Aujourd’hui, l’Action française est devenue un mouvement marginal. Elle suscite l’anathème dans l’opinion publique, du moins pour ceux qui en ont entendu parler car peu de personnes mesurent le rôle qu’elle a joué dans la vie politique et intellectuelle de notre pays durant toute la première moitié du XXe siècle.
Il faut donc replonger dans les débats de la IIIe République pour découvrir cette histoire militante, avec ses fidélités durables et ses haines tenaces. Qu’est-ce que l’Action française Pourquoi ce mouvement nationaliste, dont la doctrine royaliste a été élaborée par Charles Maurras, a-t-il séduit de nombreux catholiques Quelles sont les raisons qui expliquent sa condamnation par le pape Pie XI en 1926, provoquant de douloureux déchirements dans les familles
Les ligueurs et les Camelots du roi « pensent clair et marchent droit ». Ils donnent de la visibilité à l’organisation en tenant la rue, parfois avec violence. Mais le journal reste le nerf de la guerre. Le combat se joue ici surtout au niveau des idées. Il faut donc les diffuser largement, à coup de scandales et de longs raisonnements.
Voilà une façon de voir la France. Voilà une façon de voir la religion. Une alternative à la culture républicaine qui a su réveiller la vieille tradition royaliste en la modernisant, au moins pour un temps. Elle laisse des traces dans l’inconscient collectif et de vraies lignes de fracture.
Revue Codex, 2000 ans d'aventure chrétienne, été 2017, #4.
Cet article est tiré du dossier « L'Action française contre "l'anti-France" », Codex #04, été 2017, 176 pages, 15 euros.
Richement illustré, le magazine présente aussi un reportage inédit sur les enjeux actuels du marché de l'orfèvrerie, une passionnante interview de Michel Pastoureau : « L'Église a créé le premier code des couleurs » etc.
Codex est disponible en kiosque, en librairie et sur internet. Un régal pour les yeux et l'esprit (feuilleter le magazine).
1 Au temps de l’affaire Dreyfus
Pour bien comprendre les origines de l’Action française, il faut remonter à la guerre de 1870. La France sort humiliée de sa confrontation avec l’Allemagne. Elle perd l’Alsace-Lorraine et doit affronter ses propres divisions manifestées par l’épisode de la Commune. La défaite laisse un goût amer.
Surtout, la chute de Napoléon III inaugure une période de tâtonnement institutionnel. Il faut changer de régime. Les monarchistes remportent les élections législatives de 1871 mais les républicains parviennent à s’emparer du pouvoir en quelques années à peine en ralliant les campagnes.
Leur enracinement s’accompagne de la mise en place d’une nouvelle constitution qui accorde une place importante au Parlement. C’est la IIIe République. Le vote se fait au suffrage universel masculin. Les chambres tiennent le gouvernement. Les élites traditionnelles se voient concurrencées par une nouvelle génération d’élus.
En 1886-1889, l’épopée populaire du général Boulanger fait vaciller le régime. L’ancien ministre de la guerre rassemble autour de lui une foule hétéroclite de patriotes. Les forces nationalistes s’infléchissent vers la droite. L’affaire des décorations (1887) ouvre une série de scandales financiers qui culminera avec Panama (1892).
En 1898, Émile Zola publie son « J’accuse » dans L’Aurore. Il demande la révision du procès d’un officier juif, Alfred Dreyfus, condamné quatre ans plus tôt pour haute trahison. L’affaire vient cristalliser toutes les oppositions dans un climat de guerre civile.
C’est à ce moment précis que Maurice Pujo et Henri Vaugeois créent un Comité d’action française, une ligue parmi d’autres qui brandit la menace allemande, l’affaiblissement de l’institution militaire, l’irresponsabilité des politiques, le tout teinté d’un antisémitisme qui s’inquiète de l’influence croissante des « Juifs de la République ». Une revue est créée en 1899.
2 L’Action française, un journal et un réseau
Le mot Action française désigne un mouvement nationaliste qui a marqué la vie politique française durant la première moitié du XXe siècle. Il se compose de trois entités :
Le journal : En juin 1899, Maurice Pujo et Henri Vaugeois fondent une petite revue grise, L’Action française. Ce bimensuel deviendra un quotidien en 1908. Charles Maurras rejoint la rédaction dès le deuxième numéro. Il écrit des articles jusqu’à la dernière publication, en août 1944. Léon Daudet et Jacques Bainville font aussi partie des grandes signatures qui conduisent une équipe dynamique.
