2 novembre 2022 : l’heure est à la lutte contre le réchauffement climatique. Mais, faute d'approche économique, les Européens se focalisent sur la construction d'éoliennes, la rénovation thermique des logements et l'électrification des automobiles. Autant de pistes coûteuses et sans effet garanti sur le réchauffement climatique...
Ainsi que nous le montrions dans notre chronique du 3 juillet 2022 : Un coût aberrant de la tonne de C02 évitée, les Européens se fourvoient en prétendant diminuer les émissions de gaz à effet de serre mais sans évaluer la pertinence de leurs investissements (coût de la tonne de CO2 évitée) et sans rien changer au consumérisme qui pousse chacun à consommer plus d'énergie d'année en année.
C'est vouloir une chose et son contraire. C'est aussi accélérer la ruine de nos pays sans profit pour quiconque (sauf peut-être pour nos fournisseurs américains et qataris de gaz naturel liquéfié). Cela parce que nous confondons l'objectif avec les moyens.
Un objectif planétaire
L'objectif est clair : faire en sorte que la teneur en CO2 de l'atmosphère n'augmente plus, autrement dit que les émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre de toute la planète soient absorbées année après année par les puits de carbone naturels (forêts, océans, etc.).
On estime aujourd'hui ces émissions à 40 milliards de tonnes par an, dont 10 milliards sont absorbées par les puits de carbone. Il s'agit donc de les ramener à 10 milliards de tonnes (un peu plus d'une tonne par humain et par an) dans les deux ou trois décennies à venir, avant que le réchauffement ne s'emballe. C'est un objectif atteignable sans porter atteinte à notre bien-être essentiel (alimentation, santé, éducation) mais simplement en nous dispensant d'utiliser quotidiennement une voiture, de mal chauffer notre logement, de voyager une ou plusieurs fois par an d'un continent à l'autre, de recourir aux services numériques (achats en ligne, vidéos et réseaux virtuels), bref, en tournant le dos à un mode de vie consumériste qui néglige l'essentiel et privilégie le futile...
Un pays comme la France émet chaque année environ 300 millions de tonnes de CO2 dans l'atmosphère (5 tonnes par habitant). C'est l'un des meilleurs résultats de l'Union européenne et des pays développés, bien meilleur en tout cas que celui de l'Allemagne... du fait de nos réacteurs nucléaires et de notre manque d'industries. Un quart environ de ce dixoyde de carbone est absorbé par les puits de carbone. Le reste contribue à l'effet de serre et amplifie année après année le réchauffement climatique. Y remédier signifie de mettre en oeuvre des solutions efficaces pour éviter ces émissions de CO2 et si possible des solutions qui soient transposables au reste du monde.
Français et Européens se sont ainsi focalisés sur l'objectif de « décarboner » un maximum d'activités (logement, transports, industrie) par la construction d'éoliennes, la rénovation thermique des logements et l'électrification des automobiles. Mais à aucun moment, ils ne se sont souciés d'un calcul économique pour mesurer l'efficacité de ces choix concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
L'indicateur qui mesure cette efficacité est le coût par tonne de CO2 évitée (CTCE). Cet indicateur permet de ne retenir que les solutions les plus efficaces, autrement dit les moins coûteuses. Celles-là seules seront susceptibles d'être encaissées par l'économie, agréées par l'opinion publique et extensibles au reste du monde et en particulier aux pays émergents et pauvres. Curieusement, cet indicateur est négligé par nos responsables politiques, bien que la plupart d'entre eux aient une calculette à la place du coeur et ramènent tous les enjeux proprement humains (santé, éducation) à des critères comptables.
