30 juin 2025. De tous les pays du monde islamique, l'Iran est sans doute celui qui nous est le plus proche. Tout l'indique : la culture, l'éducation, le rapport à la religion, le pluralisme des opinions et même la place des femmes dans la société... Il est aussi celui qui nous est devenu le plus hostile ! C'est la conséquence d'une succession de fautes de la part des gouvernants britanniques et surtout américains...
En dépit d'une Histoire agitée, en dépit surtout d'une dictature théocratique et mafieuse vieille de près d'un demi-siècle, l'Iran se présente comme la société la plus « moderne » du Moyen-Orient.
Faut-il s'en étonner ? Ainsi que le rappelle l'anthropologue Emmanuel Todd, la famille iranienne est de type nucléaire (papa, maman et les enfants) comme la famille anglo-saxonne, et non pas communautaire comme la famille arabe... ou la famille russe. Pour s'en rendre compte, il n'est que de voir les films iraniens, portés sur le thème très occidental de la conjugalité.
La fécondité des Iraniennes a évolué à la baisse encore plus vite que celle des Italiennes ou des Espagnoles. De 6,9 enfants par femme en 1950, l'Iran est passé en 2023 à 1,7. C'est à peu près autant que la France ou que la plupart des autres pays moyen-orientaux, à l'exception notable de l'Afghanistan... mais aussi d'Israël et des territoires palestiniens où prime la « guerre des berceaux ».
Comme les Occidentaux, les Iraniens sont aussi enclins au pluralisme des idées et il faut toute la brutalité de la milice islamiste, les Gardiens de la Révolution, pour faire taire des citoyens avides de discussions politiques. Cette ouverture d'esprit se reflète dans le rapport à la religion ou plutôt aux religions : au Moyen-Orient, l'Iran est, avec Israël, le seul État qui s'accommode de la présence de différentes minorités religieuses : juifs, chrétiens arméniens ou encore guèbres (pratiquants de l'antique religion mazdéenne).
La religion officielle de l'Iran est depuis 1501 le chiisme duodécimain, une branche minoritaire de l'islam. À la différence du sunnisme majoritaire, le chiisme dispose d'un clergé régulier mais celui-ci se tient par tradition en-dehors de la politique.
À la grande irritation d'une partie de son clergé et des croyants, l'imam Khomeyni va enfreindre la tradition en s'engageant activement dans la révolution qui a renversé le chah en 1979 et en se plaçant lui-même au sommet de l'État en qualité de Guide Suprême.
Devenu omnipotent, le haut clergé chiite n'a pas pour autant renforcé le sentiment religieux de la population. « En nommant des clercs fonctionnarisés à la tête de bien des nouveaux hayat [associations de voisinage] pour remplacer les religieux désignés par consensus, la relation de confiance entre la population et le clergé a été brisée », note le chercheur Bernard Hourcade. Individualistes, épris de liberté, de modernité et de savoir, les Iraniens se sont, comme les Occidentaux, détachés de la religion. Les observateurs s'accordent à dire que les mosquées d'Iran sont aussi peu fréquentées que les églises et les temples d'Occident, si l'on met à part la ville sainte de Qom.
La grande singularité de l'Iran tient à ses performances éducatives qui n'ont pas été altérées par la révolution islamiste. Pays de grande culture, au demeurant très francophile, l'Iran est aussi devenu dès l'époque du chah un pays d'ingénieurs. En 2023, il a « produit » environ 230 000 ingénieurs ou plutôt ingénieures car la majorité sont des femmes (note).
Notons que la France produit cent mille ingénieurs par an... dont une bonne partie s'oriente ensuite vers le commerce ou l'administration. Quant aux États-Unis, ils produisent à peine plus d'ingénieurs que les Iraniens, soit 250 000 par an. Les champions toutes catégories restent les Russes qui produisent 450 000 ingénieurs par an pour une population deux fois inférieure à celle des États-Unis.
