D'où viennent nos communes ? Leur existence et leurs droits politiques remontent aux alentours de l'An Mil, tout comme d'ailleurs la structuration de la France et de l'Europe occidentale autour d'un réseau dense de villes et de villages.
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La « démocratie » villageoise aux temps médiévaux
Pendant les périodes sombres du haut Moyen Âge, sous les Mérovingiens et les Carolingiens, jusqu'à l'An Mil, les campagnes occidentales ignorent encore le village comme nous le connaissons aujourd'hui. Elles ne sont constituées que de hameaux, fermes isolées et grandes exploitations seigneuriales ou abbatiales.
Cette période est aussi marquée par la christianisation progressive des campagnes. Les ruraux tendent à se regrouper autour des églises et chapelles créées par les seigneurs et les abbés, à proximité des châteaux et monastères, en des lieux plus ou moins protégés de la violence endémique.
Après l'An Mil, dans une société féodale en voie de pacification, les campagnes prennent l'aspect que nous leur connaissons encore, avec un réseau serré de villages groupés autour de leur clocher, à l'ombre du château protecteur.
Le seigneur a autorité sur les habitants de ces villages. Il a soin de les pressurer de toutes les manières possibles et exerce sa propre justice (le droit de ban) mais il ne s'immisce pas dans l'administration de leurs affaires courantes. Les habitants vivent sous la protection spirituelle de leur curé, ce qui vaut à leur communauté d'être qualifiée de paroisse.
Les premiers curés étaient souvent des paysans sans guère de formation théologique, désignés par le seigneur du lieu pour administrer une chapelle. Avec la réforme grégorienne, l'Église se soucie d'améliorer leur formation et de mieux les encadrer, leur imposant notamment le célibat, avec interdiction d'entretenir concubine et enfants.
Le curé assure bien sûr les services religieux et pourvoit aux sacrements. Il se doit de porter assistance aux pauvres et de donner une instruction élémentaire aux enfants. Il se fait assister par un sacristain pour les tâches religieuses et par un marguillier ou un conseil de fabrique pour les tâches sociales. Cette institution, relativement tardive, subsiste encore en Alsace-Moselle, la fabrique paroissiale désignant l'ensemble des aspects matériels qui entourent l'activité de la paroisse, de l'entretien de l'église à la distribution des aumônes.
En ce qui concerne les affaires courantes, comme la gestion des parcelles communes ou l'entretien des chemins, les paysans s'administrent eux-mêmes. Chaque fois que nécessaire, la cloche de l'église convoque l'assemblée des hommes afin qu'ils prennent les décisions adéquates et nomment les responsables, que l'on désigne de différents noms selon les régions. Cette démocratie primitive va perdurer très longtemps jusque dans les cantons suisses actuels.
• La paroisse est le nom usuel porté jusqu'à la Révolution française par les communautés rurales. Après quoi, celles-ci partageront officiellement avec les villes le vocable commune qui désignait au milieu du Moyen Âge les bourgs dotés de l'autonomie administrative.
• Le mot paroisse, qui dérive du grec paroikos (« ceux qui habitent à côté de la maison »), a d'abord désigné sous l'empire romain les premières communautés chrétiennes, lesquelles étaient considérées comme marginales et plus ou moins étrangères à la vie locale. Quand le christianisme devient la religion officielle de l'empire au IVe siècle, par un singulier retournement de sens, il en vient à désigner les communautés de base de la société.
• Le mot commune rappelle les heures épiques de la fin du Moyen Âge, quand les bourgeois des premières villes arrachèrent aux seigneurs et au souverain des franchises et le droit de se gouverner eux-mêmes. Les Anglais en gardent le souvenir à travers leur principale assemblée politique, la Chambre des Communes (House of Commons). En France, le mot a été magnifiquement réhabilité par les Constituants dans leur loi du 14 décembre 1789 qui a institué pour les villes et les villages du royaume un même régime administratif, fondé sur l'élection et l'autonomie.