Nous avons évalué ci-après différents aspects de la « transition énergétique » selon cet indicateur et nous les avons comparés à une révolution urbanistique qui romprait avec l'étalement urbain façon étasunienne. Le résultat est imparable :
• Transition énergétique :
Coût : 100 ; efficacité : 0
• Révolution urbaine :
Coût : 0 ; efficacité : 100
Éoliennes, photovoltaïque, véhicules électriques, rénovation des logements
Tenons-nous en à quelques données simples et à des ordres de grandeur : un m3 de gaz, un kg de charbon ou un litre de fioul émettent en brûlant plus ou moins 2 kg de CO2 dans l'atmosphère. D'autre part, leur pouvoir calorifique est peu ou prou équivalent à celui de 10 kWh électriques (mais deux à trois fois moins en énergie finale du fait des pertes de rendement (note).
• Le « mix électrique » mesure les émissions de gaz à effet de serre (GES) en kg pour 10 kWh électriques. En France, d'après la base empreinte de l'ADEME, il est aujourd'hui égal à environ 0,0813 kgCO2e/kWh (c'est un ratio plutôt bas dû à ce que notre électricité est essentiellement produite par des centrales nucléaires avec un bilan carbone très avantageux).
• On peut aussi évaluer le « mix énergétique » global de la France en rapportant ses émissions de GES (406 millions de tonnes en 2021) à sa production d'énergie (2500 milliards de kWh équivalents). Il est égal à environ 0,1624 kgCO2e/kWh (ce ratio est plus élevé que le précédent du fait qu'il inclut le chauffage au fioul et les véhicules à moteur thermique).
Analysons à partir de là la pertinence des investissements sur une durée de 30 ans, d'abord parce que cela nous mène vers 2050 et c'est l'échéance avant laquelle il est urgent, selon les climatologues, que les émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre ne dépassent pas ce que peuvent absorber les puits de carbone, ensuite parce que cette durée est celle qui prévaut pour l'amortissement de la plupart des infrastructures durables.
Considérons le parc marin de 62 éoliennes géantes au large de Saint-Brieuc. Il fonctionne avec une puissance installée de 500 MW (chiffres arrondis) et doit produire bon an mal an environ 1 500 000 MWh, soit 45 TWh sur 30 ans (45 milliards de kWh). La construction de ces éoliennes aura coûté 2,5 milliards d'euros selon son promoteur l'Allemand Siemens, non compris les coûts d'exploitation et de maintenance pendant un maximum de trente ans ainsi que de démantèlement. Le kWh est dans ce cas d'environ 7 centimes, soit du même ordre de grandeur que le coût du kWh nucléaire (réacteurs de nouvelle génération EPR2).
Notons que les éoliennes fonctionnent de façon aléatoire seulement quand il y a du vent et doivent impérativement être couplées à des centrales au gaz naturel d'une puissance équivalente, capables de démarrer instantanément pour satisfaire la demande d'électricité dans les périodes sans vent (les deux tiers du temps environ).
D'après la base carbone de l'ADEME, le parc éolien en mer affiche un bilan carbone de 0,0156 kgCO2e/kWh.
• Si nous rapportons ce bilan carbone au mix électrique de la France, le parc éolien de Saint-Brieuc conduit à l'économie de (0,0813-0,0156) kgCO2e/kWh soit un total de 2 956 500 tonnes de CO2 évitées, soit environ 3 millions de tonnes de CO2 évitées. Avec un coût total de 3 milliards d'euros, cela mettrait le coût de la tonne de CO2 évitée à mille euros environ ! Ce montant exorbitant vient de ce que les éoliennes n'ont aucun avantage sur les centrales nucléaires en termes d'émissions de CO2.
• Nous pourrions aussi rapporter le bilan carbone du parc éolien marin au mix énergétique de la France. Cela peut se justifier par le fait que les éoliennes doivent être couplées à des centrales au gaz pour pallier leurs arrêts par absence de vent. Elles sont donc génératrices de C02.
Estimant que 8% des émissions de CO2 viennent du chauffage, le gouvernement français injecte plusieurs milliards par an dans la rénovation énergétique des logements. Cette politique laisse sceptique la Cour des Comptes qui a dénoncé son illisibilité et son inefficacité dans son rapport du 28 juillet 2022 : multiples intervenants ; prévarication, etc.
