Ce mardi 15 octobre 2024, la maire de Paris Anne Hidalgo a solennellement changé le nom de l’avenue Bugeaud, au cœur des « beaux quartiers » de Paris, pour celui d’Hubert Germain.
Nul doute que les citoyens français communieront avec elle dans l'intérêt de « décoloniser l’espace public » mais la situation politique et financière de la France et de Paris ne réclame-t-elle pas d'autres formes de mobilisation ?...
Sur les plaques de cette belle avenue du XVIe arrondissement, le dernier Compagnon de l’Ordre de la Libération, mort à 101 ans le 12 octobre 2021, remplace le maréchal Thomas Bugeaud (1784-1849). Il fut lui aussi un militaire glorieux mais eut le tort de remplir ses missions avec une excessive brutalité, aux antipodes de la chanson enfantine qu'évoque son nom (« As-tu vu la casquette, la casquette, / As-tu vu la casquette au père Bugeaud ? »).
Le combat d'Anne Hidalgo pour la « décolonisation de l’espace public » est légitime dès lors qu'il reste mesuré. Mais en cette année 2024 cruciale pour la France et l'Europe, n'y a-t-il pas d'autres priorités que d'attiser les braises mal éteintes du wokisme ou cancel culture, cette « culture de l’annulation » empruntée à la gauche étasunienne ? Devons-nous aussi encourager nos ex-partenaires africains qui, comme au Niger, ont entrepris de déboulonner les plaques de rues au nom du général de Gaulle (source) ? Aux États-Unis, la candidate démocrate Kamala Harris a déjà sifflé la fin de la récréation et amorcé le retour à une approche apaisée de l’Histoire. C'est la raison même.
Qui mérite encore d'être honoré ?
Après le saccage de la statue de Schoelcher à Saint-Pierre (Martinique) et le déboulonnage de celle de Mahé de la Bourdonnais à Saint-Denis (La Réunion), après Bugeaud, demandons-nous où pourrait conduire l'« épuration » des plaques de rues et des statues, fussent-elles inscrites dans le paysage depuis un siècle ou davantage.
Si Bugeaud peut être considéré avec raison comme une brute, que dire alors de celui auquel il eut à obéir ? Hâtons-nous de débaptiser les avenues Thiers qui déshonorent la quasi-totalité de nos villes en honorant l'« assassin de la rue Transnonain », le massacreur des canuts de Lyon et de la Commune et le ministre qui a envoyé Bugeaud en Algérie avec mission de soumettre le pays quoi qu'il en coûte !...
Tant que nous y sommes, cessons de tergiverser sur Colbert, inspirateur du Code noir, dont la statue trône devant le Palais Bourbon, siège de l'Assemblée nationale. Mettons à l'Index les oeuvres de Voltaire, raciste invétéré, comme de son rival Rousseau, qui commit le crime d'abandonner ses cinq enfants, et de leur aîné Montesquieu, qui spécula éhontément sur la traite des esclaves. Débaptisons les avenues à leur nom et pour ne rien oublier, débaptisons aussi les avenues et les places au nom de Washington et Jefferson, propriétaires de grandes plantations esclavagistes en Virginie.
Finissons-en avec les avenues Jules Ferry et les écoles du même nom. On ne saurait continuer à entretenir le souvenir d'un fervent républicain de gauche, athée et franc-maçon qui eut le front de vouloir convertir les petits paysans français et les petits Africains et Indochinois aux « valeurs universelles » portées par la République française. Si certains militaires de la IIIe République ont pu commettre des atrocités dans les guerres coloniales, ce fut en appliquant les ordres qu'ils avaient reçus de son ministère.
Ne faudrait-il pas aussi réexaminer le cas du général de Gaulle, dont l'attitude à l'égard des harkis algériens fut assez largement dépourvue d'aménité ? Et que penser de François Mitterrand, champion toutes catégories de la guillotine (note) ?...
Restera à trouver des noms de remplacement pour tous ces vils personnages de l'Histoire de France. Difficile d'identifier dans la gauche française de « belles âmes » défuntes qui ne furent pas peu ou prou colonialistes, antisémites, racistes, sexistes ou pétainistes. Quant à la droite, n'y pensons pas... Évitons le clergé pour ne pas connaître les déconvenues de l'abbé Pierre.
Gardons à distance les artistes connus pour violenter les femmes... À ce propos, ne serait-il pas temps de fermer le musée Picasso ? Et les écrivains, tous de mauvaises moeurs. Pour nous en tenir aux auteurs inscrits au programme du bac de français, citons Rimbaud avec ses trafics d’armes et d'esclaves, Baudelaire avec sa célébration des drogues ou l’attitude ambigüe de Colette pendant l'Occupation !... Impossible donc d'apposer sur les plaques de rues le nom d'une personnalité sans tache (à part nous-mêmes bien sûr). Restent les noms de fleurs...
On le voit : revisiter l'Histoire plusieurs décennies après les faits revient à l'« annuler » ! Mieux vaudrait l'enseigner correctement afin qu'aucun député de la République ne puisse un jour dire avec suffisance comme Sébastien Delogu (LFI) : « Pétain ? Connais pas ! »
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Voir les 29 commentaires sur cet article
GrandPa45 (31-10-2024 19:31:22)
Le souci que j'ai c'est lorsque je vais arttriver dans une ville où on aura débaptisé et rebaptisé la moitié des noms de rue. Si j'ai un ancien plan ou un vieux GPS, je ne vais pas savoir me rép... Lire la suite
THOMAS (23-10-2024 17:31:57)
JDD 19/10/24 : Une association algérienne dépose plainte contre le maire de Lyon, Grégory Doucet, pour « apologie de crimes de guerre et crimes contre l’humanité ». Le collectif dénonce le re... Lire la suite
greg cook (17-10-2024 19:23:31)
Quel bonheur d' apprendre que le mot "wokisme" n'existe pas en pur français et qu'il faut recourir à l'anglais pour évoquer cette forme de révisionnisme.