Ces données nous éclairent beaucoup mieux que le PIB (Produit intérieur brut) sur la puissance réelle des uns et des autres. Faut-il s'étonner que la Russie mette en échec l'OTAN depuis trois ans, malgré un PIB que l'on dit équivalent à celui de l'Espagne ? Faut-il s'étonner que l'Iran produise tant et plus de drones et de missiles capables de frapper Israël et de percer son « Dôme de fer » que l'on disait invincible ? Faut-il enfin s'étonner que l'Iran se montre capable d'enrichir l'uranium et produire à brève échéance une bombe atomique ? Qui peut croire (en-dehors des journalistes de cour et des politiciens) que l'assassinat ciblé d'une demi-douzaine d'ingénieurs atomiste iraniens va paralyser les usines d'enrichissement d'uranium ?

Une Histoire exceptionnelle
La majorité des 90 millions d'Iraniens tirent fierté d'être les héritiers de la Perse, le plus ancien empire du monde. Les Perses sont à l'origine de multiples innovations en matière culturelle, religieuse (premier monothéisme), scientifique, etc. Devenus Persans à l'époque islamique, ils ont fait la grandeur de l'empire de Bagdad. Ils ont aussi fécondé la civilisation indo-persane de l'Inde du nord.
Au début du XXe siècle, la Perse des Qadjars tente de se moderniser, avec notamment la création en 1906 d'un Parlement, le Majlis. Pas de chance, c'est le moment où Anglais et Russes s'intéressent à l'Iran. Par l'accord du 31 août 1907, ils se partagent le pays en zones d'influence et mettent un terme à l'aventure libérale.
C'est alors que l'on découvre un gisement de pétrole dans le sud-ouest du pays, le premier du Moyen-Orient. L'homme d'affaires britannique William Knox d'Arcy fonde l'Anglo-Persian Oil Company en 1909 sous l'étroite tutelle du gouvernement de Londres... C'en est fini de l'isolement de la Perse. Elle entre pour son malheur dans la diplomatie du pétrole.
Le pire est à venir. Placé entre trois belligérants de la Première Guerre mondiale, la Perse, bien que n'étant concernée par le conflit, va être traversée incessamment pendant plusieurs années par les troupes turques, russes, indo-britanniques et autres, sans égard pour sa souveraineté. Les dévastations occasionnent la mort d'environ deux millions de personnes, soit un dixième de la population. C'est la « Grande famine de Perse ».
En 1921, un général énergique marche avec ses troupes sur Téhéran avec l'ambition de restaurer enfin l'ancienne grandeur du pays. Quatre ans plus tard, à la mort du dernier empereur Qadjar, le clergé chiite le presse de prendre sa place. Ainsi fonde-t-il une nouvelle dynastie sous le nom de Réza Chah. Il entreprend de moderniser son pays sur le modèle de la Turquie de Moustafa Kémal.
En 1935, la Perse change officiellement de nom. Elle adopte le nom d'Iran (« pays des Aryens ») qui remonte à l'Antiquité et rappelle ses origines indo-européennes (dico). En cela aussi, le payse se distingue de ses voisins turcophones et arabophones.
Mais le chah, comme la plupart des dirigeants du Moyen-Orient, cache mal ses sympathies pour Hitler, qui a le mérite à ses yeux de s'opposer aux Anglo-Saxons et aux Russes ! Au début de la Seconde Guerre mondiale, il refuse d'ailleurs à l'Angleterre et à l'URSS d'acheminer du matériel à travers l'Iran. Cela vaut à son pays d'être envahi le 25 août 1941 et lui-même doit s'exiler. À sa mort, le 26 juillet 1944, son fils Mohammed (25 ans) monte sur le trône sous le nom de Mohammed Réza chah Pahlévi.
Le nouvel empereur veille à conserver une sage neutralité dans la « guerre froide » qui se profile. Il se montre soumis aux Anglo-Saxons tout en veillant à ne pas fâcher ses puissants voisins soviétiques. Il souhaite poursuivre la modernisation de l'Iran dans la continuité de son père mais tout va très vite se gâter du fait de la guerre du pétrole entre... Anglais et Américains.

Alliances contre nature
Dès avant la Première Guerre mondiale, Londres a mis la main sur les réserves pétrolières découvertes en Iran. La Royal Navy en avait le plus grand besoin depuis qu'elle avait été convertie au pétrole par le Premier Lord de l'Amirauté, un certain Winston Churchill.
