La Normandie

Celtes et Saxons précèdent les Normands

Héritière de l’ancienne province romaine de Lyonnaise II, la Normandie fut fondée en 911 par un chef viking et joua trois siècles durant un rôle majeur sur la scène européenne.

De leurs ancêtres Vikings, les Normands ont conservé l’esprit d’aventure qui les poussa à traverser la Manche et s’emparer de l’Angleterre mais aussi à fonder un royaume en Sicile et plus tard à explorer le Nouveau Monde.

Ils représentèrent pour les rois de France un péril mortel jusqu’au moment où Philippe Auguste réussit à les soumettre. La Normandie rentra alors dans le rang tout en conservant son génie propre. Elle a donné à la langue française quelques-uns de ses meilleurs représentants et contribue encore puissamment à l’identité nationale...

Stéphane William Gondoin

Saint-Céneri-le-Gérei, l'un des plus beaux villages de France, au sud-ouest d'Alençon. En agrandissement, le Nez de Jobourg dans la Hague.

Une terre façonnée par les hommes

100 cles d'histoires et legendes de Normandie, Stéphane William Gondoin, Éditions des Falaises, 2022.Bordée par la Manche, avec son littoral de 600 km tourné vers l’Angleterre, l’actuelle région Normandie se situe à cheval sur le Bassin parisien et le Massif armoricain. À l’Est, on découvre des plaines ondulantes, traversées par la Seine qui y dessine d’amples méandres souvent couverts de forêts ; en descendant vers le Sud-Ouest, le bocage remplace les champs ouverts et les reliefs s’accentuent pour culminer à plus de 400 mètres près d’Alençon ; à l’Ouest enfin, avec ses marécages et son bocage, le Cotentin aux côtes déchirées regarde vers les espaces infinis de l’Atlantique.
Peuplée depuis 7 000 ans, la Normandie a accumulé un patrimoine historique exceptionnel, fruit d’une série de rencontres entre différents peuples. Celtes, Romains, Vikings... Tous ont laissé un héritage qui a façonné au fil des siècles des paysages immortalisés par les impressionnistes.
Esprits et légendes hantent-ils les bocages normands ? Vous le saurez en découvrant les contes et légendes de Normandie répertoriés dans l'ouvrage de Stéphane William Gondoin, 100 clés d'histoires et légendes de Normandie (Éditions des Falaises, 2022). Nimbés de mystère et de merveilleux, ils vous plongeront dans une dimension inconnue… et pourtant si proche !

La Préhistoire

Il y a environ 12 000 ans, à la fin de la dernière glaciation, nous devons imaginer en lieu et place des verts pâturages un paysage de toundra parcouru par de grands troupeaux de rennes ou de mammouths. La Manche n’existe pas en tant que mer, le niveau des océans se trouvant une centaine de mètres plus bas que de nos jours.

Haches en pierre polie du Néolithique. Musée de la Hougue-Bie, Jersey. (© SWG)Au fond du bassin coule vers l’Atlantique le paléo-fleuve Manche, où se jettent des paléo-rivières comme la Seine, la Somme ou la Tamise. Le réchauffement climatique global fait remonter lentement les eaux : entre -10000 et -6000, la Manche se remplit, séparant la Grande-Bretagne du continent et isolant les îles Anglo-Normandes, pendant que le sol se couvre d’un manteau forestier.

Après le temps des chasseurs-cueilleurs nomades du Paléolithique, les bouleversements du Néolithique arrivent sous ces latitudes il y a environ 7000 ans et les hommes se sédentarisent. Des fermes isolées et des villages apparaissent, parfois cernés de fossés et de remparts de terre.

La Normandie n’est certes pas la Bretagne, mais on y recense tout de même quelques superbes mégalithes, comme l’allée couverte des Roques (Manche), les tumulus de Colombiers-sur-Seulles (Calvados), de la Hougue-Bie (Jersey) ou du Déhus (Guernesey).

Tumulus de la Hougue-Bie, Jersey. (© SWG) En agrandissement, le tumulus de Colombiers-sur-Seulles, dans le Calvados. (© SWG)

La Protohistoire, du bronze au fer

Les deux grands musées normands d’Histoire : musée des Antiquités de Rouen et musée de Normandie de Caen, regorgent de pièces remontant à l’âge du bronze (-2300/-800), haches à talon, épées, casques, parures et toutes sortes d’artefacts.

L?un des neuf casques en bronze découverts à Bernières-d?Ailly, qui remontent au bronze final. Celui-ci est exposé au musée de Normandie de Caen. (© SWG)Les dernières recherches archéologiques et palynologiques ont démontré que durant cette période, les paysages s’anthropisent : les fermes se multiplient et la forêt recule au profit du bocage ; les échanges se développent à grande échelle avec les îles britanniques.

