de Colón et Panamá pour dissuader l'armée colombienne d'intervenir.

Trois jours après la proclamation de l'indépendance, les États-Unis reconnaissent le nouveau pays. Ils signent un traité pour la construction du canal dès le 18 novembre 1903. Il prévoit la cession à perpétuité aux États-Unis d'une bande de 10 miles de large (16 kilomètres) en échange de 10 millions de dollars (une broutille). Ces conditions léonines sont le reflet de la politique impérialiste et volontiers brutale des États-Unis de ce début du siècle, sous la présidence de Theodore Roosevelt, apôtre de la politique du « gros bâton » (« big stick » en anglais).

En 1909, les États-Unis proposent un dédommagement à la Colombie mais celle-ci refuse. Elle se ravise enfin en 1922 et reçoit 25 millions de dollars ainsi que les « regrets sincères » de Washington. 

Panama, capitale de l'État du même nom

Paradis perdu

Vaste de 75 000 km2 avec de magnifiques parcs naturels, la république de Panamá compte moins de 4 millions d'habitants (2015) de langue espagnole et très métissés, dont un million dans la capitale, Panamá, sur l'océan Pacifique, à l'entrée du canal. 

Les habitants bénéficient de conditions de vie appréciables par rapport au reste de la région. Mais leurs revenus dépendent étroitement des péages liés au canal et au pavillon de complaisance de la zone franche de Colon, ainsi que des revenus illicites du trafic de drogue et des activités bancaires.

Le général dictateur Manuel Noriega, ancien agent de la CIA, très lié aux narcotrafiquants, a été renversé en juin 1989 par l'armée américaine, Washington n'ayant jamais cessé d'avoir le pays à l'oeil.

Le secret bancaire a été quant à lui sévèrement écorné par la fuite massive de données confidentielles (« Panama papers ») de mars 2016. Cette fuite organisée par une institution américaine a mis en cause des sommités et des dirigeants de toute la planète, à l'exception remarquable des États-Unis, preuve que le gouvernement de Washington contrôle encore très bien les réseaux panaméens.

Publié ou mis à jour le : 2023-10-30 15:12:10

Voir les 4 commentaires sur cet article

Gallet (03-11-2021 16:00:41)

Les "regrets sincères" de Washington font écho aux "regrets sincères" de Joe Biden au sujet des sous-marins australiens....

pierre (18-04-2016 10:16:39)

Au Mexique, les gens disent, paraît-il, "si près des Etats-Unis et si loin de Dieu". Tout un programme. La plupart des rafiots ou "bateaux-poubelles" qui s'échouent sur les côtes, commettant souve... Lire la suite

jpdaumalle (09-11-2014 19:54:45)

le commentaire de George est très pertinent ,et je pense applicable à toutes les démocraties,au gré des circonstances
"Il y a de coupe aux lèvres"

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