Là-dessus, après le conflit, l'Angleterre n'a pas eu de difficultés à s'approprier aussi les gisements d'Irak et du Koweit, tombés sous son protectorat. Par la « clause de nationalité britannique », ils imposent aux émirats locaux de n'utiliser que des sociétés britanniques pour leurs opérations commerciales ! Mais ils commettent une erreur de taille en oubliant l'Arabie où ils ne croient pas à la présence de pétrole malgré de premiers efforts de prospection.
Il faut croire que l'arrogance britannique n'a pas plu aux Américains, grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. À l'issue de la conférence de Yalta avec Churchill et Staline (4-11 février 1945), le président Franklin D. Roosevelt, bien que déjà très malade (il mourra deux mois plus tard), fait un crochet par Suez avant de rentrer à Washington.
Le 14 février, à l'insu des Britanniques, il rencontre le roi d'Arabie saoudite Ibn Séoud au milieu du canal, sur le croiseur Quincy. Ibn Séoud est l'héritier obscur d'une tribu arabe adepte d'un islam ultra-rigoriste, le wahhabisme, sans équivalent dans le reste du monde musulman. Il a unifié l'Arabie sous sa férule au terme de trois décennies de guerres féroces contre ses rivaux qui ont fait deux cent mille à cinq cent mille victimes sur une population d'environ trois millions d'habitants.
C'est donc avec ce fanatique que le champion de la démocratie va nouer le « pacte du Quincy ». Par cette alliance informelle, les pétroliers américains s'approprient les gisements séoudiens. En échange, le président américain apporte au roi les crédits qui lui font défaut et surtout garantit sa protection contre des rivaux tant intérieurs qu'extérieurs.
Cette alliance contre nature ne se démentira pas jusqu'à nos jours malgré l'obscurantisme de la dynastie wahhabite et l'implication active des Séoudiens dans le terrorisme islamiste. En finançant avec les royalties du pétrole le prosélytisme dans les banlieues occidentales et dans les pays pauvres d'Afrique et d'Asie tout comme les Frères musulmans en Égypte, nos « amis » d'Arabie, du Quatar et des Émirats vont également déstabiliser de nombreuses sociétés.
En 1949, le jeune chah d'Iran se voit contraint de réviser les accords qui lient son pays à l'Anglo-Iranian Oil Company (AOIC). Au Parlement, le Majlis, un député nationaliste de 70 ans, Mohammad Mossadegh, dénonce le caractère léonin de ces accords. L'agitation monte dans le pays et le 15 mars 1951, Mossadegh convainc le Parlement de voter la nationalisation de la compagnie. Le mois suivant, le chah se résout à l'appeler à la tête du gouvernement.
Le gouvernement britannique, alors dirigé par Winston Churchill, prend fort mal la chose et dénonce la collusion de Mossadegh avec les Soviétiques (dans les faits, Mossadegh a fait alliance au Parlement avec la gauche et le Toudeh, le parti communiste iranien). Il organise le boycott de l'Iran. Le chaos s'installe dans le pays et sur les marchés pétroliers et en août 1953, le chah lui-même est contraint à l'exil.
Les Américains saisissent au vol cette opportunité pour s'installer en Iran. Avec l'accord de Churchill et du président Eisenhower, la CIA américaine organise avec le MI6 britannique l'opération Ajax. Il s'ensuit le 19 août 1953 un coup d'État militaire dans les règles qui permet au chah de revenir à Téhéran sous haute protection américaine. Exit les Britanniques. Il faudra attendre le 24 février 1971 avant qu'un autre pays, l'Algérie du président Boumedienne, ose nationaliser son pétrole et son gaz.
La chute de Mossadegh laisse un goût amer aux Iraniens cependant que les États-Unis renforcent leur coopération militaire avec le chah, voyant en lui « le gendarme du golfe Persique ». Ils le poussent à consolider son pouvoir en s'appuyant sur l'armée, un fort appareil bureaucratique et une redoutable police politique, la Savak.
Vingt ans après surviennent la guerre du Kippour et le premier choc pétrolier. Les pays exportateurs de pétrole, en premier lieu l'Iran et les royaumes arabes du Golfe persique, voient leurs revenus exploser cependant que les pays industrialisés plongent dans une crise interminable.
