Millefeuille territorial

Les maires de France au bord de la crise de nerfs

24 novembre 2024. Acculé par la dette abyssale laissée par ses prédécesseurs, le gouvernement français s'en tient à des économies de bouts de chandelle qui ne résolvent rien. Réunis en congrès, les maires de France ont témoigné de leur exaspération. Les élus de la Nation ont le choix soit d'attendre la catastrophe finale tout en bricolant les comptes publics, soit de « reprendre en sous-oeuvre l'édifice entier pour en prévenir la ruine » (Calonne, 1786).
Parmi les réformes structurelles qui pourraient rendre confiance aux citoyens... et aux créanciers de l'État, il en est une qui ne coûterait rien et rapporterait gros : la suppression du « millefeuille territorial ». Elle figure en bonne place parmi les propositions de notre essai : Le Climat et la Vie...

La France compte en 2024 environ 35 000 communes, héritières des paroisses de l'Ancien Régime. C'est 40% de toutes les communes de l'Union européenne !

La moitié de ces communes ont moins de cinq cents habitants et seulement un peu plus de 2 000 dépassent les 5 000 habitants. Dans les communes de moins de cinq mille habitants, le maire reçoit une indemnité qui varie de 1000 à 2 300 euros net par mois, pour un travail parfois proche d'un plein temps. Le budget dont il dispose est de l'ordre de mille euros par habitant...

Des municipalités à taille responsable

106e congrès des maires de France.La plupart des communes rurales n'ont plus aujourd'hui que quelques dizaines ou quelques centaines d'habitants permanents, généralement des retraités ou d'anciens agriculteurs auxquels s’ajoutent des « rurbains » qui travaillent dans la ville la plus proche, parfois à plusieurs dizaines de kilomètres.

Avec pas plus d’habitants qu'un immeuble parisien, ces communes sont trop dépeuplées pour constituer des centres de vie décents et se gérer correctement. Leurs habitants doivent se rendre en voiture au chef-lieu d'arrondissement (la sous-préfecture), souvent à vingt kilomètres ou davantage, pour accéder aux commerces et services de la vie quotidienne : hôpital, lycée, cinémas, etc.

Les maires de ces communes ne peuvent rien faire de plus que de construire une salle des fêtes ou goudronner les chemins vicinaux. Leur utilité la plus visible est de décharger l'Administration de la gestion au jour le jour des lieux-dits et des hameaux isolés, avec le doigté que permet la connaissance des gens et du milieu.

La mutualisation des moyens, une fausse-bonne idée

Pour tenter de remédier à ces inconvénients, on a généralisé au fil des dernières décennies les intercommunalités : les maires d'un même territoire mutualisent leurs besoins, par exemple dans la gestion des déchets, l'eau ou l'assainissement. Ils constituent pour cela des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Il s'agit soit de communautés de communes avec une fiscalité propre (taxe foncière...), soit de syndicats intercommunaux financés par les différentes communes.

Contre toute attente, les intercommunalités ont aggravé les lourdeurs et le coût de la gestion communale. Cela pour des raisons très humaines que l'on peut comprendre a posteriori :
• En rajoutant un échelon au « millefeuille » territorial, elles ont ralenti les processus de décision, déresponsabilisé les maires et multiplié les conflits de personnes.
• Elles ont aussi fait exploser les coûts administratifs car, les communes conservant chacune un budget propre, elles n'ont pas voulu sacrifier leur personnel et leurs services sur l'autel de l'intercommunalité. C'est ainsi que se sont multipliées les dépenses redondantes, avec par exemple un service informatique dans l'EPCI qui fait doublon avec les services informatiques des communes. 

Last but not least, à cela s'ajoutent les charges administratives qui imposent aux malheureux maires des réunions sans fin et la lecture de circulaires innombrables, obscures et contradictoires, produites par les cabinets ministériels et les bureaux de Bruxelles.

Ces lourdeurs bureaucratiques vont de pair avec des économies douteuses comme la suppression des tribunaux d'instance ruraux et des hôpitaux jugés trop petits. Tout cela n'a pas enrayé la désertification du monde rural et la fermeture des commerces et des cabinets médicaux.