La performance énergétique des logements est décroissante de la classe A à la classe G. La classe G suppose en théorie une consommation de 450 kWh/m² par an. Pour un appartement ou une maison de 100 m2, cela correspond à 45 000 kWh par an ou 4 500 litres de fioul ! Dans les faits, pareille consommation ne se voit jamais car, sauf à être richissimes, les habitants font en sorte de ne chauffer qu'une pièce et de se couvrir.
Si des travaux de rénovation sont engagés, il s'ensuit un « effet rebond » ainsi que le note la Cour des Comptes et que l'atteste une enquête britannique auprès de cinquante mille foyers : les habitants ne tardent pas à profiter de la meilleure isolation de leur logement pour relâcher leurs efforts d'économie (fermer les portes et ne pas chauffer les couloirs par exemple) ainsi que pour se chauffer davantage avec la même dépense d'énergie. Tant mieux pour eux mais ce n'est pas l'objectif de la transition énergétique...
Cela dit, pour ramener un logement de la classe G à la classe E, soit à une consommation d'environ 300 kWh/m² par an qui est la limite légale d'acceptabilité, il faut des travaux d'un coût minimum de 200 euros/m2. Pour un appartement ou une maison de 100 m2, cela correspond à une dépense de vingt mille euros pour économiser en théorie 1500 litres de fioul par an ou 45 m3 sur 30 ans, avec l'émission de 90 tonnes de CO2 . Dans ce cas, le coût par tonne de CO2 évitée (CTCE) s'élève à un peu plus de 200 euros, un coût très élevé et qui plus est sous-évalué pour les raisons susdites.
L'obligation faite par le Parlement européen d'électrifier tout le parc automobile européen avant 2035 nous interroge sur la santé mentale de nos représentants. Elle conduit à remplacer à la va-vite des petites voitures essence ou diesel en acier de moins d'une tonne par des monstres hybrides de deux tonnes en aluminium, cuivre et métaux rares. C'est la ruine de tout un écosystème industriel plus que centenaires avec ses sous-traitants et ses garagistes sans l'assurance d'éviter des émissions de CO2 :
• Il ne suffit pas qu'une voiture soit électrique ; encore faut-il que son électricité soit « propre ». C'est à peu près le cas en Suède, grâce à l'hydroélectricité, et en France, aussi longtemps que perdurent ses centrales nucléaires. Ca ne l'est pas du tout en Allemagne où l'on réouvre en catastrophe des mines de lignite et des centrales au charbon et au gaz naturel liquéfié après avoir fermé les centrales nucléaires sous la pression des écologistes.
• Plus généralement, la fabrication des voitures électriques réclame beaucoup plus d'énergie que celle des voitures thermiques et il faudrait selon les experts qu'elles roulent cent mille kilomètres pour compenser ce surcoût de CO2. Sous réserve de vérification, une voiture roule en moyenne dix mille kilomètres par an avec une durée de vie moyenne à peine supérieure à dix ans : il en ressort que le coût par tonne de CO2 évitée (CTCE) pour une voiture électrique frôle l'infini !
Notons qui plus est que dans les deux ou trois décennies à venir, hautement critiques, la multiplication des voitures électriques dans les pays développés se soldera par une accélération des émissions de CO2, en lien avec la fabrication de ces voitures, très énergivore (et polluante). Et quoi que l'on fasse, les voitures thermiques resteront en faveur dans les pays pauvres ou émergents, en particulier en Afrique où l'insécurité chronique ne permet pas de multiplier les lignes électriques et les bornes rechargeables. Le bilan de l'électrification du parc automobile européen en termes de CO2 évité est donc franchement négatif.
« Rêvons d'une autre ville ! » (Marc Held, architecte)
Dans les quarante dernières années, sous la pression du néolibéralisme, les dirigeants occidentaux ont renoncé à encadrer l'urbanisation du territoire. Il s'en est suivi un gaspillage phénoménal de nos ressources naturelles. En France, de 1980 à nos jours, le taux d'artificialisation des sols serait passé de 1% à 6% de la surface du pays alors que la population n'a crû que de 20%. Les terres agricoles ont cédé la place à des voies rapides, ronds-points, entrepôts, centres commerciaux, lotissements, maisons isolées, services publics, etc.