La révolution communale
Aux XIIe et XIIIe siècles, dans une période de radoucissement climatique et de forte expansion démographique, la chrétienté occidentale entre dans ce que l'historien Jules Michelet aime appeler le « beau Moyen Âge ».
Le développement du commerce et l'artisanat engendrent de belles villes sur les gués des grands fleuves, au pied des cols et au cœur des plaines fertiles. Dans ces villes se réfugient des paysans chassés par la misère et la guerre ou simplement désireux d'entreprendre.
Ces bourgeois, très vite, sont gagnés par le désir de s'émanciper du seigneur local, ce qu'ils font en lui versant de l'argent en échange d'une charte de franchise ou charte communale. Ils peuvent dès lors s'administrer en toute indépendance. Comme dans les villages mais de façon plus élaborée, les bourgeois se réunissent en assemblée et élisent les officiers du corps de ville qui vont pourvoir à l'intérêt général : sécurité, justice, droit commercial, perception des taxes...
Dans la France d'oïl, au-dessus de la Loire, ces élus qui gèrent les « communes jurées » sont appelés jurés, pairs ou échevins. Le président du conseil municipal porte généralement le nom de maire, vieux mot médiéval dérivé du latin major (« plus grand »). Dans la France d'oc, les élus et leur président sont appelés consul. Toulouse entretient le terme fleuri de capitouls.
Notons que les seigneurs, en manque d'argent du fait de leur appétit de luxe et de leurs engagements militaires (croisades), se sont rarement fait prier pour vendre tout ou partie de leurs droits à une ville. Il est arrivé aussi qu'eux-mêmes ou le roi créent de toutes pièces des villes nouvelles avec l'objectif de vendre une charte communale à leurs habitants une fois ceux-ci installés. Il est très rare cependant que ces « villes franches » ou « bastides » aient dépassé la taille d'un gros bourg.
En Italie, où il a débuté dès le XIIe siècle, le mouvement communal a conduit à la formation de républiques urbaines proprement indépendantes, telles Florence et Pise. Même chose en Allemagne. En France et en Angleterre, il a été contenu dans d'étroites limites du fait de l'autorité royale, qui n'a jamais cessé de s'exercer au-dessus des seigneurs locaux. À Paris, la rébellion du prévôt des marchands Étienne Marcel a fait long feu en 1358.
À la fin du Moyen Âge, les citadins les plus humbles délaissent leurs droits civiques et l'administration devient l'affaire exclusive des corporations d'artisans et des plus riches citadins.
Sous le règne de Louis XI, tandis que se renforce l'État monarchique, les bourgeois cèdent au roi de France ou à son représentant le soin de désigner le maire parmi les candidats qu'ils ont eux-mêmes désignés. Ainsi s'étiole la démocratie municipale.
Vers la centralisation
À la fin de la Renaissance, à l'époque des guerres de religion, la dynastie des Valois est ébranlée par le soulèvement des princes protestants et plus encore par celui des communes ralliées à la Réforme, de Nîmes à La Rochelle.
L'avertissement est entendu ! Au siècle suivant, sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV, l'autonomie des villes est pratiquement brisée par les intendants, tout-puissants représentants du roi dans les provinces. Les officiers municipaux, soucieux de conserver ses faveurs, s'en remettent à lui pour tout ce qui concerne leur ville.
La démocratie communale sombre définitivement en 1692, pendant la longue guerre de la Ligue d'Augsbourg, quand le Roi-Soleil, en manque d'argent, transforme la fonction de maire en office vénal, que tout bourgeois peut acheter à l'État en échange de privilèges et d'exemptions diverses.
Dès lors, les officiers municipaux ne sont plus que des jouets entre les mains du roi. Celui-ci, dans le siècle qui suit, s'amuse une demi-douzaine de fois à leur rendre le droit d'élection pour le leur reprendre peu après. À chaque fois, en transformant la fonction de maire de charge élective en charge vénale, il a le bonheur de faire rentrer un peu d'argent frais dans les coffres de l'État. « Les nécessités de nos finances nous obligent à chercher les moyens les plus sûrs de les soulager », est-il avoué dans l'édit de 1722 (cité par Alexis de Tocqueville, L'Ancien Régime et la Révolution, 1856).