Entre -1200 et -800, de profonds bouleversements affectent ce petit monde : on assiste à des regroupements d’habitats, retranchés au sommet d’éperons naturels (Exmes dans l’Orne, Carteret dans la Manche… ), ou derrière des remparts protégeant de vastes zones, tels le célèbre Hague Dike fermant la presqu’île de la Hague (3 500 ha) ou le fossé Saint-Philibert barrant la presqu’île de Jumièges (1 300 ha). Cela témoigne d’une insécurité croissante sur fond d’émergence d’une aristocratie guerrière.

La maîtrise du travail du fer, à compter de -800, correspond avec les premières vagues de migrations celtiques (culture dite « de Halstatt »). Au Ier siècle av.-J.-C., à la veille de l’arrivée des légions romaines, une dizaine de peuples se partagent l’ensemble du territoire et chacun d’entre eux possède un ou plusieurs oppida, c’est-à-dire des places fortes.

Torque en or du bronze final, relevé dans un filet de pêche au large de Fécamp. Il démontre le talent des orfèvres mille ans avant notre ère. Musée Les Pêcheries, Fécamp. (© SWG)Là encore, il ne faut pas s’imaginer une Normandie « forestière », à l’image de cette « Gaule chevelue » que décrivaient ingénument les livres d’école de la IIIe République, mais plutôt couverte d’un bocage au maillage dense. Si l’on en croit Jules César, elle est alors traversée par la frontière, qu’il fixe à la Seine et à la Marne, séparant les « Gaulois » des « Belges », ces derniers appartenant à la vague de migration celtique la plus récente.

En 57 av. J.-C., les Calètes (occupants du pays de Caux, des Belges) et les Véliocasses (sans doute aussi des Belges, Rouen et Vexin), participent à une coalition s’opposant aux Romains emmenée par les Bellovaques (Oise actuelle). Les Aulerques Éburovices (région d’Évreux) et les Lexoviens (pays d’Auge) s’unissent quant à eux aux Unelles (Cotentin) et sont soumis en 56 av. J.-C. par le légat Quintus Titurius Sabinus.

Ces cinq peuples participent aussi à la grande coalition de 52 av. J.-C., visant en vain à briser le siège d’Alésia. Notons enfin que l’énorme trésor de Grouville, mis au jour à Jersey en 2012, apparemment enfoui entre -50 et -30, comprend surtout des monnaies frappées chez les Coriosolites (Côtes-d’Armor) : les îles Anglo-Normandes semblent donc à cette époque dans l’orbite des tribus armoricaines, plutôt que dans celle des Unelles.

Trésor de Grouville. Enfoui au Ier siècle av. J.-C., il est essentiellement composé de monnaies frappées par les Coriosolites. On y a aussi trouvé des objets en or. Il a fallu plusieurs années d?un travail méticuleux, réalisé par le professeur Neil Mahrer et son équipe, pour dégager, nettoyer et étudier chaque élément. (© SWG)

La « Normandie » gallo-romaine

Après une ultime année de convulsions (51 av. J.-C.) auxquelles contribuent à nouveau les Véliocasses, les Calètes et les Aulerques Éburovices, la Gaule change de visage et de civilisation.

Les Romains mettent sur pied une organisation administrative par cités, correspondant à l’assise territoriale de chaque peuple, avec une ville principale faisant office de capitale locale, de place commerciale et de relais de pouvoir. Ce sont les prémices de nos départements et de nos préfectures.

La « Normandie » à l?époque gallo-romaine, avec la répartition géographique des peuples et les villes principales. (© SWG)

Les Véliocasses fondent ainsi Rotomagus (Rouen), les Calètes Iuliobona (Lillebonne), les Aulerques Éburovices Mediolanum (Évreux), les Lexoviens Noviomagus (Lisieux), les Baïocasses Augustodurum (Bayeux), les Unelles Crociatonum (mal localisée, peut-être Carentan ou Valognes). Quant aux Sagiens, aux Viducasses et aux Abrincatres, que nous n’avons par encore mentionnés, ils bâtissent respectivement Nudionnum (Sées, dans l’Orne), Araegenua (Vieux-la-Romaine, au sud-est de Caen) et Legedia (Avranches). Remarquons que la plupart des agglomérations prendront par la suite le nom du peuple fondateur.

Vestiges du théâtre antique de Lillebone (détail). En agrandissement, vue aérienne du théâtre.Chacune d’entre elles possède ses grands édifices publics, thermes, forum, arène et autres temples, où l’on rivalise d’audace architecturale. Peu de bâtiments notables nous sont toutefois parvenus dans un bon état de conservation, à l’exception du théâtre de Lillebonne, considéré comme l’un des mieux préservés du nord de la France. À noter également l’existence de sites archéologiques majeurs à Gisacum (Vieil-Évreux, Eure) et Vieux-la-Romaine.

Site extérieur de Gisacum. L'agrandissement montre la statue de Jupiter Stator (bronze) trouvée sur le site de Gisacum en 1840, Ier siècle, musée d'Evreux.

La Lyonnaise II, ancêtre de la Normandie

Toutes ces cités appartiennent à l’énorme province de Lyonnaise, avec Lugdunum (Lyon) pour capitale.

