On ne présente pas Jérusalem ! La ville s'accroche aux montagnes de Judée, entre la plaine littorale et la vallée du Jourdain, et son altitude (700 à 800 mètres) lui vaut de connaître la neige et les frimas de l'hiver. En ce début du XXIe siècle, c'est une agglomération bourdonnante de 700 000 habitants aux colorations très orientales. Mais plus que cela, c'est une cité chargée de foi, d'histoire et de mémoire, comme le donnent à voir les nombreux juifs religieux en robe noire et papillotes qui se sont établis ici, au plus près des restes du Temple.
Ville sainte du judaïsme et par voie de conséquence du christianisme et de l'islam, elle est avant tout un symbole majeur de l'histoire occidentale. Les sites majeurs en relation avec l'Histoire demeurent l'esplanade du Temple et le Saint-Sépulcre, auxquels s'ajoutent l'émouvant mémorial de Yad Vashem, sur la colline du Souvenir.
Le poids de l'Histoire
La première évocation connue du lieu remonte à 1900 ans avant notre ère dans des textes égyptiens.
Jérusalem a été tour à tour sous domination égyptienne, israélite, judaïque, babylonienne, perse, hellénistique, lagide, hasmonéenne, romaine, byzantine, arabe, ottomane et récemment britannique. Une multitude de revirements et d’influences qui font dire que « Jérusalem ne s’appartient pas, Jérusalem n’est pas à Jérusalem, Jérusalem est une ville-monde, une ville où le monde entier se donne rendez-vous, périodiquement, pour s’affronter, se confronter, se mesurer » (Vincent Lemire, Jérusalem).
Les Hébreux et la Tour de David
Les seuls vestiges archéologiques encore visibles renvoient à une histoire qui commence en 1010 ans av. J.-C. À cette époque, trois populations de langue sémitique se disputent le pays :
• Les Cananéens, qui ont leur nom au pays, le pays de Canaan, et seront plus tard connus des Grecs sous le nom de Phéniciens,
• Les Philistins en souvenir desquels les Romains ont forgé le nom de Palestine,
• Enfin les Hébreux, qui se réclament d’Abraham et vénèrent un dieu jaloux.
C’est à ces derniers que Jérusalem devra son extraordinaire destin. David, roi des Hébreux, ravit son emplacement aux Cananéens pour y bâtir la capitale du royaume d’Israël. Il fit installer dans son palais l’Arche d’Alliance, réceptacle des Tables de la Loi que, selon la Bible, Dieu aurait données à Moïse. Ainsi Jérusalem devint-elle la métropole religieuse du peuple hébreu.
La Tour de David, aussi connue en tant que « citadelle de Jérusalem », porte le nom du roi même s’il n’est pour rien dans la construction de cet ensemble datant du IIe siècle av. J.-C. Plus qu’ailleurs, Jérusalem se raconte entre Mythe et Histoire car nombre d’hypothèses quant à l’histoire antique se recoupent avec les écrits religieux.
Avançons donc en direction de la Tour de David. C'est là que résida le roi latin de Jérusalem au temps des croisades. Ce bâtiment s’élève au-dessous de tous les autres, il est un repère pour quiconque se perd à Jérusalem. Passons l’imposante porte de Jaffa, entrée historique de la vieille ville. On arpente les ruelles étroites, accessibles aux seuls piétons, comme on remonte le temps.
Le mont du Temple
Un fois dans la vieille ville, dirigeons-nous vers le mont du Temple, au nord-est de la cité de David.
C’est là, à 740 mètres d’altitude, à l’endroit que nous connaissons aujourd’hui comme « l’esplanade du Temple », que le roi Salomon, fils de David, fit ériger un temple pour abriter dignement l’Arche d’Alliance. Il mobilisa cent cinquante mille hommes et fit appel à son très riche voisin, le roi Hiram de Tyr, pour réaliser ce complexe à la somptuosité légendaire, à la fois temple et palais.
L’unité du royaume d’Israël va cependant se briser à la mort de Salomon, en 931 av. J.-C. Jérusalem va rester la capitale du royaume de Juda, dont les habitants seront appelés Juifs, tandis que le nord, qui conserve le nom d’Israël, va devenir un royaume indépendant, avec pour capitale Samarie.
Malgré ces aléas politiques, Jérusalem prospérera encore longtemps grâce au commerce avec les villes côtières, la Phénicie et le royaume d’Israël. Cette période fastueuse prend fin en 586 av. J.-C. avec la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor, roi de Babylone. La ville fut détruite ainsi que le Temple, dont aucun vestige n’est demeuré. Une partie de la population fut aussi déportée à Babylone. Là, dans l’épreuve, elle fortifia sa foi en un Dieu unique et jeta les fondements du judaïsme.