Ainsi, au Siècle des Lumières, l'administration française glisse-t-elle sur la pente de l'arbitraire et de l'impuissance.
Les paroisses rurales connaissent une évolution similaire avec la montée en puissance de l'administration royale, représentée à la fin du Moyen Âge par le bailli dans la France du Nord et le sénéchal dans la France méridionale. Les paysans se détournent des affaires publiques et la gestion des affaires courantes, aux XVIIe et XVIIIe siècles, n'est plus assurée que par un syndic, souvent désigné par le subdélégué de l'intendant.
Qui plus est, la mise en place des premiers impôts permanents au XIVe siècle va mettre à l'épreuve les solidarités villageoises...
En effet, le Conseil du roi établit le montant de la taille et des autres impôts pour le royaume et leur répartition selon les provinces. Les intendants et les subdélégués font à leur tour une répartition paroisse par paroisse. Au bout de la chaîne, les habitants de chaque paroisse sont invités chaque année à désigner un collecteur ou « asséeur » qui a l'écrasante responsabilité de répartir entre toutes les familles l'impôt paroissial. Il est responsable sur ses biens de la bonne exécution de sa mission ! On imagine les tensions qu'il peut en résulter...
Bien avant que n'éclate la Révolution, de bons esprits perçoivent les insuffisances de l'administration locale.
C'est ainsi que le contrôleur général des finances de Louis XV, Clément de Laverdy, tente d'y mettre de l'ordre par deux édits (août 1764 et mai 1765) : dans les villes de plus de deux mille habitants, des notables élus au suffrage indirect désignent les membres du « corps de ville », autrement dit de l'administration municipale (échevins, conseillers, syndic-receveur, greffier) ; dans les villes de moins de deux mille habitants, un syndic-receveur tient lieu de maire... Mais dès 1771, le gouvernement en manque d'argent instaure une nouvelle fois la vénalité des offices.
Un peu plus tard, en 1775, Pierre Dupont de Nemours, secrétaire du contrôleur général des finances Turgot, publie un Mémoire sur les municipalités dans lequel il introduit un mot nouveau : municipalité, dérivé du latin municipium (cité de droit romain), et préconise d'étendre aux propriétaires terriens le droit de vote. Ce principe de vote censitaire est repris par l'édit de 1787 qui uniformise toutes les communautés, villes et villages, en prescrivant partout l'élection du « corps de ville » par les hommes de plus de vingt-cinq ans qui paient au moins dix livres d'impôt.
La Révolution invente le maire républicain
Quand éclate la Révolution, les esprits sont déjà préparés à l'idée d'une réforme municipale propre à l'ensemble des collectivités : paroisses rurales et villes, soit au total 44 000 communes (36 000 aujourd'hui).
Tout naturellement, dans leur grande loi du 14 décembre 1789, les députés de la Constituante reprennent l'essentiel de l'édit de 1787 avec une élection du conseil municipal au suffrage censitaire, par tous les hommes de plus de vingt-cinq ans qui paient un impôt équivalent à au moins trois journées de salaire ouvrier. Le conseil municipal élit à son tour son chef pour deux ans, sous le nom de maire.
Les premières élections se tiennent en février 1790 et très vite les maires apparaissent comme des acteurs essentiels dans la société politique ; ils sont la courroie de transmission entre les citoyens et l'État.
Important : la fonction de maire demeurant gratuite, elle est de fait réservée aux personnes assez aisées pour n'avoir pas besoin de travailler par ailleurs, en bref aux notables. C'est seulement à l'orée du XXe siècle que les républicains s'en émouvront et il faudra attendre... le régime de Vichy pour que les maires, adjoints et conseillers municipaux obtiennent une indemnité par la loi 112 du 15 janvier 1942. Cette mesure sera reprise et prolongée par une ordonnance du gouvernement provisoire en octobre 1945.
En pleine Seconde guerre mondiale, Marie-Rose Bouchemousse est nommée maire de Vigeois, une commune de Corrèze de 2000 habitants où elle a vu le jour. Le fait est d’autant plus étonnant que le régime de Vichy relègue les femmes à la sphère privée et domestique.