Il est encore possible que le bon sens reprenne le dessus sur l'idéologie et nous avons l'espoir de vaincre le réchauffement climatique sans qu'il n'en coûte rien ou presque, par le réaménagement des villes et des villages.
Une reprise en main de l'urbanisme par les pouvoirs publics pourrait avoir des effets rapides sur notre qualité de vie et nos émissions de gaz à effet de serre. J'en veux pour preuve un exemple représentatif de la France rurale. Il se rapporte à un village de 3000 habitants avec sa gare TER reliée au chef-lieu du département. Une demi-douzaine de soignants se sont installés dans un centre médical à 2 kilomètres du village sans qu'il soit possible de s'y rendre à pied. Le centre médical reçoit chaque jour environ 150 patients et professionnels de santé qui effectuent un parcours moyen de dix kilomètres en voiture. C'est un total de 1500 km par jour, pour 220 jours ouvrés par an, soit un total annuel de 33000 kilomètres. Une voiture consommant sept litres d'essence pour 100 km et émettant 2,3 kg de CO2 par litre, c'est 53 tonnes de CO2 émises par an et 1328 tonnes sur 25 ans.
Si le centre médical est réinstallé sur les vastes terrains disponibles près de la gare, pour un coût de 300 000 euros, c'est au moins la moitié des patients (et des soignants) qui vont opter pour la marche (ou le train). Au bout de 25 ans, le bâtiment aura tout au plus perdu un tiers de son prix initial, soit 100 000 euros, et c'est 664 tonnes de CO2 qui auront été évitées, avec un coût par tonne de CO2 évitée (CTCE) de l'ordre de 150 euros. Il s'agit d'une estimation maximale qui peut être grandement optimisée si des services similaires se rapprochent également du centre-ville et de la gare (pharmacie, maison de retraite, etc.) de façon à réduire encore davantage les distances de parcours de l'un à l'autre.
Les résultats peuvent être bien plus probants, pour un coût très modeste, si l'État prend des mesures réglementaires afin de mettre fin à l'anarchie rurbaine et revivifier les quartiers et les bourgs. C'est la démarche que nous préconisons dans le livre : Le Climat et la vie, une écologie de la liberté. Elle rejoint l'utopie de l'urbaniste Marc Held, celle d'une ville où tous les services sont accessibles à pied dans un rayon d'un ou deux kilomètres (Rêvons d'une autre ville !, Parenthèses, 2022). Cette démarche ne présente que des avantages, au contraire de la construction d'éoliennes géantes : protection des milieux naturels, resserrement des liens sociaux, moins de nuisances, etc.
De façon plus globale, en nous inspirant des enseignements des utopistes et urbanistes du XXe siècle, nous pouvons concevoir un réaménagement de nos villes et de nos métropoles, avec un horizon dégagé, libéré de l'angoisse climatique. Notre démarche est aussi parfaitement extensible à tous les pays du monde et démontre aux habitants des pays émergents qu'il est possible d'accéder aux bienfaits de la modernité (santé, éducation, logement, nourriture) sans en passer par les travers (pollution, saturation des villes, etc.).
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Voir les 5 commentaires sur cet article
Bernard 15 (07-12-2023 16:38:27)
Excellent article ... si seul le CO2 est la cause du réchauffement climatique !
Roland Berger (27-09-2023 13:31:25)
Excellent article. Je nourris toutefois peu d'espoir que des changements dans l'uranisme puissent voir le jour. Ils vont à l'encontre des ambitions des possédants à s'enrichir toujours davantage.
JJT (23-04-2023 12:12:43)
Un climato-septique qui promeut la rénovation complète des villes , des services publics à sa porte ... sans en estimer le coût et la durée des investissements ! Je crains qu'avec lui le monde s... Lire la suite