Renforcer pour de bon les mailles du tissu rural

Partons d'un constat : on ne sauvera pas toutes les 35 000 communes françaises.
• C'est la conséquence de plusieurs décennies de désindustrialisation fondées sur l'idée fausse que l'on avait plus à gagner à faire venir notre blé et notre lait de Pologne ainsi qu'à faire fabriquer nos vêtements au Bangladesh et nos voitures et éoliennes en Chine qu'à les produire nous-mêmes.
• C'est aussi la conséquence de plusieurs décennies de « métropolisation » fondées sur l'idée toute aussi fausse que la richesse nationale est le fait des détenteurs de gros revenus qui vivent dans les métropoles (publicitaires, influenceurs, avocats, président de la République, etc.) et non pas le fait des paysans qui produisent nos fromages et nos vins, ainsi que des ouvriers qui produisent à Vannes, Cholet, Sochaux, Montluçon, Amiens, etc., des pneus, des appareils électroménagers et des voitures à haute valeur ajoutée. 

À défaut de ramener de la jeunesse et de l'activité dans tous les villages, il importe de sauver ce qui peut encore l'être, à savoir les quatre à cinq mille villages principaux qui maillent le territoire et lui évitent de revenir à la friche et au désert. Cela est possible avec une réforme à coût nul, génératrice d'économies budgétaires et de davantage de démocratie.

Cette réforme commencera avec le regroupement des communes rurales au sein de « municipalités » de trois à dix mille habitants et d'environ 100 km2. Ces municipalités reprendront à peu près les contours des quatre à cinq mille cantons créés sous la Révolution. Elles auront surtout un seul budget et un seul décideur : le maire de la municipalité.

Ces maires seront pleinement autonomes et n'auront de comptes à rendre qu'à leur conseil municipal et au préfet du département. Les intercommunalités, EPCI et autres machineries administratives n’auront plus aucune utilité et seront supprimées sans inconvénient.

Les différentes communes regroupées au sein de ces municipalités conserveront leur identité mais n'auront plus de budget. Elles continueront d'élire un maire, lequel siègera dans le conseil de la municipalité où il pourra faire remonter les attentes spécifiques de ses concitoyens. 

Une alternative souriante à la « métropolisation »

Les nouvelles municipalités s'inscrivent dans une démarche écologique destinée à promouvoir la sociabilité et les déplacements courts, économes en énergie.

Elles pourront se doter de tous les services publics indispensables à la vie d’une collectivité : poste, crèches, écoles, collèges, lycée, maison de santé, trésorerie, commissariat, tribunal de police, bibliothèque, salle de spectacle, salle de sports, etc. ainsi que de tous les commerces de proximité utiles : presse-librairie, café-restaurant, boulangerie, épicerie, boucherie-charcuterie, banque, etc.

Les municipalités pourront aussi organiser un marché hebdomadaire ou quotidien où les producteurs locaux vendront leurs produits sans autre charge qu’une TVA à taux réduit et un loyer symbolique pour leur emplacement. Ces producteurs n’auront aucune contrainte administrative mais s’engageront à ne vendre que les produits issus de leur terre et de leur travail.

Services, commerces et marché seront implantés dans le bourg principal, dans un rayon d’un maximum de 500 mètres autour du centre. Ainsi le bourg pourra-t-il être dédié à la marche, le moyen de déplacement le plus naturel et le plus sain, comme le sont déjà des villages tels que Kaysersberg (Haut-Rhin) ou Cucugnan (Aude). Il redeviendra le lieu de rencontre et de vie qu’il a été au cours du millénaire précédent. Les habitants des autres communes, à six ou sept kilomètres au maximum du centre, pourront le cas échéant s'y rendre avec un bus-taxi municipal. 

Les municipalités auront la faculté de verser une prime d’encouragement de l’ordre de mille à deux mille euros par mois à chacun des dix ou quinze commerçants qui s’installeront dans le rayon précité. C’est une dépense modeste en regard des dépenses évitées du fait d’un moindre trafic automobile : voirie, parkings, feux de signalisation, etc.