En 701 av. J.-C., quand les Assyriens envahirent Israël et le royaume de Juda, le roi de celui-ci, Ézéchias, fit construire un tunnel afin de garantir l’approvisionnement en eau de Jérusalem. Ce tunnel de 533 mètres devait relier la source du Gihon, à l’Est de la cité de David, au bassin de Siloé, un ensemble de réservoirs à proximité de Jérusalem. Autrement dit, deux équipes d’ouvriers ont dû creuser la roche, sous la cité de David jusqu’à se rejoindre ! Il semble que la trajectoire du tunnel suivît une fissure naturelle dans la roche déjà exploitée par deux anciens tunnels. Finalement, les Assyriens et leur roi Sennachérib ne réussirent pas à s’emparer de Jérusalem. En revanche, le tunnel d’Ézéchias – ou tunnel de Siloé - a donné son nom est resté célèbre pour sa prouesse technique.
Le Second Temple
L’empire néo-babylonien de Nabuchodonosor ne dura pas. Moins de cinquante ans après la ruine de Juda, en 539 av. J.-C., le roi des Perses Cyrus le Grand s’empara de Babylone et, du coup, autorisa les Israélites à revenir chez eux et reconstruire le Temple.
Les travaux débutèrent quelques années plus tard. Vingt années furent nécessaires pour que le Temple renaisse… mais de façon plus modeste. Une période difficile commença alors pour Jérusalem. La population, moins nombreuse, se replia dans l’ancienne cité de David, au sud de la ville. Le Temple redevint malgré tout un lieu de pèlerinage.
Suite à la conquête d’Alexandre le Grand, Jérusalem tomba sous la férule des rois lagides puis séleucides, de culture hellénistique. L’un d’eux, Antiochos IV Épiphane, ne craignit pas de profaner le Temple en y installant une statue de Zeus olympien. En 63 av. J.-C. enfin, la ville fut conquise par les légions romaines de Pompée et les soldats ne craignirent pas d’entrer dans le Temple et d’assassiner des prêtres.
Le Temple retrouve sa superbe et plus encore
Toutefois le renouveau n’est pas loin ! En 40 av. J.-C., le Sénat romain offre au gouverneur de Galilée, Hérode, le titre de roi de Judée, à charge pour lui de conquérir son royaume et de se mettre au service de Rome. Trois ans plus tard, il prend possession de Jérusalem.
Du fait de sa culture grecque et de sa soumission à Rome, la plupart des Juifs lui vouent une haine féroce. Pour assurer son pouvoir, il fait exécuter de nombreux représentants de l’aristocratie, y compris la famille de son épouse préférée, Mariamne, ainsi que celle-ci et les deux fils qu’elle lui a donnés !
Malgré cela, la ville connaît une nouvelle période prospère et voit sa population s’accroître sans pour autant se comparer aux métropoles telles Éphèse, Antioche ou Alexandrie. Le roi marque l’architecture de la ville par la rénovation du Temple qui retrouve sa splendeur. Il fait également fortifier la citadelle, consolider l’adduction d’eau et construire un palais, dans le sillage du roi Salomon. Á ce moment-là, on peut imaginer l’esplanade semblable à un forum romain.
En l’an 4, Hérode Ier meurt de la gangrène après avoir divisé entre ses trois fils. Les relations entre Jérusalem et Rome se dégradent et bientôt des soldats romains patrouillent dans les rues, une présence militaire interprétée comme une profanation par les Juifs.
C’est dans ce contexte tendu que le prédicateur Jésus de Nazareth est crucifié. Notons que l’événement, à l’origine du christianisme, n’a pas à l’époque l’ampleur qu’on pourrait lui prêter aujourd’hui. Il n’est connu de source historique qu’à travers les écrits de l’historien Flavius Josèphe.
Toujours est-il que la situation politique s’envenime et que la population juive se rebelle contre les Romains. Le retour de flamme ne se fait guère attendre. Le 8 septembre 70, l’empereur Titus ordonne la destruction de Jérusalem. Cette attaque est l’une des plus violentes qu’ait connues la ville. Le Temple et la forteresse n’y échappent pas. Certains Juifs fuient, d’autres sont vendus comme esclaves.
Ce n’est pas fini ! En 133-135, l’empereur Hadrien réprime une nouvelle rébellion de la Judée. Plusieurs centaines de milliers de Juifs sont exterminés. Les survivants se voient interdire l’accès à leur capitale, laquelle devient sous le nom de Colonia Ælia Capitolina, une cité romaine comme une autre, avec son forum et ses temples dédiés aux divinités païennes.
