Du 1er au 4 mars 2023, le président français Emmanuel Macron a effectué une tournée en Afrique centrale pour tenter de renouer le contact entre l’Afrique et la France. Mal préparée par l’Élysée et le Quai d’Orsay, la tournée en Afrique du président Macron s’est soldée par de sévères embardées, pour ne pas dire plus, en particulier lors de l’étape à Kinshasa...
Le président de la République française l’a assuré à Libreville (Gabon), le 2 mars : « l’âge de la Françafrique est bien révolu ! » Ce concept a été évoqué par Félix Houphouët-Boigny dans les années 1950 pour encenser l’œuvre de la République française en Afrique. Il a été détourné de son sens en 1984 par le journaliste François-Xavier Verschave pour désigner le système d’influence par lequel se maintenaient en Afrique francophone des autocrates corrompus avec la complicité de la classe politique parisienne ainsi que des services secrets français.
Que reste-t-il de la Françafrique ?
Au sommet africain de la Baule, en juin 1989, le président François Mitterrand a prétendu une première fois mettre fin à ce système d’influence hérité du général de Gaulle et de son conseiller aux Affaires africaines Jacques Foccart.
Mais dans le même élan, il s’est inscrit dans la lignée de tous les dirigeants de la gauche républicaine depuis Jules Ferry en prétendant faire le bien des Africains et les « civiliser » (citation), qu’ils le veuillent ou pas. Ainsi déclara-t-il à ses hôtes : « La France liera tout son effort de contribution aux efforts qui seront accomplis pour aller vers plus de liberté »…
En foi de quoi, l’armée française va aider le président du Rwanda Habyarimana quand son pays sera envahi par les rebelles tutsis du FTP en septembre 1990. Et beaucoup plus tard, en janvier 2013, le président François Hollande enverra un corps expéditionnaire au secours du Mali.
En matière de coopération économique, l'AFD (Agence Française de Développement), issue en 1998 de la Caisse Centrale de la France Libre créée en 1941 par le général de Gaulle, va assortir ses prêts (14 milliards d’euros dont 2,9 milliards pour l’Afrique subsaharienne en 2020) de conditions spécifiques en matière de respect des droits humains, de lutte contre la corruption et d'impact environnemental !
Cette démarche va s’avérer contre-productive face à des rivaux comme la Chine, la Russie ou même les États-Unis qui n’affichent pas les mêmes exigences morales.
Aujourd’hui, de fait, l’Afrique subsaharienne compte pour presque rien dans le commerce extérieur de la France (2,2% des exportations françaises et 1,5% des importations françaises en 2022), de même que la France dans les investissements et le commerce en Afrique (la France détient 7,35% du marché global africain, loin derrière la Chine : 27,75%). Pas plus l’uranium du Niger que le pétrole du Gabon et de l’Angola ne représentent pour la France un enjeu stratégique, des alternatives étant aisément accessibles partout ailleurs dans le monde.
Que reste-t-il de la France en Afrique ?
Tout ce qui reste des époques coloniale et gaullienne en Afrique tient en trois points : les bases militaires, la monnaie commune et la langue française.
Le 27 février 2023, au palais de l’Élysée, le président Macron a assuré que l’Afrique ne devait plus être un « pré carré » et annoncé une prochaine « diminution visible » des effectifs militaires français sur le continent.
Se posant en protecteur bienveillant de ses anciennes colonies, le général de Gaulle a veillé à maintenir une présence militaire en Afrique pour prêter mainforte aux nouveaux États… et veiller à la sécurité de leurs dirigeants.
La force française la plus importante, stationnée à Djibouti, compte 1450 hommes mais est destinée à se projeter dans l’océan Indien bien plus que sur le continent. Pour le reste, la Côte d’Ivoire accueille encore 900 soldats, le Gabon et le Sénégal, 350 chacun. Les soldats anciennement stationnés à Bouar, en Centrafrique, ont dû céder la place aux mercenaires de la milice russe Wagner de même que les contingents de l’opération Barkhane engagés au Mali.
L’opération Serval a été lancée à grand tintamarre en 2013 pour stopper la descente d’une troupe de djihadistes sur Bamako. Après quoi, sous le nom de Barkhane, elle s’est donnée pour mission de sécuriser les cinq millions de km2 du Sahel avec 4000 hommes. 58 d’entre eux ont perdu la vie avant que soit mis fin à l’opération en 2022.
La justification donnée par le président Hollande et son ministre des Armées Jean-Yves Le Drian était de protéger l’Europe contre une poussée islamiste... Comme si l’Europe, séparée du Sahel par la Méditerranée et les trois grands États du Maghreb, Maroc, Algérie, Tunisie, eux-mêmes dotés de solides armées, pouvait craindre quoi que ce soit des bandes de pillards et de rebelles qui sillonnent la savane !
Barkhane mise à part, il reste donc trois bases en Afrique avec moins de deux mille soldats. Les opinions publiques africaines attendent avec impatience leur retrait d’autant que leur utilité reste à démontrer. Toutefois, il est vain d’espérer la fermeture de ces bases car les militaires français, qui y trouvent beaucoup d’avantages personnels (soldes, etc.) s’y opposent avec force, selon le journaliste Jean-Dominique Merchet (source).