Cet événement tient avant tout à la personnalité et au parcours de Marie- Rose Bouchemousse. Elle se distingue dès ses études en soutenant le 14 juin 1922 une thèse de philosophie scolastique. Elle devient ainsi la première étudiante à obtenir le grade de « maître en philosophie ». Elle va ensuite occuper de 1924 à 1943 le poste de secrétaire de la Fédération Nationale Catholique, présidée par le général de Castelnau.
Le maire de Vigeois ayant démissionné pour raisons de santé, Marie-Rose Bouchemousse se voit proposer d’occuper la fonction, qu’elle accepte après avoir obtenu la collaboration active à ses côtés de Charles du Basty, un ancien directeur de la Banque de France, et surtout l’assentiment de l’ensemble de la population de la petite commune.
Cette femme de caractère va aussi faire montre d’un grand courage. Le 11 juin 1944, un détachement de la division SS Das Reich, qui commettra les massacres d'Oradour-sur- Glane et de Tulle, investit le bourg et bloque toutes les voies d’accès. Demandant à parler au maire, les officiers allemands voient s’avancer vers eux Marie-Rose Bouchemousse.
Les négociations seront longues mais les troupes SS quitteront la ville tard la nuit sans brutaliser les habitants. Sans le courage de la première maire de France, les habitants de Vigeois auraient peut-être subi un sort tragique.
Le 20 septembre 1792, avant de se séparer pour laisser la place à une première République, l'Assemblée législative confie aux officiers municipaux la tenue des registres d'état-civil (naissances, mariages, décès). Cette fonction sociale majeure, précédemment dévolue aux curés, donne aux nouveaux conseils municipaux et aux maires un surcroît de légitimité et de prestige.
Dans les années qui suivent, les maires président aux cérémonies civiques, vêtus d'un bel uniforme avec une écharpe rouge à franges tricolores.
Mais ils sont aussi à la peine. Ils doivent en particulier gérer l'impopulaire levée en masse et la mobilisation des conscrits à partir de mars 1793. Ils doivent superviser les réquisitions qui tiennent lieu d'impôts. Ils doivent également réprimer la mendicité, une obligation qui leur incombera jusqu'à la fin du XXe siècle.
Après la chute de Robespierre (27 juillet 1794), beaucoup sont démis d'office et parfois victimes de vengeances personnelles.
Méfiants à l'égard des anciennes municipalités montagnardes, les Thermidoriens qui prennent le pouvoir instituent par la Constitution d'août 1795 des regroupements de communes sous la forme de dix mille municipalités cantonales (une par canton) avec, à leur tête, non plus un maire mais un président élu au suffrage universel et assisté d'un commissaire du Directoire, le nouveau gouvernement de la République.
Dans le même temps, l'abolition des privilèges fiscaux atténue les rancœurs occasionnées par la perception des impôts. Ceux-ci sont d'ailleurs rebaptisés d'un terme plus seyant : contributions et surtout, leur répartition et leur collecte n'est plus confiée aux « corps de ville » comme sous l'Ancien Régime mais à des comptables publics responsables devant l'État et lui seul « sur leurs propres deniers ».
Un notable très peu démocratique
Napoléon Bonaparte met un terme à la Révolution et aux velléités de décentralisation des députés de la Législative.
En rédigeant la Constitution du 13 décembre 1799 qui institue le Consulat, l'abbé Emmanuel Sieyès reprend les recettes de l'Ancien Régime. Il restaure les quarante mille communes originelles tout en maintenant certaines fonctions comme la justice de paix au chef-lieu de canton.
Il confie au Premier Consul le soin de choisir les maires des villes de plus de cinq mille habitants et leur adjoint sur une « liste de confiance » établie par les électeurs. Pour les communes plus petites, ce choix est laissé au préfet qui, à la tête du département, a remplacé l'intendant comme représentant de l'État central.
