Extrême-droite ! De nos jours, le terme est accolé en France au Rassemblement national et à quelques groupuscules royalistes et catholiques intégristes, ainsi qu'aux contempteurs de l'immigration. Mais quand apparaît-il pour la première fois ? Et quelle force politique désignait-il alors ?
Contrairement à une idée reçue, cette expression n’est pas née avec l’Action française et l’apparition des Ligues au début du XXe siècle. Elle émerge dans la vie publique avec la Restauration monarchique qui suit la chute de Napoléon Ier. Elle qualifie alors l’ultracisme, cette force politique royaliste qui refuse farouchement la Charte constitutionnelle de 1814, considérant ce texte « octroyé » par Louis XVIII comme un affaiblissement voire une trahison de la monarchie, et un compromis inacceptable avec la Révolution. Elle entre en conflit avec la droite libérale ou orléaniste plus modérée.
Un siècle plus tard, après la Première Guerre mondiale, la même expression va désigner tout à la fois la réaction royaliste éprise d'un retour à la tradition et les mouvements révolutionnaires inspirés du fascisme, qui prônent l'avènement d'un Homme nouveau en rupture avec cette même tradition ! La confusion va venir de leur prise de distance à l'égard des institutions démocratiques, de leur commune référence à la Nation ainsi que de leur détestation du marxisme-léninisme réputé internationaliste...
L'ultracisme et le retour à la monarchie de droit divin
Le terme ultra évoque la surenchère et l’intransigeance dans lesquels s’enferment sous la Restauration (1815-1830) les partisans de la monarchie de droit divin, sur le terreau de la Contre-Révolution théorisée par Joseph de Maistre, Louis de Bonald et Edmond Burke. Ces royalistes jusqu’au-boutistes sont menés par deux notables provinciaux, le comte de Villèle et La Bourdonnaye, avant qu’ils ne soient incarnés à la tête du pays par Charles X, dans leur conception passéiste de la France post-révolutionnaire.
Dès cette époque, la presse emploie abondamment le terme d’« extrême droite » pour qualifier les députés de l’ultracisme qui siègent sur les bancs les plus à droite de la Chambre.
Ainsi, dès le 6 octobre 1822, Le Constitutionnel, d’obédience bonapartiste et libérale, évoquant une brochure concernant Villèle écrit : « L'apologiste de M. de Villèle ne ménage pas beaucoup les membres de l'extrême droite de la chambre (…) il nous assure que le centre droit gémit souvent des inconséquences de l'extrême droite, et qu'il ne s'accommode ni des déclamations ni des divagations qu'il est souvent condamné à entendre. »
De même, dans son édition du 3 janvier 1822, l’hebdomadaire La France chrétienne, à la ligne catholique antilibérale, évoque les positions respectives de chaque force politique lors d’un vote au sein de l’Assemblée : « Presque tout le centre droit, une grande partie de la droite, et même une partie du centre gauche se lèvent pour l’ordre du jour ; mais on voit se réunir contre, plusieurs membres de l’extrême droite, qui votent comme l’extrême gauche. »
À la veille des élections de 1824, qui vont accoucher d’une « chambre retrouvée » avec une écrasante majorité ultra-royaliste, Le Constitutionnel (26 février) ne cache pas l’assimilation des ultras à l’extrême droite : « Toujours est-il que, quand nous rencontrons de francs ultra-royalistes, des hommes de l'extrême droite, nous avons plus à nous en louer que des fonctionnaires ; car l'indépendance même de l'esprit de parti est préférable à la servilité de l'intérêt personnel. »
Ce journal fait également état d’un synonyme au mot extrême-droite : « Ce que le président du Conseil désire, ce qu'il dit qu'il espère, c'est une chambre dépendante. Il n'y veut ni de nous, ni des membres de l'extrême droite, auxquels il donne, le nom trivial de pointus. » Le Temps (21 novembre 1829) constate au sujet du prince de Polignac qui dirige le ministère : « On lui crie de toutes parts qu’il a perdu l’appui de l’extrême droite, le seul sur lequel il pût vraiment compter. »