Une page de l’Histoire de Jérusalem se tourne… mais pas entièrement. Pendant près de deux millénaires, les Juifs dispersés dans l’empire romain et au-delà n’auront de cesse de répéter dans leurs prières : « L’an prochain à Jérusalem… ». Ce vœu finira par se réaliser à l’initiative du mouvement sioniste.
L’ampleur des travaux menés par Hérode fut telle que, 2000 plus tard, quelques-uns subsistent. Le plus impressionnant vestige est la tour de Phasaël. Il s’agit d’une des trois tours de fortification qui venaient renforcer la citadelle et protéger le palais d’Hérode. Elle porte le nom du frère d’Hérode, qui se suicida après avoir été capturé par les Parthes.
La tour de Phasaël était située à l’entrée de la ville avec deux autres tours : celle d’Hippicus du nom d’un ami du roi et celle de Mariamme (la seule de ses épouses qu’il aurait aimée mais tout de même exécutée suite à des rumeurs d’infidélités).
Du Second Temple rénové par Hérode (ce qui lui vaut d’être appelé Temple d’Hérode), il ne reste aujourd’hui de visible que les énormes pierres du mur de soutènement. La partie occidentale de ce mur est surnommé le Kotel ou Mur des Lamentations. Il est le lieu le plus saint pour les Juifs car il est considéré comme l’endroit le plus proche du Kodesh, la partie la plus centrale du temple où seul le Grand prêtre d'Israël avait accès. Suivant une tradition toujours très vivante, les Juifs qui viennent y prier laissent des prières et requêtes écrites sur de petits papiers glissés entre les larges pierres du mur.
Les chrétiens et le Saint-Sépulcre
Quittons l’esplanade du Temple en suivant vers l’Ouest les ruelles de la vieille ville et la plus célèbre d’entre elles, la Via Dolorosa. C’est le chemin qu’aurait emprunté le Christ, chargé de sa croix et se rendant au lieu de son supplice.
Entre autres bâtiments, on commence à distinguer les deux grandes coupoles et le clocher. Là, sur le parvis, nous nous trouvons face à deux lourdes portes en bois dont le gardien ne peut atteindre le verrou sans monter sur un escabeau. Nous y sommes : la basilique du Saint Sépulcre !
En 325, cet endroit était vide de toute construction lorsqu’Hélène, la mère de l’empereur romain Constantin le Grand, s’étant convertie au christianisme, quitta son palais pour prier à Jérusalem, sur les lieux où le Christ avait été crucifié. Elle inaugura la vogue des pèlerinages en Terre Sainte.
Selon la tradition, Hélène fit exhumer ce qu’elle pensa être la « Vraie Croix », sur le Golgotha, où le Christ aurait été crucifié. Elle fit aussi aménager la cavité voisine où il aurait été inhumé. C’est au-dessus de l’un et l’autre de ces endroits qu’a été dédicacée le 17 septembre 335 la basilique du Saint-Sépulcre, aussi appelée basilique de la Résurrection.
Les constructions constantiniennes furent détruites en 614 par un incendie, lors de l’invasion perse. Cela ne freina guère le flot de pèlerins, toujours plus nombreux aux IVe et Ve siècles.
En 1009, un coup dur est porté aux pèlerinages chrétiens : l’église du Saint-Sépulcre et d’autres édifices religieux sont détruits par le calife fatimide Al- Hakim, qui règne au Caire, en Égypte.
Sous sa férule, le sort des chrétiens et des juifs se dégrade. Ils ont par exemple l’obligation de porter le zunnar, une ceinture en signe distinctif. En 1013, Al-Hakim les pousse même à émigrer. Il faudra attendre l’an 1048 pour que les divers édifices religieux chrétiens soient restaurés à la faveur d’un réchauffement des relations entre l'empire byzantin et le califat.
Bâtie sur un terrain instable, la basilique du Saint-Sépulcre a subi les assauts du temps, des guerres et de son environnement. En 1927, un séisme l’endommage sévèrement. Vingt ans plus tard, les autorités britanniques font monter une structure métallique pour soutenir l’édifice qui s’affaisse sur lui-même. La guerre israélo-arabe éclate en 1948-1949 avant que des travaux de consolidations ne soient engagés. Ceux-ci sont enfin entrepris en 2016.
Les musulmans et l’esplanade des mosquées
Quittons la basilique afin de poursuivre notre voyage dans le temps et retournons sur la partie Sud de l’esplanade du Temple, devenue à l’époque musulmane l’esplanade des Mosquées ou Haram al-Charif (en arabe « le Noble sanctuaire »). Il s’agit du troisième lieu saint de l’islam en vertu d’une tradition selon laquelle le prophète Mahomet aurait été transporté pendant son sommeil jusqu’à l’esplanade du Temple. De là, un cheval ailé du nom de Borak l’aurait emmené au Ciel et ramené dans son lit.