À Téhéran, les élites intellectuelles et les partis de gauche se mobilisent contre le chah qui a perdu le sens des réalités, comme le montrent ses investissements pharamineux dans l’armement et les festivités du 2500e anniversaire de la fondation de Persépolis.
Ces opposants sont bientôt rejoints par le clergé chiite, influent dans les campagnes. Le 8 septembre 1978 est un « Vendredi noir » qui conduit à la chute du régime. Dans les premiers mois, la révolution se veut démocratique mais l'ayatollah Khomeyni impose sa ligne.
Le nouveau régime s'affiche islamique et dénonce le « Grand Satan » américain. Le 1er avril 1979 est proclamée la République islamique d'Iran. Le 4 novembre 1979, des étudiants prennent en otage les agents de l'ambassade américaine. L'échec calamiteux du président Carter pour les délivrer va susciter en Amérique une haine irrévocable de la République islamique et des Iraniens eux-mêmes.
Le nouveau régime manifeste aussi une claire volonté d'exporter la révolution chez les chiites de Bahreïn, du Liban et d'Irak mais aussi à La Mecque, au cœur de l'Arabie, où, le 20 novembre 1979, des hommes en armes qui se réclament du wahhabisme le plus strict s'emparent de la Grande Mosquée et dénoncent la corruption du régime, son laxisme religieux et sa collusion avec le « Grand Satan » américain.
Le roi Khaled ne se le fait pas dire deux fois. Après avoir réprimé la rébellion avec le GIGN français, il revient au rigorisme religieux de son père et, sans renoncer à sa relation privilégiée avec Washington, entreprend de concurrencer l'Iran en matière de prosélytisme islamique ! C'est le réveil de la rivalité pluriséculaire entre les deux branches de l'islam, le chiisme et le sunnisme.
Par sa bigoterie et ses violences, le régime iranien ne tarde pas à exaspérer la population iranienne. Dès 1980, la province arabophone du Khousistan où se situent les principaux champs pétrolifères est sur le point de se soulever.
Les Américains et les États sunnites de la région pressentent que la révolution islamiste est déjà à bout de souffle. Au lieu de la laisser s'effondrer sur elle-même, ils choisissent de l'achever par une agression en bonne et due forme dont la responsabilité sera confiée au dictateur laïque de l'Irak voisin, Saddam Hussein. Ils bénéficient du soutien de l'URSS, alors empêtrée en Afghanistan. La République islamique ne peut compter que sur le soutien en sous-main de l'État hébreu, publiquement qualifié de « Petit Satan » par Khomeyni mais en conflit latent avec ses voisins sunnites, tout comme l'Iran.
Saddam Hussein lance ses troupes à l'attaque de l'Iran le 22 septembre 1980. Comme toujours en pareil cas, la guerre est prévue pour se régler en dix jours. Mais comme toujours aussi en pareil cas, l'invasion suscite une « Union sacrée » de tous les Iraniens face à l'agresseur.
Khomeyni profite de la situation pour asseoir son pouvoir. L'année 1983 marque la victoire définitive du clergé conservateur avec l'exécution des militants de gauche ayant participé à la Révolution et l'élimination du parti communiste, le Toudeh. Engagée au nom des droits de l'homme, la Révolution islamique débouche au final sur une théocratie réactionnaire.
Sur le terrain militaire, dépités par l'insuccès de leur allié, les États-Unis intensifient leur soutien à l'Irak et convainquent la France de François Mitterrand d'en faire autant. Quand Saddam Hussein recourt à des armes chimiques (gaz sarin et gaz moutarde) contre les soldats iraniens, personne ne bronche dans le camp occidental bien que ces armes soient formellement interdites par les conventions internationales. Le conflit va durer huit ans en faisant environ huit cent mille morts... Un bilan sans commune mesure avec tous les autres conflits du Moyen-Orient, y compris le conflit israélo-palestinien.
Saddam Hussein peut triompher. Mais il apprécie peu que les États arabes, après l'avoir encouragé à se battre, refusent de rembourser les colossaux emprunts qu'il a dû contracter. Il décide de se payer lui-même en envahissant le Koweit en 1991. Le président George Bush, bien qu'informé de ses intentions par son ambassadrice, le laisse agir et aussitôt déclenche une coalition contre l'Irak.