Dans un premier temps, le Premier Consul se montre relativement ouvert dans le choix des maires. Mais en 1808, devenu Empereur des Français sous le nom de Napoléon 1er, il procède à un renouvellement général des fonctions municipales en vue de renforcer son emprise sur la société et de rallier l'ancienne noblesse au nouveau régime. Dès lors accèdent à la fonction de maire de nombreux nobles d'Ancien Régime, en remplacement des parvenus de la Révolution.
À la chute de l'Empire, le roi Louis XVIII se garde de remettre en cause la France des notables ! Il conserve dans les grandes lignes l'organisation communale héritée de l'Empire et se contente de changer quelques têtes.
La stabilité de l'administration communale et la souplesse d'échine des maires font office d'amortisseurs à l'agitation parisienne. Elles permettent à la France de s'offrir une succession accélérée de régimes sans troubles majeurs, de la Restauration (1814-1815) à la IIIe République (1870-1875) en passant par la Monarchie de Juillet (1830), la Seconde République (1848) et le Second Empire (1851-1852).
Les maires prennent une part décisive à la modernisation du pays et à la consolidation du tissu social.
Dès la Monarchie de Juillet, ils entretiennent les chemins vicinaux comme le prescrit la loi. Ils s'appliquent aussi à relier leur commune aux réseaux routier et ferroviaire en plein essor, à l'équiper en services de voirie (adductions d'eau...) et ouvrir une école primaire pour tous les enfants comme les y oblige la loi Guizot de 1833. Ils assument les secours aux nécessiteux et se soucient aussi d'asseoir leur prestige avec des hôtels de ville et des mairies plus somptueux les uns que les autres.
Au début du règne de Louis-Philippe 1er, par la loi du 21 mars 1831, le ministre de l'Intérieur François Guizot restreint la désignation du maire parmi les membres du conseil municipal élu, ce qui a pour effet de limiter l'arbitraire de l'État central.
Sous la Seconde République, coup de tonnerre ! Le décret du 3 juillet 1848 établit l'élection du maire par le conseil municipal... mais la centralisation reprend le dessus deux ans plus tard en rendant au président de la République ou au préfet le soin de le nommer. Et déjà s'installe un débat en haut lieu sur les vertus et les vices respectifs du centralisme et de la décentralisation dont nous ne sommes pas encore sortis.
La République des notables
La chute du Second Empire aboutit au triomphe définitif de la République (la IIIe du nom). La grande loi municipale du 5 avril 1884 consacre l'élection des conseils municipaux au suffrage universel et l'élection du maire par les conseils municipaux. L'article 61 de la loi dispose : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune ».
Cela vaut pour toutes les communes à l'exception de Paris, qui n'a qu'un président du conseil avec des attributions restreintes.
La capitale est privée de maire en raison de la méfiance des notables républicains à l'égard du petit peuple parisien, qu'ils ont vu à l'œuvre pendant la Commune. Il faudra attendre la loi du 31 décembre 1975 et l'élection de Jacques Chirac le 25 mars 1977 pour un retour de Paris à la normalité.
Dès les années 1880, la ferveur qui s'attache à l'élection du maire est démontrée par l'érection d'un « arbre de mai » ou d'un bouquet de feuillage devant la demeure de l'heureux élu, avec l'inscription : « Honneur à notre maire ». Cette tradition se poursuit encore dans de nombreux villages.
Le triomphe de l'institution s'affirme avec les banquets des maires organisés à l'occasion des Expositions universelles de 1889 et surtout de 1900. Le 22 septembre 1900, pas moins de 22 000 maires répondent à l'invitation du président Émile Loubet, dans le jardin des Tuileries.
En mai 1907, une poignée d'élus participent au premier Congrès des maires de France. L'année suivante, Jean-Bertrand Daure, maire d'Alan, un village du Comminges, fonde l'Association nationale des maires de France et d'Algérie. Elle va devenir la pépinière des responsables nationaux. C'est désormais par les fonctions de conseiller municipal et maire que la plupart des dirigeants français entameront leur carrière politique.