L’historien et journaliste Paul Thureau-Dangin consacre, en 1872, une étude intitulée Royalistes et Républicains qui sera l’objet d’une seconde édition en 1888. Il revient sur les origines de l’extrême droite et ne se prive pas d'ironiser sur ses échecs répétés : « À côté, au-delà de la droite, et trop souvent dans la droite, la compromettant et l'entraînant, est un parti qui prétend avoir les mêmes principes et les exagère, qui montre un grand zèle pour les mêmes causes et ne fait, en général, que leur nuire ou même les perdre. Le nom de ce parti a varié suivant les temps. Sa prétention, d'ailleurs, a toujours été de se confondre avec la droite, d'être lui-même la vraie et l'unique droite. En 1815 on disait les « ultras », plus tard les « pointus », la « défection » ou la « contre-opposition ». Pour plus de facilité, disons l'extrême droite, bien que ce nom semble plutôt appartenir à notre vocabulaire actuel qu'à celui du commencement du siècle. Si l'on voulait rechercher la généalogie de l'extrême droite, il faudrait remonter jusqu'aux débuts de la Révolution. On la voit dès lors à l'oeuvre : elle contribue, avant 1792, à perdre la monarchie, en empêche le rétablissement après le 9 thermidor, contrarie, souvent combat ouvertement les patriotiques efforts des grands royalistes, de Mounier, de Malouet, de Mallet du Pan, et même de Cazalès. Ouvrez au hasard les écrits de Mallet, de 1789 à 1800, vous y trouverez, gravés d'une main vigoureuse et souvent irritée, les traits de ce parti qu'il a rencontré sur son chemin, chaque fois qu'il a tenté de défendre ou de relever la cause royale. »
Confusion des genres
En sommeil sous le Second Empire (1851-1870), l'extrême-droite renaît sous la IIIe République (1870-1940) tout en changeant de nature. C'est que les ultracistes ont perdu avec le comte de Chambord toute chance sérieuse de restauration monarchique et vont peu à peu s'effacer de la scène électorale.
L'extrême-droite va renaître sous une forme rénovée à la faveur de la crise économique, de l'amertume née de la défaite de Sedan, des scandales financiers et surtout de l'Affaire Dreyfus. C'est ainsi que les mécontents se rassemblent sans succès en 1889 autour du général Boulanger. Dix ans plus tard, Charles Maurras développe autour de la revue L'Action française un mouvement politique très influent dans les milieux intellectuels, appelant à la « lutte contre les quatre États confédérés qui menaçaient la France : juif, protestant, métèque et franc-maçon ». On est alors loin de la monarchie de droit divin et de la vieille idéologie contre-révolutionnaire, même si l'Action française se veut royaliste.
Micmac européen
Tout bascule à l'issue de la Grande Guerre. Avec la prise de pouvoir par Lénine en Russie et la défaite des Empires Centraux, on voit émerger en Allemagne un puissant mouvement bolchévique proche de son homologue russe.
Dans le même temps, des mouvements paramilitaires ultranationalistes prétendent régénérer la nation allemande en cultivant à la fois les promesses du socialisme, propres à rallier les classes populaires, et la haine des bolchéviques internationalistes et des juifs cosmopolites. Le plus connu de ces groupuscules est bien sûr le NSDAP ou parti nazi, qui va prendre le pouvoir avec Hitler.
On observe des phénomènes similaires dans les pays d'Europe centrale et des Balkans issus de la décomposition des Empires Centraux. En Italie, par ailleurs, c'est un ancien leader socialiste, Mussolini, qui va adapter les recettes de Lénine à son ultranationalisme et fonder le Parti national fasciste avec l'ambition de créer un Homme nouveau au service exclusif de l'État.