S'ensuivent de nouveaux désordres au Moyen-Orient. Pour les démocrates de Washington comme pour les wahhabites de Riyad (Arabie), l'Irak laïque devient l'ennemi à abattre, tout autant que l'Iran chiite.
Mais l'Orient est compliqué, disait déjà de Gaulle ! Voilà les ambassades américaines de Nairobi (Kenya) et Dar-es-Salaam (Tanzanie) frappées par des attentats meurtriers, lesquels sont le fait d'un nouveau mouvement islamiste et terroriste (pléonasme) qui a nom Al-Qaida. Son fondateur est un héritier de l'oligarchie saoudienne et sunnite, Oussama Ben Laden. Personne ne fait grand cas de ses crimes, les trois cents victimes de ces attentats étant pour l'essentiel des Africains. Tout change le 11 septembre 2001 avec les attentats contre les tours du World Trade Center et du Pentagone, fomentés par le même Ben Laden : trois mille morts, cette fois pour l'essentiel de bons Américains.
Les Iraniens déplorent dans leur immense majorité l'ostracisme américain. Ils ne rêvent que de hisser l'Iran dans le club des grandes puissances. Au début du XXIe siècle, le régime islamique lui-même, quelque peu assagi, ne ménage pas ses efforts dans ce sens.
En 2002, après les attentats commis par Al-Qaida, Téhéran apporte son soutien aux États-Unis dans leur chasse aux talibans en Afghanistan et le président Khatami lui-même plaide pour le « dialogue des civilisations ». Le 18 décembre 2003, pour prouver sa bonne volonté, la République islamique signe le protocole additionnel du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) qu'on lui reproche aujourd'hui de ne pas respecter (notons que ni l'Inde, ni le Pakistan n'ont accepté ledit traité, ce qui leur a permis de se nucléariser sans faire d'esclandre).
Mais, aveuglé par le tropisme wahhabite de son administration et des milieux d'affaires, le président George Bush Jr. reste sourd à ces avances. Non content de lancer une guerre d'agression contre l'Irak de Saddam Hussein, il déclare qu'il « ne tolèrerait pas » que l'Iran, l'un des pays de l'« axe du Mal » avec l'Irak et la Corée du Nord, puisse un jour accéder à l'arme nucléaire.
Faut-il s'étonner que les Iraniens, humiliés par ces attaques, élisent alors à la Présidence de la République, en 2005, non pas le candidat de la modernité Rafsandjani, favori des pronostics (quoique desservi par sa vénalité), mais l'improbable Ahmadinejad (note), un trublion habité par la haine des États-Unis et des juifs ?... Ainsi l'Occident a-t-il manqué une nouvelle fois son rendez-vous avec l'Iran.
Accusée de violer le traité de non-prolifération nucléaire et de menacer Israël d'une attaque atomique, la République islamique d'Iran a accepté le contrôle international de ses installations nucléaires par un accord conclu à Genève, le dimanche 24 novembre 2013, avec les membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU ainsi que l'Allemagne. Cet accord a été confirmé le 14 juillet 2015 à Vienne au terme de laborieuses tractations destinées à rassurer les autocraties arabes et le gouvernement israélien. En échange, l'Iran a obtenu la levée des sanctions économiques qui entravent son développement à dater du 16 janvier 2016...
Les accords de Genève ont laissé espérer un retour du pays dans le concert des nations, Téhéran s'engageant à ne plus développer le nucléaire pour un usage autre que civil et Washington à lever les sanctions économiques.
Mais l'arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump en 2018 a brusquement tout remis en cause. Le nouveau président américain a accusé l'Iran de ne pas respecter les accords, sans préciser sur quels points exactement, et il a retiré la signature des États-Unis le 12 mai 2018.
Ce faisant, il a donné toute latitude aux durs du régime islamiste de reprendre les travaux en vue d'accéder à l'arme nucléaire au grand regret du chercheur Bernard Hourcade qui déclarera sur France Culture : « Nous avions le choix de nous rapprocher de l'Arabie ou de préférer l'Iran ; l'Arabie, c'est le Bataclan, l'Iran, c'est le Festival de Cannes » avec plusieurs films récompensés...