En 636, cinq ans après la mort de Mahomet, le calife Omar a défait l’armée byzantine sur le fleuve Yarmouk et s’est emparé de la Syrie. Quand il est entré à Jérusalem, il a découvert une cité dévastée. Sur l’esplanade du Temple, la nature avait repris ses droits. Rapidement, il a fait aménager l’esplanade, autour du rocher d’où Mahomet serait monté au ciel. En 705, une mosquée, aussi nommée le dôme du Rocher, put y accueillir les fidèles. La mosquée al-Aqsa lui fait face. Son nom arabe (« la Lointaine » en français) lui vient de ce que c’est l’endroit le plus éloigné de La Mecque que le Prophète aurait visité.
La ville végète doucement en tirant parti de l’afflux croissant de pèlerins chrétiens en provenance d’Occident. Mais voilà qu’en 1070, les Turcs Seldjoukides s’emparent de la ville et s’en prennent aux pèlerins.
En 1095, le pape Urbain II appelle les chevaliers à délivrer le Saint-Sépulcre et promet le salut éternel à ceux qui périront dans l’épreuve. Quatre ans plus tard, Jérusalem tombe aux mains des croisés. La ville devient la capitale d’un royaume constitué d’États francs, organisés sur le mode féodal. Cette parenthèse va durer moins d’un siècle, jusqu’à la reconquête de Jérusalem par le sultan Saladin, le 2 octobre 1187.
Toutefois, les chrétiens gardent le Saint-Sépulcre et les juifs des synagogues. Les pèlerins sont à nouveau autorisés à se rendre à Jérusalem pour se recueillir sur leurs lieux sacrés moyennant un droit de passage.
Sous Saladin sont reconstruites les fortifications, encore visibles aujourd’hui. Endommagée par le temps et les guerres, la mosquée al-Aqsa est pour sa part reconstruite au début du XIIIe siècle. Cet édifice est encore de nos jours, la plus grande mosquée de la ville. Elle peut accueillir 5 000 fidèles.
Notons que le terme al-Aqsa en arabe désigne également, l’ensemble de l’esplanade. Celle-ci comporte une centaine de bâtiments islamiques tels que lieux de prières, écoles religieuses, arches, fontaines et minarets. Elle peut accueillir jusqu’à 500 000 visiteurs !
Jérusalem, ville sainte
Passée sous domination ottomane en 1516, la Jérusalem réelle n’est plus devenue qu’une bourgade provinciale. En 1854, elle s’est rappelée au souvenir des Européens à la suite d’une querelle « byzantine » entre les moines de différentes confessions chrétiennes chargés de la garde du Saint-Sépulcre. Il s’en est suivi… la guerre de Crimée !
Dans les années 1880 émerge chez les juifs de la diaspora le projet d’un retour en Palestine. Ainsi prend consistance le rêve bimillénaire : « L’an prochain à Jérusalem ». La déclaration Balfour lui apporte la caution des chancelleries occidentales. Le 11 décembre 1917, le général britannique Allenby entre dans la ville sainte. Son armée, venue d’Égypte, met fin à onze siècles de domination arabe puis ottomane.
Trente ans après, l’ONU met fin au mandat britannique sur la Palestine et proclame l’indépendance d’Israël… tout en prévoyant un statut de ville internationale pour Jérusalem et les lieux saints, que se disputent sionistes, chrétiens et musulmans. Mais les États arabes n’en voulant pas, il s’ensuit une guerre au terme de laquelle Jérusalem est partagée entre Israël (Jérusalem-Ouest, la ville nouvelle) et la Jordanie (Jérusalem-Est, la vieille ville). Suite à la guerre des Six Jours, en juin 1967, Israël va occuper la vieille ville et réunifier Jérusalem pour en faire sa capitale, en violation des recommandations de l’ONU.
Cinquante ans après, l’ancienne Jérusalem-Est n’est plus qu’une enclave musulmane au sein d’une métropole bouillonnante de vie. La ville sainte attire la fraction la plus religieuse de la population israélienne et notamment les loubavitch reconnaissable à la tenue sombre des hommes et aux robes longues des femmes. Elle continue malgré les tensions internationales et le terrorisme d’attirer les pèlerins chrétiens. Elle est aussi devenue un haut lieu de la culture et de la mémoire juives avec le mémorial Yad Vashem et le musée d’Israël, qui expose une magnifique collection d’art occidental ainsi que les manuscrits de la Mer Morte.
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