L'automne des maires
La suite est plus éprouvante. Au XXe siècle, le tissu communal est gravement affecté par les guerres mondiales, la dénatalité et l'exode rural. À côté de l'église, de la mairie et de l'école, voilà que s'insère dans le village un autre repère dont on se serait passé : le monument aux morts. Il devient le nouveau lieu rituel où s'exprime la mémoire collective.
La dépopulation des campagnes, qui a débuté sous le Second Empire, s'accélère avec la Première Guerre mondiale et plus encore l'expansion industrielle des « Trente Glorieuses ». Sur environ 36 000 communes, 31500 (85%) ont moins de 2 000 habitants, dont une forte proportion de retraités, ce qui complique le recrutement du personnel communal et la gestion des services publics.
Mais à la différence de ses voisins européens, la France recule depuis un siècle devant le regroupement forcé des petites communes. S'étant engagée trop tôt dans cette voie avec les municipalités cantonales du Directoire, elle en a gardé la phobie et lui préfère la coopération intercommunale, assurément plus coûteuse et moins efficace - du fait de services redondants et d'une chaîne de commandement plus longue -, et aussi moins démocratique - les citoyens n'ont pas de prise directe sur les directeurs de ces intercommunalités -.
Les premières coopérations intercommunales remontent à la loi du 22 mars 1890 qui a créé le syndicat de communes, un établissement public chargé de gérer certains services publics intercommunaux (collecte des ordures ménagères, distribution de l'eau potable...). Dans les dernières décennies se sont créées d'autres structures d'intercommunalité, officiellement dans un but de simplification administrative, la dernière en date étant la « Métropole », mise en place par la loi du 27 janvier 2014.
Ces structures technocratiques brassent beaucoup d'argent et leur autonomie de gestion leur permet d'échapper assez facilement à la surveillance de l'État et des maires.
Les maires qui n'ont pas la chance de présider une intercommunalité s'accrochent à leurs dernières prérogatives, essentiellement l'état-civil, les permis de construire, l'aide sociale, la police municipale et l'animation culturelle, tout en vivant dans la crainte qu'un citoyen victime d'une mauvaise chute sur la voie publique ne les traîne devant les tribunaux !
Même s'ils échappent encore au discrédit qui frappe la classe politique depuis le début du XXIe siècle, les maires savourent de moins en moins le prestige de leur fonction. Aux élections du 23 mars 2014, pour la première fois, il s'est trouvé plusieurs communes rurales sans liste candidate.
Le scrutin municipal est en France d'une rare complexité et la loi du 17 mai 2013 ne l'a pas amoindrie. Cette complexité est le prix à payer pour que soient représentées toutes les sensibilités politiques dans les conseils.
Dans les communes de plus de mille habitants, les conseillers municipaux sont élus au scrutin de liste, à la proportionnelle, avec prime majoritaire accordée à la liste arrivée en tête. Si une liste obtient la majorité absolue au premier tour, elle remporte la moitié des sièges et les autres listes ayant eu au moins 5% des suffrages exprimés se partagent les sièges restants à la proportionnelle. En l'absence de majorité absolue, les listes ayant obtenu au moins 10% des suffrages exprimés sont habilitées à se présenter au second tour, avec possibilité de fusionner entre elles.
Dans les communes de moins de mille habitants, les électeurs ont la possibilité de « panacher » les listes et de composer leur propre liste. Chaque fois qu'il y a une intercommunalité, les premiers élus des listes sont appelés à figurer dans celle-ci. Détail supplémentaire : dans tous les cas, les listes doivent comporter une alternance homme-femme. À Paris, Lyon et Marseille, enfin, l'élection se joue sur des listes d'arrondissement.
Bibliographie
Il existe peu de synthèses sur les institutions communales. La plus fouillée, concernant les deux derniers siècles, est celle de Jocelyne George : Histoire des maires, 1789-1939 (Plon, 1989).
Sur les institutions françaises, le chef d'œuvre d'Alexis de Tocqueville reste d'actualité : L'Ancien Régime et la Révolution (1856).
Villes américaines
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jeurissen (20-04-2014 19:21:59)
Article très clair et très éclairant sur l'évolution des municipailtés