Aux élections législatives du 15 mai 1921, 35 députés fascistes entrent à la Chambre et Mussolini choisit aussitôt de siéger à l'extrême-droite de l'hémicycle pour marquer sa totale hostilité aux partis de la gauche internationaliste et socialiste. De là le qualificatif d'extrême-droite qui sera employé dans toutes les démocraties modernes pour désigner les partis nationalistes et autoritaires.
C'est ainsi que dès 1924, le Vossische Zeitung, quotidien libéral de Berlin, désigne comme radicaux de droite ou d'extrême-droite « tous les groupes, fédérations et associations qui se disent en partie nationalistes, en partie germano-sociaux, en partie grand allemand, en partie nationaux-socialistes ».
Il va s'ensuivre en France une confusion avec les différents courants d'extrême-droite venus de l'ultraroyalisme ou du nationalisme cocardier, fortement imprégnés par l'antisémitisme et la haine des communistes. À partir de 1936, suite à l'intervention de Mussolini, Hitler et Staline dans la guerre d'Espagne, le qualificatif de « fasciste » va s'appliquer indifféremment de façon dépréciative à tous ces courants d'extrême-droite.
La Révolution nationale du maréchal Pétain apparaît comme le réceptacle de ces différents courants mais elle ne parvient pas à les unifier.
Assoupie au début de la IVe République, une fraction de cette extrême droite a ressuscité à la faveur de la guerre d’Algérie, à l'initiative des partisans de l’Algérie française et de l’OAS,qui n’ont pas hésité à s’affronter au général de Gaulle.
Certains de ces activistes se sont retrouvés ensuite dans les rangs du Front national, un parti fondé le 5 octobre 1972 par les responsables d’Ordre nouveau, un mouvement nationaliste-révolutionnaire. Jean-Marie Le Pen, ancien député poujadiste, assume la présidence du nouveau parti. Le 21 avril 2002, son accession au deuxième tour de l'élection présidentielle provoque un séisme politique.
Atteint par l'âge, il se fait remplacer en 2011 par sa fille Marine qui rebaptise le parti Rassemblement national et s'efforce de le sortir de la marginalité (note). En 2017 et 2022, elle réussit à son tour à accéder au deuxième tour de la présidentielle face à Emmanuel Macron en recueillant les suffrages majoritaires des classes populaires et déshéritées, y compris dans les départements d'outre-mer (note). Mais sa victoire la plus significative est l'entrée de 89 députés de son parti à l'Assemblée nationale deux mois plus tard. L'automne suivant voit l'extrême-droite entrer dans une coalition gouvernementale en Suède et prendre même la direction du gouvernement en Italie en la personne de Giorgia Meloni…
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Jacquot (25-10-2023 15:06:32)
Ce que l'on comprend (et que l'on savait déjà), c'est que l'ED est la seule "branche" politique qui n'a aucune homogénéité ni connecteur idéologique dans son histoire. Les ED d'aujourd'hui ne so... Lire la suite
JLPB (19-09-2023 23:49:04)
Article intéressant, mais on reste sur sa fin. On aurait voulu en savoir plus, ne serait-ce que la constante de l'extrême droite depuis l'ultracisme. Certainement de l'antirépublicanisme et de l'an... Lire la suite
Norbert (05-10-2022 15:49:15)
C'est un peu rapide et succinct ce texte sur l'extrême droite. ça aurait été utile d'au moins citer l'extension en Europe de cette idéologie, dans les Balkans, en Roumanie (la Garde de fer); etc.... Lire la suite
Antoine (11-10-2021 12:45:22)
Au-delà des aspirations idéologiques (diverses, comme vous l’avez souligné), l’extrême-droite se caractérise par son refus du système démocratique (remplacé par la monarchie ou une dictatu... Lire la suite
cook (10-10-2021 16:51:41)
Merci beaucoup pour toutes ces perspectives. En tant qu'américain, j'aurais voulu lire, en plus, des perspectives sur Trump et le Trompisme. Souvent désigné comme fasciste, Trompe ne prône pas... Lire la suite