Il en coûtera au grand maximum 1,8 milliard d’euros. Ce financement pourra être prélevé sur le budget de la  « transition énergétique », lequel est de l'ordre de plusieurs dizaines de milliards par an pour une efficacité nulle ou à peu près nulle

En quête d'économies tous azimuts, le gouvernement français serait bien inspiré de faire d'ores et déjà l'économie des aides à l'importation d'éoliennes et de panneaux photovoltaïques, qui coûtent très cher (environ six millards par an) et ne réduisent en rien nos émissions de gaz à effet de serre car l'électricité éolienne et photovoltaïque vient en surplus d'une électricité nucléaire et hydraulique déjà surabondante. Il pourrait reporter une partie de ces aides sur la revitalisation du monde rural pour un bénéfice bien supérieur : réduction du déficit commercial, créations d'emplois locaux, relance du bâtiment... et émissions de CO2 évitées grâce à une moindre utilisation de l'automobile ! 

Cette revitalisation des villages se fera à coût réduit compte tenu du grand nombre d'habitations à l'abandon qui n'attendent que d'être restaurées ! Elle sera en tout cas d'un moindre coût social et humain que l'extension désordonnée des banlieues métropolitaines.

Les personnels en surnombre dans les services administratifs des anciennes communes et des EPCI pourront être réaffectés dans les nouveaux services publics. Mieux encore, ceux qui souhaiteront voler de leurs propres ailes et par exemple ouvrir un commerce ou un atelier à leur compte pourront demander une indemnité de départ conséquente et bien sûr bénéficier du coup de pouce des municipalités à l'ouverture de nouvelles activités...

Renouveau démocratique

Entre les communes et l’État, l’inventivité de l’administration et de la classe politique a généré au cours des dernières décennies une multitude d’échelons qui s’entravent mutuellement à prix d’or. Il n’est que temps de revenir à la sobriété héritée de la Révolution en supprimant tous les échelons intermédiaires entre les municipalités et l’État, à l’exception du département.

On peut dans le même temps supprimer les Régions (une création du régime de Vichy). Les treize Régions actuelles, en remplacement des vingt-deux précédentes, ont été voulues par le président Hollande pour renforcer la prééminence des métropoles qui en sont le chef-lieu : Bordeaux, Toulouse, Rennes, etc. Ces entités artificielles et ridiculement trop grandes (la Nouvelle Aquitaine a 500 km de long), ont montré leurs carences pendant l’épidémie de coronavirus.

Les départements ont autrement plus d’atouts. Avec en moyenne la taille de deux cantons suisses, ils se prêtent à une gestion sage et démocratique. On les a critiqués parce qu'ils avaient été adaptés, il y a deux cents ans, à des déplacements à cheval ou en carriole. Mais ce qui apparaissait comme un archaïsme au temps du président Pompidou et du tout-automobile devient un avantage dès que l'on veut favoriser la proximité, limiter les déplacements et réduire les émissions de CO2.

Avec au total trente à soixante municipalités par département, chaque maire sera en mesure de connaître personnellement le préfet, les élus et le président de son département. Les préfets serviront de relais entre les maires et les directions départementales des ministères (environnement, santé, industrie, urbanisme, etc.). Par leur intermédiaire, les maires pourront aussi faire remonter leurs doléances au sommet de l’État en échappant aux méandres de l’administration. Nous ne serons plus très loin de la démocratie directe. Un rêve passe...

André Larané
 
Publié ou mis à jour le : 2024-12-02 11:52:41

Voir les 19 commentaires sur cet article

jarrige (28-11-2024 09:54:17)

Je me permets de rapporter mon expérience personnelle. En 2014 je me suis présenté aux élections municipales de mon village, tardivement, dans la dernière semaine, seul, sans liste et avec comme ... Lire la suite

Didier (28-11-2024 04:51:33)

1/ Oui le nombre incroyable des communes françaises est un archaïsme, et la décentralisation en a accru les défauts : que peut faire sérieusement le maire d’une commune rurale désormais invest... Lire la suite

Jean (26-11-2024 18:44:52)

Vous avez mille fois raison. Voici un commentaire que je formulais dans le courrier des lecteurs d'un quotidien. "Avec ses 260000 habitants le département du Jura compte presque autant de communes q... Lire la suite

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