La rédaction prend parti sur tous les sujets d’actualité, mêlant l’analyse à la provocation, la politique aux critiques littéraires… Le style importe beaucoup. L’Action française développe un véritable savoir-faire pour mobiliser l’opinion dans des campagnes de presse qui dénoncent les scandales de la IIIe République, ce qui lui vaut ses meilleurs tirages en 1917 et 1934 (130 000 exemplaires). C’est l’organe structurel du mouvement.
Le réseau des militants : Il offre une vie de section stimulante qui permet de s’engager totalement pour la cause. La Ligue d’Action française est fondée en 1905, la Fédération des étudiants la même année et les Camelots du roi en 1908. Les activités allient la formation (conférence, groupe d’études) et la présence sur le terrain (parade, manifestation, vente du journal, campagne d’affichage, agitation autour d’un cours ou d’une pièce de théâtre). Adhérer nécessite des convictions et des sacrifices.
L’Institut : L’Action française crée un centre de formation en 1906. Il s’agit d’une Contre-Sorbonne qui propose un idéal alternatif à celui de la République. Au programme : anti-modernisme, politique positiviste, nationalisme français, histoire des idées politiques, relations extérieures et économie sociale.
3 Maurras apporte la solution monarchique
Au départ, les fondateurs de l’Action française ne souhaitent pas rompre avec la République. Ils prônent une réforme pour relever la France dans un esprit conservateur qui ne cache pas certaines sympathies avec la gauche. Mais l’arrivée de Charles Maurras vient tout bouleverser.
En 1900, ce jeune journaliste féru de littérature s’est déjà forgé une doctrine politique. Il prône le « nationalisme intégral » qui le conduit à remettre en cause le système républicain pour lui préférer un régime monarchique. C’est lui qui convertit l’Action française au royalisme, usant de son charisme et de son intelligence pour convaincre. Et cela marche.
En quelques années, il obtient l’adhésion de Henri Vaugeois, Léon de Montesquiou, Lucien Moreau, Jacques Bainville... Ces intellectuels sont souvent agnostiques, issus de milieux républicains mais surtout nationalistes et antidreyfusards.
Ils vont jouer un rôle majeur dans l’organisation du mouvement, apportant leur plume, leur talent d’orateur et leur zèle de néophyte. De quoi constituer une véritable école autour du maître. Léon Daudet les rejoint en 1904, avec sa stature de tribun, et puis Jules Lemaître en 1907. Seul Maurice Barrès résiste. Cet écrivain nationaliste est l’un des chefs de file du camp antidreyfusard. Il reste résolument républicain malgré son amitié pour Maurras.
4 Une doctrine structurante pour le nationalisme français
Les idées nationalistes s’affirment fortement dans l’Europe des XIXe et XXe siècles. En France, elles sont apparues avec les révolutionnaires qui s’en réclament pour défendre la patrie contre la coalition de 1792 soutenue par les émigrés. Elles s’ancrent à droite bien plus tard, au moment de la crise boulangiste (1886-1889) et de l’affaire Dreyfus (1898).
Ces événements montrent que la cause mobilise mais qu’elle manque encore d’assise doctrinale. Charles Maurras va y remédier. Il pose en absolu le principe des intérêts nationaux. L’observation du présent lui permet d’établir un diagnostic, tandis que l’examen de l’histoire apporte des expériences comparatives. Conclusion : la monarchie est le régime qui offre le plus de garanties pour l’unité, la sécurité et la souveraineté de la France. Il ne s’agit pas d’un sentiment mais d’un raisonnement.
Cette pensée à contre-courant rassemble dans un système cohérent des éléments divers présents dans la société de l’époque : le sentiment diffus de décadence, l’hostilité envers les Allemands, la critique de l’individualisme, le rejet du parlementarisme, la recherche d’une autorité forte, l’antisémitisme toujours fédérateur, la fascination pour les démonstrations scientifiques… Elle offre une grille de lecture efficace pour comprendre le monde. Bref, Maurras convertit les nationalistes au royalisme et les royalistes au nationalisme.
5 L’alliance avec les catholiques tourne au divorce
Très vite, l’Action française se pose en défenseur de l’Église. Cette stratégie lui permet d’asseoir son emprise sur un public important. Depuis les années 1880, les catholiques vivent une période d’affrontement avec la République qui se conclue par la Séparation des Églises et de l’État en 1905. C’est l’âge d’or de l’anticléricalisme.
En 1906, les inventaires des églises donnent lieu à des querelles où les ligueurs n’hésitent pas à monter en première ligne. L’Action française y gagne des reconnaissances durables. Elle s’engage sur un autre terrain, doctrinal celui-là, en soutenant Rome dans son combat contre le modernisme.