Sans doute le président, adepte du double langage, convertira-t-il les militaires en instructeurs et conseillers, au risque de donner prise à l’ire des jeunesses africaines, excitées par la propagande russe, chinoise, américaine ou autre.
Le 20 mai 2022, la France a entériné la fin du franc CFA, issu du franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA) et son remplacement par l’éco, du moins en Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo). L’Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée Equatoriale et Tchad) continuera de l’utiliser. Le ministre français des Finances et le gouverneur de la Banque de France se retirent du conseil de direction de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et cette dernière, en charge de la nouvelle monnaie, ne devra plus déposer la moitié de ses réserves de change auprès du Trésor français, ce qui qui était perçu comme humiliant.
Très bien, mais ainsi que le rappelle le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, « le rôle de la France évolue pour devenir celui d’un strict garant financier de la zone ». En clair, l’essentiel demeure, à savoir que le taux de change de l’éco et du franc CFA reste aligné sur l’euro européen.
Si la balance commerciale des pays africains vient à trop se creuser, c’est le Trésor français qui devra combler le déficit pour soutenir le cours de la monnaie. Pour quel bénéfice ? Une monnaie surévaluée qui préserve la cagnotte des dirigeants africains mais ne permet pas aux producteurs de soutenir la concurrence internationale. C’est ainsi que les petits paysans doivent renoncer à vendre aux citadins leur farine, leurs poulets ou leur lait, trop peu concurrentiels face aux produits d’importation. Ceux-ci sont qui plus est souvent subventionnés par l’Union européenne quand ils ne sont pas offerts par des ONG.
La langue française est le legs le plus notable de la France coloniale à l’Afrique. Qui le sait ? Le plus grand pays francophone du monde est aujourd’hui la République démocratique du Congo (RDC, ex-Zaïre, ex-Congo belge), avec cent millions d’habitants, et la plus grande métropole de langue française est sa capitale Kinshasa (20 millions d’habitants).
Du fait de la croissance démographique encore très forte de l’Afrique subsaharienne francophone, les locuteurs de notre langue devraient plus que doubler en nombre d’ici 2050, passant de 300 millions à 750 millions environ, soit de 3% à 8% de la population mondiale.
Mais il ne s’agit pas qu’une mauvaise politique vienne gâcher la fête. En 2009, très remonté contre la France, le président du Rwanda Paul Kagamé a obtenu l’admission de son pays dans le Commonwealth britannique et érigé l’anglais en langue officielle de son pays au côté du français (pour le moment).
Plus gravement, le 25 juin 2022, le Togo et le Gabon ont obtenu leur admission dans le Commonwealth britannique avec le soutien actif du président rwandais. Ils n’ont toutefois pas encore basculé vers l’anglais.
Leur choix à venir dépendra pour beaucoup de la classe dirigeante français. Si celle-ci s’obstine à semer des mots anglais partout et à valoriser l’apprentissage et l’usage de l’anglais international (global english) au détriment de notre langue maternelle, y compris dans l’enseignement supérieur, il deviendra de plus en plus difficile de convaincre nos amis africains de rester fidèles à celle-ci !
Notons que la désignation en 2018 d’une Rwandaise, Louise Mushikiwabo, à la direction de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) n’a rien fait pour renforcer la cohésion avec les autres dirigeants africains, rivaux du président rwandais.
Que reste-t-il de la France en Afrique ?
Après son discours à l’Élysée, le 27 février 2023, en prélude à sa tournée africaine, le président Macron s’est rendu le lendemain 1er mars à Libreville, au Gabon (deux millions d’habitants sur 270 000 km2) où se tenait le One Forest Summit (en anglais dans le texte !).
Le surlendemain, il s’est rendu à Luanda, capitale de l’Angola (35 millions d’habitants sur 1,2 millions de km2). Cette ancienne colonie portugaise a d’immenses ressources naturelles inexploitées du fait de l’incurie politique mais dispose de gisements pétroliers offshores qui ont fait d’elle le premier producteur africain devant le Nigeria !
Après un passage à Brazzaville, au Congo-Brazzaville (6 millions d’habitants sur 342 000 km2), il a traversé le fleuve pour se rendre en face à Kinshasa.
Dans cette métropole plus turbulente qu’aucune autre, il a rencontré le président Félix Tshisekedi au cours d’une conférence d’une heure, qui témoigne de tous les malentendus entre la France et l’Afrique ! Dans la vidéo ci-dessous, nous recommandons en particulier les passages à la 30e et à la 44e minutes qui montrent un affrontement à fleurets mouchetés entre les deux hommes. Le vainqueur n'est pas celui que l'on croit (ou espère)...
L'entretien illustre l'embarras du président français. Il s'emploie à ne jamais citer le nom du pays voisin, le Rwanda, craignant plus que tout de mécontenter le président Kagamé, déjà très irrité par l'accusation (fondée) d'avoir été à l'origine du génocide de ses compatriotes tutsis en abattant l'avion de son prédécesseur, le président-dictateur Habyarimana.