Mur d?enceinte et chaussée romaine d?Évreux, IIIe siècle, musée d'Évreux.Mais sous l'Antiquité tardive, après les raids germaniques des années 275-277, au cours desquelles soixante villes sont ravagées dans les Gaules, l’insécurité oblige les agglomérations qui en ont les moyens à enfermer leur centre-ville derrière une enceinte urbaine. Seule Évreux en conserve de nos jours des vestiges significatifs.

Au commencement du IVe siècle, les réformes administratives de Dioclétien conduisent à la formation d’une Lyonnaise II, avec Rouen pour capitale. Lillebonne et Vieux perdent leur statut, respectivement au profit de Rouen et de Bayeux.

Revers d'un quart de statère des Unelles. Département des Monnaies, médailles et antiques, Paris, BnF.Seules sept cités subsistent désormais autour de Rouen (Véliocasses et Calètes), d’Évreux, de Lisieux, de Sées (ou d’Exmes pendant un ou deux siècles), d’Avranches, de Bayeux (Baïocasses et Viducasses) et de Coutances, cette dernière prenant chez les Unelles la place de Crociatonum, sans doute trop difficile à défendre. La Lyonnaise II a pratiquement les frontières de ce qui sera plus tard la Normandie, démontrant au passage l’ancienneté de l’entité territoriale.

Le christianisme triomphant, au IVe siècle apr. J.-C., calque son organisation sur la carte administrative romaine. Il s’agit d’abord d’un phénomène urbain et les premiers évêques s’installent dans les villes principales, bien à l’abri des remparts.

Le diocèse de Rouen, qui prévaut sur tous les autres, est attesté formellement dès 314. Des évêques de Sées, Avranches, Coutances et Évreux sont mentionnés au 1er concile d’Orléans en 511 ; ceux de Lisieux et de Bayeux apparaissent pour leur part en 538, au 3e concile d’Orléans.

Saint Taurin, premier évêque et évangélisateur d'Évreux, sur un vitrail du ch?ur de l'église Saint-Taurin d'Évreux (détail). L'agrandissement montre sur une carte la reprise exacte de l?organisation administrative romaine par l'Église. (© SWG)

Le temps des évangélisateurs

L’Empire romain agonise tout au long du Ve siècle et la déposition de son dernier empereur Romulus Augustule en 476 met un terme définitif à son existence.

Au nord de la Loire et jusqu’à la Somme, perdure un royaume dirigé par un certain Syagrius, revendiquant l’héritage gallo-romain. Les Francs de Clovis l’écrasent à la bataille de Soissons en 486 et annexent ses terres.

Ancienne clé-de-voûte récupérée dans les ruines de l'église placée dans le bas côté nord de l'église Saint-Vigor à Cheux (Calvados). Représentation de l'évêque Saint-Vigor tenant enchaînés deux monstres symbolisant le paganisme. En agrandissement, un loup armé. Pontifical à l'usage de Beauvais, adapté à l'usage de Lisieux, deuxième quart du XIIIe siècle.La future Normandie se retrouve pour plusieurs siècles annexée au royaume des Francs. Régulièrement intégrée au royaume de Neustrie, sa destinée fluctue dorénavant au gré des partages et des rivalités sanglantes entre membres de la dynastie mérovingienne.

Les VIe et VIIe siècles apparaissent comme l’âge d’or des ermites et des missionnaires à la foi inébranlable, évangélisant coûte que coûte les campagnes, quand l’Église constitue l’ultime cadre administratif solide.

C’est le temps des légendes pleines de dragons et autres monstres dévorants, de païens aussi têtus qu’ombrageux finissant par se convertir, vaincus par de pieux zélateurs de Dieu.

Dans tous les diocèses, les évêques encouragent les fondations monastiques, pour les hommes et pour les femmes : ainsi naissent Nantes et Portbail dans la Manche, où l’on trouve les vestiges d’un baptistère paléochrétien ; dans l’Eure, Pental (Saint-Samson-de-la-Roque), La Croix-Saint-Leufroy et Andeli ; Saint-Vigor à Cerisy, dans le Calvados ; dans l’Orne, Almenêches et Saint-Évroult…

La basse vallée de la Seine et le pays de Caux deviennent, du VIIe au IXe siècle, des foyers monastiques et intellectuels brillants, avec la naissance et le développement de Jumièges, Fontenelle (auj. Saint-Wandrille), Pavilly, Montivilliers, Fécamp… Liste non exhaustive !

Baptistère paléochrétien de Portbail, dans la Manche. (© SWG) L'agrandissement montre les sarcophages mérovingiens découverts à l'intérieur du monastère de Pental, à Saint-Samson-de-la-Roque par Léon Coutil en 1922.


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Dieppe la valeureuse
Publié ou mis à jour le : 2025-10-13 14:14:34
castel (16-10-2025 22:54:49)

Très bel article . J'ai lu que Charlemagne avait déporté à Bayeux les prisonniers Saxons des batailles menées contre ce peuple germanique (alors dans le nord des Pays-Bas d'aujourd'hui) parce qu... Lire la suite

Herbeto (11-07-2021 12:19:00)

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