Faute de nouvelle ouverture, le régime islamiste s'est encore durci au fil des années. Rompant avec Washington et ses vassaux, il a resserré ses liens avec la Chine et la Russie. Chacun en mesure les conséquences aujourd'hui.
Empêtré dans la guerre de Gaza, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a détourné l'attention de l'opinion de ce conflit en attaquant pour la première fois de manière massive l'Iran.
Israël a ainsi procédé sous le nom de « Am KeLavi » (« Un peuple comme un lion ») à des frappes violentes dans la nuit du jeudi 12 au vendredi 13 juin 2025, ciblant des installations du programme nucléaire iranien et d’autres sites militaires à travers le pays. Le chef des Gardiens de la Révolution, Hossein Salami, et le chef d’état-major, Mohammed Bagheri, ont été tués ainsi que plusieurs hauts dirigeants militaires et des ingénieurs atomistes. L’Iran a riposté en lançant une vague de drones et de missiles sur Israël.
Au neuvième jour de la guerre entre Israël et l'Iran, dans la nuit du samedi au dimanche 22 juin 2025, le président Donal Trump est intervenu à son tour sans en référer au Congrès et contre l'opinion de ses concitoyens et de ses électeurs ! Il a ainsi mené une attaque sur trois sites nucléaires iraniens avec des bombardiers et des bombes d'une puissance de feu exceptionnelle et encore jamais engagés dans un combat !...
Insondable mystère de la « diplomatie » américaine
Avec 90 millions d'habitants (2023) et un rayonnement sur tout l'arc chiite qui va du Liban aux marges du Pakistan, en passant par la Syrie, l'Irak et Bahreïn, l'Iran demeure un acteur incontournable du Moyen-Orient et, depuis mille ans, un rival de la Turquie et des Arabes sunnites. Certes, le régime policier issu de la prise de pouvoir islamiste est plus que jamais présent avec son lot d'arbitraire et de violence mais il est efficacement contrebalancé par de multiples contrepouvoirs, des élections régulières et une opinion publique très émancipée, y compris à l'égard de la religion.
Rien à voir avec l'Arabie séoudite que Washington a fait le choix de soutenir vaille que vaille. Un choix aberrant d'un point de vue géopolitique... et moral car l'Arabie séoudite est l'un des États les plus archaïques de la planète. Elle finance généreusement depuis quarante ans les mouvements islamistes et le terrorisme. Elle s'est engagée dans une guerre d'agression contre le Yémen voisin, loin des caméras occidentales mais avec des armes fournies par les Européens (avions français, chars allemands).
Craignons que la politique agressive de Washington et de son allié israélien réveille la fibre patriotique des Iraniens et renforce les radicaux islamistes, comme cela s'est déjà produit en 1980 (agression de Saddam Hussein, alors allié des Occidentaux) et en 2005 (l'Iran dénoncé comme l'axe du Mal) !...
Bibliographie
Pour comprendre l'Iran et les enjeux contemporains, je recommande Le rendez-vous des civilisations (Youssef Courbage et Emmanuel Todd, Seuil, 2007) et surtout : Iran, nouvelles identités d'une république, un essai complet et lumineux du géographe Bernard Hourcade (Belin, 2002), qui a vécu et travaillé en Iran de 1978 à 1993.





Iran-Occident : les rendez-vous manqués









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Voir les 7 commentaires sur cet article
Arnaud (07-07-2025 17:04:25)
Cette rétrospective historique de l'Iran gagnerait en qualité si on la débarraissait de quelques tartes à la crème complètement fausses ou tendancieuses bien connues pour qui s'est intéressé a... Lire la suite
Emmanuel de Chambost (04-07-2025 13:43:24)
Oui, l'arrivée au pouvoir de Trump en 2018 a fait capoté les accords à peine signés, mais auparavant, la France de Hollande et Fabius avait tout fait pour retarder la signature de ces accords que ... Lire la suite
Emmanuel de Chambost (04-07-2025 12:44:16)
Oui, l'arrivée au pouvoir de Trump en 2018 a fait capoté les accords à peine signés, mais auparavant, la France de Hollande et Fabius avait tout fait pour retarder la signature de ces accords que ... Lire la suite