L’encyclique Pascendi (1907) et la condamnation du Sillon (1910) l’encouragent dans cette voie. Pour beaucoup de catholiques sincères, le mouvement devient un allié indispensable, bien que son maître soit un païen. Ce sentiment n’est pas partagé par tous.
Le Saint-Office reçoit régulièrement des courriers qui s’inquiètent du contenu de cette doctrine influente sur la jeunesse.
En 1914, Pie X signe une première condamnation qui reste secrète pour des raisons conjoncturelles. Mais les temps changent. L’Église peut se permettre de se défaire d’un soutien encombrant.
En 1926, Pie XI interdit fermement la lecture de sept ouvrages de Maurras ainsi que celle du journal. Le nationalisme excessif et surtout la primauté absolue du politique constituent des dangers pour la foi. C’est une douche froide. Elle suscite bien des souffrances et des incompréhensions car les fidèles sont sommés de choisir leur camp, sous peine de se voir priver de la pratique courante des sacrements.
6 Les grandes heures de la ligue
C’est en 1908 que l'Action française commence véritablement sa croissance avec le lancement du quotidien et la création des Camelots du roi. Une vitalité qui attire les adversaires du parti républicain. Le mouvement connaît ensuite sa phase d’influence maximale entre 1914 et 1924. Les idées nationalistes nourrissent la période de la guerre contre l’Allemagne, de la négociation du traité de Versailles et de la chambre bleu horizon.
Momentanément, l’Action française sait mettre ses convictions royalistes entre parenthèses pour soutenir l’Union sacrée et le gouvernement de Clemenceau. Certains républicains ne l’oublieront pas. Le milieu des années 1920 apporte une succession de coups durs : l’avènement du cartel des gauches (1924), la dissidence de Georges Valois (1926) et surtout la crise avec Rome (1926-1927) qui réduit les effectifs.
Imperceptiblement, l’aura de l’Action française commence à décliner. D'autres organisations lui font concurrence pour défendre les intérêts catholiques (Fédération nationale catholique) ou les idées nationalistes (Croix de feu). L’affaire Stavisky offre un sursaut en 1934 avec les événements de février. Mais les départs se multiplient, pointant en creux une incapacité à se renouveler pour répondre aux enjeux posés par la crise économique, la standardisation industrielle, l’ascension de Hitler ou de Mussolini...
Pendant la guerre, Maurras choisit la fidélité absolue au maréchal Pétain. Le régime de Vichy incarne d’une certaine façon les idéaux de l’Action française. Mais le mouvement n’y résiste pas. En 1945, il signe sa mort politique après avoir explosé en plusieurs courants.
7 Échec ou réussite
L’Action française a su imprégner les esprits de son temps grâce à sa puissance doctrinale et à sa force de communication. Elle a fait tomber plus d’un ministère, elle a donné le ton à la politique étrangère de la France après 1919 en demandant une application rigoureuse du traité de Versailles, elle a contribué à la remise en question du parlementarisme en pointant inlassablement les failles de la IIIe République.
Mais le but premier était de travailler à la restauration du roi. En ce sens, force est de constater que l’échec a été complet. En 1937, le prétendant au trône lui-même désavoue le mouvement qu’il accuse d’avoir instrumentalisé la cause royaliste. Il faut dire que la nuit du 6 février 1934 est passée par là et que les militants sont de plus en plus nombreux à contester l’autorité de Maurras.
Les mots ne leur suffisent plus. Ils brûlent de passer à l’action et de faire ce « coup de force » qu’on leur promet depuis si longtemps. Sans véritable stratégie politique concrète, les dirigeants de l’Action française semblent ne pas avoir su ou bien ne pas avoir voulu exercer le pouvoir. Mise à part l’expérience peu concluante des campagnes électorales de 1919 et 1924.
Déçus, certains dissidents choisiront des modes opératoires plus radicaux, comme les militants du XVIIe arrondissement qui fonderont le groupe terroriste la Cagoule (1935). L’Action française inspirera d’autres nationalismes au Québec, en Suisse, en Espagne ou en Italie.
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Voir les 4 commentaires sur cet article
Cécilie (10-10-2017 18:01:38)
Il faudrait prolonger avec ce que le journal est devenu après son interdiction : "Aspects de la France", toujours actif, non ? Quelle est sa ligne idéologique ?
Paul (05-08-2017 14:49:11)
Excellent article, je tiens néanmoins à pointer un grand défaut dans sa transcription :
Trop d'espaces sont oubliés ce qui peut le rendre parfois illisible...
courtaigne (17-07-2017 08:32:26)
Commentaire générique: légender les photos!