Après le génocide de 1994, Paul Kagamé a repris en main le Rwanda et s'est aussitôt lancé à la poursuite des soldats hutus à l'origine du génocide. Comme ceux-ci se sont réfugiés en RDC, dans la province du Kivu et autour de la ville de Goma, il en a profité pour envahir la région et piller ses ressources minérales (or, diamant, etc. etc.). Il s'en est suivi une « guerre des Grands Lacs » ou « guerre du Kivu » qui a fait des millions de morts et des millions de déplacés.
Après un semblant de cessez-le-feu avec Kinshasa le 23 mars 2009, des rebelles congolais sont repartis en guerre contre l'armée de leur pays, avec le concours actif du président rwandais, désireux de garder la main sur les richesses minérales de la région. Rien qu'en 2022, les organisations internationales assurent qu'un million de personnes auraient été déplacées à Goma et dans les environs, sans que l'on connaisse le nombre de morts. Il est vrai que cette guerre, très certainement la guerre la plus meurtrière depuis la chute du nazisme, se déroule loin des caméras, loin de l'Europe... et loin de l'Ukraine.
Qui se soucie en Occident de diaboliser Paul Kagamé, pourtant coupable d'une agression caractérisée encore plus brutale que celle de l'Ukraine par Vladimir Poutine ? Ce deux-poids-deux mesures explique selon François Gaulme, chercheur à l'IFRI (Institut français des relations internationales) pourquoi une trentaine de pays africains ont refusé à l'ONU de condamner l'agression russe ainsi que de s'associer aux sanctions contre Moscou.
Emmanuel Macron, poussé dans ses retranchements, se défend en signifiant à Félix Tshisekedi que lui-même et sa classe politique portent une grande part dans les malheurs de leur pays par leur incurie ! Le reproche ne manque pas de sel, venant d'un chef d'État qui n'en finit pas de mettre son pays et ses institutions en tension (taxes sur le diesel, retraites,...).
Félix Tshisekedi relève la critique : « Ca aussi, ça doit changer dans la manière de coopérer avec la France et l'Europe. Regardez-nous autrement, en nous respectant, en nous considérant comme de vrais partenaires et non pas toujours avec un regard paternaliste, avec l'idée de toujours savoir ce qu'il faut pour nous ».
Embarras du président Macron qui s'en sort par une pirouette en signifiant que la presse française, elle, ne se prive pas de dénoncer ses gouvernants coupables de malversations. Et de citer de façon quelque peu discourtoise son prédécesseur Jacques Chirac !
E. Macron : « Quand un ou une journaliste pose une question, ce n'est pas le gouvernement de la France... ».
À quoi son interlocuteur réplique : « Je faisais allusion aux propos de Le Drian. Lui, c'est un officiel. Et le compromis à l'africaine, c'est Le Drian, ce n'est pas la journaliste... ».
E. Macron : « Cette formule, président, on sait d'où elle est sortie... et il n'y avait pas de mépris dans la formule de Le Drian ».
F. Tshisekedi, passant au tutoiement : « Si, si, si. À Nairobi, d'ailleurs, grâce à toi, on a pu s'expliquer avec lui... ».
Tous les malentendus de la relation franco-africaine sont contenus dans cet échange. Rien n'est heureusement définitif. Le chercheur François Gaulme rappelle que les opinions africaines sont versatiles comme le montre la rapidité avec laquelle la jeunesse de Bamako a conspué les Français après les avoir encensés. Encore faut-il que les diplomates reprennent la main et s'appliquent à instaurer des partenariats pragmatiques au lieu d'un bienveillant paternalisme.
Le 2 mars 2023, après que le président Macron eut déclaré que sa relation avec le roi du Maroc Mohammed VI était « amicale », l'entourage du roi avait sèchement publié un communiqué rappelant que « nos relations ne sont ni bonnes ni amicales », un camouflet dont la violence surpasse le tutoiement du président congolais Tshisekedi.
Dans les deux cas, c'est le résultat d'un même désastre diplomatique de la part de l'exécutif français qui réussit le tour de force de se brouiller avec deux grands pays a priori bienveillants à l'égard de la France, le Maroc et la RDC (Congo) sans pour autant se réconcilier avec leurs deux grands ennemis qui sont aussi des adversaires de toujours de la France, l'Algérie du FLN et le Rwanda de Kagamé.
Le Maroc est engagé au Sahara dans un conflit frontalier sévère avec son voisin l'Algérie depuis plusieurs décennies, de même que le Congo avec le Rwanda dans la province du Kivu. Pas plus que le président congolais, le roi du Maroc ne supporte la déférence de l'exécutif français envers leur ennemi. De leur côté, les gouvernants algériens et rwandais voient dans ces démonstrations de faiblesse sans cesse réitérées depuis Nicolas Sarkozy (repentance, excuses, etc.) un encouragement à persister dans leurs admonestations à l'égard de Paris. Difficile de faire pire...
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