Le rôle joué par Rouen dans l'histoire de l'art à la fin du XIXe siècle est considérable. Si la ville n'a cessé d'attirer les artistes depuis la Renaissance, la fascination qu'elle exerce atteint son apogée à l'époque impressionniste, alors que se mêlent les prestiges de son essor industriel, de son site spectaculaire et de son patrimoine architectural intact.
Cette ville que Pissarro trouve « aussi belle que Venise » (!) devient dès lors un lieu emblématique de la peinture moderne. En 2010, dans le cadre du festival « Normandie impressionniste », le musée des Beaux-arts de Rouen a consacré une fascinante rétrospective rendant hommage à la ville.
Rouen combine pour les peintres trois intérêts : le site, d'abord, avec les points de vue offerts sur la ville depuis les coteaux, et la Seine qui offre des perspectives variées. L'héritage monumental ensuite : Rouen n'est-elle pas « la ville aux cent clochers carillonnant dans l'air » célébrée par Victor Hugo ?
Deux petites gouaches de Turner, une vue de Rouen et une de la cathédrale laissent éclater les couleurs et annoncent déjà les recherches de Monet. Une « vue générale de Rouen », de 1892, tout en jaunes, rouges et oranges, proclame la dette de ce dernier envers le maître britannique.
Les toits de Rouen devinrent également un sujet de prédilection pour Pissarro ou Friesz. L'activité industrielle et portuaire enfin : des peintres de marine comme Jongkind ou le moins célèbre Charles Lapostolet représentent volontiers les navires à voiles. En 1882, Iwill (Marie-Joseph-Léon Clave ) peint un fantomatique port de Rouen dans la brume.
Cette activité industrielle a également eu une influence directe sur le développement du mouvement impressionniste, vivement soutenu par les entrepreneurs modernistes, quand l'académisme conservait les faveurs de la bourgeoisie conservatrice.
C'est aussi parce que son frère Léon, travaillait dans l'industrie chimique à Déville-lès-Rouen, que Claude Monet a séjourné chez lui en 1872-1873 et réalisé ses premières vues, fluviales, de la ville.
En 1883, c'est Pissarro qui se rend à Rouen, à la recherche de nouveaux motifs. Les fruits de ses travaux n'arriveront toutefois à maturité que plus tard, dans les années 1890 : on suit chez lui comme chez Monet, ou, de manière plus étonnante, chez Gauguin, l'évolution vers un style de plus en plus personnel à travers la confrontation avec la ville.
Rouen inspira également des peintres locaux comme Charles Angrand, Léon-Jules Lemaître, ou le pointilliste Charles Frechon, qui s'inscrivent complètement dans les courants artistiques modernes de leur temps.
Ces explications permettent de mieux comprendre la fabuleuse série des Cathédrales de Rouen, par Monet ; ce sont en réalité deux séries qui furent peintes en 1892 et 1893, à chaque fois entre février et avril, depuis trois ateliers différents, au prix parfois de graves moments d'abattement.
Ces tableaux suscitèrent l'enthousiasme de Clemenceau qui intitula un article, paru dans la Justice du 20 mai 1895, « La révolution des cathédrales », dans lequel il écrit entre autre : « La merveille de la sensation de Monet, c'est de voir vibrer la pierre et de nous la donner vibrante, baignée des vagues lumineuses qui se heurtent en éclaboussures d'étincelles. C'en est fini de la toile immuable de mort. Maintenant la pierre elle-même vit, on la sent mutante de la vie qui précède en la vie qui va suivre. Elle n'est plus comme immobilisée pour le spectateur. Elle passe. On la voit passer. »
La grande découverte de l'exposition, du moins pour l'auteur de ces lignes, fut la série, ou plutôt là encore les deux séries, de vues de Rouen peintes en 1896 et 1898 par Pissarro. Il peint le vieux Rouen, mais aussi et surtout le paysage industriel et portuaire de la ville et de ses ponts, créant ainsi un « sublime industriel », témoin des transformations de son temps et de l'étroite interaction qui existe entre l'art et l'évolution historique d'une civilisation.
Publié ou mis à jour le : 2016-06-30 14:08:57
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